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Forced Labour Convention, 1930 (No. 29) - Myanmar (RATIFICATION: 1955)

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1. La commission prend note du rapport du gouvernement ainsi que des observations de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) contenues dans des communications en date du 14 juin, 31 août, 1er septembre, 7 octobre et 10 novembre 2004. Ces observations, auxquelles sont joints de nombreux documents faisant état de la persistance du recours au travail forcé au Myanmar, ont été communiquées au gouvernement pour tout commentaire que celui-ci souhaiterait formuler à ce propos. La commission prend note également des documents soumis au Conseil d’administration à ses 289e et 291e sessions (mars et novembre 2004) relatifs aux faits nouveaux concernant la question de l’exécution par le gouvernement du Myanmar de la convention no 29, ainsi que des débats qui ont eu lieu au Conseil d’administration au cours de ces mêmes sessions et à la Commission de l’application des normes de la Conférence en juin 2004.

2. Cette année encore, la commission examine les mesures prises par le gouvernement pour donner effet aux recommandations de la commission d’enquête instituée par le Conseil d’administration en mars 1997 suite à une plainte déposée en juin 1996 en vertu de l’article 26 de la Constitution. Dans le rapport qu’elle a publié en juillet 1998, la commission d’enquête a conclu que la convention était violée dans la législation nationale et dans la pratique de façon généralisée et systématique, et a adopté les recommandations suivantes:

a)  que les textes législatifs pertinents, en particulier la loi sur les villages et la loi sur les villes, soient mis en conformité avec la convention;

b)  que, dans la pratique, aucun travail forcé ou obligatoire ne soit plus imposé par les autorités, et notamment par les militaires;

c)  que les sanctions qui peuvent être imposées en vertu de l’article 374 du Code pénal pour le fait d’exiger du travail forcé ou obligatoire soient strictement appliquées.

Modification de la législation, paragraphe 539 a) du rapport
de la commission d’enquête

Bref rappel des faits

3. La commission a déjà exposé l’historique de cette situation en détail dans des observations antérieures. En bref, la commission rappelle que, dans son rapport, la commission d’enquête priait instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour assurer que les lois de 1907 sur les villes et de 1908 sur les villages, qui confèrent aux autorités locales de larges pouvoirs de réquisition de main-d’œuvre, en violation de la convention, soient sans délai rendues conformes à la convention. En résumé, aux termes de certaines dispositions de ces lois, du travail ou des services non volontaires peuvent être imposés à toute personne résidant dans un arrondissement rural ou urbain et la non-obtempération à une réquisition faite en application de la législation est passible de sanctions pénales. La commission d’enquête a ainsi constaté que ces lois prévoient l’imposition d’un «travail forcé ou obligatoire» relevant de la définition de l’article 2, paragraphe 1, de la convention.

4. Dans son observation de 2001, la commission notait que, si la loi sur les villages et la loi sur les villes n’avaient toujours pas été modifiées, «une ordonnance prescrivant de ne pas faire usage des pouvoirs conférés par certaines dispositions des lois de 1907 et 1908, sur les villes et sur les villages», ordonnance no 1/99, modifiée par «l’ordonnance complétant l’ordonnance no 1/99» datée du 27 octobre 2000, pourrait constituer une base juridique suffisante pour assurer le respect de la convention dans la pratique dès lors que les autorités locales et les fonctionnaires civils et militaires habilités par lesdites lois à requérir le concours des autorités locales, appliqueraient ces ordonnances de bonne foi. En effet, l’ordonnance prévoit la possibilité de pouvoir imposer du travail obligatoire exceptionnellement, en raison d’un intérêt direct et important pour la collectivité et la population en général et d’une nécessité actuelle ou imminente, pour lesquels il a été impossible de se procurer une main-d’œuvre volontaire malgré l’offre d’un salaire normal. Elle prévoit également la possibilité d’émettre des instructions qui peuvent annuler les restrictions aux pouvoirs de réquisition. La commission avait dès lors précisé qu’une application de bonne foi de cette ordonnance impliquait l’adoption des mesures indiquées, tant par la commission d’enquête dans les recommandations figurant au paragraphe 539 b) de son rapport que par cette commission dans ses précédents commentaires (en ce qui concerne les instructions spécifiques et les prévisions budgétaires nécessaires pour engager une main-d’œuvre salariée travaillant librement aux activités relevant du domaine public actuellement exécutées au moyen de travail forcé et non rémunérées).

5. La commission observe que, comme il est établi dans les paragraphes suivants, les mesures demandées n’ont pas été prises ou ne l’ont été que partiellement et que le recours au travail forcé persiste à une grande échelle. Il apparaît que les ordonnances n’ont pas été efficaces et qu’il devient encore plus impératif de procéder sans délai à la modification ou à l’abrogation des lois sur les villes et les villages afin d’éliminer, à la base, le fondement législatif du recours au travail forcé et l’incompatibilité de ces textes avec la convention. La commission note que, dans son allocution devant la Commission de l’application des normes de la Conférence en juin 2004, le représentant gouvernemental du Myanmar a déclaré que «en ce qui concerne l’amendement de la loi sur les villages et de la loi sur les villes, le gouvernement envisage les divers moyens de modifier certaines de leurs dispositions et il a consulté certaines parties à ce sujet». Rappelant que la commission d’enquête avait recommandé que ces modifications devraient être effectuées sans délai et achevées au plus tard le 1er mai 1999, la commission espère que le gouvernement prendra enfin les mesures nécessaires pour modifier dans les plus brefs délais les dispositions en cause des lois de 1907 sur les villes et de 1908 sur les villages, comme il le promet depuis plus de trente ans.

Mesures tendant à mettre un terme à l’imposition de travail forcé
dans la pratique (paragr. 539 b) du rapport de la commission d’enquête) et informations disponibles sur la pratique existante

6. La commission rappelle que, dans ses recommandations, la commission d’enquête avait souligné qu’outre la modification de la législation des mesures concrètes devaient être prises immédiatement pour mettre un terme à l’imposition du travail forcé dans la pratique, en particulier par l’armée. Dans ses précédentes observations, cette commission avait identifié quatre domaines dans lesquels des mesures devaient être prises par le gouvernement pour parvenir à un tel résultat: émettre des instructions spécifiques et concrètes à l’adresse des autorités civiles et militaires; assurer une large publicitéà l’interdiction du travail forcé; prévoir les inscriptions budgétaires adéquates pour le remplacement de la main-d’œuvre forcée ou non rémunérée; et assurer le suivi de l’interdiction du travail forcé.

7. Instructions spécifiques et concrètes. Dans ses observations précédentes, la commission avait attiré l’attention du gouvernement sur le fait que, en l’absence d’instructions spécifiques et concrètes permettant aux autorités civiles et militaires d’identifier les diverses formes et modalités d’imposition du travail forcé, il était difficile de mettre fin au travail forcé dans la pratique. La commission avait observé que, bien que des «explications», «instructions» et «directives» aient étéémises par les bureaux des conseils pour la paix et le développement à différents niveaux et par les services du département de l’Administration générale, du département de la Justice, de la Police et des Tribunaux locaux, et malgré les orientations données par les équipes d’observation sur le terrain à l’occasion de leurs déplacements dans le pays, le gouvernement n’avait donné aucune précision quant à la teneur desdites explications, instructions, directives ou orientations, ni communiqué aucun texte d’instruction ou directive donnant le détail des travaux pour lesquels la réquisition de main-d’œuvre était interdite ou spécifiant la manière dont certains travaux devaient être accomplis sans recourir au travail forcé.

8. La commission note que, dans son dernier rapport, le gouvernement affirme avoir fait tous les efforts pour garantir l’interdiction de l’utilisation du travail forcé prévue par l’ordonnance no 1/99 et son ordonnance complémentaire. Le gouvernement communique par ailleurs trois documents censés appuyer ses dires (les instructions nos 1/2004 du 19 août 2004 du département de l’Administration générale, en langue birmane; la directive de la Cour suprême adressée aux juridictions des Etats, divisions, districts et circonscriptions par lettre en date du 2 novembre 2000 et la lettre no 1002(3)/202/G4 «tendant à prévenir la réquisition illicite de travail forcé», signée du directeur de la police, déjà communiquée au BIT). La commission observe qu’aucun de ces documents ne permettrait aux autorités concernées d’identifier les pratiques qui constituent du travail forcé.

9. La commission note également, dans le dernier rapport du gouvernement, ainsi que dans l’allocution du représentant du gouvernement devant la Commission de l’application des normes de la Conférence en juin 2004, la référence à la tenue d’ateliers d’information sur la mise en œuvre de la convention no 29 dans différentes régions du pays au cours de l’année 2004. La commission considère que ces ateliers ne semblent pas avoir produit les effets escomptés et que, tant que n’auront pas été prises des mesures efficaces permettant aux autorités civiles et militaires d’identifier les diverses formes et modalités d’imposition du travail forcé qui doivent être interdites, il ne pourra pas être mis un terme à celui-ci dans la pratique.

10. En résumé sur ce point, il ressort une fois de plus des informations communiquées par le gouvernement que des instructions claires et efficacement transmises sont encore requises pour faire connaître à tous les représentants de l’autorité, y compris aux membres des forces armées, la nature des pratiques qui constituent du travail forcé et pour lesquelles la réquisition de main-d’œuvre est interdite ainsi que la manière dont ces mêmes tâches doivent dorénavant être exécutées. Dans une précédente observation, la commission énumérait un certain nombre d’activités et de pratiques ayant un rapport étroit avec l’imposition de travail forcé, à savoir:

-           le portage pour les militaires (ou d’autres groupes paramilitaires/militaires, pour des campagnes militaires ou pour des patrouilles régulières);

-           la construction ou réparation d’installations/camps militaires;

-           les autres formes d’appui à ces camps (guides, estafettes, cuisiniers, nettoyeurs, etc.);

-           la génération de revenus par des particuliers ou des groupes (y compris travail dans des projets agricoles ou industriels dont l’armée est propriétaire);

-           les projets d’infrastructure nationaux ou locaux (routes, voies ferrées, barrages, etc.);

-           le nettoyage/embellissement des zones rurales ou urbaines;

-           la réquisition de matériaux ou de fournitures, de quelque nature qu’ils soient, doit être interdite, de même que les demandes d’argent, sauf s’il s’agit de sommes dues à l’Etat ou à une municipalité, aux termes de la législation applicable, étant donné qu’en pratique les demandes, par les militaires, d’argent ou de services sont souvent interchangeables.

La commission demande encore une fois au gouvernement de s’attaquer à ces problèmes de toute urgence.

11. Publicité faite aux ordonnances. La commission avait noté précédemment, à la lecture des informations communiquées par le gouvernement, que des mesures continuaient d’être prises en vue de rendre l’interdiction du travail forcé, prévue dans l’ordonnance no 1/99 et son ordonnance complémentaire, largement connue de toutes les autorités concernées de même que du grand public. Elle avait noté que ces mesures incluaient la diffusion d’informations au moyen de bulletins et de brochures, la distribution des traductions des ordonnances dans les langues ethniques et le travail des équipes d’observation sur le terrain.

12. Dans son dernier rapport, le gouvernement réaffirme que des copies de l’ordonnance no 1/99 et de son ordonnance complémentaire ont été largement diffusées dans l’ensemble du pays. La commission comprend, d’après les informations communiquées par le gouvernement, qui semblent confirmées par le chargé de liaison par intérim, que la traduction des ordonnances dans les quatre dialectes chin a été effectuée. A ce propos, la commission note que, selon le chargé de liaison par intérim, «bien que toutes les traductions soient achevées, il ne les a vues affichées dans aucune des régions ethniques qu’il a visitées et il n’a rencontré personne dans ces régions qui les ait vues; il n’est donc toujours pas convaincu qu’elles ont été largement distribuées par les autorités» (document GB.289/8 soumis à la 289e session du Conseil d’administration en mars 2004, paragr. 10).

13. La commission espère que le gouvernement communiquera copie des ordres adressés aux forces armées ainsi que des informations sur les réunions, ateliers et séminaires organisés pour assurer la diffusion de ces ordres au sein des forces armées. Elle renouvelle l’espoir que des mesures seront prises pour assurer que des textes dûment traduits soient diffusés et affichés dans les zones ethniques, qui sont celles où les pratiques de travail forcé ont le plus souvent cours.

14. Inscription au budget des crédits adéquats. Dans ses recommandations, la commission d’enquête a insisté sur la nécessité d’inscrire au budget de l’Etat les crédits nécessaires pour rémunérer les travailleurs libres qui seront chargés d’accomplir le travail effectué jusqu’à présent par une main-d’œuvre forcée et non rémunérée. Dans son rapport, la Mission de haut niveau (2001) avait indiqué qu’aucun élément ne lui permettait de conclure que les autorités ont bien prévu le remplacement de la main-d’œuvre forcée et gratuite réquisitionnée pour aider l’armée ou pour réaliser les projets de travaux publics.

15. Dans des observations précédentes, la commission a abordé cette question, recherchant des éléments tangibles permettant d’établir que des crédits budgétaires adéquats ont été prévus pour recruter de la main-d’œuvre volontaire et rémunérée. En réponse, le gouvernement réitérait ses déclarations antérieures, selon lesquelles il existe toujours une inscription budgétaire afférente à chaque projet, cette inscription couvrant le coût des matériaux et celui de la main-d’œuvre. Elle a observé cependant que, dans la pratique, le travail forcé continue d’être imposé aujourd’hui dans de nombreuses régions du pays, notamment dans celles où l’armée est fortement présente, et que par conséquent les allocations budgétaires pouvant exister n’étaient pas suffisantes pour éviter le recours au travail forcé. Le gouvernement n’a communiqué aucune information sur ce point dans son dernier rapport. La commission demande de nouveau que des ressources budgétaires adéquates soient allouées aux autorités civiles et militaires afin que celles-ci puissent s’acquitter de leurs tâches sans recourir à du travail forcé et que le prochain rapport fasse état des mesures prises en ce sens.

16. Mécanismes de contrôle. En ce qui concerne les mesures prises par le gouvernement pour assurer le suivi de l’interdiction du travail forcé, la commission prend note des informations communiquées par le représentant gouvernemental à la Commission de l’application des normes de la Conférence en juin 2004. Elle note que parmi ces mesures figure la mise en place de sept équipes d’observation sur le terrain habilitées à diligenter des enquêtes sur les allégations de recours au travail forcé, et dont les conclusions sont soumises au Comité d’application de la convention no 29. En ce qui concerne les activités de ce comité, la commission note, selon les informations figurant dans le document soumis au Conseil d’administration en novembre 2004 (document GB.291/5/2, paragr. 13) que: «la récente expérience du chargé de liaison par intérim a montré que les plaintes spécifiques pour travail forcé portées à l’attention du Comité d’application de la convention no 29 sont systématiquement rejetées et que celles qui sont portées directement devant les tribunaux sont déclarées irrecevables. On est ainsi amenéà constater un manque de crédibilité de la réaction des autorités face à de telles plaintes, ce qui est particulièrement préoccupant compte tenu de la nature des affaires en question. En effet, si un certain nombre des allégations soumises aux autorités portent sur des cas d’une extrême gravité et mettent en cause l’armée, notamment dans les zones reculées, il en est d’autres qui concernent des cas de travail forcé comparativement mineurs et mettent en cause des responsables locaux dans le centre du Myanmar. Dans ces derniers cas, il devrait être facile de prendre des mesures, compte tenu de la nature des délits et du lieu où ils ont été commis. Par conséquent, le fait que les autorités n’aient pris aucune disposition pour y mettre bon ordre ne peut qu’éveiller des doutes sérieux quant aux perspectives de progrès réels dans les zones sous le contrôle de l’armée, où tout semble indiquer que la situation en matière de travail forcé est d’un tout autre degré de gravité, tant par les formes de réquisition que par leur ampleur.»

17. La commission note également que, «de l’avis du chargé de liaison par intérim, le mécanisme mis en place par les autorités pour traiter les allégations de travail forcé, et qui consiste à envoyer une équipe spéciale composée de hauts fonctionnaires gouvernementaux dans la région afin d’y mener une enquête, n’est pas bien adapté compte tenu de l’augmentation du nombre de cas» (document GB.291/5/1, paragr. 12). Le chargé de liaison par intérim indique que les allégations de travail forcé font généralement l’objet d’une enquête interne au sein du ministère de l’Administration générale. Les cas concernant l’armée (recrutement forcé ou travail forcé prétendument imposé par l’armée) sont soumis par le Comité d’application de la convention no 29 au représentant du ministère de la Défense. Ces cas font également l’objet d’une enquête interne de l’armée. La commission note que «sur les 38 cas soumis au Comité d’application de la convention no 29, des réponses ont été reçues pour 18. Dans tous les cas, l’allégation de travail forcé a été rejetée. Sur les six cas où les plaignants se sont adressés directement à la justice, trois ont été rejetés au motif qu’il n’y avait pas d’indices probants de travail forcé (…).»

18. La commission observe, comme le chargé de liaison par intérim, que les contrôles effectués par les équipes d’observation sur le terrain et par le Comité d’application de la convention no 29 semblent manquer de crédibilité, en particulier compte tenu du fait que le BIT continue de recevoir des preuves dignes de foi que cette pratique se perpétue à une grande échelle. Elle réitère l’espoir que le gouvernement prendra les mesures nécessaires pour instaurer une procédure crédible, juste et plus efficace d’enquête sur les plaintes pour travail forcé, notamment sur les plaintes mettant en cause l’armée, et qu’il coopérera de façon plus étroite à l’avenir avec le chargé de liaison.

Informations disponibles sur la pratique existante

19. La commission note que l’évaluation générale de la situation concernant le travail forcé, effectuée par le chargé de liaison par intérim sur la base de l’ensemble des informations dont il disposait, est que, «même s’il y a eu certaines améliorations depuis la commission d’enquête, la pratique du travail forcé est toujours répandue dans l’ensemble du pays, et qu’elle est particulièrement sévère dans les zones frontalières où l’armée est très présente» (rapport du chargé de liaison par intérim, document GB.291/5/1, paragr. 9). La commission note qu’à la date de son rapport (22 octobre 2004) le chargé de liaison par intérim avait reçu 72 plaintes au total pour l’année 2004, et que les autorités sont intervenues dans 38 cas. Sur ces 38 cas, 18 concernaient diverses formes de travail forcé (autres que le recrutement forcé); 13 touchaient à l’enrôlement forcé de mineurs dans les forces armées; un cas relevait du harcèlement à l’égard d’un plaignant; et dans six cas les plaignants s’étaient adressés directement à des tribunaux du Myanmar en vertu de l’article 374 du Code pénal, en communiquant copie de leurs plaintes au chargé de liaison.

Informations récentes

20. Dans des communications en date du 14 juin, 31 août, 1er septembre et 7 octobre 2004, la CISL a adressé au BIT de nombreux documents attestant de la persistance du recours systématique au travail forcé par les autorités militaires à une très grande échelle. Les cas de travail forcé présentés dans ces documents couvrent de nombreuses régions du Myanmar (Etats de Chin, Kachin, Kayin, Mon, Rakhine et Shan et divisions d’Ayeyarwady, Magway, Bago, Sagaing, Tenasserim et Yangon), sur la période s’étendant de septembre 2003 à septembre 2004, et sont étayés par des informations précises mentionnant les lieux et dates des faits rapportés ainsi que les unités de l’armée et les noms des officiers impliqués.

21. Parmi les documents communiqués figure un rapport de la Fédération des syndicats de Birmanie (FTUB) de plus de 100 pages intitulé«Travail forcé en Birmanie (Myanmar): travail forcé après la Conférence internationale du Travail 2003». Ce rapport contient des dizaines de témoignages de victimes de travail forcé pour le compte de l’armée. Les témoins étaient pour la plupart utilisés comme porteurs (d’armes, de munitions, de bois, de vivres, etc.), sur des chantiers de construction ou d’entretien de routes ou de ponts, ou exploités dans des camps de travail et dans des rizières contrôlés par l’armée. Parmi les faits évoqués par les témoins figuraient:

-           le fait d’être réquisitionnés suite à des ordres donnés par les militaires aux chefs de village dans des régions rurales pour qu’ils mettent à leur disposition des villageois, utilisés comme main-d’œuvre non rémunérée pour le portage, pour participer à des chantiers de construction ou pour l’entretien des casernes (de nombreuses copies d’ordres de réquisition de main-d’œuvre ont été jointes au rapport);

-           le fait d’être forcés de participer à des programmes d’entraînement militaire, d’accomplir un service de sentinelle ou de servir de guides;

-           le fait d’être forcés par les chefs militaires de se soumettre à un système de rotation de main-d’œuvre forcée aux termes duquel chaque famille d’un même village doit mettre quotidiennement à leur disposition un certain nombre de ses membres, sous la menace de représailles ou de l’imposition d’une amende. Les travailleurs réquisitionnés doivent se munir de leurs propres outils et prévoir la nourriture nécessaire à leur subsistance pour toute la durée des travaux, durée qu’ils ignorent généralement.

De plus, les témoins ont rapporté les mauvais traitements dont ils ont été victimes, au nombre desquels:

-           la privation de nourriture;

-           le fait d’être systématiquement battus pour avoir cédéà l’épuisement ou pour avoir demandé la permission de se reposer;

-           dans les cas les plus graves, il a été rapporté que des porteurs incapables de marcher en raison d’une blessure ou d’une fatigue extrême avaient été purement et simplement assassinés;

-           les mutilations et les morts violentes survenues au cours d’opérations de déminage, les personnes concernées étant équipées de simples râteaux.

Par ailleurs, il a été rapporté que les militaires se rendaient coupables d’autres exactions, parmi lesquelles: homicides, viols, tortures, pillages, incendies volontaires d’habitations, destructions de plantations et de biens de consommation, expropriations forcées et expulsions, ainsi que confiscations et extorsions d’argent et de biens au prétexte de taxes diverses.

22. La CISL a communiqué un document du Asian Legal Resource Centre, une ONG dotée du statut consultatif général auprès du Conseil économique et social des Nations Unies, basée à Hong-kong, qui évoque deux cas de travail forcé imposéà des civils par les autorités. Il illustre la manière dont celles-ci tentent de se retourner contre ceux qui refusent de se soumettre aux ordres de réquisition. Le premier cas concerne deux habitants de la circonscription de Henzada (ancien nom de Hinthada), dans la division d’Ayeyarwady, qui avaient refusé, en juillet 2003, d’accomplir un service de sentinelle au monastère bouddhiste du village d’Oatpone. Condamnés, respectivement, à un mois et à six mois d’emprisonnement en application des dispositions du Code pénal qui punissent la non-assistance caractérisée à un agent dépositaire de l’autorité publique (art. 187) et la menace à l’intégrité physique d’un agent dépositaire de l’autorité publique (art. 189). Ils ont porté plainte au titre de l’article 374 du Code pénal (qui réprime l’imposition de travail obligatoire illicite), mais tous deux ont été déboutés par le tribunal de Henzada. Les autorités ont alors porté plainte en diffamation (art. 499 et 500 du Code pénal) et les deux plaignants ont tous deux été condamnés à six mois d’emprisonnement le 7 octobre 2004. Le second cas concerne une habitante de la circonscription de Kawmhu, dans la division de Yangon, qui a intenté, en avril 2004, une procédure judiciaire contre les autorités locales au titre de l’article 374 du Code pénal, elle-même ayant été préalablement menacée d’une procédure judiciaire pour avoir refusé de participer à un chantier de construction routière des environs. Les autorités locales ont alors fait en sorte de faire témoigner les autres habitants de son village dans le sens que personne n’avait été forcéà travailler sur le chantier et que le travail en question avait été accompli volontairement. La CISL a émis la crainte de voir la procédure se retourner contre la plaignante comme cela avait été le cas dans la première affaire.

23. Les autres documents communiqués par la CISL comprennent:

-           trois autres rapports de la FTUB, intitulés: «La violence et la pauvreté imputables à l’Etat en Birmanie» daté de juin 2004; «Impact des sanctions imposées par les Etats-Unis sur l’industrie textile et du vêtement en Birmanie» et «Répercussions globales de la promotion du tourisme sur l’ensemble de la communauté de la région de Ngwe Saung (division d’Ayeyarwady)» datés de 2004, ainsi que le témoignage d’un enfant soldat daté du 2 janvier 2004;

-           des articles de différentes agences de presse et d’organisations de défense des droits de l’homme évoquant des dizaines de cas de travail forcé, dont l’utilisation de quelque 250 villageois appartenant à la minorité musulmane Rohingya de la circonscription de Maung-Daw (Etat de Rakhine) pour la construction d’habitations pour 130 familles de colons bouddhistes venus du centre du pays, quelque 500 autres villageois ayant été réquisitionnés en juin 2004 pour la construction d’un pont, sous la direction de la NaSaKa (forces de sécurité frontalières). Ces articles évoquent d’autres cas d’exploitation de minorités ethniques par les autorités, par exemple le travail forcé imposé aux villageois Nagas pour la construction de logements touristiques en prévision du Nouvel An Naga à Layshee (division de Sagaing) ou l’exploitation touristique de certains Salons (aussi appelés Mokens), forcés d’effectuer des danses traditionnelles (division de Tenasserim). D’autres exactions sont rapportées comme l’enlèvement de civils en vue de leur utilisation comme boucliers humains pendant une opération militaire menée contre des groupes armés dans le sud de l’Etat de Mon et dans le nord de la division de Tenasserim, au cours de la période décembre 2003 - janvier 2004, et le viol d’habitantes de villages du sud de la circonscription de Ye (Etat de Mon), au cours de la même période;

-           la traduction authentique du jugement rendu dans le procès pénal ordinaire no 111/2003 par la cour du district nord de Yangon le 28 novembre 2003, condamnant neuf personnes à la peine capitale pour haute trahison, faisant état d’éléments de preuve à charge selon lesquels certaines d’entre elles auraient eu des contacts avec l’OIT et reçu ou communiqué des informations ayant trait aux activités de l’Organisation;

-           la traduction authentique de l’arrêt rendu en appel par la Cour suprême dans la même affaire, et réduisant les peines des accusés, pour cinq d’entre eux, à l’emprisonnement à vie et, pour les quatre autres, à un emprisonnement de trois ans sous le régime des travaux forcés (procès no 457/2003 opposant Nay Win, Shwe Mann, Naing Tun et consorts à l’Union du Myanmar). Le BIT a reçu par la suite, le 21 octobre 2004, la traduction authentique de l’arrêt rendu le 14 octobre 2004 par la Cour suprême statuant en appel spécial dans cette même affaire. Les peines des quatre accusés condamnés en appel à trois ans d’emprisonnement sous le régime des travaux forcés sont réduites à deux ans d’emprisonnement sous le régime des travaux forcés, tandis que celle de Shwe Mann, condamné en appel à l’emprisonnement à vie, est réduite à cinq ans d’emprisonnement sous le régime des travaux forcés. Par ailleurs, la Cour suprême a jugé que les références aux contacts avec l’OIT contenues dans le jugement de la cour du district nord de Yangon devaient être supprimées, la Cour suprême précisant qu’«un acte de communication ou de coopération avec le BIT ne saurait être constitutif d’un délit en vertu de la législation en vigueur au Myanmar»;

-           le second rapport préliminaire de la commission ad hoc sur le massacre de Depayin, daté de mai 2004;

-           deux documents de la Fédération des syndicats du Kawthoolei (FTUK) évoquant des dizaines d’autres cas de travail forcé, y compris deux entretiens avec des victimes de travail forcé datés du 19 juin 2004.

24. La commission prend note des nouvelles allégations de recrutement forcé d’enfants par les forces armées contenues dans les documents communiqués par la CISL ainsi que dans le document sur les activités du chargé de liaison par intérim soumis au Conseil d’administration en novembre 2004 (document GB.291/5/1). Parmi les cas portés à la connaissance du chargé de liaison par intérim, figure celui d’un adolescent de 15 ans qui, selon les allégations, a été recruté dans l’armée, puis s’est échappé avant d’être arrêté et condamné par une cour martiale à quatre ans d’emprisonnement pour désertion.

25. La commission rappelle à ce propos qu’elle avait prié le gouvernement de fournir des informations sur toute enquête qui aurait été menée pour vérifier que dans la pratique aucune personne de moins de 18 ans n’a été recrutée dans les forces armées. Elle avait exprimé l’espoir que le gouvernement, avec l’aide de l’OIT, ferait tout ce qui est en son pouvoir pour procéder à une évaluation approfondie de l’ampleur de cette pratique et prendrait les mesures nécessaires pour y mettre un terme.

26. S’agissant des programmes d’entraînement et de service militaire, le gouvernement indique dans son dernier rapport avoir créé une commission pour la prévention contre le recrutement de mineurs, présidée par le secrétaire 2 du Conseil d’Etat pour la paix et le développement. Tout en notant cette information, la commission constate, à la lecture des nombreux documents joints au dossier, que le recrutement d’enfants pour servir dans les unités de l’armée est toujours de mise, et que certains enfants ont été condamnés par des juridictions militaires à des peines d’emprisonnement pour désertion. La commission prie instamment le gouvernement de mettre un terme à ces pratiques et d’apporter une pleine et entière collaboration au chargé de liaison par intérim dans le traitement des plaintes qui sont portées à son attention, et de s’assurer que les enfants victimes de tels abus ne puissent faire l’objet à l’avenir de condamnations devant des juridictions militaires.

27. Pour conclure sur ce point, la commission note que le travail forcé ou obligatoire continue de prévaloir dans de nombreuses régions du pays, en particulier dans les régions frontalières habitées par des minorités ethniques, marquées par une forte présence militaire. Elle prend note avec préoccupation des nombreux documents portés à sa connaissance par la CISL et des cas suivis par le chargé de liaison par intérim, qui démontrent avec force que l’imposition de travail forcé est loin d’être une pratique en voie de disparition. Elle prend note des déclarations du gouvernement concernant sa détermination àéliminer le travail forcé dans le pays; cependant, la commission considère que cette détermination n’a pas jusqu’à présent permis d’atteindre les résultats escomptés. La commission veut croire que le gouvernement, conformément à son intention déclarée, renforcera de manière significative ses efforts pour mettre un terme définitif au problème du travail forcé et lui demande instamment de poursuivre sa coopération avec le BIT dans cette optique. La commission espère que le gouvernement répondra en détail sur tous les cas de travail forcé présentés par la CISL.

Application des sanctions prévues par le Code pénal
en cas d’imposition illégale de travail forcé ou obligatoire

28. La commission rappelle que, dans son rapport, la commission d’enquête avait demandé instamment au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que les sanctions prévues par l’article 374 du Code pénal en cas d’imposition de travail forcé ou obligatoire soient strictement appliquées, conformément à l’article 25 de la convention. De l’avis de la commission d’enquête, il faudrait pour cela que des enquêtes soient menées de manière approfondie, que des poursuites soient engagées et que des sanctions adéquates soient prises contre les coupables.

29. La commission note, à la lecture du rapport soumis par le chargé de liaison par intérim au Conseil d’administration en novembre 2004 (document GB.291/5/1, paragr. 13, et annexe II), que pour la première fois des plaintes ont été déposées devant des juridictions du Myanmar pour imposition illégale de travail forcé en vertu de l’article 374 du Code pénal. Elle note cependant qu’aucune des six plaintes déposées au cours de l’année 2004 n’a abouti à l’engagement de poursuites ni même à la reconnaissance d’une situation de travail forcé. Dans trois cas, la juridiction saisie a déclaré la plainte irrecevable au motif qu’il n’existait pas de présomption suffisante d’un recours au travail forcé. De plus, dans deux des trois cas où la procédure est parvenue à son terme, les plaignants ont été condamnés à six mois de prison pour diffamation alors même qu’ils avaient déjàété emprisonnés pour avoir refusé d’accomplir du travail forcé. Les trois autres cas étaient toujours en cours d’instance à la date du rapport (22 octobre 2004). Par ailleurs, le chargé de liaison par intérim indique dans son rapport que «deux personnes qu’il avait rencontrées à Yangon avaient été arrêtées à leur retour dans leur village. Au cours de ces rencontres, l’une d’elles avait fourni des détails sur la plainte dont elle avait saisi directement un tribunal au titre de l’article 374 du Code pénal concernant l’imposition de travail forcé dans la circonscription de Kawhmu (division de Yangon).» (document GB.291/5/1, paragr. 17).

30. La commission note que, si pour la première fois des plaintes ont été déposées par des personnes se déclarant victimes de l’imposition de travail forcé au titre de l’article 374 du Code pénal, aucune de ces plaintes n’a jusqu’à présent été jugée recevable. Elle note que le fait que certaines victimes aient été arrêtées après qu’elles soient entrées en contact avec le chargé de liaison par intérim, ou condamnées à une peine d’emprisonnement pour diffamation après avoir déposé une plainte au titre de l’article 374 du Code pénal, crée un climat de crainte susceptible de dissuader les victimes de recourir à la justice. La commission espère que le gouvernement mettra tout en œuvre pour que les victimes de travail forcé puissent effectivement se prévaloir de l’article 374 du Code pénal sans risquer d’être elles-mêmes poursuivies en diffamation et qu’elles puissent librement entrer en contact avec le chargé de liaison par intérim sans risquer d’être arrêtées ou interrogées par les forces de police. Elle espère que le gouvernement pourra faire état dans son prochain rapport des progrès accomplis dans ce domaine.

Plan d’action conjoint

31. Dans sa dernière observation, la commission avait noté avec intérêt qu’un plan d’action conjoint pour l’éradication des pratiques de travail forcé au Myanmar avait été conclu le 27 mai 2003 entre l’OIT et le gouvernement. Bien que le plan d’action conjoint ait été accueilli favorablement par la Commission de l’application des normes de la Conférence lors de la discussion à la 91e session de la Conférence internationale du Travail, celle-ci avait observé que ses discussions «coïncidaient avec un climat d’incertitude et d’intimidation dans le pays, suite aux événements récents mettant gravement en question la volonté et la capacité des autorités de progresser sensiblement en vue de l’éradication du travail forcé». La commission note que la situation ne s’est guère améliorée ensuite, notamment depuis que trois personnes ont été condamnées pour haute trahison pour des motifs incluant des contacts avec l’OIT. Si la Cour suprême statuant en appel spécial a commué la peine capitale, qui avait été prononcée contre ces personnes en novembre 2003 par une cour de justice du Myanmar, en peines d’emprisonnement de deux et cinq ans et reconnu la légalité des contacts avec le BIT, la commission note que le groupe des travailleurs, le groupe des employeurs et une majorité des gouvernements membres du Conseil d’administration ont déploré le maintien en détention des intéressés et demandé leur libération ou leur amnistie immédiate. La situation de ces personnes constitue un sujet de grave préoccupation pour la commission. La commission regrette que, dans ces conditions, le plan d’action conjoint ne puisse être mis en œuvre comme prévu. Elle prend note de la décision du Conseil d’administration de constituer une mission de très haut niveau en vue d’évaluer l’attitude des autorités et leur volonté de poursuivre avec l’OIT leur coopération (document GB.291/5, Conclusions).

Observations finales

32. La commission constate une nouvelle fois avec une profonde préoccupation que les recommandations de la commission d’enquête n’ont toujours pas été mises en œuvre: les dispositions des lois de 1907 sur les villes et de 1908 sur les villages permettant la réquisition de main-d’œuvre en violation de la convention n’ont pas été abrogées; du travail forcé continue d’être imposé dans de nombreuses régions du pays, dans des conditions de cruauté et de brutalité très dures; et aucune personne responsable d’imposition de travail forcé n’a fait l’objet de poursuites ni de condamnation sur la base des dispositions pertinentes du Code pénal. La commission exprime sa plus ferme condamnation et demande instamment au gouvernement de faire la preuve de la détermination d’éliminer le travail forcé qu’il a déclarée et de prendre les mesures nécessaires pour assurer le respect de la convention.

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