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Observation (CEACR) - adopted 2021, published 110th ILC session (2022)

Worst Forms of Child Labour Convention, 1999 (No. 182) - Senegal (Ratification: 2000)

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La commission prend note des observations de la Confédération syndicale internationale (CSI) du 1er septembre 2021.
Article 3, alinéa a), et article 7, paragraphe 1, de la convention. Pires formes de travail des enfants et sanctions. Vente et traite à des fins d’exploitation économique et travail forcé. Mendicité. Dans ses commentaires précédents, la commission a noté qu’en 2019, il était estimé qu’au Sénégal plus de 100 000 enfants talibés étaient obligés de mendier. La commission a noté que l’article 3 de la loi no 2005-06 du 29 avril 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes interdit d’organiser la mendicité d’autrui en vue d’en tirer profit ou d’embaucher, d’entraîner ou de détourner une personne en vue de la livrer à la mendicité ou d’exercer sur elle une pression pour qu’elle mendie; mais que l’article 245 du Code pénal dispose que «le fait de solliciter l’aumône aux jours, dans les lieux et dans les conditions consacrés par les traditions religieuses ne constitue pas un acte de mendicité». À cet égard, la commission a prié le gouvernement d’assurer que la mendicité par les enfants talibés soit interdite par le biais d’adoption de lois qui élimineraient cette ambiguïté législative. La commission a également pris note des informations relayées par la CSI, ainsi que dans les observations finales du Comité des droits de l’homme et du Comité contre la torture, qui faisaient toutes part du fait que les enquêtes et poursuites des personnes se livrant à la mendicité forcée d’enfants demeuraient rares et que, loin de décroître, l’exploitation des enfants par des maîtres coraniques à des fins de mendicité forcée était un phénomène qui augmentait.
La commission note que, dans ses informations écrites sur l’application de la convention no 182 fournies à la Commission de l’application des normes lors de la 109e session de la Conférence internationale du Travail en 2021, le gouvernement indique que lors de la revue de la loi no 2005-06, il a été finalement décidé de maintenir l’article 245 du Code Pénal, qui est complémentaire à la loi no 2005-06. Le gouvernement indique que l’article 245 du Code pénal n’autorise pas la mendicité, quelle que soit sa forme, et qu’il constate seulement une réalité qui relève d’une pratique religieuse, soit celle de demander ou recevoir l’aumône. Le gouvernement souligne que le Code pénal interdit formellement la mendicité des mineurs de moins de 18 ans et réprime toute personne qui laisserait mendier un enfant se trouvant sous sa garde. Par ailleurs, le gouvernement indique que le ministère de la Femme, de la Famille, du Genre et de la Protection des enfants (MFFGPE) a organisé un atelier de partage avec les agents de la Brigade Spéciale des Mineurs pour renforcer leur collaboration lors des opérations de retrait et favoriser les procédures de poursuite. À ce titre, 32 enquêtes judiciaires contre des maitres coraniques ont été ouvertes entre 2007 et 2019 entraînant 29 poursuites et 25 condamnations pour mendicité forcée, sévices ou mort d’enfants.
Cependant, la commission se doit de noter les observations de la CSI selon lesquelles, malgré la nature généralisée et visible des abus en question, les enquêtes et poursuites demeurent extrêmement rares et la police échoue encore souvent à enquêter les cas de mendicité forcée. Les inculpations contre les maîtres coraniques continuent d’être abandonnées ou d’être érigées en infractions moins graves que celle de forcer les talibés à mendier en vertu des dispositions de la loi no 2005 6 ou du Code pénal. La CSI indique que la mauvaise application de la loi et le manque de recours pour les enfants talibés maltraités ont continué. La CSI observe que les autorités n’ont pas ouvert des enquêtes contre les personnes soupçonnées d’avoir forcé des talibés à mendier qui ont été identifiées pendant le programme de «retrait des enfants dans la rue», mis en œuvre par le MFFGPE, et n’ont pas pris de mesures contre les fonctionnaires qui ont refusé d’enquêter sur de tels cas. En outre, pendant la période de référence, le gouvernement n’a pas poursuivi ni condamné de trafiquants présumés pour mendicité forcée d’enfants. Au lieu de procéder à des enquêtes pénales, des sanctions administratives sont souvent infligées aux auteurs présumés de mendicité forcée, notamment en raison de la pression publique et de l’influence sociale des maîtres coraniques. Malgré les allégations de complicité de représentants gouvernementaux ayant refusé d’enquêter sur des cas de traite ou mis de la pression sur la magistrature afin que des affaires soient abandonnées, le gouvernement n’a signalé aucune enquête, poursuite ou condamnation de complices.
Tout en notant l’information du gouvernement qu’un certain nombre d’enquêtes judiciaires ont été ouvertes entrainant un certain nombre de poursuites et de condamnations entre 2007 et 2019, la commission constate avec regret que le gouvernement ne fournit pas de nouvelles informations concernant l’application de sanctions contre les personnes se livrant à l’utilisation de la mendicité des enfants talibés de moins de 18 ans. Faisant référence à l’étude d’ensemble de 2012 sur les conventions fondamentales, la commission rappelle que bien que la question de la quête de l’aumône utilisée comme un outil pédagogique ne relève pas de son mandat, il est clair que l’utilisation d’enfants pour la mendicité à des fins purement économiques ne peut être acceptée en vertu de la convention no 182 (paragr. 483-484). La commission exprime donc sa profonde préoccupation devant la persistance du phénomène de l’exploitation économique des enfants talibés et déplore vivement le faible nombre de poursuites engagées en application de l’article 3 de la loi no 2005-06. Rappelant que les sanctions prévues ne sont efficaces que si elles sont effectivement appliquées, la commission prie à nouveau instamment le gouvernement de prendre sans délai les mesures nécessaires afin de garantir que l’article 3 de la loi no 2005-06 soit effectivement appliqué dans la pratique et de punir les personnes se livrant à l’utilisation de la mendicité des enfants talibés de moins de 18 ans aux fins d’exploitation économique. La commission prie à nouveau instamment le gouvernement de redoubler d’efforts pour renforcer de manière effective les capacités des agents chargés de l’application des lois et veiller à ce que les auteurs de tels actes ainsi que les agents de l’État qui n’enquêtent pas sur ces allégations soient poursuivis et que des sanctions suffisamment dissuasives soient imposées dans la pratique aux coupables. Notant à nouveau avec un profond regret l’absence de données fournies en ce sens, la commission prie une fois de plus le gouvernement de fournir des statistiques sur le nombre de poursuites engagées, de condamnations prononcées et de sanctions imposées en application de la loi no 2005-06.
Article 7, paragraphe 2. Mesures efficaces prises dans un délai déterminé. Alinéas a) et b). Empêcher que les enfants ne soient engagés dans les pires formes de travail des enfants et prévoir l’aide pour les soustraire à ces formes de travail. Enfants talibés. 1. Projets et programmes de retrait des enfants de la rue. La commission a précédemment prié instamment le gouvernement de redoubler d’efforts et de prendre sans délai les mesures nécessaires pour protéger les enfants talibés contre la vente et la traite et le travail forcé ou obligatoire et assurer leur réadaptation et intégration sociale.
Dans ses informations écrites sur l’application de la convention no 182 fournies à la Commission de l’application des normes lors de la 109e session de la Conférence internationale du Travail en 2021, le gouvernement indique qu’en plus des mesures communiquées en 2019 concernant la lutte contre la traite, la mendicité et le travail forcé ou obligatoire des enfants, d’autres mesures salutaires ont été prises en 2020 pour renforcer cette lutte dans le contexte de la COVID-19, où la protection a été fortement accrue. Le gouvernement fait part notamment des nouvelles mesures suivantes:
– Le projet d’appui à la protection des enfants victimes de violations de leurs droits (PAPEV): Ce projet initié par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme en collaboration avec le ministère de la Justice, contribue largement au renforcement du système de protection de l’enfance au Sénégal. Le Comité national de pilotage du projet a été mis en place suivant l’arrêté no 005016 du 3 février 2020 du ministre de la Justice. En 2020, le PAPEV a appuyé l’État du Sénégal à la réintégration familiale des enfants retirés des rues à travers la mise en œuvre d’un programme de protection d’urgence des enfants en situation de rue. Ce programme a permis de retirer et placer dans les centres d’accueil 5 067 enfants, dont 175 enfants venus de la Gambie, la Guinée-Bissau et la République de Guinée, et d’intégrer 52 enfants en famille, dont 34 Gambiens et 18 Bissau-guinéens. Le PAPEV a assuré également le renforcement des prestations offertes dans les centres d’accueil avec l’accompagnement éducatif et sanitaire des enfants.
– Le projet «zéro enfant dans la rue», qui fait partie du programme de «retrait des enfants dans la rue», dont la troisième phase a été lancée en avril 2020: Partant du plan de contingence nationale pour répondre aux besoins spécifiques de protection des enfants dans le contexte de la COVID-19, le projet «zéro enfant dans la rue » a permis de retirer 5 333 enfants en situation de rue âgés de 4 à 17 ans et de les mettre à l’abri dans des structures d’accueil qui ont été appuyés en denrées alimentaires, produits d’hygiène et sanitaires et équipements divers pour contribuer à leur prise en charge adéquate. La Cellule de coordination, de veille et de suivi du projet «zéro enfant dans la rue» constitue l’instance nationale de suivi de la situation des enfants talibés. Elle regroupe les structures étatiques, organisations de la société civile, organisations non gouvernementales et partenaires techniques et financiers impliqués dans la lutte contre le phénomène des enfants en situation de rue, y compris des représentants de chefs religieux. Le bilan de la mise en œuvre projet, partagé le 20 novembre 2020, fait état de 6 187 enfants âgés de 4 à 17 ans retirés de la rue. Par ailleurs, la proportion d’enfants retournés en famille a enregistré une hausse de 37,3 pour cent, passant de 22,7 pour cent en 2019 à 60 pour cent en 2020.
– Le Programme Enfance Déshéritée (PED): Entre 2016 et 2020, le Ministère de la Santé et de l’Action Sociale (MSAS) a bénéficié d’un budget pour les enfants vulnérables (orphelins, handicapés, talibés, enfants de familles affectés par la lèpre). Ce programme a permis notamment d’obtenir comme résultats: le placement de 700 talibés en apprentissage dans les ateliers ou centres de formation; l’enrôlement de 5 950 talibés dans les mutuelles de santé via la couverture maladie universelle; l’appui de 70 daaras pilotes en denrées alimentaires ou matériel; et la subvention de 140 daaras classiques.
Par ailleurs, la commission note les informations communiquées par la CSI selon lesquelles le gouvernement a effectivement pris des mesures positives vis-à-vis les enfants talibés en réponse à la pandémie de la COVID-19. Selon la CSI, le gouvernement a travaillé avec les organisations internationales, la société civile et les populations locales pour inclure les besoins des talibés dans les programmes et projets répondant à la COVID-19, incluant le projet «zéro enfant dans la rue». La CSI indique que le nombre d’enfants retirés de la rue pendant cette troisième phase du programme de «retrait» a clairement dépassé celui des première et deuxième phases et que les Comités départementaux de Protection de l’Enfant (CDPE), qui comprennent des représentants de la société civile, ont supervisé le programme au niveau régional.
Cependant, la CSI fait part de plusieurs défis qui ont été rencontrés dans la mise en œuvre de ces divers projets et programmes. La CSI indique que les autorités ont observé que des enfants qui avaient été retirés de la rue y sont retournés. Les organisations de la société civile ont signalé que les processus de suivi du programme de retrait étaient encore une fois insuffisants, en particulier en ce qui concerne le manque de suivi des enfants talibés qui avaient été rendus à leurs familles. En conséquence, dans la majorité des cas, les enfants talibés qui étaient retournés chez leurs familles ont été renvoyés aux écoles coraniques où ils avaient été forcés de mendier. En outre, la CSI rapporte que des disparités sont apparues au niveau de la mise en œuvre du programme de retrait à travers le Sénégal. Par exemple, le préfet de Kédougou a refusé d’accéder à la demande des autorités de retourner les enfants talibés d’une daara en particulier à leurs familles; à Matam, les autorités religieuses locales se sont vigoureusement opposées au programme et aucun retrait n’a pu être réalisé; à Sédhiou, aucun enfant n’a été retiré de la rue; à Ziguinchor et Thiès, les enfants talibés ont été confinés dans les daaras au lieu d’être retournés dans leurs familles. La CSI indique également que les ressources allouées aux CDPE étaient insuffisantes et qu’il y avait un manque de communication entre le MFFGPE et les acteurs locaux chargés des opérations de retrait, ce qui nuisait à la mise en œuvre de ces opérations et au suivi adéquat des enfants talibés retirés. En outre, le programme de «retrait» a été vivement opposé par certains maîtres coraniques et seule une minorité de daaras ont accepté de faciliter le retour des enfants talibés vers leurs familles. À titre d’illustration, seules six parmi 247 daaras à Louga ont permis le retour volontaire des talibés vers leurs familles. Finalement, le MFFGPE devait exécuter une évaluation de la mise en œuvre de cette troisième phase du programme de retrait avant de procéder à une quatrième phase, mais cela n’a pas été fait et on ne sait pas si cette phase supplémentaire est actuellement considérée. Tout en notant les mesures prises par le gouvernement, la commission prie instamment le gouvernement de renforcer les programmes pertinents afin de continuer à pouvoir soustraire les enfants victimes de mendicité à des fins exclusivement économiques et les réadapter et intégrer socialement de manière durable, notamment en assurant un suivi effectif du retrait de la rue de ces enfants et en dotant les CDPE des ressources nécessaires afin qu’ils puissent exécuter leur mission de manière effective. La commission prie le gouvernement de continuer à communiquer des informations sur les mesures prises en ce sens et de fournir des statistiques sur le nombre d’enfants talibés retirés des pires formes de travail des enfants et ayant bénéficié de mesures de réinsertion et d’intégration sociale.
2. Projet de modernisation des daaras. La commission a précédemment pris note des différents programmes de modernisation des daaras et de formation des maîtres enseignants ainsi que divers plans-cadres pour éliminer les pires formes de travail des enfants, dont le Projet d’appui à la modernisation des daaras (PAMOD). Elle a cependant noté que le programme de modernisation des daaras semblait se concentrer davantage sur la construction de nouveaux «daaras modernes» que sur l’amélioration des infrastructures et pratiques des daaras existants.
La commission prend note des observations de la CSI selon lesquelles le programme de modernisation des daaras comprend deux volets: le PAMOD, qui a été lancé en novembre 2013, et le projet d’amélioration de la qualité et de l’équité de l’éducation de base (programme PAQUEEB) financé par la Banque mondiale. La première phase du programme PAQUEEB a vu la rénovation et la modernisation de 100 daaras à travers le pays. En mars 2020, le ministère de l’Éducation a organisé un atelier pour sélectionner les daaras qui bénéficieraient de la deuxième phase du programme PAQUEEB. Par la suite, 417 daaras supplémentaires ont été sélectionnés, amenant le total des daaras bénéficiaires à 517. La CSI rapporte aussi que le ministère de l’Éducation envisage de tenir une réunion avec les inspecteurs de daaras pour discuter de la meilleure façon d’intégrer la protection de l’enfance dans leurs inspections, avec l’aide d’organisations de la société civile. En outre, la CSI observe qu’il existe des manquements dans la performance de l’inspectorat des daaras. Dans l’ensemble, les inspecteurs semblent manquer de directives et d’instructions centrales claires et ne semblent pas développer des plans visant à lutter contre la mendicité et la maltraitance des enfants dans les daaras. Il n’est pas clair non plus si l’inspectorat a l’intention d’inspecter tous les daaras, ou seulement ceux enregistrés comme «daaras modernes», ce qui crée le risque que les daaras non enregistrés, où persistent les pires abus, continuent à fonctionner sans supervision. De plus, la CSI indique que le ministère de la Justice n’a pas été suffisamment impliqué dans le programme de modernisation des daaras, ce qui limite la possibilité de fermer les daaras exploiteurs et de poursuivre les enseignants abusifs.
La commission prend note des informations du gouvernement selon lesquelles la politique de modernisations des daaras est entreprise au Sénégal à travers plusieurs réformes, dont l’élaboration d’un projet de loi portant statut des daaras, l’élaboration du curriculum des daaras intégrant le Coran, le français et les matières scientifiques et l’introduction des disciplines comme la lecture et les mathématiques dans les curricula. Elle note cependant l’indication de la CSI selon laquelle le projet de loi portant statut des daaras, introduit pour la première fois en 2010 puis réintroduit en 2013, n’a pas encore été adopté. Ce projet de loi a été approuvé par le Conseil des ministres en 2018 mais est resté devant l’Assemblée nationale en attente d’approbation pour une troisième année. La commission prie donc instamment le gouvernement de redoubler d’efforts afin d’assurer que le programme de modernisation des daaras, à travers les programmes PAMOD et PAQUEEB, soit mis en œuvre de manière à ce qu’il contribue à la protection des enfants talibés contre les pires formes de travail des enfants et assure la réadaptation et l’intégration sociale de ces enfants, et le prie de fournir des informations sur les résultats obtenus. La commission prie aussi le gouvernement de prendre des mesures afin de renforcer l’inspectorat des daaras et assurer que toutes la daaras, et non seulement les «daaras modernes» soient inspectées, de manière à ce que les enfants talibés victimes de mendicité forcée soient effectivement identifiés puis retirés et intégrés socialement. Finalement, la commission prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin d’assurer que le projet de loi portant statut des daaras soit adopté dans un avenir proche et prie le gouvernement de fournir des informations sur la manière dont cette loi, une fois adoptée, contribuera à la modernisation des daaras et protégera les enfants talibés de la mendicité forcée.
La commission soulève d’autres questions dans une demande qu’elle adresse directement au gouvernement.
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