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Interim Report - REPORT_NO187, November 1978

CASE_NUMBER 899 (Tunisia) - COMPLAINT_DATE: 01-FEB-78 - Closed

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  1. 547. Le comité a déjà examiné cette affaire en mai 1978 à la suite de plaintes en violation des droits syndicaux déposées par la Fédération syndicale mondiale (FSM), la Fédération internationale des organisations de travailleurs de la métallurgie (FIOM), l'Internationale du personnel des postes, télégraphes et téléphones (IPTT), la Confédération internationale des syndicats libres (CISL), la Fédération internationale des mineurs, la Fédération internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (FITBB) et la Fédération internationale des ouvriers du transport (FIOT). Il a présenté à cette session des conclusions intérimaires qui figurent aux paragraphes 221 à 248 de son 181e rapport. Le Conseil d'administration a approuvé celui-ci à sa session des 2-3 juin 1978 (206e session).
  2. 548. La Tunisie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
  3. 549. A la veille de la session du comité, la FIOM a fait parvenir une nouvelle communication (en date du 23 mai 1978), qui a été transmise au gouvernement pour observations. Il en est allé de même des communications reçues depuis lors, à savoir: une lettre de la FIOM en date du 18 juillet 1978, et deux communications de la FSM en date des 16 août et 13 octobre 1978 (la seconde signée également par la Confédération internationale des syndicats arabes), une lettre de l'Organisation de l'unité syndicale africaine (OUSA) du 7 octobre 1978, deux communications de la CISL en date des 10 et 30 octobre 1978. Le gouvernement a répondu par des lettres des 1er et 17 août ainsi que du 1er novembre 1978.
  4. 550. Par ailleurs, le Directeur général s'est rendu à Tunis du 31 octobre au 2 novembre 1978 pour discuter de cette affaire.

A. Précédent examen de l'affaire

A. Précédent examen de l'affaire
  1. 551. Celle-ci porte essentiellement sur la grève générale de vingt-quatre heures déclenchée le 26 janvier 1978. Le mouvement entraîna la mort de nombreuses personnes et des blessures pour beaucoup d'autres, l'arrestation de dirigeants syndicaux - dont Habib Achour, secrétaire général de l'Union générale tunisienne du travail (UGTT) - et l'occupation temporaire du siège de l'UGTT à Tunis.
  2. 552. Selon la FSM, les autorités avaient pris de violentes mesures pour réprimer la grève générale organisée par l'UGTT à l'appui de revendications sociales et démocratiques; il y aurait eu des dizaines de morts et des centaines de travailleurs auraient été blessés. Le siège de la centrale syndicale avait été occupé par la police et 11 membres du comité exécutif de l'UGTT, dont le secrétaire général, avaient été arrêtés.
  3. 553. La CISL protestait également contre l'arrestation de dirigeants de l'UGTT régulièrement élus, à la suite de cette grève générale de vingt-quatre heures légitimement décidée par les responsables. Les secteurs du gaz, de l'eau et de l'électricité avaient, ajoutait-elle, été exclus pour des raisons humanitaires. La police avait bloqué le 26 janvier 1978 toutes les- issues du siège de l'UGTT; plus tard, elle avait envahi les locaux et arrêté tous ceux qui s'y trouvaient. Le gouvernement avait fait appel à l'armée et des personnes avaient été tuées. Des centaines d'autres avaient été arrêtées. Parmi elles, certaines étaient étrangères au mouvement syndical: elles avaient été arrêtées au moment des manifestations et du pillage et poursuivies pour offense au chef de l'Etat, attroupement sur la voie publique, pillage, rébellion à agents. Elles avaient été condamnées par des juges de première instance à des peines légères ou acquittées les audiences continuaient dans ces affaires. Les témoignages étaient très fermes: les pillages étaient le fait d'une population jeune et incontrôlée. Un second groupe de personnes, notamment les salariés de l'UGTT (secrétaires, téléphonistes et autres) avaient presque toutes été relâchées après de longs interrogatoires. Il restait en prison, selon la CISL, une centaine de responsables de l'UGTT: membres du bureau exécutif, des fédérations professionnelles ou des unions régionales. Le plaignant avait transmis une liste de syndicalistes détenus ou arrêtés. Les détenus, poursuivait le plaignant, n'avaient pas de contact avec leurs avocats; les familles n'avaient pu communiquer avec eux que dans des cas exceptionnels; ils étaient depuis leur arrestation aux mains de la police sans avoir été présentés à un magistrat ni inculpés. Comme le code tunisien de procédure pénale ne prévoit pas de délai pour la garde à vue, cette situation pouvait, selon lui, durer des mois.
  4. 554. Les autres plaignants rapportaient des faits analogues dans leurs communications. Ils affirmaient que les prisonniers étaient gardés au secret et même qu'ils auraient été sévèrement battus et torturés.
  5. 555. Le gouvernement rejetait les accusations portées contre lui et déclarait que l'UGTT avait toujours pu exercer pleinement ses droits. En particulier, les autorités avaient scrupuleusement respecté l'exercice du droit de grève à l'appui de revendications purement professionnelles. Mais la grève du 26 janvier 1978 - décidée lors d'une réunion très restreinte et sans consultation préalable des organes directeurs de l'UGTT - n'était pas conforme aux conditions établies par la loi. Les articles 376 et suivants du Code du travail exigent en effet que l'arrêt de travail appuie des revendications strictement professionnelles, qu'un délai de dix jours soit respecté et qu'on ait recouru préalablement aux instances compétentes de conciliation. La grève générale n'avait pas un caractère salarial; les plaignants n'avaient pu, selon le gouvernement, faire état d'aucune revendication professionnelle pour la justifier; le mouvement était strictement politique. La grève avait été annoncée et exécutée dans un délai de quatre jours, sans recours préalable aux organes de conciliation. Elle visait à mettre en difficulté le fonctionnement des institutions et à paralyser l'économie du pays, entre autres dans les services essentiels pour la santé, la sécurité et le bien-être de la population. L'appel de l'UGTT à laisser en dehors de la grève les services de l'eau, du gaz et de l'électricité n'avait, d'après le gouvernement, été publié que le jour même de l'arrêt de travail, sous forme de communiqué dans la presse tunisienne; il faisait suite, sans doute, aux mesures de réquisition de ces services prises le 25 janvier par les autorités.
  6. 556. Deux jours avant cette grève, ajoutait-il, de hauts responsables de l'UGTT avaient organisé des meetings et mobilisé des troupes de choc pour assurer le succès de l'arrêt de travail. Le 26 janvier 1978, après avoir constaté l'échec de la grève dans tout le pays, le secrétaire général de l'UGTT avait demandé à la direction de la Sûreté de retirer les forces de l'ordre stationnées sur la place M'Hamed Ali (où se trouve le siège de l'UGTT) et menacé, si cela n'était pas fait dans la demi-heure, de provoquer des troubles. Ce délai passé, on assista à des scènes de pillage, de saccage, à des incendies et à des émeutes, à des manifestations insurrectionnelles organisées dans huit points différents de la capitale et de sa banlieue du sud. Le gouvernement dut alors, poursuivait celui-ci, prendre, conformément aux articles 6 et 7 de la Constitution, les mesures propres à rétablir l'ordre, à protéger la liberté et la sécurité de la population; les arrestations opérées se justifiaient par les atteintes à l'ordre public. Le siège de l'UGTT fut occupé, ajoutait-il, parce que des "instruments de destruction" s'y trouvaient et parce qu'il fallait poursuivre les agitateurs et les émeutiers qui y avaient trouvé refuge. Les anciens dirigeants se trouvaient en état d'arrestation et à la disposition de la justice; l'instruction devait se poursuivre et déterminer les chefs d'inculpation pour lesquels ils seraient déférés régulièrement devant les instances judiciaires compétentes; le procès se déroulerait conformément à la loi.
  7. 557. Rejetant les allégations selon lesquelles aucune accusation n'avait été portée contre les responsables syndicaux mis en prévention, le gouvernement déclarait que toutes les arrestations avaient été opérées à la suite d'un flagrant délit ou sur mandat d'arrêt décerné par le juge d'instruction, ce qui confirmait l'existence d'une accusation et expliquait l'arrestation de M. Achour le samedi 28 janvier alors que les émeutes avaient eu lieu le 26 janvier. Il était faux de prétendre, poursuivait le gouvernement, que les inculpés n'avaient pas été présentés à un magistrat et étaient encore aux mains de la police. M. Kersten, secrétaire général de la CISL, avait dû obtenir l'autorisation du procureur de la République pour rendre visite à M. Achour: ceci prouvait que la justice était saisie de l'affaire et que la police agissait sur délégation du juge d'instruction, conformément au code tunisien de procédure pénale. Tous les prévenus, ajoutait-il, responsables syndicaux ou pas, seraient traduits en justice dans un procès public, en présence de tout observateur désirant y assister; ils auraient la possibilité de se défendre eux-mêmes et de choisir leurs avocats. Les détenus n'étaient pas, selon lui, complètement isolés, sinon M. Kersten n'aurait pas été autorisé à rencontrer M. Achour.
  8. 558. Le droit de grève constitue, a rappelé le comité en mai 1978, un moyen légitime et même essentiel dont disposent les travailleurs pour promouvoir et défendre leurs intérêts professionnels. Il ne devrait pas être restreint aux seuls différends de travail susceptibles de déboucher sur une convention collective particulière: les travailleurs et leurs organisations doivent pouvoir manifester, le cas échéant, dans un cadre plus large leur mécontentement éventuel sur des questions économiques et sociales touchant aux intérêts de leurs membres. Mais si le droit de grève est un des droits fondamentaux des travailleurs et de leurs syndicats, c'est dans la mesure seulement où il constitue un moyen de défense de leurs intérêts; l'interdiction des grèves visant à exercer une pression sur le gouvernement, lorsqu'elles sont dépourvues de caractère professionnel, ne porte pas atteinte à la liberté syndicale. Sur recommandation du comité, le Conseil d'administration, après avoir exprimé sa préoccupation devant la gravité particulière des incidents survenus, et spécialement la mort de plusieurs personnes, a attiré l'attention du gouvernement et des plaignants sur les principes et les considérations qui précèdent.
  9. 559. Les événements survenus le 26 janvier 1978 ont conduit à l'arrestation de nombreux dirigeants syndicaux. Comme toujours en pareil cas, le comité s'est attaché à examiner, d'une part, s'il existait des garanties d'une procédure judiciaire régulière et, d'autre part, quels étaient les motifs de la détention. Certes, a-t-il précisé, le fait d'exercer une activité syndicale ou de détenir un mandat syndical n'implique aucune immunité vis-à-vis de la législation pénale ordinaire. Il lui appartient toutefois de vérifier lui-même si les intéressés ont été condamnés pour des délits de droit commun ou pour des activités syndicales normales; afin de pouvoir s'en assurer, il a fréquemment invité le gouvernement intéressé à lui transmettre le texte des jugements rendus en l'espèce avec leurs attendus.
  10. 560. Le comité a cité certaines garanties auxquelles il attache une importance particulière: le droit pour tout syndicaliste détenu d'être informé, dès son arrestation, des raisons de celle-ci et de recevoir notification, dans les plus courts délais, de toute accusation portée contre lui, le droit de disposer du temps et des facilités nécessaires pour préparer sa défense et communiquer avec le conseil de son choix, le droit d'être traduit dans les délais les plus courts devant une autorité judiciaire impartiale et indépendante et la présomption d'innocence tant que la culpabilité de l'accusé n'est pas prouvée légalement à l'issue d'un procès public au cours duquel ce dernier a reçu toutes les garanties nécessaires à sa défense.
  11. 561. Tout en notant les assurances données par le gouvernement, le comité a relevé certaines contradictions entre les déclarations de celui-ci et les allégations présentées. Sur ses recommandations, le Conseil d'administration a rappelé l'importance pour tout syndicaliste détenu de bénéficier d'une procédure judiciaire régulière, en particulier des garanties mentionnées au paragraphe précédent. Le conseil a aussi demandé au gouvernement de fournir des informations plus détaillées sur les chefs d'inculpation retenus contre les responsables syndicaux (qui étaient cités en annexe au 181e rapport), sur les faits précis qui leur étaient reprochés, sur les facilités qu'ils possédaient pour assurer leur défense, sur la date à laquelle auraient lieu les procès devant des tribunaux impartiaux et indépendants et sur le dernier état de la procédure, spécialement en communiquant une copie des jugements, avec leurs attendus, qui avaient été ou seraient prononcés dans ces cas.

B. Derniers développements

B. Derniers développements
  1. 562. Dans sa lettre du 23 mai 1978, la FIOM déclare qu'Ismail Sahbani, secrétaire général du Syndicat de la métallurgie, a été arrêté avec d'autres syndicalistes tunisiens dans la nuit du 27 au 28 janvier, à la suite de l'évacuation du siège de l'UGTT par la police. Au cours de cette opération, poursuit le plaignant, les syndicalistes ont été tenus de quitter les lieux à genoux, les mains sur la tête. Ils ont été emmenés dans les locaux de la DST (département de la sécurité du territoire), où ils ont été entassés à 18 par cellule, sans ventilation suffisante, ni lumière du jour. Ils n'ont été nourris que le 29 janvier, avec un morceau de pain et quelques pois chiches par personne. La plupart ont été détenus pendant deux mois et dix-sept jours sans avoir la possibilité de se laver et sans voir la lumière du jour. Pendant leur détention au DST, ils n'ont pu avoir aucune communication avec leur famille ou avec leur avocat. Selon la FIOM, Ismail Sahbani aurait été, au cours de cette période, gravement torturé à l'aide de ce que l'on appelle le système de la "balançoire". La FIOM accuse MM. Abdelkader Tabka, Abdslem Dargouth et Mohsen Seghira d'être les principaux tortionnaires et ajoute que les questions suivantes ont été posées à M. Sahbani durant ces interrogatoires: "Où a-t-on caché des armes? Quelles sont les directives secrètes données par M. Habib Achour pour la grève générale? Qui sont les meneurs? Quelle attitude avez vous adoptée au Conseil national des 9-11 janvier?" M. Sahbani aurait, selon la FIOM, été si sévèrement torturé que pendant 15 jours il lui fut impossible de se tenir debout et, pendant sa détention, il fut maintenu dans un isolement total.
  2. 563. Le 10 avril, poursuit la FION, l'intéressé a comparu devant le juge d'instruction qui l'a inculpé formellement et l'a fait enfermer dans la prison civile de Tunis. Les avocats des syndicalistes détenus n'ont pas encore eu accès aux documents qui sont aux mains du juge d'instruction et il leur est très difficile de voir leurs clients dans la prison, comme ils ne disposent que d'un seul parloir. En outre, les familles n'ont l'autorisation de rendre visite aux détenus qu'une fois par semaine pendant 10 à 15 minutes. Les conditions de détention sont telles, déclare encore la FIOM, que les familles doivent apporter chaque jour à leurs parents incarcérés de quoi manger car les autorités pénitentiaires, pour leur part, ne les nourrissent pas.
  3. 564. La FIOM ajoute, dans sa lettre du 18 juillet 1978, que l'avocat français François Sarda, chargé par la FIOM et la CISL de représenter M. Sahbani et d'autres syndicalistes, s'est vu refuser, le dimanche 16 juillet, l'entrée à l'aéroport international de Tunis et fut obligé de regagner Paris par le vol suivant. Cette mesure, poursuit-elle, va à l'encontre des assurances données à l'OIT par le gouvernement selon lesquelles les dirigeants encore détenus de l'UGTT se verraient accorder toutes les facilités pour assurer leur défense et auraient la possibilité de choisir librement leur propre défenseur.
  4. 565. La FSM proteste, dans un télégramme du 16 août 1978, contre les réquisitoires prononcés à l'encontre de certains syndicalistes tunisiens devant la chambre criminelle de la Cour d'appel de Sousse. Elle ajoute que les avocats des détenus, dont celui constitué par la FSM pour assurer leur défense, se sont vu refuser l'accès au territoire tunisien par les autorités de police. Elle estime cette mesure contraire à tous les textes en vigueur et aux protocoles signés par le bâtonnier de l'ordre des avocats de Tunisie avec les bâtonniers Vautres pays.
  5. 566. Le gouvernement se réfère en premier lieu, dans sa lettre du 1er août 1978, à la liste des syndicalistes détenus qui figure en annexe au 181e rapport. Il signale que 16 des noms cités ne sont pas repris dans la liste établie par le ministère de la Justice: ces seize personnes n'ont donc jamais été arrêtées. Quant à l'ancien secrétaire de l'Union régionale de Zaghouan, M. El Mekki Ben Abderrahmane, il n'a pas été condamné en sa qualité de syndicaliste, mais pour avoir commis le délit d'émission d'un chèque sans provision. Par ailleurs, 12 syndicalistes ont été condamnés à des peines de prison variant de trois mois à cinq ans pour participation à une grève illégale et incitation à la rébellion. Six d'entre eux, qui avaient sollicité la grâce présidentielle, ont été libérés à l'occasion de la fête nationale du 1er juin. La procédure d'instruction est, pour les autres détenus, entrée dans sa phase finale. Le gouvernement rappelle que les procès seront publics, que les jugements seront motivés et rendus en séance publique, que tous les inculpés - syndicalistes ou non - bénéficieront de toutes les facilités pour préparer leur défense et choisir librement leurs avocats. Le gouvernement déclare enfin qu'il ne manquera pas de tenir l'OIT constamment et entièrement informée de tout développement nouveau dans la situation des syndicalistes détenus.
  6. 567. Dans sa lettre du 17 août 1978, le gouvernement rejette l'allégation de la FIOM selon laquelle Me Sarda n'aurait pu pénétrer en Tunisie: cet avocat, lors de son arrivée à l'aéroport de Tunis Carthage le 16 juillet, n'avait nullement fait savoir ou déclaré qu'il était envoyé par la CISL et n'était porteur d'aucun document prouvant une telle mission. Se ravisant par la suite, poursuit le gouvernement, la CISL a sollicité l'autorisation pour l'intéressé d'assister comme observateur au procès des anciens syndicalistes impliqués dans les événements du 26 janvier 1978. Le gouvernement déclare que, fidèle à sa promesse d'entourer le procès de ceux-ci de toutes les garanties judiciaires recommandées par l'OIT, il a réservé une suite favorable à cette demande et a permis à Me Sarda d'assister aux procès qui se déroulent en séance publique, en présence des avocats des inculpés et de tous les observateurs étrangers régulièrement autorisés à y assister.
  7. 568. D'autres communications ont encore été reçues par la suite. L'OUSA proteste, dans sa lettre du 7 octobre 1978, contre le réquisitoire du ministère public dans le procès d'Habib Achour et de ses collaborateurs devant la Cour de sûreté de l'Etat à Tunis et contre l'attitude dure du gouvernement dans cette affaire alors que celui-ci aurait promis de traiter ces personnes avec clémence.
  8. 569. La CISL, dans un télégramme du 10 octobre 1978, se réfère à la condamnation des dirigeants syndicaux par la Cour spéciale de sûreté de l'Etat. Selon elle, ces syndicalistes ont en fait été jugés coupables non de subversion mais d'avoir exercé le droit fondamental de grève. Le plaignant considère les arrêts rendus, spécialement la condamnation à dix ans de travaux forcés d'Habib Achour, vice-président de la CISL, et d'Abderrazak Ghorbal, secrétaire général de l'UGTT de la région de Sfax, comme grossièrement injustes.
  9. 570. La FSM se plaint dans sa lettre du 13 octobre 1978 (signée conjointement par la Confédération internationale des syndicats arabes) de la manière dont le procès s'est déroulé et des atteintes aux droits de la défense. Elle signale également la condamnation d'Habib Achour et de deux de ses collaborateurs à dix ans de travaux forcés et ajoute que 27 autres dirigeants de l'UGTT ont également été condamnés à des peines de prison. Ces personnes, ont été sanctionnées, d'après elle, pour avoir demandé que soient satisfaites les légitimes revendications des travailleurs. Elles auraient été soumises tout au long de leur détention à des tortures physiques et morales; un de ces dirigeants en serait mort et plusieurs autres auraient vu leur santé s'en trouver détériorée. En outre, poursuit la FSM, des mesures ont été prises contre des membres des familles des accusés; le fils et le gendre d'Habib Achour ont été condamnés sommairement pour avoir voulu assister au procès et plusieurs autres personnes ont été licenciées.
  10. 571. Dans une nouvelle communication (en date du 30 octobre 1978), la CISL présente des allégations détaillées sur le déroulement du procès d'Habib Achour et de ses collaborateurs et déclare que ces derniers sont innocents des crimes dont ils étaient accusés. Cette communication vient d'être transmise au gouvernement: pour ses observations.
  11. 572. Le gouvernement a d'autre part fait parvenir des commentaires dans une lettre du 1er novembre 1978. Il signale que, conformément aux déclarations qu'il a faites dans des communications précédentes, les procès de Sfax, de Sousse et de Tunis se sont déroulés dans des conditions tout à fait normales et que les accusés ont bénéficié des garanties judiciaires prévues par la législation nationale; les procès ont eu lieu en séances publiques; des représentants de la presse nationale et étrangère ainsi que des organisations syndicales internationales et régionales y ont assisté. Le gouvernement souligne ensuite qu'il n'a pas dépendu de lui que les tribunaux de droit commun, initialement saisis, se dessaisissent de l'affaire. Il estime que les incidents qui ont eu lieu devant la Cour de sûreté de l'Etat ont été provoqués par la défense qui s'est servie du procès comme d'une tribune et y a exposé des considérations sans rapport avec les intérêts des prévenus. Elle a usé de tous les moyens, ajoute-t-il, pour chercher le renvoi de l'affaire et pour susciter des incidents, allant parfois jusqu'à une faute de déontologie et un manque de respect à l'égard de la Cour: elle n'a pas consulté ses clients et son intention était d'entraver le déroulement normal du procès, ce qui constitue, selon lui, un délit de justice. Si, sous la pression de leurs avocats, les inculpés se sont partiellement abstenus de répondre sur les délits qui leur étaient reprochés, c'est, selon lui, faute d'arguments pour réfuter les accusations.
  12. 573. Le gouvernement répète ensuite que la grève du 26 janvier 1978 ne s'est pas déroulée conformément au Code du travail tunisien, ce qui, ajoute-t-il, lui confère un caractère strictement politique; elle visait à mettre en difficultés les institutions nationales et à paralyser l'économie du pays, y compris les services essentiels. Des nationaux et des étrangers ont, par leurs témoignages, aidé la Cour à établir la vérité sur ces événements et sur leurs causes. Certains dirigeants, déclare encore le gouvernement, se sont, sous couvert de liberté syndicale, livrés à une violente campagne de dénigrement contre les institutions du pays et n'ont pas respecté l'éthique syndicale.
  13. 574. Par ailleurs, poursuit le gouvernement, l'état de santé des inculpés durant le procès était tel que l'on peut affirmer qu'au cours de leur détention et de leur interrogatoire, ils ont été l'objet d'un traitement normal: ainsi, ils ont pu lire des journaux et regarder la télévision pendant leur détention préventive.
  14. 575. Les verdicts prononcés, déclare encore le gouvernement, prouvent, si besoin est, l'indépendance et l'impartialité du juge ainsi que le respect des droits de la défense. Les inculpés ont été condamnés uniquement en raison de la gravité des délits qui leur sont reprochés. Certains ont été acquittés, parmi lesquels M. Sadok Allouche, ancien membre du bureau exécutif de l'UGTT; d'autres ont été condamnés avec sursis à des peines ne dépassant pas six mois, comme M. Abdelaziz Bouraoui qui avait les mêmes fonctions. Seules quelques personnes responsables de délits graves ont été condamnées à des peines fermes de prison.
  15. 576. Le gouvernement rappelle aussi que la Tunisie est un pays connu pour sa modération et son respect des droits de l'homme; en particulier, depuis son adhésion à l'OIT en 1956, elle n'avait jamais fait l'objet de plaintes devant le Comité de la liberté syndicale, et la convention no 87 figure parmi les premières conventions internationales qu'elle a ratifiées. L'organisation syndicale, poursuit-il, jouit en Tunisie d'une entière indépendance et elle défend, comme elle l'a toujours fait, les intérêts matériels et moraux de ses adhérents. Quant au gouvernement, il examine avec toute l'attention requise et soutient les revendications de nature syndicale. Le dialogue est un principe établi dans ce pays: il se poursuit avec les partenaires sociaux au niveau des centrales syndicales ouvrières ou patronales en vue d'assurer de meilleures conditions de vie et de travail aux salariés et de poursuivre l'oeuvre de développement entreprise.
  16. 577. Le gouvernement communique enfin le jugement rendu à Tunis par la Cour de sûreté de l'état contre plusieurs syndicalistes dont MM. Habib Achour, Ghorbal, Sadok Allouche et Abdelaziz Bouraoui, anciens dirigeants de la centrale syndicale.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 578. Le comité est donc appelé à examiner le cas d'un certain nombre de dirigeants syndicaux poursuivis à la suite de la grève générale du 26 janvier 1978 et des incidents survenus à cette occasion. Il ressort des dernières informations disponibles que beaucoup de ces syndicalistes ont été jugés; les uns ont été acquittés, d'autres ont été condamnés à des peines dont la sévérité varie. A cet égard, le comité relève avec intérêt que le gouvernement vient de transmettre une copie en langue originale de l'arrêt rendu contre plusieurs hauts responsables syndicaux dont M. Habib Achour lui-même.
  2. 579. Le comité a constaté par ailleurs certaines divergences entre les observations fournies par le gouvernement et les allégations présentées. A cet égard, l'analyse des jugements rendus constituera un élément particulièrement précieux dans l'examen de cette affaire. Le comité n'a toutefois pas eu la possibilité d'examiner de manière approfondie l'arrêt rendu à Tunis par la cour de sûreté de l'état à sa présente session. En outre, la CISL a envoyé de nouvelles allégations le 30 octobre 1978 et le gouvernement n'a pas encore eu l'occasion d'y répondre.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 580. Dans ces conditions, le comité, préoccupé par l'importance des questions en cause et désireux de disposer d'informations suffisamment précises pour lui permettre d'aboutir à des conclusions dans un proche avenir, recommande au Conseil d'administration d'inviter le gouvernement à faire parvenir, pour le 15 janvier 1979 au plus tard, ses commentaires ou des informations complémentaires sur les points suivants:
    • a) les allégations selon lesquelles certains syndicalistes auraient subi des mauvais traitements au cours de leur détention préventive (voir paragraphes 562 et 563);
    • b) les conditions de détention des dirigeants qui ont été jugés et condamnés;
    • c) le résultat du recours en cassation introduit contre l'arrêt de la Cour de sûreté de l'Etat dont une copie a été communiquée par le gouvernement;
    • d) les dernières allégations reçues des plaignants au sujet du déroulement du procès de certains dirigeants syndicaux devant la Cour de sûreté de l'état;
    • e) la situation des syndicalistes (cités en annexe au 181e rapport du comité) pour lesquels aucun renseignement n'a encore été fourni;
    • f) les décisions judiciaires non encore communiquées qui ont été ou seront prononcées à l'égard des syndicalistes précités.
      • Il recommande en outre au conseil de prendre note de ce rapport intérimaire.
      • Genève, 10 novembre 1978. (Signé) Roberto AGO, Président.
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