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Interim Report - REPORT_NO375, June 2015

CASE_NUMBER 3098 (Türkiye) - COMPLAINT_DATE: 07-AUG-14 - Follow-up

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Allégations: Les organisations plaignantes font état d’arrestations, détentions et poursuites illégales de plusieurs dirigeants syndicaux du fait de leurs activités syndicales, ainsi que d’un usage abusif du droit pénal pour mettre fin à un mouvement syndical indépendant

  1. 532. La plainte figure dans une communication du Syndicat turc des ouvriers de l’automobile (TÜMTIS), de la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) et de la Confédération syndicale internationale (CSI), en date du 7 août 2014.
  2. 533. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication en date du 12 février 2015.
  3. 534. La Turquie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 535. Dans leur communication en date du 7 août 2014, les organisations plaignantes – TÜMTIS, ITF et CSI – font état d’arrestations, détentions et poursuites illégales de plusieurs dirigeants syndicaux en raison de leurs activités syndicales, ainsi que d’un usage abusif du droit pénal pour mettre fin à un mouvement syndical indépendant.
  2. 536. Pour situer les faits dans leur contexte, les organisations plaignantes expliquent que le TÜMTIS a été fondé en 1949 et qu’il dispose actuellement de sections dans les villes d’Istanbul, de Bursa, d’Ankara, d’Izmir, d’Adana, de Gazientep, de Samsun et de Mersin. Le syndicat est affilié à la confédération TÜRK-IS au niveau national et à l’ITF au niveau international. Il représente des travailleurs de grandes entreprises dans le secteur des transports et de la logistique. En 2005, il a lancé une campagne de recrutement au sein de Horoz Cargo, une grande entreprise de transport (ci-après «l’entreprise»). A la suite de cette campagne réussie, un nombre considérable de nouveaux membres a rejoint le TÜMTIS. A Ankara, l’entreprise a réagi à cette situation en licenciant six travailleurs pour de supposés motifs économiques. Avec le soutien du TÜMTIS, les travailleurs en question ont contesté leur licenciement auprès du tribunal du travail d’Ankara. Celui-ci a estimé que les travailleurs avaient été injustement licenciés et a ordonné leur réintégration au sein de l’entreprise. Le 24 avril 2007, en réaction aux ordonnances de réintégration, l’entreprise a déposé une plainte auprès du Procureur général de Turquie à l’encontre de plusieurs dirigeants et membres de la section du TÜMTIS à Ankara. Le 20 novembre 2007, 17 dirigeants et membres de la section du TÜMTIS à Ankara, dont les noms sont indiqués ci-après, ont été arrêtés à la suite de perquisitions à leur domicile.
    • NomFonction
      Nurettin KilicdoganPrésident de la section et chargé des questions d’éducation
      Erkan AydoganMembre du conseil de direction de la section
      Selaattin DemirMembre du conseil de direction de la section
      Halil KetenTrésorier de la section
      Binali GuneyMembre du conseil de direction de la section
      Huseyin BabayigitSecrétaire général de la section
      Attila YilmazMembre du conseil de direction de la section
      Candan GencMembre
      Suleyman DemirtasMembre
      Serdal CenikliMembre
      Cihan TureMembre
      Ihsan SezerMembre
      Metin ErogluMembre
      Satilmas OzturkMembre
      Ahmet CenikliMembre
      Cetin AlabasMembre
      Arif SunbulMembre
      >
  3. 537. Nurettin Kilicdogan, Erkan Aydogan, Selaattin Demir, Halil Keten, Binali Guney, Huseyin Babayigit et Attila Yilmaz ont été placés en détention, alors que leurs camarades ont été remis en liberté sans inculpation, et ont été soumis à quinze heures consécutives d’interrogatoire. Le 23 novembre 2007, le procureur général a ordonné la détention préventive des sept personnes susmentionnées. Si les accusés ont été informés des charges retenues contre eux, les avocats de ces derniers n’ont pas été autorisés à consulter le dossier de 3 000 pages établi par le ministère public pour justifier la détention préventive des dirigeants syndicaux. Les avocats de la défense n’ont obtenu une copie du rapport du ministère public que quatre mois après les arrestations. Ils ont été amenés à déposer des recours contre l’ordonnance de détention sans connaître les charges exactes retenues contre leurs clients et les preuves dont l’accusation disposait. Avec l’aide du TÜMTIS, les dirigeants syndicaux détenus ont contesté leur détention préventive à trois reprises (le 29 novembre 2007, le 28 janvier 2008 et le 21 février 2008), sans succès.
  4. 538. Le 27 mars 2008, le procureur général a délivré un acte d’accusation à l’encontre de 15 des 17 syndicalistes et leur a imputé les infractions suivantes: création d’une organisation avec l’objectif de commettre un délit; atteinte à la propriété privée; violation du droit à travailler dans un environnement pacifique par des moyens contraignants visant à obtenir un profit indu; et entrave à l’exercice des droits syndicaux.
  5. 539. La première audience a eu lieu le 6 juin 2008. Ce jour-là, une délégation internationale emmenée par l’ITF s’est rendue à Ankara pour demander la libération des syndicalistes détenus. Des membres de la TÜRK-IS ont fait part de leur solidarité à l’égard du TÜMTIS. Plus de 300 membres ou sympathisants de syndicats ont accompagné la délégation internationale à l’audience. Une semaine avant, une campagne de protestation en ligne avait été lancée et avait réuni plusieurs milliers de signatures en faveur de la libération immédiate des dirigeants syndicaux. Le bureau du Premier ministre s’est inquiété de ces contestations et a demandé au procureur général de rencontrer des représentants du syndicat en vue de recueillir leur point de vue avant la première audience. Selon les organisations plaignantes, la solidarité internationale a eu une influence sur la libération des dirigeants syndicaux à l’issue de la première audience, après six mois de détention préventive, décidée par le tribunal.
  6. 540. Le 2 juin 2008, sept dirigeants syndicaux ont déposé plainte contre le gouvernement de la Turquie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour violation de l’article 5 (Droit à la liberté et à la sûreté) de la Convention européenne des droits de l’homme. La CEDH a donné raison aux plaignants en estimant que la République de Turquie avait violé les paragraphes 4 et 5 de l’article 5 de la convention et en disposant comme suit:
    • 4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.
    • 5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation.
  7. 541. Le 20 novembre 2012, cinq ans après les arrestations initiales des dirigeants et membres de la section du TÜMTIS à Ankara, la onzième chambre de la Haute Cour pénale d’Ankara a rendu son jugement et condamné Nurettin Kilicdogan, Erkan Aydogan, Selaattin Demir, Halil Keten, Binali Guney, Huseyin Babayigit, Attila Yilmaz, Suleyman Demirtas, Serdal Cenikli, Ahmet Cenikli, Cihan Ture, Ihsan Sezer, Metin Eroglu, Candan Genc et Satilmas Ozturk à des peines de prison allant de six mois à deux ans, pour création d’une organisation avec l’objectif de commettre un délit, violation du droit à travailler dans un environnement pacifique par des moyens contraignants visant à obtenir un profit indu et entrave à l’exercice des droits syndicaux. Le TÜMTIS a fait appel de cette décision au nom des défendeurs, mais il n’a pas encore été établi, selon les organisations plaignantes, quand l’audience aurait lieu. Le TÜMTIS estime que les erreurs ci-après, commises au cours de la procédure d’enquête, ont été à l’origine de la poursuite et du suivi de la procédure judiciaire par des juges de la Cour pénale:
    • – Les téléphones des suspects ont été mis sur écoute sans qu’un mandat n’ait été émis à cette fin; les informations recueillies de cette manière n’auraient donc pas dû être présentées comme des éléments de preuve. De plus, rien dans les transcriptions des conversations téléphoniques n’indique que les défendeurs participaient à quelque activité illégale que ce soit.
    • – Etant donné qu’il ne disposait d’aucune preuve concrète contre les dirigeants du syndicat, le ministère public (par l’intermédiaire de la police) a cherché à obtenir des éléments de preuve dans d’autres entreprises de logistique dans lesquelles le TÜMTIS était présent. Avant d’être contactée par le ministère public, aucune des entreprises interrogées ne s’était plainte du TÜMTIS. Ce n’est que lorsque la requête initiale de Horoz Cargo n’est pas parvenue à mettre en évidence de preuve à charge que la procédure contre les dirigeants syndicaux a été lancée.
    • – La Cour pénale d’Ankara s’est fortement appuyée sur les condamnations précédentes des suspects (dont certaines sont liées à des activités syndicales légitimes) ou sur des enquêtes préalables, contrairement aux règles de procédure pénale turques. Aucun travailleur des entreprises de transport et aucun membre du TÜMTIS n’a indiqué avoir été forcé à s’affilier au syndicat ou privé de ses droits syndicaux.
    • – Selon le jugement rendu, le chef d’accusation relatif à la formation d’une organisation avec l’objectif de commettre un délit, imputé aux défendeurs, s’appuie sur le fait que le TÜMTIS a mené des campagnes de recrutement et de mobilisation qui «ont accru le nombre de membres et, par conséquent, les revenus du syndicat».
  8. 542. Selon les organisations plaignantes, à la suite des poursuites engagées contre les dirigeants du TÜMTIS à Ankara, le Procureur national de Turquie a lancé une procédure judiciaire à l’encontre du bureau national du syndicat à Istanbul pour activités délictueuses. Il a ouvert neuf procédures au total à l’encontre du TÜMTIS en vue de dissoudre le syndicat.
  9. 543. En 2013, le procureur national a lancé une procédure contre le président du bureau national du TÜMTIS, Kenan Ozturk, et le président de la section du syndicat à Ankara, Nurettin Kilicdogan, pour avoir critiqué la nouvelle législation du travail et supposément organisé une manifestation illégale. Le TÜMTIS a par ailleurs appris d’une source sûre au sein d’une grande entreprise multinationale où il dispose de membres que la police a volontairement proposé à l’entreprise un fichier faisant état de supposées irrégularités commises par le syndicat. Les organisations plaignantes estiment que ces actes à l’encontre du TÜMTIS sont caractéristiques de l’action globale menée contre les syndicats en Turquie et mentionnent le cas des 72 membres de la Confédération des syndicats de fonctionnaires (KESK) poursuivis et condamnés en vertu de lois antiterroristes. Elles signalent également que, après une violente répression des manifestants à Istanbul le 1er mai 2013, de nombreux membres de la Confédération des syndicats progressistes de Turquie (DISK) ont été reconnus coupables et condamnés à des peines de prison.
  10. 544. Les organisations plaignantes concluent que la poursuite et la condamnation de dirigeants du TÜMTIS du seul fait de leur exercice d’une activité syndicale légitime constituent une violation grave des droits à la liberté syndicale et des libertés publiques fondamentales, tels qu’énoncés dans la convention no 87 et dans la résolution concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles, adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1970.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 545. Dans ses communications en date du 12 février 2015, le gouvernement indique que l’entreprise Horoz Logistics and Cargo Services a mis fin aux contrats de travail de certains de ses employés en raison de la réduction de la charge de travail. Si certains de ces travailleurs ont contesté le licenciement auprès de tribunaux du travail, il est également signalé par l’entreprise que des représentants du TÜMTIS ont intimidé les personnes présentes sur le lieu de travail, les ont agressées verbalement et physiquement, et ont endommagé des biens privés. L’entreprise a demandé au ministère du Travail et de la Sécurité sociale de prendre des mesures administratives à l’encontre du TÜMTIS. Le ministère a chargé le bureau de l’inspection du travail d’enquêter sur ces allégations. Après évaluation de la situation, le bureau a conclu que les allégations portaient sur des questions de sûreté et de sécurité pour lesquelles les services de l’inspection du travail ne sont pas compétents et devaient être transmises aux autorités judiciaires.
  2. 546. L’entreprise a déposé plainte contre les représentants et membres du bureau de la section d’Ankara auprès du Procureur public de la capitale, au motif que le syndicat menait des activités délictueuses avec l’objectif de générer des profits. A cet égard, 17 suspects ont été arrêtés, dont 7 ont été placés en détention préventive, puis libérés lors de la première audience du tribunal en juin 2008.
  3. 547. Dans le même temps, le Procureur public d’Istanbul a engagé des poursuites auprès de la cinquième chambre du tribunal du travail d’Istanbul pour dissoudre le syndicat TÜMTIS en vertu de l’article 58 («Dissolution») de la loi sur les syndicats no 2821, maintenant caduque, pour «établissement d’une association de malfaiteurs avec l’objectif de générer des profits par l’intermédiaire d’activités syndicales».
  4. 548. Le gouvernement indique que l’article 51 de la Constitution turque régit le droit des travailleurs et des employeurs à créer des syndicats et des organisations de niveau supérieur sans autorisation préalable. Selon cet article, les travailleurs et les employeurs ont «le droit de devenir membres d’un syndicat et de s’en retirer librement afin de préserver et de renforcer leurs droits économiques et sociaux et les intérêts professionnels des membres du syndicat. Nul ne doit être contraint à adhérer à un syndicat ou à le quitter.»
  5. 549. Le gouvernement fait en outre savoir que, depuis l’adoption, le 18 octobre 2012, de la loi no 6356 relative aux syndicats et aux conventions collectives, les syndicats bénéficient de davantage de libertés, de plus de droits et d’une meilleure protection. Toutes les peines de prison que prévoyaient les lois nos 2821 (loi sur les syndicats) et 2822 (loi sur les conventions collectives, les grèves et les blocages), maintenant caduques, ont été supprimées par la nouvelle loi no 6356 et remplacées par des amendes administratives. Le gouvernement mentionne notamment les dispositions suivantes de la nouvelle loi:
    • – l’article 17, selon lequel «Toute personne qui a plus de 15 ans et est considérée comme un travailleur au regard des dispositions de la présente loi peut adhérer à un syndicat [...]. L’adhésion à un syndicat doit être facultative. Nul ne doit être contraint à adhérer à un syndicat et nul ne doit être empêché de le faire [...].»;
    • – l’article 19, selon lequel «Aucun travailleur ou employeur ne doit être forcé à rester membre d’un syndicat ou à le quitter. Tout membre d’un syndicat peut résilier son adhésion en en faisant la demande sur la plate-forme électronique e-State»;
    • – l’article 23, selon lequel «Lorsqu’un dirigeant syndical quitte son poste de travail à la suite de sa nomination en tant que dirigeant syndical au sein d’une organisation de travailleurs, son contrat de travail doit être suspendu. Si le dirigeant syndical le souhaite, il peut résilier son contrat de travail le jour de son départ sans être tenu de respecter la période de préavis ou d’attendre l’expiration du contrat, et a droit à une indemnité de départ»;
    • – l’article 24, qui porte sur la protection des délégués syndicaux: «Un employeur ne peut résilier le contrat de travail d’un délégué syndical que s’il présente de manière claire et convaincante un motif valable [...]. Si le tribunal estime que le représentant syndical doit être réintégré, la résiliation du contrat doit être annulée et l’employeur doit verser au représentant syndical l’intégralité des salaires et des autres prestations dont il aurait dû bénéficier entre la date de la résiliation du contrat et celle de la décision finale [...]»;
    • – l’article 25, selon lequel «Le recrutement d’un travailleur ne doit en aucun cas tenir compte de son adhésion ou de son refus d’adhérer à un syndicat donné, de sa volonté de rester membre ou de quitter un syndicat donné, ou de son appartenance ou non à un syndicat [...]. En cas de litige portant sur la résiliation d’un contrat de travail en raison de l’affiliation du travailleur à un syndicat, la charge de la preuve revient à l’employeur, qui doit justifier la résiliation en question.» Le gouvernement ajoute que, si un travailleur n’est pas autorisé à prendre ses fonctions, ce dernier est en mesure de demander une indemnité syndicale;
    • – l’article 78, intitulé «Dispositions pénales», selon lequel «Toute personne recrutant des membres en violation de l’article 17; et toute personne qui en contraint une autre à rester membre d’un syndicat ou à le quitter, en violation de l’article 19, est passible d’une amende administrative de sept cents livres turques, si les actes commis ne constituent pas une infraction requérant une sanction plus lourde.»
  6. 550. Le gouvernement fait observer que, si un dirigeant syndical commet un délit, c’est la responsabilité individuelle de ce dernier qui est alors engagée et le syndicat en question n’encourt pas la dissolution. Il conclut en soulignant que ce cas porte sur des peines de prison prononcées à l’encontre de 14 représentants et membres de la section du syndicat TÜMTIS à Ankara en raison de leurs activités délictueuses et non syndicales.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 551. Le comité note que les organisations plaignantes – TÜMTIS, ITF et CSI – font état d’arrestations, détentions et poursuites illégales de plusieurs dirigeants syndicaux du fait de leurs activités syndicales, ainsi que d’un usage abusif du droit pénal pour mettre fin à un mouvement syndical indépendant. Les organisations plaignantes mentionnent principalement les trois évènements ci-après, distincts mais liés, qui auraient eu lieu après l’organisation par le TÜMTIS d’une campagne de recrutement à la suite de laquelle un nombre considérable de nouveaux membres a rejoint le syndicat: 1) une détention préventive de six mois (23 novembre 2007-6 juin 2008) de sept dirigeants syndicaux (Nurettin Kilicdogan, Erkan Aydogan, Selaattin Demir, Halil Keten, Binali Guney, Huseyin Babayigit and Attila Yilmaz); 2) la condamnation à des peines de prison allant de six mois à deux ans, par une décision de la onzième chambre de la Haute Cour pénale datée du 20 novembre 2012, de 15 syndicalistes (les sept dirigeants susmentionnés et huit membres du syndicat: Suleyman Demirtas, Serdal Cenikli, Ahmet Cenikli, Cihan Ture, Ihsan Sezer, Metin Eroglu, Candan Genc and Satilmas Ozturk), pour avoir créé une organisation avec l’objectif de commettre un délit, violé le droit à travailler dans un environnement pacifique par des moyens contraignants visant à obtenir un profit indu, et entravé l’exercice des droits syndicaux; et 3) les mesures prises ultérieurement par le procureur national en vue de dissoudre le TÜMTIS.
  2. 552. En ce qui concerne les allégations relatives à la détention préventive des sept dirigeants syndicaux, tout en rappelant que les mesures de détention préventive doivent être limitées dans le temps à de très brèves périodes et uniquement destinées à faciliter le déroulement d’une enquête judiciaire [voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 78], le comité note le jugement rendu par la CEDH en 2011 à ce sujet dans l’affaire Erkan Aydogan c. Turquie, selon lequel «étant donné la nature de l’infraction imputée aux demandeurs, la durée de la période passée en détention n’a pas été irraisonnable comparativement à la durée de détention préventive des sept dirigeants syndicaux». Toutefois, le comité note également que la Cour a estimé qu’«il y a eu violation de l’article 5, paragraphes 4 et 5, de la Convention (européenne des droits de l’homme)» et a condamné l’Etat à verser une compensation aux demandeurs. Le comité considère par conséquent que cet aspect de l’affaire ne nécessite pas d’examen plus approfondi.
  3. 553. Le comité note en outre la décision prise par la Haute Cour pénale en 2012, dont une copie a été transmise au comité par les organisations plaignantes, par laquelle 14 syndicalistes ont été reconnus coupables de «créer une organisation criminelle dans le but de réaliser des profits et d’accroître l’effectif de cette organisation» (à l’exception d’Ahmet Cenikli, qui a été acquitté), «en violation des libertés du travail et de l’emploi» et «en possession d’une arme de poing non enregistrée» (Metin Eroglu), et condamnés à des peines de prison allant de six mois à deux ans, compte tenu de «la manière dont le délit a été commis, de l’intention et de l’objectif des défendeurs, ainsi que de la gravité du préjudice et du danger encourus». La Cour a également estimé qu’«il [n’était] pas nécessaire de condamner les défendeurs pour [le] délit [d’entrave aux droits syndicaux]».
  4. 554. Le comité note que, d’après le jugement rendu, des allégations similaires ont été présentées par le passé à l’encontre de dirigeants syndicaux, lesquels étaient déjà visés par des enquêtes lorsque les événements rapportés dans le présent cas se sont produits. Dans le cadre de ces enquêtes, les téléphones portables de plusieurs défendeurs ont été mis sur écoute. D’après les comptes rendus des enquêtes cités dans le jugement:
    • Il a été relevé [...] que, sur le lieu de l’événement, un groupe d’environ 12-13 personnes, composé de membres du TÜMTIS munis de barres de fer et de bâtons en bois, s’est réuni devant les locaux de l’entreprise détenue par le plaignant [...].
    • Comme prévu, après l’arrestation des suspects, qui ont été rassemblés et identifiés par la police le 20.11.2007, il a été déterminé que le 20.08.2007 les suspects [...], munis de plusieurs barres et bâtons, se trouvaient parmi les personnes regroupées devant les locaux du plaignant [...].
    • A la suite des ordonnances de détention et de perquisition émises à l’encontre des suspects compte tenu des avancées de l’enquête, tous les suspects ont été placés sous détention à partir du 20.11.2007 au matin, et la police a mené des perquisitions aux domiciles des suspects et dans les locaux de la présidence de la section du TÜMTIS à Ankara.
  5. 555. Il semble en outre, d’après le jugement rendu, que des armes illégales aient été confisquées à certains défendeurs à la suite des perquisitions. Après examen des éléments de preuve, la Haute Cour pénale a estimé qu’«il est certain que les défendeurs ont eu recours à la force ou à des menaces [...] pour obliger les plaignants à recruter des membres du syndicat, forcer des travailleurs à s’affilier au syndicat, les empêcher de faire leur travail, notamment de décharger les marchandises des camions dans les locaux des plaignants [...], en rassemblant de vaste groupes devant les locaux des plaignants et en usant de la force, les défendeurs ont menacé les travailleurs de les agresser et de les empêcher de gagner leur vie», et se sont ainsi rendus coupables des délits de «création d’une organisation criminelle ayant pour objectif de réaliser des profits et d’accroître l’effectif de l’organisation» et de «violation des libertés du travail et de l’emploi».
  6. 556. A la lumière des informations contradictoires présentées dans le présent cas et de l’insuffisance des informations disponibles, le comité n’est pas en mesure de déterminer si les droits à la liberté syndicale des organisations plaignantes ont été bafoués, mais exprime toutefois sa préoccupation quant au fait que les peines de prison semblent être principalement justifiées par la violation des libertés du travail et de l’emploi, sans lien direct avec des actes de violence ou d’atteinte à la propriété privée. En effet, selon le jugement rendu, «étant donné que les personnes qui ont endommagé des véhicules appartenant au plaignant [l’employeur] ne sont pas connues de ce dernier et n’ont pas été clairement identifiées au cours de l’enquête, il a été décidé de les acquitter [...] en l’absence de suffisamment d’éléments de preuve clairs et convaincants indiquant qu’elles ont commis un délit d’atteinte à la propriété privée».
  7. 557. Le comité note l’indication des organisations plaignantes selon laquelle un appel a été formulé contre cette décision il y a deux ans et demi. Constatant qu’aucune information supplémentaire au sujet de cet appel n’a été fournie, le comité prie le gouvernement et les organisations plaignantes de transmettre des informations à cet égard et d’indiquer si, compte tenu de la durée des peines de prison prononcées, les syndicalistes en question sont à présent libres.
  8. 558. Le comité note en outre que, selon les organisations plaignantes, à la suite des poursuites à l’encontre des dirigeants de la section du TÜMTIS à Ankara, le Procureur national a lancé une procédure contre le bureau national du TÜMTIS à Istanbul pour activités délictueuses. Les organisations plaignantes indiquent que neuf procédures au total ont été ouvertes par le procureur national à l’encontre du TÜMTIS en vue de dissoudre le syndicat. Elles font également état de l’ouverture par le procureur national, en 2013, d’une procédure contre le président national du TÜMTIS, Kenan Ozturk, et contre le président de la section du syndicat à Ankara, Nurettin Kilicdogan, pour avoir critiqué le nouveau Code du travail et supposément organisé une manifestation illégale. Le comité note que le gouvernement semble confirmer que le procureur public a effectivement engagé des poursuites auprès de la cinquième chambre du tribunal du travail d’Istanbul en vue de dissoudre le TÜMTIS, en vertu de l’article 58 intitulé «Dissolution de syndicats» de la loi no 2821, pour «établissement d’une association de malfaiteurs avec l’objectif de générer des profits par l’intermédiaire d’activités syndicales», mais signale également que cette loi est devenue caduque après l’adoption le 18 octobre 2012 de la loi no 6356 relative aux syndicats et aux conventions collectives. Le gouvernement indique en outre que, si un dirigeant syndical commet un délit, c’est la responsabilité individuelle de ce dernier qui est alors engagée et le syndicat en question n’encourt pas la dissolution. Compte tenu de l’évolution législative, le comité prie le gouvernement de fournir des informations sur la situation actuelle des affaires relatives à la dissolution du TÜMTIS. Il prie en outre le gouvernement et les organisations plaignantes de transmettre des informations détaillées sur les allégations de poursuites à l’encontre du président national du TÜMTIS, Kenan Ozturk, et du président de la section du syndicat à Ankara, Nurettin Kilicdogan, pour avoir, selon les allégations, critiqué le nouveau Code du travail et organisé une manifestation illégale.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 559. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité prie le gouvernement et les organisations plaignantes de transmettre des informations sur la procédure d’appel relative à la décision du 20 novembre 2012 de la Haute Cour pénale et d’indiquer si, compte tenu de la durée des peines de prison prononcées, les syndicalistes en question sont à présent libres.
    • b) Le comité prie le gouvernement de fournir des informations sur la situation actuelle des affaires relatives à la dissolution du TÜMTIS.
    • c) Le comité prie le gouvernement et les organisations plaignantes de transmettre des informations détaillées sur les allégations de poursuites à l’encontre du président national du TÜMTIS, Kenan Ozturk, et du président de la section du syndicat à Ankara, Nurettin Kilicdogan, pour avoir, selon les allégations, critiqué le nouveau Code du travail et organisé une manifestation illégale.
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