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Observation (CEACR) - adopted 1996, published 85th ILC session (1997)

Forced Labour Convention, 1930 (No. 29) - Pakistan (Ratification: 1957)

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1. Se référant à ses précédentes observations, la commission prend note du dernier rapport du gouvernement concernant les mesures prises pour assurer le respect de la convention. Elle a également pris note de la discussion ayant eu lieu au sein de la Commission de la Conférence sur l'application des conventions et recommandations en juin 1996 à propos des questions soulevées dans sa précédente observation. Elle a, d'autre part, pris note des observations sur l'application de la convention présentées par le Congrès néo-zélandais des syndicats (NZCTU) dans une communication datée du 18 juin 1996 comportant un rapport de 1996 d'Anti-Slavery International sur la servitude pour dettes au Pakistan, intitulé "This menace of bonded labour", qui a été transmis pour commentaires au gouvernement le 26 juin 1996. Le gouvernement n'a pas répondu à ces observations. Enfin, la commission a pris note du rapport du Groupe de travail sur les formes contemporaines d'esclavage de la Sous-commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités des Nations Unies sur sa 21e session (document des Nations Unies E/CN.4/Sub.2/1996/24 daté du 19 juillet 1996).

I. Travail en servitude Ampleur du problème

2. Dans ses précédents commentaires, la commission a pris note des allégations portées devant les Nations Unies selon lesquelles 20 millions de personnes, dont 7 millions d'enfants, travaillaient en servitude. La commission a noté que, de l'avis du gouvernement, ces chiffres étaient irréalistes, appréciation partagée par la Fédération des syndicats du Pakistan. Cependant, tout en mettant en rapport les chiffres allégués avec des données statistiques concernant la main-d'oeuvre et la population totale du Pakistan, le gouvernement n'a, lui-même, avancé aucun chiffre quant au nombre de travailleurs en servitude. La commission note toutefois les indications données dans la monographie présentée par le gouvernement au Séminaire régional asien sur les enfants en servitude (Islamabad, novembre 1992). Ce document indique que le travail des enfants au Pakistan perdure essentiellement à cause de la pauvreté, de la non-sensibilisation du public, des carences du système éducatif et de la servitude pour dettes des parents. Dans les régions où les parents (paysans et journaliers) sont contraints de fournir leurs prestations à des propriétaires ou autres employeurs, leurs enfants sont souvent eux-mêmes prisonniers du système de servitude pour dettes. Souvent, les parents contractent un emprunt pour faire face à des besoins urgents. Les débiteurs doivent ensuite rembourser leur dette par le travail. Dans la pratique, la dette ne se résorbe jamais mais, bien au contraire, elle s'accroît. L'ensemble de la famille se trouve réduit de manière permanente à la servitude et le créancier exige un remboursement de la part des générations suivantes. Ainsi, les enfants sont généralement promis comme travailleurs à titre de contribution au remboursement de la dette. Ils peuvent également être asservis de manière séparée, notamment lorsque les parents les envoient travailler sur le domaine d'un propriétaire ou d'un créancier. Ils peuvent y rester de nombreuses années, sans savoir pour combien de temps ni même connaître le montant de la dette qu'ils sont en train de rembourser. La commission note en outre que, dans son observation datée du 13 octobre 1994, la Fédération des syndicats du Pakistan a indiqué que des personnes sont assujetties au travail forcé sous le système de servitude pour dettes par les potentats locaux dans des régions rurales et moins développées mais aussi dans certaines mines de charbon et briqueteries.

3. La commission note que, selon le rapport d'Anti-Slavery International communiqué par le NZCTU en juin 1996:

Au cours des vingt dernières années, c'est l'industrie de la briqueterie qui a été la plus notoirement connue pour recourir au travail en servitude. Ce phénomène s'est développé rapidement pendant les dernières décennies, les briqueteries se multipliant en grand nombre avec l'expansion de l'urbanisme. Ces dernières années, l'implication d'enfants travaillant en servitude à la production de tapis noués à la main destinés à l'exportation a également fait l'objet d'une publicité considérable hors du Pakistan. Il existe bien d'autres secteurs de l'emploi dans lesquels le travail en servitude est la norme plutôt que l'exception. Parallèlement au travail des enfants, le travail en servitude est prédominant dans le secteur industriel "informel". Il est notable dans l'agriculture, où des travailleurs n'ayant pas de terre sont liés à des propriétaires terriens à la fois par des dettes et par une forme d'esclavage. On le signale également dans le secteur de la pêche.

Visibilité et perception du problème

4. Dans son rapport reçu en novembre 1995, le gouvernement, en évaluant l'ampleur du problème du travail des enfants en servitude, a relevé que les cas de travail d'enfants en servitude ne sont pas visibles. Comme la commission l'a fait observer dans son rapport à la 83e (1996) session de la Conférence, l'absence de visibilité ou de perception semble constituer plus généralement une difficulté à s'attaquer au problème du travail en servitude, difficulté qui n'a pas encore été surmontée par les institutions en place.

Législation et institutions traitant du travail en servitude

5. Le rapport sur la servitude pour dettes au Pakistan, établi par Anti-Slavery International et communiqué par le NZCTU en juin 1996, formule, sur la situation sur le plan législatif et administratif, les commentaires suivants:

a) Le Bhatta Mazdoor Mohaz (BMM), Syndicat des travailleurs des briqueteries, a été constitué en 1967. Sa plate-forme était initialement axée sur la conquête des droits fondamentaux des ouvriers à travers la reconnaissance des ouvriers des briqueteries en cette qualité, telle que définie par la loi de 1934 sur les fabriques. En 1988, le mouvement ayant commencé avec des ouvriers des briqueteries s'est étendu à tous les autres travailleurs en servitude, avec la création du Front de libération de la main-d'oeuvre en servitude (BLLF). L'action du BLLF restait néanmoins centrée sur les préoccupations des ouvriers des briqueteries. En 1988, une pétition d'un groupe d'ouvriers des briqueteries déboucha sur une sentence décisive de la Cour suprême qui, s'appuyant sur l'article 11 de la Constitution, déclara le travail en servitude inconstitutionnel et l'interdit. Cette sentence contraignit le gouvernement à modifier la législation. Un projet de loi élaboré en 1989 fut finalement adopté en mars 1992 sous le titre de loi sur l'abolition du système de travail en servitude.

b) La loi de 1992 recueillit initialement les suffrages des activistes des droits de l'homme et des militants contre le travail en servitude au Pakistan. Elle abolit le "système de travail en servitude", c'est-à-dire les pratiques et traditions liées au peshgi, en particulier l'idée selon laquelle celui qui a accepté une avance est contraint de travailler jusqu'à ce qu'il l'ait remboursée (article 4 de la loi). Elle dispose que quiconque se trouve en situation de servitude n'est désormais plus sous l'obligation de rembourser quelque partie que ce soit de la dette (article 6). Elle instaure une sanction (revêtant la forme d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement allant de deux à cinq ans, ou les deux) à l'encontre de celui qui imposerait une servitude pour dettes en obligeant son débiteur à travailler pour lui (article 11), et la même peine frappe celui qui contraint un membre de sa propre famille à travailler en servitude pour dettes (par exemple, les parents qui acceptent un prêt en retour de l'engagement de leur enfant à travailler pour autrui). Dans ces domaines, la nouvelle loi n'est pas allée beaucoup plus loin que les instruments précédents qui, comme la loi de 1933 interdisant de gager des enfants, ont manqué leur but et sont tombés en désuétude.

c) Cependant, à l'instar d'une loi adoptée par un pays voisin en 1976 contre le travail en servitude, cette nouvelle loi inclut des dispositions qui sont destinées à garantir son application. Aux termes de son article 9, le gouvernement doit conférer aux magistrats de district le pouvoir de "garantir que les dispositions de la loi sont appliquées comme il convient", en particulier de "s'efforcer d'améliorer le sort de la main-d'oeuvre libérée de sa servitude en établissant et protégeant les intérêts économiques de cette main-d'oeuvre" (article 10). Les magistrats de district, dans la pratique des administrateurs nommés par le gouvernement au niveau du district, ont été investis de deux responsabilités décisives: établir l'existence d'une main-d'oeuvre en servitude dans leur juridiction et, une fois les faits constatés, prendre des mesures pour assurer la libération et la réinsertion.

d) Toujours à l'instar du même modèle, l'article 15 de la loi prévoit la création de "comités de vigilance" dans chaque district du pays pour épauler le magistrat et l'administration de ce district dans leurs efforts d'identification, de libération et de réinsertion des travailleurs en servitude. Constitués de personnalités connues dans chaque district - membres de l'administration ou autres, notamment juristes et journalistes -, ces comités doivent donner leur avis sur l'application de la législation en général et, en particulier, contribuer à la réinsertion des travailleurs libérés et leur fournir une assistance. La loi dispose que les comités de vigilance incluent des "représentants de l'administration de district, des associations du Barreau, de la presse, des services sociaux et départements du travail reconnus du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux". A ces égards donc, la loi de 1992 est considérablement plus dynamique que toute législation antérieure contre la servitude pour dettes aussi bien des adultes que des enfants au Pakistan. Si elle était appliquée, la nouvelle loi constituerait un cadre d'action au niveau local permettant d'éradiquer cette forme de violation des droits de l'homme et d'empêcher sa réintroduction.

e) Selon le même rapport, pendant les trois années qui ont suivi à l'adoption de la loi sur l'abolition du système de servitude, le gouvernement n'a pris aucune mesure pour assurer sa mise en oeuvre. Toutefois, en juillet 1995, le gouvernement fédéral, en l'occurrence le ministère du Travail, de la Main-d'oeuvre et des Nationaux à l'étranger, a édicté un règlement d'application tel que prévu par l'article 21 de la loi de 1992 "pour la réalisation des objectifs" de cet instrument. Ceci a été la première d'une série de mesures essentielles que le gouvernement central devait prendre pour assurer l'application de la loi sur le travail en servitude. La publication de ce règlement dans la Government Gazette n'a pas attiré l'attention du public dans le pays. Cependant, le fait qu'il ait été publié signifie qu'au niveau de la province ou du district les fonctionnaires peuvent commencer à appliquer certaines dispositions de la loi de 1992 s'ils en ont la volonté.

f) Le règlement adopté de juillet 1995 donne pour instruction aux gouvernements des provinces de déléguer aux magistrats de district certains pouvoirs prévus par la loi sur l'abolition du système de servitude pour dettes, en particulier celui de procéder à des inspections des lieux de travail suspects, d'utiliser une telle main-d'oeuvre et de diligenter des enquêtes sur toute information à ce sujet (règle 4). Il donne également pour instruction aux gouvernements des provinces d'ordonner aux magistrats de district de constituer des comités de vigilance conformément à l'article 15 de la loi de 1992 (règle 6).

g) Contrairement à la loi elle-même, le règlement est beaucoup plus précis quant à la composition des comités de vigilance. La règle 6 désigne 18 catégories différentes de personnes pouvant appartenir à un comité. La plupart sont étroitement liées aux autorités elles-mêmes: un juge à la retraite, un fonctionnaire de police de rang supérieur, un membre de l'Assemblée provinciale, des représentants des départements administratifs s'occupant de la main-d'oeuvre, de l'agriculture ou de l'enseignement. Toutefois, il est également prévu d'inclure des représentants d'un "organe reconnu de travailleurs" (un syndicat), ou d'une "ONG" (organisation non gouvernementale) enregistrée ou reconnue, oeuvrant pour la protection des droits de l'homme, ainsi qu'un journaliste ayant "de l'expérience dans le domaine des droits de l'homme". De telles personnes devraient normalement être relativement indépendantes des pouvoirs locaux administrant le district, mais ceci n'est pas assuré par le règlement puisqu'il prévoit que ces personnes sont désignées par des fonctionnaires du gouvernement local ou central. En outre, la disposition prévoyant l'inclusion d'un seul représentant d'un syndicat ou d'une autre organisation représentant les travailleurs signifie que chaque comité de vigilance est voué à être complètement dominé par les nantis locaux.

h) Contrairement au règlement adopté par le Pakistan en juillet 1995 en application de la loi de 1992, le règlement d'application de la législation correspondante adoptée en 1976 dans un pays voisin non seulement définit de manière détaillée la composition des comités de vigilance, mais aussi précise comment la loi doit être appliquée, avec délivrance de certificats de libération aux travailleurs libérés et tenue d'un registre contenant des données précises sur toutes ces personnes. En outre, il fixe des orientations pour le processus déterminant de la réinsertion, sans lequel la plupart des travailleurs libérés resteraient soumis à des pressions telles qu'ils contracteraient vraisemblablement à brève échéance de nouveaux emprunts entraînant leur retour à la servitude.

i) L'insuffisance des règles de juillet 1995 réside essentiellement dans la faiblesse des dispositions concernant la réinsertion des travailleurs libérés. La règle 9 traite de la "création d'un fonds" qui est destiné à "la réinsertion et au bien-être des travailleurs libérés de la servitude". Il est censé s'alimenter de contributions initiales que le gouvernement fédéral ou celui de la province peut faire, conjointement à toutes contributions d'organisations nationales ou internationales. Dans la pratique, le gouvernement ne semble avoir alloué aucun crédit à cette fin dans ses récents budgets et, dans la pratique, aucune ressource ne semble avoir été dégagée pour financer la réinsertion, sous quelque forme que ce soit - alors que des sommes, certes limitées, ont été spécifiquement allouées à la réinsertion de certains enfants au titre de la loi sur le travail des enfants. Il convient également de noter que, contrairement aux règles adoptées ailleurs, les règles adoptées au Pakistan en 1995 ne donnent aux fonctionnaires de district aucune indication quant aux procédures de libération et n'instaurent non plus une procédure formelle d'enregistrement des données concernant chaque travailleur libéré de la servitude, avec consignation de toutes sommes perçues pour leur réinsertion. Ceci veut dire qu'aucune statistique n'est établie sur le nombre de libérations ou de cas de réinsertion opérés et que, par conséquent, le gouvernement ne dispose d'aucune information précise permettant d'apprécier le succès - ou l'échec - de la loi en termes de nombre de libérations et de cas de réinsertion.

j) Pour conclure, le rapport considère que, si le règlement de juillet 1995 était appliqué au niveau du district, il permettrait d'obtenir la libération d'un grand nombre de travailleurs en servitude. Cependant, en édictant ce règlement sans aucune publicité, et au moment où le Front de libération de la main-d'oeuvre en servitude (BLLF), principale organisation non gouvernementale représentant ces personnes, a fait l'objet d'une série de mesures de répression de la part des organes de sécurité du gouvernement lui-même, les autorités ont assuré de manière efficace que les fonctionnaires au niveau de la province ou du district fassent peu, voire rien, pour l'appliquer.

La commission prend bonne note de ces indications. Elle note que les allégations quant au manque de publicité et d'attention accordée à la loi par les autorités correspondent à l'absence de toute information sur le règlement de juillet 1995, aussi bien dans le rapport du gouvernement de novembre 1995 que dans sa déclaration faite à la Conférence en juin 1996 et dans le dernier rapport du gouvernement sur l'application de cette convention, qui couvre la période du 1er juillet 1994 au 30 juin 1996.

6. Attaques dirigées contre la loi. Selon le rapport sur la servitude pour dettes au Pakistan établi par Anti-Slavery International et communiqué par le NZCTU en juin 1996, la loi de 1992 sur l'abolition du système de travail en servitude n'a pas tardé d'être la cible des hommes d'affaires utilisant cette forme de main-d'oeuvre et risquant de perdre l'argent engagé dans des prêts peshgi. Ils choisirent d'attaquer la nouvelle loi devant les tribunaux de la Charia ("loi islamique"), en arguant que les dispositions (des articles 6 et 8 de la loi) affranchissant les travailleurs en servitude de leur obligation de rembourser leur emprunt étaient "non islamiques". L'un des premiers recours contre la nouvelle loi a été déposé en septembre 1992 devant le tribunal fédéral islamique par un certain Ghulam Khana Bangash, propriétaire d'une briqueterie. Pour autant qu'on le sache, le tribunal ne s'est pas encore prononcé de manière définitive sur ce recours ou d'autres analogues, et les employeurs prennent prétexte de cette situation pour prétendre que la loi ne doit pas encore être appliquée. La commission espère que le gouvernement répondra à ces allégations et communiquera copie de la décision du tribunal en question dès qu'elle aura été rendue.

Pratique en matière d'investigation des faits et de mise en oeuvre de la loi

7. Dans ses rapports sur l'application de la convention pour la période 1992-1994, le gouvernement indiquait qu'un seul cas de travail en servitude avait été constaté dans la province du Pendjab et que, selon les données dont il disposait, la direction de l'entreprise avait fait l'objet de poursuites. Dans le document intitulé "bilan consolidé concernant l'application de la loi de 1991 sur l'emploi des enfants et de la loi de 1992 sur l'abolition du système de travail en servitude", reçu du gouvernement en novembre 1995, le nombre des inspections, poursuites et condamnations en application de la loi de 1992 sur l'abolition du système de travail en servitude est nul pour chacune des quatre provinces. A titre d'explication, ce document indiquait que les rapports communiqués par les magistrats de district du Baloutchistan ne faisaient état d'aucun cas de travail en servitude dans la province et que les comités de vigilance présidés par les vice-commissaires des districts de la NWFP (Province frontalière du Nord-Ouest) et du Sindh n'avaient relevé aucun cas de travail en servitude. En ce qui concerne le Pendjab, il était expliqué qu'en application de l'article 15 de la loi de 1992 des comités de vigilance avaient été constitués dans presque tous les districts, que la loi ne confère à ces comités qu'un rôle consultatif et de supervision et qu'"il est constaté, de manière générale, que les victimes ne s'adressent pas aux comités de vigilance mais préfèrent s'en remettre à la juridiction de la Haute Cour pour obtenir un redressement rapide". A cet égard, la commission a souligné dans sa précédente observation qu'aux termes de l'article 15 de la loi les comités de vigilance devant être constitués au niveau du district doivent non seulement conseiller l'administration du district sur les questions ayant trait au respect effectif de la loi, mais encore assurer sa mise en oeuvre de manière appropriée et fournir aux travailleurs en servitude toute assistance qui peut être nécessaire pour atteindre les objectifs de la loi, ce qui ne semblait pas encore avoir été fait.

8. La commission note que, selon les indications données par un représentant du gouvernement à la Commission de la Conférence en 1996, tandis qu'un seul cas de travail en servitude avait été identifié dans l'ensemble du pays entre 1992 et 1994, depuis 1995 des descentes ont été opérées contre ce qu'il est convenu d'appeler des prisons privées: dans le district du Sanghar, le 17 novembre 1995, 96 personnes ont été libérées et le responsable a été inculpé en vertu de l'article 11 de la loi de 1992. Une autre prison privée du district d'Umerkot a fait l'objet de deux descentes, le 1er juin 1995 et le 14 janvier 1996, entraînant la libération de 70 personnes. Onze responsables ont été inculpés, dont deux ont été placés en détention et les autres ont été laissés en liberté sous caution par la Haute Cour du Sindh et le tribunal d'instance d'Umerkot. Une autre descente a été effectuée dans le district d'Umerkot par le juge sous-divisionnaire et l'adjoint au superintendant de la police; elle a permis la libération de dix familles de paysans et l'inculpation formelle du responsable. Dans les quatre autres cas, aucune preuve de travail en servitude n'a pu être trouvée dans les locaux supposés abriter des travailleurs en servitude. Le représentant gouvernemental a estimé que les efforts cités ont démontré amplement que le gouvernement est résolument déterminé à s'attaquer au problème des enfants en servitude et du travail en servitude. Concédant que le gouvernement n'a pas été en mesure d'éliminer complètement le problème, le représentant a assuré qu'il progresse néanmoins dans la bonne direction et que les résultats de son action seront visibles dans quelques années.

9. Dans son dernier rapport, qui couvre la période du 1er juillet 1994 au 30 juin 1996, le gouvernement indique que la mise en oeuvre effective de la loi de 1992 portant abolition du système de travail en servitude est envisagée à travers la création de comités de vigilance constitués de représentants élus, de membres des associations du barreau, de journalistes, de membres de l'administration du district et d'ONG, et que ces comités ont déjà été constitués au Pendjab, au Sindh, dans la NWFP et au Baloutchistan. Dans les provinces, l'application de la loi est du ressort des magistrats de district, qui sont également les présidents des comités de vigilance de district et qui ont autorité pour signaler toute violation et veiller attentivement à l'application de la loi. Le gouvernement déclare que, à la suite de l'adoption de la loi de 1992 sur l'abolition de la servitude pour dettes, la servitude à des enfants a elle aussi été réduite en principe, où qu'elle existe, et que l'application de la loi est poursuivie avec énergie par les gouvernements des provinces. En application de la loi, les gouvernements des quatre provinces ont nommé des inspecteurs qui visitent régulièrement les établissements industriels et commerciaux de leur juridiction pour veiller au respect de la loi.

10. Le gouvernement ajoute que la situation au regard de l'application de la loi, telle que présentée par les gouvernements des quatre provinces, est la suivante: au Pendjab, 329 descentes ont été effectuées et 172 travailleurs ont été libérés. Au Sindh, jusqu'en août 1996, 20 descentes ou inspections ont été effectuées et 335 travailleurs ont été libérés, 11 dossiers ont été ouverts et 16 personnes ont été arrêtées (avant d'être toutes remises en liberté par le tribunal), et le nombre de condamnations est néant. Pour la NWFP et le Baloutchistan, la seule indication donnée est qu'aucun cas de travail en servitude n'a été signalé.

11. La commission prend bonne note de ces indications. Elle note également que le rapport de 1996 sur la servitude pour dettes au Pakistan établi par Anti-Slavery International et communiqué par le NZCTU contient les observations détaillées suivantes sur la mise en oeuvre de la législation:

a) Pour que la loi de 1992 sur l'abolition du système de travail en servitude ait une incidence appréciable au Pakistan, le gouvernement devait en faire connaître largement les dispositions puis habiliter les magistrats de district à prendre des mesures pour garantir la libération et la réinsertion des travailleurs en servitude. Les magistrats de district ne sont pas, contrairement à ce que leur titre donne à croire, des membres de l'appareil judiciaire. Ce sont en fait des représentants du gouvernement (sous-commissaires) dans les districts où ils nommés. Ils reçoivent leurs ordres de leur hiérarchie propre et, en général, attendent que des instructions leur parviennent de l'échelon supérieur avant de prendre quelque mesure que ce soit. L'article 9 de la loi prescrit aux gouvernements des provinces de conférer ces pouvoirs aux magistrats de district. Or, les gouvernements des provinces ont eux-mêmes tendance à attendre les instructions du gouvernement fédéral, lequel est investi, en vertu de l'article 21 de la loi, du pouvoir d'"établir des règles pour réaliser les objectifs" de la loi, mais ne l'a fait qu'en juillet 1995. Maintenant qu'un ensemble de règles a été établi, il importe que le gouvernement y donne suite rapidement, en donnant instruction aux magistrats de district de traduire ces règles en action.

b) Les magistrats de district ne sont pas les seuls fonctionnaires censés faire appliquer la loi. L'article 15 prévoit la création de comités de vigilance "selon les modalités prévues". Comme il s'est écoulé trois années avant que le gouvernement n'ordonne "selon les modalités prévues" de constituer de tels comités, bien peu l'ont été. On signale que, dans certains districts où des comités de vigilance ont été constitués, siègent en leur sein des hommes d'affaires qui emploient encore des travailleurs en servitude.

c) C'est vers la fin de 1993 que l'on a eu la première preuve tangible de la mesure dans laquelle la loi n'est pas appliquée, lorsque la Cour suprême a été à nouveau saisie d'une affaire de travail en servitude, cette fois-ci dans l'industrie du tapis. En novembre 1993, M. Anwar Sadiq, un juriste, accompagné de plusieurs militants étrangers des droits de l'homme et d'un magistrat local, s'est rendu dans une fabrique de tapis, près de Kasur, où l'on avait signalé que 300 enfants travaillaient. Cette démarche avait pour but de constater les infractions à la législation et d'obtenir la libération des enfants. Anwar Sadiq a subséquemment fait l'objet de menaces, et son frère a été arrêté. Pour protester autant contre l'emploi d'enfants que contre le harcèlement de cet homme de loi, deux personnes ont écrit de Suède à la Cour suprême du Pakistan pour attirer l'attention de cette instance sur ces abus. Comme elle l'avait fait en 1988, la Cour suprême a décidé de traiter cette communication comme une pétition constitutionnelle (affaire 3-L de 1993) et a ordonné au magistrat du district de Kasur, au Département du travail local et au Département de sécurité sociale du Pendjab de fournir des informations sur les faits. Les réponses parvenues au début de 1994 démontrent que la loi de 1992 sur l'abolition du système de travail en servitude reste virtuellement sans effet: le Département du travail indique que les administrations de district du Pendjab n'ont reçu qu'en août 1993, soit 17 mois après l'adoption de la loi, l'instruction de constituer des comités de vigilance. Le magistrat du district de Kasur, quant à lui, est absolument catégorique quant au fait qu'aucun comité de cette nature n'a été constitué dans sa juridiction. Il fait également observer que la loi de 1992 n'a pas connu une grande publicité, les dispositions de cet instrument sont par conséquent inconnues, et ni les employeurs ni les travailleurs ne savent que les peshgi ne doivent plus désormais être remboursés. Ce magistrat s'interroge également sur le fondement même de la loi de 1992, laquelle, selon lui, ne bénéficie pas d'un appui populaire. A sa connaissance, aucun magistrat judiciaire n'a été habilité à instruire des cas d'infraction à la loi, et aucune règle n'a été élaborée sur les modalités d'application de la loi. Lui-même se déclare non disposé à prendre des mesures pour assurer la libération et la réinsertion des travailleurs en servitude, comme l'exige l'article 10 de la loi.

Le Département des affaires sociales du Pendjab a fait savoir à la Cour suprême qu'il ne s'estimait aucunement responsable de l'application de la loi sur le travail en servitude, bien que la loi exige qu'il s'engage dans les comités de vigilance. Le Département du travail a indiqué qu'il était au premier chef concerné par l'application de la loi de 1991 sur l'emploi des enfants. La Cour suprême, bien qu'ayant reçu cette information par la voie officielle au début de 1994, ne semble pas avoir pris d'autres mesures pour enjoindre aux pouvoirs publics de faire respecter la loi de 1992, quand bien même il était clair que la loi était bafouée.

d) Dans le district de Kasur, comme dans d'autres où des enquêtes ont été menées pour le compte d'Anti-Slavery International au début de 1995, le doyen du barreau local n'a jamais entendu dire que son association devrait faire partie d'un comité de vigilance. D'autres districts pour lesquels Anti-Slavery International a eu confirmation, au premier semestre de 1995, que les hommes de loi n'avaient pas connaissance de la création de comités de vigilance comprennent les districts de Goujarat, Lahore et Sheikhupura.

e) Ailleurs dans le pays, des éléments encore plus récents attestent qu'il n'a pas été constitué de comités de vigilance. Dans la Province frontalière du Nord-Ouest (NWFP), le Département provincial du travail aurait convoqué, au premier semestre de 1995, un comité au niveau provincial constitué de quatre fonctionnaires du gouvernement de la province, onze représentants de l'Association des propriétaires de briqueterie et cinq représentants du Syndicat des travailleurs des briqueteries. Fin avril 1995, ce comité ne s'était pas réuni. Au niveau des districts, certains magistrats de district auraient constitué des comités de vigilance, mais ceci a manifestement été laissé à l'initiative individuelle plutôt que mené systématiquement.

f) Le rapport conclut que:

- les fonctionnaires du gouvernement local n'ont pas été obligés de mettre en oeuvre la loi sur l'abolition du système de travail en servitude;

- peu de comités de vigilance ont été constitués dans les districts et, lorsqu'ils le sont, leur composition n'est conforme ni à la lettre ni à l'esprit de la loi;

- il n'existe pas de système pour recenser les cas de travail en servitude ou le nombre de travailleurs libérés;

- les juges n'ont pas été investis des pouvoirs de poursuivre les employeurs qui continuent de proposer des avances contre un travail en servitude;

- quelque 2 000 actions en justice engagées entre mars 1992 et le début de 1995 par des travailleurs en servitude en invoquant la loi sur l'abolition du système de travail en servitude ont été rejetées par les tribunaux qui se déclaraient incompétents au motif que le gouvernement n'avait pas mis en oeuvre les articles 9 et 16 de ladite loi. Au cours de la même période, près de 250 actions auraient été engagées par des travailleurs en servitude auprès des tribunaux du travail, mais la suite réservée à ces procédures n'est pas connue.

12. La commission a pris note de ces allégations détaillées, qui sont restées sans réponse et qui correspondent au champ limité et aux résultats limités de l'action concrète signalée par le gouvernement et reflétée aux points 7 à 10 ci-avant. Elle rappelle l'observation sur l'application de la convention formulée par la Fédération des syndicats du Pakistan dans une communication datée du 31 décembre 1993 (transmise au gouvernement pour commentaires et restée, elle aussi, sans réponse) selon laquelle la classe féodale du pays a une mainmise étroite sur l'administration, laquelle a toujours été utilisée pour protéger le système de servitude pour dettes, et tous les efforts tentés pour faire disparaître ce système se sont toujours heurtés à une forte résistance. La commission note en outre que, dans sa communication de juin 1996, le NZCTU a relevé la préoccupation des membres travailleurs de la Commission de la Conférence de juin 1996 devant le fait que le gouvernement déploie plus d'énergie à attaquer ceux qui, comme le BLLF, oeuvrent pour la libération des travailleurs en servitude plutôt qu'à appliquer les lois interdisant cette forme d'exploitation.

Mesures à prendre

13. La commission note que, dans sa communication, le NZCTU conclut, avec Anti-Slavery International, sur la base des carences constatées, que les mesures suivantes sont nécessaires pour donner effet à la loi sur l'abolition du travail en servitude:

a) Le gouvernement central devrait insister pour que tous les gouvernements des provinces prennent des mesures pour donner effet aux articles 9 et 10 de la loi, c'est-à-dire pour conférer aux magistrats de district "tels pouvoirs et leur attribuer telles missions" que la loi nécessite pour être appliquée.

b) Le gouvernement central devrait requérir de chaque gouvernement provincial qu'il habilite un ou plusieurs magistrats à connaître des délits qualifiés et punis par la loi, comme le prescrit l'article 16 de la loi.

c) Pour assurer l'application de la loi de 1992 et du règlement de 1995, le gouvernement central devrait donner l'instruction aux gouvernements des provinces de constituer des comités de vigilance dans chaque district dans un délai déterminé, et d'observer les premières sessions de ces comités pour s'assurer que leurs réunions, prévues en théorie, aient effectivement lieu.

d) Le gouvernement central devrait veiller à ce que, au niveau provincial, les budgets soient établis de manière à financer la réinsertion. Les ressources appropriées devraient être dégagées pour de telles opérations et elles devraient être assorties des garanties nécessaires à leur bonne utilisation.

e) Les règles ou autres instructions pour l'application de la loi de 1992 devraient être révisées ou complétées afin de préciser ce qui suit:

i) Les magistrats de district devraient recevoir des directives sur la libération des travailleurs en servitude. Les règles devraient notamment prévoir la consignation sur un registre des données concernant chaque travailleur libéré, ainsi que des données concernant sa réinsertion. Ceci permettrait aux gouvernements des provinces comme au gouvernement central d'opérer un suivi de ce processus de libération et de publier des informations de fait sur le nombre des libérations effectivement réalisées.

ii) Comme aussi bien la loi de 1992 que le règlement de 1995 précisent quelle doit être la composition des comités de vigilance et que, néanmoins, on a signalé que certains comités constitués comptent parmi leurs membres des personnalités locales influentes qui, en fait, emploient de la main-d'oeuvre en servitude, il conviendrait de réviser ces règles afin de préciser qu'aucune personne susceptible d'employer de la main-d'oeuvre en servitude ne puisse siéger dans un tel comité de vigilance.

iii) Les magistrats de district et les comités de vigilance devraient avoir une idée plus claire des initiatives qu'ils sont censés prendre pour enquêter afin de découvrir s'il existe, dans leur juridiction, des travailleurs victimes de servitude pour dette. Ils devraient en particulier être informés du minimum de mesures à prendre. Manifestement, il faudrait préciser qu'il ne suffit pas d'attendre que les travailleurs en servitude portent plainte sur leur situation ni, simplement, de demander à un travailleur s'il est en servitude ou non: dans l'un et l'autre cas, la victime risque d'être intimidée au point qu'elle ne révélera pas sa situation de servitude.

iv) Il conviendrait également de préciser quelles sont les mesures minimales incombant aux magistrats de district ou aux comités de vigilance pour la réinsertion des travailleurs libérés (l'article 10 de la loi dit que les fonctionnaires au niveau du district "s'efforceront, dans la mesure du possible, d'améliorer la situation du travailleur libéré de sa servitude afin que celui-ci ne se retrouve ni en position ni en situation de contracter à nouveau une dette entraînant son retour à la servitude").

14. Selon la même communication du NZCTU, les mesures complémentaires suivantes sont nécessaires pour que la loi sur l'abolition du travail en servitude soit effectivement mise en oeuvre:

a) Publicité. Aucun changement sur ce plan ne semble être intervenu avec la publication en juillet 1995 du règlement d'application de la loi, étant donné que ceci semble avoir reçu peu de publicité ou d'attention de la part des fonctionnaires concernés. Il est donc vital que le gouvernement procède à une relance efficace de cette loi, par une campagne d'information publique conçue pour la porter à l'attention des employeurs comme des travailleurs. De nombreux employeurs de main-d'oeuvre en servitude ne sont pas conscients de commettre à la fois un délit puni par la loi et une violation des droits de l'homme. En fait, ils déclarent souvent qu'en accordant des avances ils font preuve de charité et accordent leurs bienfaits à ceux qui sont plus pauvres qu'eux. La campagne d'information du public doit donc être centrée sur les mentalités populaires, autant qu'elle doit donner des informations purement techniques sur les dispositions de la loi.

b) Programme intégré d'action juridique et sociale. Les recours engagés devant les tribunaux de la Charia contre la loi de 1992 devraient être traités rapidement, afin que les affaires en instance ne puissent plus être invoquées comme prétexte pour retarder l'application de la loi. Même lorsque la loi sur l'abolition du travail en servitude sera pleinement appliquée, une série de programmes devront être parallèlement mis en oeuvre pour aider les personnes libérées de la servitude et leurs familles à réorganiser leur existence. Ceci est particulièrement important pour les enfants, lesquels doivent avoir accès à un enseignement primaire adéquat. L'expérience faite dans d'autres pays a démontré que les magistrats de district et les comités de vigilance ne sont vraisemblablement pas en mesure de faire face à un tel défi sans le soutien et le financement du gouvernement.

c) Arrêt du harcèlement et de la répression dirigés contre les militants. Depuis le début du mois de juin 1995, les militants faisant campagne contre le travail en servitude au Pakistan ont été la cible d'une série d'arrestations et d'inculpations par les autorités, notamment par l'Agence fédérale d'investigation (FIA), organe de sécurité du Pakistan. Ehsan Ullah Khan, dirigeant de la principale organisation militant contre le travail en servitude, le BLLF, a été accusé d'espionnage pour le compte d'un Etat voisin alors qu'il se trouvait à l'étranger et a dû rester hors du pays pour éviter d'être arrêté. Quels que puissent être les motifs ou les justifications de tels actes de répression, le message implicite que le gouvernement a adressé au public est que le militantisme contre le travail en servitude est contraire à l'intérêt public et expose à des sanctions. Le gouvernement doit maintenant renverser sa politique, qui revient actuellement à "punir le messager", et s'engager à soutenir ceux qui, comme la Commission des droits de l'homme du Pakistan ou le Front de libération de la main-d'oeuvre en servitude, ont fait publiquement campagne pour la fin de la servitude pour dette au Pakistan.

15. La commission a pris note des allégations et conclusions communiquées par le NZCTU dans ses commentaires sur l'application de la convention. Elle espère que le gouvernement communiquera des commentaires détaillés sur les allégations formulées et indiquera toute mesure prise ou envisagée qui correspondrait aux recommandations énoncées aux points 13 et 14 ci-avant.

16. La commission exprime à nouveau l'espoir que les mesures nécessaires vont être prises pour assurer la mise en oeuvre effective de la loi de 1992 sur l'abolition du travail en servitude, en ce qui concerne l'identification, la libération et la réinsertion des travailleurs asservis, de même que la stricte punition de ceux qui ont violé la loi, y compris, comme le prévoient l'article 14 de la loi et l'article 107 du Code pénal, la punition de tout fonctionnaire public et de toute autre personne qui, par action, omission illégale ou dissimulation délibérée d'un élément de preuve qu'ils ou elles étaient tenus de révéler, ont délibérément aidé ou favorisé la perpétration d'une infraction à la loi. La commission prie le gouvernement de fournir des informations complètes sur les mesures prises à cet effet, sur toute mesure prise en application des règles de 1995, pour inclure effectivement dans les instances aux niveaux local et de district des représentants des syndicats et des associations d'employeurs, de même que des représentants de la Commission nationale des droits de l'homme, du Front de libération de la main-d'oeuvre en servitude et de toutes autres organisations non gouvernementales engagées dans la tâche de porter secours aux travailleurs en servitude, ainsi que sur les résultats obtenus, notamment sur le nombre de travailleurs en servitude identifiés, libérés et réinsérés, et sur les poursuites exercées, les condamnations prononcées et les sanctions infligées, dans le cadre des affaires évoquées aux points 8 et 10 ci-avant et de toute autre affaire signalée.

II. Le travail des enfants au-delà du travail en servitude

17. Dans son rapport pour la période 1994-1996, le gouvernement a fourni des informations détaillées sur les mesures prises en réponse au problème du travail des enfants. Il mentionne notamment la création de divers organes administratifs et commissions spécialisées; la réalisation d'une enquête nationale sur le travail des enfants, l'attachement des pouvoirs publics à la scolarisation primaire de tous les enfants: constitution de 17 centres polyvalents s'adressant aux enfants qui travaillent, dont 14 auprès de briqueteries, pour offrir à un total de 500 enfants une éducation informelle, un enseignement religieux et une récréation; le lancement d'un projet national axé sur 35 centres de réinsertion des enfants qui travaillent; la planification d'une campagne de sensibilisation du public et, dernier élément mais non le moindre, la mise en oeuvre, en coopération avec l'OIT, de treize programmes d'action dans le cadre du Programme international pour l'abolition du travail des enfants (IPEC) au cours de la période 1994-95.

18. La commission a pris note de ces indications avec intérêt. Elle relève que certains programmes et projets mentionnés par le gouvernement concernent les enfants en servitude ou les industries à forte intensité de main-d'oeuvre en servitude. En ce qui concerne les formes de travail des enfants qui ne constituent pas un travail en servitude, dans sa précédente observation, la commission a soulevé la question, au regard de l'article 2, paragraphe 1, de la convention, de savoir si un mineur peut être considéré comme s'étant offert de plein gré pour un travail ou service et, dans l'affirmative, dans quelles conditions; si le consentement des parents est nécessaire ou même suffisant à cet égard et, dans l'affirmative, dans quelles conditions; et quelles sont les sanctions en cas de refus. Se référant également à son observation au titre de la convention (révisée) (no 59) sur l'âge minimum (industrie), 1937, la commission espère que le gouvernement sera bientôt en mesure de faire état de progrès et de résultats concrets pour les divers programmes et projets visant l'abolition du travail des enfants.

III. Restrictions à la liberté de quitter son emploi

19. La commission a formulé depuis un grand nombre d'années des commentaires sur les dispositions de la loi de 1952 sur le maintien des services essentiels du Pakistan en vertu desquelles toute personne au service du gouvernement fédéral, quel que soit l'emploi qu'elle exerce, est passible d'une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à un an si elle met fin à son emploi sans le consentement de l'employeur, nonobstant toute condition expresse ou tacite de son contrat prévoyant la démission avec un préavis. Ces dispositions peuvent être étendues à d'autres catégories d'emplois (art. 2, 3(1)(b) et explication no 2, art. 7(1); et art. 3). La loi de 1958 du Pakistan oriental sur les services essentiels, telle qu'en vigueur au Baloutchistan et dans la Province frontalière du Nord-Ouest (NWFP), et les lois correspondantes de 1958 du Pendjab et du Sindh comportent des dispositions similaires.

20. Le gouvernement a exprimé à plusieurs reprises son intention de modifier les dispositions de la loi du Pakistan sur les services essentiels de manière qu'un travailleur puisse mettre fin à son emploi conformément aux conditions expresses ou tacites de son contrat. Dans son rapport pour la période de 1993-94, reçu le 30 mai 1995, et dans son dernier rapport, le gouvernement a déclaré que cette loi est rendue applicable temporairement aux emplois essentiels dans le seul but de garantir la défense ou la sécurité du pays ainsi que le maintien des approvisionnements et des services essentiels à la vie de la collectivité. Il ajoute que la liste des emplois essentiels couverts par cette loi est minimale et qu'il a d'ailleurs pour politique de maintenir cette liste constamment à l'examen. Dans sa déclaration à la Commission de la Conférence en juin 1996, un représentant du gouvernement a indiqué que le champ d'application de la loi sur les services essentiels a encore été réduit. Alors que cet instrument couvrait encore neuf établissements ou catégories en 1995, il ne s'applique plus désormais qu'aux catégories suivantes, qui jouent un rôle déterminant pour la sécurité du pays et la vie de la collectivité: i) la production, transmission, distribution et fourniture de l'électricité; ii) certains organismes pétroliers et gaziers dont le nombre a été réduit de 17 à neuf; iii) la société imprimant les titres et autres documents officiels du Pakistan; iv) les laboratoires de recherche Kahuta; v) la Direction de l'aviation civile; vi) la Régie de l'électricité de Karachi; vii) le port de Karachi et la Direction de Port Qasim.

21. La commission prend bonne note de ces indications. En ce qui concerne la déclaration réitérée du gouvernement selon laquelle la loi de 1952 n'est rendue applicable que temporairement et à des catégories d'emplois limitées, la commission doit relever une fois de plus que les lois sur les services essentiels s'appliquent de manière permanente à tout emploi, quelle que soit sa nature, relevant du gouvernement fédéral, ainsi qu'à tout emploi relevant d'un gouvernement de province ou d'un organisme créé par lui ou par une autorité locale, et à tous services ayant trait aux transports ou à la défense civile. En outre, le champ d'application de ces lois peut être étendu, par notification des gouvernements des provinces, aux emplois de tout établissement scolaire indépendant et, par notification du gouvernement fédéral, pour des périodes spécifiques et renouvelables de six mois, à d'autres emplois ou catégories d'emplois que le gouvernement considère essentiels.

22. Dans son rapport reçu le 30 mai 1995, le gouvernement déclare, en ce qui concerne l'incidence sur l'emploi de la loi du Pakistan sur les services essentiels, que le droit d'association reste dans de tels cas inaltéré et que seuls les grèves et les lock-out sont interdits parce que le gouvernement considère que si les services essentiels sont perturbés, la vie de la collectivité dans son ensemble est en péril. Toutefois, en toutes circonstances, le droit des travailleurs de recourir à une instance appropriée (la Cour nationale des relations professionnelles, le NIRC) pour obtenir réparation de leurs griefs leur reste ouvert. Le gouvernement ajoute qu'il a également délibéré en vue de modifier les dispositions de cette loi de manière à permettre à un employé de mettre fin à son emploi conformément aux conditions expresses ou tacites de son contrat. Mais il réitère que l'application de cette législation à certains secteurs est inévitable en raison du caractère critique des fonctions assurées. Il en a en outre décidé ainsi parce que l'intérêt national exige des restrictions appropriées dans ces cas. Il a néanmoins décidé que cette loi ne devrait pas être étendue, à l'avenir, à quelque industrie que ce soit sans que cela ne soit pleinement justifié. La possibilité pour les employés couverts par la loi de 1952 sur les services essentiels de mettre fin unilatéralement à leur emploi et l'exclusion de certains établissements du champ d'application de la loi ont été examinées par un groupe de travail tripartite qui a soumis son rapport au Cabinet, en tenant compte des avis exprimés par les groupes travailleurs et employeurs. Le Cabinet a constitué une commission chargée d'examiner ce rapport de manière plus approfondie, et le BIT sera informé de tout développement dans le domaine. Dans son plus récent rapport, reçu dix-huit mois plus tard, le gouvernement répète les mêmes déclarations, en ajoutant que les recommandations des groupes de travail sont activement étudiées et que les informations concernant les derniers développements seront communiquées dès que la nouvelle politique du travail sera annoncée par le gouvernement.

23. La commission constate l'absence de progrès visible quant au rétablissement, pour les salariés couverts par la loi de 1952 sur les services essentiels, du droit de mettre fin unilatéralement à leur emploi. S'agissant de l'affirmation du gouvernement selon laquelle le droit d'association reste inaltéré et que seuls les grèves et les lock-out sont interdits, la commission, se référant également au point 3 de son observation concernant l'application au Pakistan de la convention (no 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957, doit souligner une fois de plus que, même dans les services véritablement essentiels, dont l'interruption peut mettre en péril la vie, la sécurité ou la santé de la personne, la liberté pour tout travailleur de mettre fin à son emploi moyennant un préavis raisonnable reste un droit inaliénable. C'est ce droit que les lois fédérales et provinciales sur les services essentiels dénient à un groupe beaucoup plus large de salariés. La commission rappelle que les lois sur les services essentiels font, depuis un grand nombre d'années, l'objet de commentaires au titre de la convention, ratifiée par le Pakistan en 1957, et que le gouvernement avait donné l'assurance, à la Commission de la Conférence en 1989, qu'il avait d'ores et déjà décidé de donner effet aux exigences de la convention en modifiant la loi de 1952 et que les projets d'amendement allaient être soumis à l'Assemblée nationale. Rappelant également que la Fédération des syndicats du Pakistan a fait observer, dans sa communication datée du 13 octobre 1994, que ces lois doivent être abolies compte tenu des conventions nos 105 et 29, ratifiées par le Pakistan, et notant qu'en 1996 la Commission de la Conférence a exprimé le ferme espoir que le gouvernement prendra dans un très proche avenir toutes les mesures nécessaires pour garantir qu'aussi bien la législation nationale que la législation des provinces sur les services essentiels soient modifiées afin de supprimer les restrictions à la liberté des travailleurs de quitter leur emploi, la commission espère que ceci sera finalement fait et que le gouvernement sera prochainement en mesure de communiquer copie de la législation adoptée à cette fin.

[Le gouvernement est prié de fournir des données complètes à la Conférence à sa 85e session et de communiquer un rapport détaillé en 1997.]

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