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Tout en prenant note de la situation difficile qui prévaut dans le pays, la commission note avec une profonde préoccupation que les rapports du Gouvernement, dus depuis 2013, n’ont pas été reçus. Compte tenu de l’appel urgent qu’elle a lancé au gouvernement en 2019, la commission procède à l’examen de l’application des conventions sur la base des informations à sa disposition.
Afin de fournir une vue d’ensemble des questions concernant l’application des conventions ratifiées relatives à la sécurité sociale, la commission estime qu’il convient d’examiner les conventions nos 12 (réparation des accidents du travail, agriculture), 17 (réparation des accidents du travail), 24 (assurance-maladie, industrie), 25 (assurance-maladie, agriculture), et 42 (révisée, des maladies professionnelles) dans un même commentaire.
Article 1 des conventions nos 12, 17 et 42 dans la pratique. Garantir la couverture effective et le droit des travailleurs et de leurs ayants-droit à une réparation en cas d’accidents du travail et de maladies professionnelles. Dans ses précédents commentaires, la commission avait noté que la plupart des travailleurs agricoles étaient exclus du champ d’application de la législation en matière de sécurité sociale, et notamment de la loi du 28 août 1967 portant création de l’OFATMA, du fait de l’inexistence d’entreprises agricoles formelles. De surcroit, la commission avait noté que l’application de la législation posait des difficultés, même en ce qui concernait les travailleurs de l’économie formelle. Par ailleurs, la Confédération des Travailleurs-euses des Secteurs Public et Privé (CTSP), dans ses observations de 2019, allègue que les lois en vigueur ne couvriraient pas les apprentis et, que dans la pratique, les travailleurs et travailleuses des municipalités, de l’État et les domestiques ne bénéficieraient pas de la couverture d’assurance d’accident du travail.
À cet égard, la commission observe, selon les informations contenues dans la Politique nationale de protection et de promotion sociales (PNPPS) adoptée par le gouvernement en avril 2020, que l’assurance en matière d’accidents du travail et maladies professionnelles ne concerne que l’économie formelle, et principalement les travailleurs et travailleuses des industries du textile et de l’habillement. La commission note également, toujours selon la PNPPS, que ces industries présentent encore un taux élevé de non-conformité avec les normes de santé et sécurité au travail (76,5 pour cent en moyenne), alors que le risque d’accident y est élevé. En effet, le dernier rapport annuel de l’OFATMA publié en 2014-2015, cité dans la PNPPS, indique que 2 522 cas d’accidents du travail ont été traités (2 030 hommes) dont 42 pour cent dans les industries du textile et de l’habillement et de la construction. Selon ce même rapport, les indemnités pour accident du travail, versées à 1 365 personnes, s’élevaient à 17,6 millions de gourdes. En ce qui concerne le secteur agricole, la PNPSS rapporte que 94,7 pour cent des travailleurs y œuvrant perçoivent une rémunération inférieure au salaire minimum et que l’activité y est toujours principalement informelle.
Enfin, la commission observe avec préoccupation les indications contenues dans la PNPPS à l’effet desquelles l’Office d’assurances accidents du travail, maladie maternité (OFATMA), ne couvre pas les maladies professionnelles, comme prévu par la loi.
Sur la base des informations dont elle dispose, la commission ne peut que conclure que les importantes lacunes de couverture rapportées précédemment par le gouvernement persistent et que la grande majorité des travailleurs en Haïti, ainsi que leurs ayants-droits, ne bénéficient pas de réparation en cas d’accidents du travail et de maladies professionnelles, résultant en la non-application de l’article 1 des conventions nos 12, 17 et 42. La commission note toutefois que, afin de remédier aux lacunes de protection observées, la PNPPS énonce comme objectif spécifique la protection de tous les travailleurs et travailleuses contre les risques d’accidents du travail et de dépendance économique liée à l’invalidité dérivant d’un accident du travail, ainsi qu’en cas de maladies professionnelles, en étendant l’assurance dans le cadre de la réforme des organes de sécurité sociale. En ce qui concerne la couverture des travailleurs agricoles, la PNPPS prévoit la subvention d’assurances portant sur les moyens d’existence comme mécanisme d’appui financier à la résilience des travailleurs indépendants et des petites entreprises et exploitations dans les secteurs de l’agriculture et de la pêche.
Observant que les objectifs de la PNPPS sont en phase avec les objectifs des conventions nos 12, 17 et 42, et que les mesures qui y sont prévues vont dans le sens d’une application renforcée de l’article 1 de ces conventions, la commission prie le gouvernement de l’informer des progrès accomplis dans sa mise en œuvre, notamment en ce qui a trait à l’extension de la couverture en matière de réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles aux travailleurs et travailleuses couverts par les conventions susmentionnées. La commission prie également le gouvernement de l’informer de toute autre mesure prise ou envisagée afin de garantir le droit effectif de ces travailleurs et travailleuses à une réparation en cas d’accidents du travail ou de maladies professionnelles.
Articles 1, 2 et 6 des conventions no 24 et 25. Établissement de l’assurance-maladie obligatoire en vue de garantir la protection effective des travailleurs et de leur famille en cas de maladie. Dans ses précédents commentaires, la commission avait noté l’intention du gouvernement de poursuivre ses efforts pour établir progressivement une branche assurance-maladie couvrant l’ensemble de la population. À cet égard, la commission avait souligné la nécessité pour le gouvernement d’envisager de manière prioritaire la création de mécanismes permettant de fournir à l’ensemble de la population, y compris aux travailleurs de l’économie informelle et à leur famille, un accès à des soins de santé de base et à un revenu minimum lorsque leur capacité de gain est affectée à la suite de la maladie ou d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, et avait souligné la pertinence des orientations fournies par la recommandation (no 202) sur les socles de protection sociale, 2012, en la matière.
La commission note l’information contenue dans la PNPPS qui fait état d’une couverture limitée de la protection sociale, exception étant faite des assurances maladie, qui comptent 500 000 assurés directs et à charge de l’OFATMA. La commission note que, malgré l’existence de l’assurance-maladie, il est indiqué dans la PNPPS que les malades, et surtout les plus pauvres, utilisent très peu les services de santé, en raison du coût élevé que représentent les paiements directs des soins de santé, à la charge des usagers, et de la prévalence d’institutions privées, à but lucratif, dans la fourniture de soins et de services de santé. La commission rappelle à cet égard que les conventions nos 24 et 25 requièrent la mise en place d’une assurance-maladie obligatoire (article 1) pour la fourniture de soins médicaux et d’indemnités de maladie à tous les ouvriers, employés et apprentis des entreprises industrielles, commerciales, et agricoles, ainsi qu’aux travailleurs à domicile et aux gens de maison (article 2) et de l’assistance médicale aux membres de leur famille, selon qu’il convient (article 5). L’article 6 de ces conventions stipule en outre que l’assurance-maladie doit être gérée par des institutions autonomes placées sous le contrôle administratif et financier des pouvoirs publics et ne poursuivant aucun but lucratif, toute institution privée devant faire l’objet d’une reconnaissance spéciale des pouvoirs publics.
Tel qu’elle l’a souligné dans ses précédents commentaires, et compte tenu de la situation qui prévaut en Haïti, la commission considère qu’il est toujours aussi nécessaire pour le gouvernement d’envisager de manière prioritaire la création de mécanismes permettant de fournir à l’ensemble de la population, y compris aux travailleurs de l’économie informelle et à leur famille, un accès à des soins de santé de base et à un revenu minimum lorsque leur capacité de gain est affectée à la suite de la maladie, d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, en phase avec les orientations contenues dans la recommandation no 202 sur les socles de protection sociale, 2012. À cet égard, tout en réitérant ses préoccupations quant à l’absence d’un rapport du gouvernement, la commission prend dûment note de ce que, selon les informations contenues dans la PNPPS, l’assurance maladie est en train d’être mise en œuvre progressivement, en vue d’une extension de la couverture aux travailleurs indépendants de l’économie informelle sur la base d’une subvention qui permettrait de collecter les cotisations des travailleurs, au regard de leur capacité contributive.
Au vu de ce qui précède, la commission prie le gouvernement de lui faire part des progrès réalisés dans l’extension de la couverture légale et effective de l’assurance-maladie obligatoire et du régime d’indemnités-maladies aux travailleurs et travailleuses en Haïti ainsi qu’aux membres de leur famille, le cas échéant, et de toute mesure concrète prise à ces fins.
Article 8, en relation avec les articles 6, 7, 10 et 11, de la convention 17, et article 6 des conventions 24 et 25. Responsabilité de l’État pour la mise en œuvre, le contrôle et l’administration du régime de réparation des accidents du travail et d’assurance-maladie. La commission note les allégations formulées par la CTSP, dans ses observations de 2019, selon lesquelles il y aurait des manquements dans l’application de plusieurs articles de la convention no 17, dus à une gestion et à une organisation problématiques de l’OFATMA. La CTSP indique, plus particulièrement, que i) l’article 6 de la convention no 17 n’est pas appliqué dans la pratique, vu le retard dans le paiement des indemnités par l’OFATMA allant au-delà du cinquième jour; ii) le supplément d’indemnisation requis par l’article 7 de la convention n’est pas payé; iii) la fourniture et le renouvellement des prothèses, prévus par l’article 10 de la convention, ne sont pas assurés; et iv) le paiement des indemnités aux victimes d’accidents et à leurs ayants droit n’est pas garanti en cas d’insolvabilité de l’employeur ou de l’assureur, tel que le requiert l’article 11 de la convention, à cause d’un très faible système de mise en œuvre de la législation. La CTSP allègue de surcroit qu’il existe un manque de transparence dans la gestion de l’OFATMA. En dernier lieu, la CTPS allègue que le Conseil d’Administration des Organes de Sécurité Sociale (CAOSS), Conseil d’Administration tripartite des organes étatiques en matière de protection et sécurité sociale, connait des dysfonctionnements qui ont une incidence sur les méthodes de contrôle en cas d’accident du travail. Sur cette base, la CTSP souligne l’urgence de traiter au plus haut niveau et dans le cadre du dialogue social, avec l’appui du BIT, le cas des organes tripartites concernant la protection et la sécurité sociale, tout en effectuant des études actuarielles et des audits sur l’OFATMA et en reprenant les discussions sur une réforme profonde du Ministère des Affaires Sociales et du Travail (MAST). La commission prend également note des informations communiquées par la Confédération des travailleurs haïtiens (CTH) et par la CTSP à la Confédération syndicale internationale (CSI) et reçues en 2020, indiquant que, dans la pratique, les cotisations au système de sécurité sociale ne sont pas reversées par les employeurs et les autorités et que les travailleurs qui osent réclamer sont licenciés.
La commission note que le programme pays pour la promotion du travail décent (PPTD) 2015-2020, approuvé par les mandants tripartites de l’OIT, devait aboutir à la réforme de la législation en matière de sécurité sociale, ainsi qu’à l’amélioration de l’efficacité du système de cotisation et au bon fonctionnement de l’administration tripartite des organismes de protection sociale. Le gouvernement s’était aussi engagé dans ce cadre, à renforcer le rôle et les capacités techniques du CAOSS, de l’Office National d’Assurance-Vieillesse (ONA), de l’OFATMA et d’autres institutions clés, en vue d’étendre progressivement la couverture de la protection sociale. La commission note que ces objectifs sont repris, du moins en partie, dans la PNPPS de 2020, qui annonce qu’en matière de sécurité sociale, le dispositif légal et réglementaire sera étendu, en vue de rationaliser la gestion des régimes, actuellement faite par plusieurs institutions, et de faciliter le transfert des droits pour les cotisants et cotisantes. Il y est également prévu un renforcement du CAOSS, pour accompagner les réformes de l’ONA et de l’OFATMA prévues par la PNPPS en matière de protection sociale. La commission observe que ces objectifs vont dans le sens d’une meilleure application de l’article 6 des conventions nos 24 et 25 et de l’article 8 de la convention no 17 qui établissent, respectivement, la responsabilité de l’État dans la gestion des régimes d’assurance-maladie et dans la prise de mesures de contrôle nécessaires à la mise en œuvre effective des régimes de réparation des accidents du travail.
Au vu de ce qui précède, la commission exprime le ferme espoir que les objectifs énoncés dans le PPTD et la PNPPS en ce qui a trait au renforcement des institutions de sécurité et de protection sociale et à leur bonne gouvernance se réaliseront et souligne l’importance du dialogue social à cet égard. Elle prie également le gouvernement de lui communiquer des informations sur tout progrès accompli en ce sens. De façon particulière, la commission prie le gouvernement de lui faire part de toute mesure prise ou envisagée en vue d’améliorer la gestion des organismes et des institutions de sécurité sociale, de permettre le recouvrement des cotisations et, de façon générale, d’assurer la mise en place, dans la pratique, des assurances sociales, notamment en matière d’accidents du travail et d’assurance-maladie, en conformité avec l’article 8 de la convention no. 17, et l’article 6 des conventions nos 24 et 25.
La commission a été avisée que, sur la base des recommandations du Groupe de travail tripartite sur le Mécanisme d’examen des normes (MEN) le Conseil d’administration a décidé que les États Membres à l’égard desquels les conventions nos 17 et 42 sont en vigueur devraient être encouragés à ratifier la convention (no 121) sur les prestations en cas d’accidents du travail et de maladies professionnelles, 1964 [tableau I modifié en 1980] ou la convention (no 102) concernant la sécurité sociale (norme minimum), 1952, en acceptant la partie VI de cet instrument (voir GB.328/LILS/2/1). Les États Membres à l’égard desquels les conventions nos 24 et 25 sont en vigueur devraient être encouragés à ratifier la convention (no 130) concernant les soins médicaux et les indemnités de maladie, 1969, ou la convention no 102, en acceptant les parties II et III. Les conventions nos 102, 121 et 130 reflètent une approche plus moderne des prestations en cas d’accidents du travail et de maladies professionnelles, et concernant les soins médicaux et les indemnités de maladie. La commission encourage par conséquent le gouvernement à suivre la décision prise par le Conseil d’administration à sa 328e session (novembre 2016) approuvant les recommandations du groupe de travail du MEN, et à envisager la ratification de la convention no 121 ou de la convention no 102 (en acceptant la partie VI), et de la convention no 130 ou de la convention no 102 (en acceptant les parties II et III) qui sont les instruments les plus à jour dans ces domaines.
La commission rappelle au gouvernement qu’il peut recourir à l’assistance technique du Bureau en ce qui concerne les questions soulevées ci-dessus.
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