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Report in which the committee requests to be kept informed of development - REPORT_NO378, June 2016

CASE_NUMBER 3110 (Paraguay) - COMPLAINT_DATE: 17-DEZ-14 - Follow-up cases closed due to the absence of information from either the complainant or the Government in the last 18 months since the Committee examined the cases

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Allégations: Violation de la prérogative des syndicats de proposer des dockers en vertu de la législation et des conventions collectives, refus de la négociation collective et discrimination antisyndicale (licenciements massifs et refus d’engager des travailleurs syndiqués) dans l’entreprise San Francisco S.A., violation du droit de manifestation, privation de liberté infligée à 11 travailleurs pour avoir participé à des actions collectives, et limitation du droit des syndicats de représenter leurs membres

  1. 602. La plainte contenue dans le cas no 3110 figure dans la communication datée du 17 décembre 2014 de la Fédération syndicale mondiale (FSM). La plainte contenue dans le cas no 3123 figure dans des communications datées du 26 janvier 2015 de la Ligue des travailleurs maritimes du Paraguay (LOMP) et du 3 mars 2015 de la Fédération syndicale mondiale (FSM).
  2. 603. Le gouvernement a envoyé ses observations concernant ces deux plaintes par une communication datée du 27 janvier 2016.
  3. 604. Le Paraguay a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des organisations plaignantes

A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 605. Dans des communications datées du 17 décembre 2014 et des 26 janvier et 3 mars 2015, les organisations plaignantes ont formulé les allégations suivantes.

    Allégations relatives à la violation de la prérogative des syndicats de proposer des dockers en vertu de la législation et des conventions collectives, refus de la négociation collective et discrimination antisyndicale (licenciements massifs et refus d’engager des travailleurs syndiqués)

  1. 606. Les organisations plaignantes allèguent que la législation prévoit que les syndicats doivent faire office d’intermédiaires lorsqu’ils sont habilités à déterminer quels sont les dockers qui doivent être engagés, en vertu de l’article 66, alinéa c), de la loi no 1248 de 1936 (qui prévoit que, pour qu’un docker soit engagé, il doit d’abord être proposé par le comité directeur de son syndicat). Les organisations plaignantes allèguent que: i) par un décret du pouvoir exécutif no 19260/61, plusieurs juridictions de travail auraient été attribuées aux syndicats qui font partie de la Ligue des travailleurs maritimes du Paraguay (LOMP); ii) dans le port Caacupe-mí, l’entreprise San Francisco S.A. a externalisé le travail des dockers pour échapper aux dispositions légales, imposant la méthode de la sous-traitance et constituant à cet effet l’entreprise satellite Jeroviá Servicios S.A.; iii) les entreprises des ports privés, et notamment l’entreprise San Francisco S.A., ainsi que son entreprise satellite Jeroviá Servicios S.A., violent la loi no 1248/36 parce qu’elles engagent des travailleurs qui ne sont pas membres des syndicats habilités dans leur juridiction; et iv) la Préfecture générale navale et la Direction générale de la marine marchande nationale délivrent, à la demande des associations d’employeurs portuaires, des permis de travail à des dockers qui ne remplissent pas les conditions prévues par la loi no 1248/36. Devant cette situation, la LOMP a porté plainte auprès du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, demandant qu’une inspection ait lieu pour vérifier si les dockers recrutés l’ont été en fonction des dispositions légales et s’ils sont membres des syndicats habilités à les proposer pour ces emplois (la LOMP précise que la Commission des droits de l’homme et le Sénat ont eux-mêmes demandé un rapport à la Préfecture générale navale par une note datée du 17 décembre 2014). A la suite de cette plainte, le 23 décembre, un rapport d’inspection a été rédigé selon lequel trois tentatives avaient été nécessaires pour effectuer l’inspection; il a été constaté que les travailleurs affectés ne dépendaient ni de l’entreprise San Francisco S.A. ni de son entreprise satellite Jeroviá Servicios S.A., et que c’étaient en fait d’autres travailleurs de cette dernière entreprise qui travaillaient au moment de l’inspection. Les organisations plaignantes estiment qu’on peut déduire de ce rapport d’inspection et des mesures prises par l’entreprise les violations qui sont à mettre à son actif: d’une part, selon le rapport d’inspection, les travailleurs n’appartenaient à aucun des syndicats habilités à proposer le personnel nécessaire, en violation de l’article 66 de la loi no 1248/36, et, d’autre part, lors d’une réunion tripartite qui a eu lieu le 27 novembre 2014 avec des représentants de la LOMP, les représentants de l’entreprise San Francisco S.A. ont dit qu’ils avaient le droit d’engager les travailleurs de leur choix. Les organisations plaignantes ont conclu que, puisque l’entreprise se permet de choisir ses dockers et que la Préfecture générale navale leur délivre les permis nécessaires, l’Etat viole les dispositions légales applicables.
  2. 607. Par ailleurs, les organisations plaignantes font référence à un certain nombre de conventions collectives qui reconnaîtraient aux syndicats le droit de proposer les dockers pour travailler dans les zones juridictionnelles dans lesquelles ces mêmes syndicats sont habilités (en particulier la convention collective entre le Syndicat des dockers maritimes et apparentés (SEMA) et les Armateurs du grand et du petit cabotage, Centre des armateurs fluviaux (CAF) de 1956, la convention collective entre l’Association des agents maritimes (ASAMAR) et le Syndicat des pointeurs portuaires de la capitale (SAPAC) (affilié à la LOMP) adoptée par une résolution du 19 février 1988, et la convention conclue entre le SEMA et le Syndicat des dockers maritimes de Zeballos Cué le 4 mai 2004). Les organisations plaignantes font valoir que, alors que par le passé les autorités publiques, y compris les autorités judiciaires, avaient reconnu l’applicabilité de ces conventions collectives et la juridiction des syndicats, au cours des dernières années, les dispositions conventionnelles relatives au rôle des syndicats dans le choix des travailleurs sont de moins en moins respectées. En particulier, les plaignants allèguent que la Direction générale de la marine marchande nationale et le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, par le truchement de la Préfecture générale navale, autorisent et même encouragent le non-respect de la convention collective conclue entre l’ASAMAR et le SAPAC, et que la Cour suprême a révoqué cette convention collective par le jugement no 1325 du 7 septembre 2006 (qui n’autorise pas la participation des syndicats dans la procédure judiciaire – question qui fait aussi l’objet d’une autre allégation).
  3. 608. Par ailleurs, la FSM allègue que les entreprises dans les ports privés refusent la négociation collective, bien que l’article 334 du Code du travail stipule que toute entreprise dotée de plus de 20 travailleurs est tenue de conclure une convention collective de conditions de travail.
  4. 609. La FSM indique que les propriétaires du port Caacupe-mí ont licencié plus de 200 travailleurs uniquement parce qu’ils étaient syndiqués et que, bien qu’un groupe de ces travailleurs ait réussi à être réintégré, les autres sont toujours licenciés. La LOMP allègue, quant à elle, le licenciement injustifié de 60 travailleurs.
  5. 610. Les organisations plaignantes indiquent que, dans les ports privés, les employeurs se refusent à recruter des travailleurs syndiqués dans des organisations qui appartiennent à la LOMP (bien qu’il s’agisse de juridictions de travail qui ont été accordées à ces organisations) et qu’ils ne recrutent les travailleurs que sur une base individuelle à la condition qu’ils ne se syndiqueront pas.

    Allégations de violation du droit de manifestation et privation de liberté

  1. 611. Les organisations plaignantes indiquent que la LOMP a convoqué pour le 13 novembre 2014 une manifestation des membres de ses syndicats affiliés afin de protester contre les violations des droits de leurs membres commises par l’entreprise San Francisco S.A. et son entreprise satellite Jeroviá Servicios S.A., qui ont licencié 60 travailleurs. Les organisations plaignantes expliquent qu’entre 8 et 10 pirogues ont pris position sur le fleuve Paraguay en un acte symbolique de protestation, alors qu’une manifestation avait également lieu à terre, en face du port Caacupé-mí. Les organisations plaignantes précisent que ces pirogues, embarcations précaires, n’empêchaient nullement les autres embarcations, grandes ou petites, de circuler sur le fleuve Paraguay – de sorte que, lorsque le bateau de la Préfecture générale navale est passé à proximité de ces pirogues, les vagues qu’il a soulevées ont suffi à renverser l’une d’entre elles. Les organisations plaignantes indiquent que, à l’initiative de l’entreprise et par une ordonnance du 15 décembre 2014, le juge pénal des garanties no 8 de la capitale a décidé d’une mesure conservatoire d’urgence, aux termes de laquelle les travailleurs devaient s’abstenir d’entraver la libre circulation sur le fleuve Paraguay ainsi que l’entrée et la sortie des véhicules et des personnes dans les locaux du port; c’est pourquoi la Préfecture générale navale est intervenue pour appréhender les travailleurs qui étaient en train de manifester. Les organisations plaignantes estiment que, par cette mesure conservatoire, la question soulevée a été résolue sur le fond sans que ne soit exigée la moindre garantie à la partie demanderesse, comme le prévoit la législation. Les organisations plaignantes ajoutent que, sur la base de la plainte présentée par l’entreprise, 11 travailleurs – dont le nom figure dans la plainte de la LOMP – ont été arrêtés et placés en détention provisoire au motif qu’ils avaient mis en danger le trafic fluvial, en vertu de l’article 214 du Code pénal paraguayen; ils risquaient une peine carcérale de six ans. Les organisations plaignantes ajoutent que, ayant fait appel de la mesure de détention provisoire, les 11 travailleurs ont finalement été assignés à résidence, ce qui les empêche de travailler et de faire vivre leurs familles. Les organisations plaignantes estiment que ces mesures conservatoires violent la liberté syndicale.

    Allégations concernant la limitation du droit des syndicats de représenter leurs membres

  1. 612. Les organisations plaignantes allèguent que les jugements réitératifs de la Salle constitutionnelle de la Cour suprême de justice entravent la liberté syndicale puisqu’ils limitent la possibilité des syndicats de représenter leurs membres. Les organisations plaignantes font référence notamment à trois jugements:
    • i) le jugement no 1812 du 20 décembre 2004 concernant une demande de paiement de salaire de la part de travailleurs membres du Syndicat des dockers maritimes et apparentés (SEMA) à une entreprise maritime qui n’est pas domiciliée au Paraguay et qui avait recruté sur une base temporaire une entreprise nationale chargée de gérer le déchargement et d’autres services. Dans ce jugement, la Cour suprême conclut que «la loi n’autorise pas les syndicats à représenter leurs membres auprès des autorités judiciaires sans un mandat exprès» et que «la déréglementation qui en découle peut être jugée arbitraire et apparaître comme dénaturant la raison d’être du syndicat, mais qu’aujourd’hui cette disposition légale est en vigueur et que, par conséquent, la loi ne confère pas de légitimité directe aux syndicats pour représenter ses membres devant la justice; en outre, l’autorité suprême de l’organisation syndicale, c’est-à-dire l’assemblée, doit délivrer un mandat exprès au syndicat pour qu’il puisse mener à bien les poursuites qu’il intente»; or le syndicat n’a fait parvenir aucun document prouvant qu’il est investi d’un tel mandat. Cependant, les organisations plaignantes allèguent que la cour avait à sa disposition, dans le dossier de l’affaire, un procès-verbal de l’assemblée générale du SEMA, transcrit en un rapport public, dont les pages 29 à 33 précisaient que l’assemblée avait décidé de recourir en justice; cependant, la cour n’a pas vu ce rapport. Les organisations plaignantes allèguent que, par voie de conséquence, ce jugement a empêché que le versement des sommes dues aux travailleurs soit autorisé;
    • ii) le jugement no 1235 du 7 novembre 2006, susmentionné, selon lequel les articles 9 et 29 de la convention collective reconnaissant le droit des syndicats de proposer des recrutements sont inconstitutionnels, au motif qu’ils peuvent porter préjudice aux travailleurs non syndiqués en matière d’augmentation de rémunération. S’il faut en croire les organisations plaignantes, bien que le procès-verbal de l’assemblée conférant un mandat exprès relatif au jugement no 1812 cité ci-dessus ait été envoyé à la Cour suprême de justice, celle-ci a statué que le syndicat concerné (Syndicat des pointeurs portuaires et apparentés de la capitale (SAPAC)) ne pouvait réclamer le paiement de salaires (échus, car ils étaient antérieurs à la déclaration d’inconstitutionnalité), car ce type de réclamation devait être présentée individuellement par chaque membre du syndicat, ce qui, d’après les organisations plaignantes, était impossible puisque seule la totalité des montants dus selon les allégations pouvait faire l’objet d’un recours;
    • iii) le jugement no 1449 du 15 octobre 2012 concernant une demande de remboursement des travailleurs qui cotisaient dans la Banque nationale des travailleurs désormais disparue, d’un montant équivalent à 126 millions de dollars des Etats-Unis. La cour, tout en reconnaissant une nouvelle fois que la déréglementation pouvait paraître arbitraire et qu’elle dénaturait la finalité du syndicat, a rejeté la demande en se prévalant du jugement no 1812 précité, et en considérant que les associations syndicales ne détenaient ni un mandat exprès de leurs membres les autorisant à présenter la demande ni la personnalité juridique nécessaire pour ce faire (les organisations plaignantes affirment à cet égard que les associations syndicales ont présenté les procurations notariées nécessaires). La conséquence de ce jugement, ajoutent les organisations plaignantes, est que les travailleurs n’ont jamais récupéré les montants qui leur étaient dus.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 613. Dans des communications datées du 27 janvier 2016, le gouvernement transmet les observations de l’entreprise et de diverses autorités publiques concernées.

    Allégations concernant la violation de la prérogative des syndicats de proposer des dockers en vertu de la législation et des conventions collectives, refus de la négociation collective et discrimination antisyndicale (licenciements massifs et refus d’engager des travailleurs syndiqués)

  1. 614. Dans ses observations, l’entreprise nie la véracité des faits allégués et fait savoir que: i) l’entreprise San Francisco S.A. est chargée de l’exploitation privée du port Caacupe-mí, et l’entreprise Jeroviá Servicios S.A. est chargée de la sous-traitance de certains services; les deux entreprises ont été inspectées par le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale qui a constaté qu’elles respectent les normes du travail; ii) il existe un lien contractuel de prestation de services entre Jeroviá Servicios S.A. et divers syndicats (le Syndicat des dockers maritimes de Zeballos Cué et le Syndicat des dockers maritimes et apparentés (SEMA) du quartier de Caacupe-mí, les deux étant affiliés à la Ligue des travailleurs maritimes du Paraguay (LOMP); iii) les syndicats faisaient office d’employeurs, c’est-à-dire qu’ils fournissaient des services par le truchement de leurs travailleurs membres; iv) les entreprises n’ont licencié aucun travailleur puisqu’il ne s’agissait pas de leurs salariés; v) en novembre 2014, et sur la base d’un conflit qui a surgi entre les syndicats et les entreprises pour des questions liées aux contrats de prestation de services, la LOMP et les syndicats ont appliqué des mesures radicales dont la fermeture par la force du fleuve Paraguay et des accès terrestres au port Caacupe-mí; vi) l’entreprise a mis un terme aux contrats de services passés avec les syndicats, alléguant de graves manquements de leur part et notamment les conséquences des mesures radicales qu’ils avaient prises; vii) le 4 février 2015, une réunion tripartite de conciliation a été organisée au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale au cours de laquelle: a) les syndicats ont précisé que le nombre de personnes qui s’étaient retrouvées sans travail n’était pas de 200 mais de 60; b) l’entreprise a dit clairement qu’elle n’avait pas recouru au pénal à l’encontre des travailleurs interpelés au motif des mesures radicales, que c’était le ministère public qui l’avait fait et qu’elle ne s’opposerait pas à une demande de levée des privations de liberté; c) la possibilité de rétablir les conditions antérieures au conflit a été discutée, et l’entreprise s’est dite prête à offrir un travail aux travailleurs qui en souhaiteraient un, à condition que le recrutement ne soit pas imposé uniquement parce que le docker appartient ou non à une organisation syndicale déterminée; les parties sont convenues que l’unique condition exigée serait d’être enregistré comme docker auprès de la Préfecture générale navale; d) au terme de la réunion tripartite, les parties sont convenues de faire preuve de bonne volonté pour résoudre la situation des 11 travailleurs devant la justice, pour entamer des négociations en vue de rétablir les relations contractuelles de prestation de services et pour renoncer, toujours en signe de bonne volonté, à toutes les actions judiciaires, extrajudiciaires ou syndicales qui avaient été entamées; viii) cependant, les négociations n’ont pas abouti, car les syndicats n’ont jamais renoncé aux actions judiciaires qu’ils avaient entamées; ix) quant à l’allégation relative au refus d’engager des travailleurs syndiqués, l’entreprise fait savoir que: a) cette affirmation est fausse car le véritable objectif de la LOMP est de faire en sorte que seuls les travailleurs syndiqués soient recrutés; b) la LOMP a entamé une action judiciaire demandant qu’interdiction soit faite aux entreprises de recruter des travailleurs qui ne seraient pas membres de ses syndicats (alléguant à ce titre qu’ils sont seuls autorisés à travailler dans la zone; les entreprises ont riposté en disant que les lois garantissent la liberté de recrutement); l’entreprise précise que cette action judiciaire a été abandonnée ultérieurement par la LOMP; c) en fait, c’est la LOMP qui viole la liberté syndicale lorsqu’elle exclut la possibilité de recruter des travailleurs qui ne comptent pas parmi ses membres et qu’elle restreint la liberté syndicale des travailleurs non syndiqués; x) quant à l’allégation relative au refus de négocier une convention collective, étant donné que les deux syndicats susmentionnés sont également les employeurs de ceux dont ils disent qu’ils sont leurs membres, il y a donc impossibilité juridique de signer une convention collective car une telle signature n’est pas envisageable entre employeurs; xi) quant à l’allégation selon laquelle l’entreprise aurait violé la norme établissant que seuls les travailleurs syndiqués peuvent travailler dans une juridiction déterminée, l’entreprise fait valoir que la norme mentionnée a été promulguée sous le régime de l’ancien Code du travail et qu’une de ses dispositions prévoyait une clause dans les conventions collectives en vertu de laquelle l’employeur s’obligeait à n’engager que des travailleurs membres du syndicat partie à la convention; il s’agit d’une disposition ancienne dont la teneur, selon l’entreprise, est contraire à la Constitution du pays et aux conventions de l’OIT.
  2. 615. Quant à l’allégation relative à la discrimination antisyndicale (licenciements de travailleurs et refus d’engager des travailleurs syndiqués), le gouvernement indique que, devant la plainte relative à des licenciements massifs de travailleurs membres du Syndicat des dockers maritimes de Zeballos Cué et du Syndicat des dockers maritimes et apparentés (SEMA) du quartier de Caacupe-mí, les représentants du port privé San Francisco Caacupe-mí et les représentants des syndicats plaignants ont été convoqués à deux réunions tripartites au ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale en septembre 2014. Comme le représentant de l’entreprise ne s’est pas présenté lors de la deuxième réunion, les représentants des travailleurs ont demandé une inspection générale; un mandat à cet effet a donc été délivré le 6 octobre 2014 pour vérifier la situation professionnelle des travailleurs affectés et le respect des normes par l’employeur. Lors des deux premières tentatives, les inspecteurs n’ont pas été en mesure d’effectuer l’inspection à cause du refus du conseiller juridique de l’entreprise, selon lequel les inspecteurs ne pouvaient entrer pour effectuer une inspection que s’ils étaient munis d’un mandat judiciaire. Lors de la troisième tentative, le 10 octobre 2014, l’inspection a eu lieu. Le gouvernement indique qu’elle a permis de constater que les travailleurs qui se plaignaient de la violation de leurs droits étaient des travailleurs membres des organisations syndicales de dockers maritimes, mais qu’ils n’étaient pas membres du personnel dépendant de l’entreprise qui fait l’objet de la plainte.
  3. 616. Par ailleurs, en ce qui concerne les allégations de refus de la négociation collective, le gouvernement transmet une liste de 15 conventions collectives de conditions de travail homologuées entre 2011 et 2014, signées par des entreprises marines et fluviales (les deux entreprises susmentionnées opérant dans le port Caacupe-mí ne figurant pas dans cette liste).

    Allégations de violation du droit de manifestation et privation de liberté

  1. 617. S’agissant des allégations de violation de la liberté syndicale et de répression des travailleurs qui ont participé aux actions de protestation dans le fleuve Paraguay le 13 décembre 2014, le gouvernement transmet une note de la Préfecture générale navale indiquant que: i) cette institution a agi dans le cadre de la légalité et pour donner effet à une décision judiciaire émanant du juge de première instance du tribunal civil et commercial du 5 novembre 2014, ordonnant qu’il soit mis fin au blocage du fleuve Paraguay dans tous les points concernés; et ii) les dockers ont été dûment notifiés, avec un délai suffisant, mais ils ont refusé d’obtempérer; c’est pourquoi des personnes ont été appréhendées puis mises à la disposition du ministère public.
  2. 618. Le gouvernement ajoute que le droit de grève est garanti pour les travailleurs du secteur public comme pour ceux du secteur privé et que, dans le cas présent, les travailleurs en grève ont bloqué le fleuve Paraguay, perturbant ainsi le transit et la libre navigation, ce qui est d’autant plus grave que le pays n’a pas de littoral maritime et que c’est là sa principale voie de communication fluviale. A cet égard, le gouvernement précise que l’article 214 du Code pénal a été appliqué, selon lequel toute personne qui empêche ou met en péril la sécurité du transit aérien, naval ou ferroviaire est passible d’une peine privative de liberté pouvant aller jusqu’à six ans.

    Allégations concernant la limitation du droit des syndicats de représenter leurs membres

  1. 619. Quant aux décisions judiciaires mises en cause par les organisations plaignantes parce qu’elles limiteraient la possibilité des syndicats de représenter leurs membres, le gouvernement observe qu’il s’agit de jugements définitifs et exécutoires et qu’ils ont été appliqués par des tribunaux ordinaires, lesquels, dans un Etat social de droit, disposent de toutes les garanties pour ce faire.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 620. Le comité a décidé d’examiner ces deux cas conjointement dans la mesure où ils font état des mêmes allégations et qu’ils sont appuyés par la même organisation internationale plaignante.

    Allégations concernant la violation de la prérogative des syndicats de proposer des dockers en vertu de la législation et des conventions collectives, refus de la négociation collective et discrimination antisyndicale (licenciements massifs et refus d’engager les travailleurs syndiqués)

  1. 621. Le comité observe que l’une des questions essentielles posées dans les plaintes concerne l’allégation selon laquelle, en vertu d’une certaine législation et de conventions collectives, il incomberait aux syndicats habilités dans chaque juridiction de proposer des dockers pour travailler dans les ports concernés (les organisations plaignantes allèguent que tant l’entreprise que les autorités publiques auraient violé cette prérogative syndicale). Par ailleurs, le comité observe que l’entreprise concernée allègue que c’est en fait la Ligue des travailleurs maritimes du Paraguay (LOMP) qui viole la liberté syndicale en prétendant imposer le choix des travailleurs, exclure la possibilité d’engager des travailleurs qui ne sont pas membres de ses syndicats et restreindre la liberté syndicale des travailleurs non syndiqués. A cet égard, le comité souhaite rappeler qu’il convient de faire une distinction entre les clauses de sécurité syndicale autorisées par la loi et celles qui sont imposées par la loi, seules ces dernières ayant pour résultat un système de monopole syndical contraire aux principes de la liberté syndicale; le comité rappelle également que les problèmes liés aux clauses de sécurité syndicale devraient être résolus sur le plan national, conformément à la pratique et au système de relations professionnelles de chaque pays. En d’autres termes, tant les situations où les clauses de sécurité syndicale sont autorisées que celles où elles sont interdites peuvent être considérées comme conformes aux principes et aux normes de l’OIT en matière de liberté syndicale. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 363 et 365.] Le comité rappelle que les clauses de sécurité syndicale doivent être accordées librement et observe que les plaintes ne font pas état d’éléments démontrant que les entreprises concernées aient donné leur accord à une clause de sécurité syndicale; au contraire, il découle des observations reçues qu’elles sont opposées à toute clause de ce type.
  2. 622. Par ailleurs, le comité observe que les plaintes contiennent des allégations de discrimination antisyndicale (licenciements et refus d’engager des travailleurs syndiqués) et de refus de la négociation collective. A cet égard, le comité observe que, si les organisations plaignantes font référence à l’entreprise de sous-traitance comme à un employeur des dockers, l’entreprise chargée du port précise que la relation juridique consistait en des contrats de services entre l’entreprise de sous-traitance et les syndicats, et que ces derniers étaient les employeurs. Le comité observe qu’une inspection a été réalisée pour vérifier le respect des normes du travail par l’entreprise et notamment pour mener une enquête sur les allégations de licenciements antisyndicaux; or l’inspection n’a vérifié aucune violation et elle a constaté que les travailleurs qui se plaignaient de la violation de leurs droits étaient des travailleurs membres des organisations syndicales de dockers maritimes, mais non pas du personnel dépendant de l’entreprise dénoncée. Par ailleurs, le comité observe que l’entreprise indique que: i) lorsque la relation est structurée par des contrats de services signés avec les syndicats, la négociation collective n’est pas possible; en effet, il existe un empêchement juridique puisqu’il s’agit de travailleurs employés par le syndicat; ii) aucun licenciement n’a eu lieu; en revanche, il a été mis fin à des contrats de services conclus avec les syndicats pour manquements graves de ces derniers (l’entreprise relève à cet égard le blocage du fleuve Paraguay, qui se serait produit après les licenciements); iii) l’entreprise a fait savoir qu’elle était prête à recruter des dockers qui avaient perdu leur travail; et iv) l’entreprise déclare n’exclure aucun travailleur syndiqué du recrutement, mais elle s’oppose à ce qu’on lui impose le recrutement des seuls travailleurs syndiqués. Dans ces conditions, le comité ne dispose pas d’éléments lui permettant de considérer que les questions soulevées portent sur des actes de discrimination antisyndicale.
  3. 623. Par ailleurs, le comité salue les efforts de conciliation consentis par le gouvernement pour traiter le conflit avec les parties, et notamment par le biais d’une réunion tripartite, le 4 février 2015, laquelle, selon l’entreprise, aurait abouti à un accord de principe. Le comité invite le gouvernement à continuer de promouvoir les négociations entre les parties et encourage ces dernières à poursuivre le dialogue pour que, à la lumière des principes de la liberté syndicale, il soit possible de trouver des solutions communes.

    Allégations de violation du droit de manifestation et privation de liberté

  1. 624. Le comité observe que les plaintes contiennent des allégations de violation du droit de manifestation, de poursuites pénales et de privation de liberté de travailleurs au motif qu’ils avaient participé à une grève et qu’ils avaient protesté en positionnant des pirogues sur le fleuve Paraguay. Selon les organisations plaignantes, cette action n’a aucunement empêché la navigation sur le fleuve, mais elle a déclenché des poursuites judiciaires contre 11 travailleurs qui sont actuellement assignés à résidence. Le comité observe que le gouvernement dit que: i) les travailleurs en grève ont bloqué le fleuve Paraguay, ce qui a perturbé le transit et la libre navigation; c’est pourquoi un juge a ordonné qu’il soit mis fin au blocage du fleuve Paraguay en tous ses points; ii) les dockers en ont été dûment notifiés dans les délais prescrits, mais ils ont refusé d’obéir à cet ordre et c’est pourquoi certaines personnes ont été appréhendées puis mises à la disposition du ministère public et assujetties à l’application de l’article 214 du Code pénal qui prévoit que quiconque fait obstacle ou met en péril la sécurité de la circulation navale est passible d’une peine privative de liberté pouvant aller jusqu’à six ans.
  2. 625. Le comité souhaite rappeler que, en vertu de l’article 8 de la convention no 87, si, d’une part, dans l’exercice des droits qui leur sont reconnus par la présente convention, les travailleurs, les employeurs et leurs organisations respectives sont tenus, à l’instar des autres personnes ou autres collectivités organisées, de respecter la légalité, d’autre part, la législation nationale ne doit pas porter atteinte ni être appliquée de manière à porter atteinte aux garanties prévues par la présente convention. A cet égard, le comité souhaite renvoyer aux principes selon lesquels les travailleurs doivent pouvoir jouir du droit de manifestation pacifique pour défendre leurs intérêts professionnels; les mesures de détention préventive doivent être limitées à de très brèves périodes et uniquement destinées à faciliter le déroulement d’une enquête judiciaire; dans tous les cas, y compris lorsque des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou de droit commun, les personnes en question doivent être jugées promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante; les autorités ne devraient pas recourir aux mesures d’arrestation et d’emprisonnement en cas d’organisation ou de participation à une grève pacifique, et de telles mesures comportent de graves risques d’abus et de sérieux dangers pour la liberté syndicale. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 78, 133, 109 et 671.]
  3. 626. Constatant que le gouvernement ne nie pas que la grève était pacifique, non plus qu’il ne nie que les 11 travailleurs font toujours l’objet de poursuites et sont assignés à domicile, le comité prie le gouvernement de le tenir informé du résultat des procédures judiciaires entamées contre les travailleurs qui ont participé aux actions de protestation sur le fleuve Paraguay et sur les accès terrestres au port Caacupe-mí, en espérant que ces procédures aboutiront dans les délais les plus brefs en tenant compte des principes de la liberté syndicale susmentionnés; le comité invite les autorités à envisager la levée des mesures conservatoires de privation de liberté.

    Allégations concernant la limitation du droit des syndicats de représenter leurs membres

  1. 627. Le comité note avec inquiétude les allégations de limitation du droit des organisations syndicales à représenter leurs membres ainsi que les conséquences qui ont découlé de l’interdiction faite aux syndicats de les représenter, à savoir, selon les organisations plaignantes, le fait que la réclamation de montants importants n’a pas été obtenue, au détriment d’un grand nombre de travailleurs. Le comité observe que les organisations plaignantes font référence à trois jugements de la Cour suprême qui auraient refusé aux syndicats la possibilité de représenter leurs membres, au motif que les syndicats n’avaient pas été en mesure de produire un mandat exprès de leur assemblée (les organisations plaignantes cependant allèguent dans deux cas au moins sur trois que le mandat exprès conféré par l’assemblée avait été présenté). Le comité observe également que, tant que le gouvernement ne procède pas à un examen sur le fond et se limite à reconnaître l’existence des jugements susmentionnés, la Cour suprême de justice elle-même dans deux des jugements dont il a été question, tout en considérant qu’un mandat exprès était nécessaire, sur le plan juridique, a estimé également que «la déréglementation qui en résulte peut être jugée arbitraire et dénature la finalité du syndicat». A cet égard, le comité considère que ni la législation ni son application ne devraient limiter le droit des organisations d’employeurs et de travailleurs de représenter leurs membres, y compris lorsqu’il s’agit de plaintes individuelles en matière de travail. Le comité invite le gouvernement à examiner, en consultation avec les partenaires sociaux, l’adaptation de la législation et de son application pour garantir l’exercice du droit des organisations d’employeurs et de travailleurs de représenter leurs membres.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 628. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Saluant les efforts de conciliation qui ont été réalisés, le comité invite le gouvernement à continuer de promouvoir les négociations entre les parties et encourage ces dernières à poursuivre le dialogue pour que, à la lumière des principes de la liberté syndicale, des solutions communes puissent être trouvées.
    • b) Le comité prie le gouvernement de le tenir informé des résultats des poursuites judiciaires entamées contre les travailleurs qui ont participé aux actions de protestations sur le fleuve Paraguay et sur les accès terrestres au port Caacupe-mí, en espérant que ces poursuites aboutiront dans les plus brefs délais en tenant compte des principes de la liberté syndicale; le comité invite les autorités à envisager la levée des mesures conservatoires de privation de liberté.
    • c) Le comité invite le gouvernement à examiner, en consultation avec les partenaires sociaux, l’adaptation de la législation et de son application afin de garantir l’exercice du droit des organisations d’employeurs et de travailleurs de représenter leurs membres.
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