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Definitive Report - Report No 6, 1953

Case No 12 (Argentina) - Complaint date: 01-JAN-52 - Closed

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A. Analyse des plaintes

A. Analyse des plaintes
  1. 132. Les plaintes, qui s'échelonnent de 1950 à 1952, peuvent être groupées sous les trois titres suivants : a) plainte concernant l'industrie maritime, présentée par la Fédération internationale des ouvriers du transport ; b) plaintes concernant l'industrie des chemins de fer, présentées par l'Union internationale des syndicats des travailleurs des transports terrestres et aériens et par d'autres organisations ; c) plaintes concernant l'ensemble de la situation syndicale, présentées par la Confédération internationale des syndicats libres.
  2. 133. Etant donné que ces plaintes portent sur des questions différentes, il importe de les analyser séparément.
    • Plainte concernant l'industrie maritime
  3. 134. Les principales allégations contenues dans la plainte sont les suivantes.
  4. 135. Le gouvernement aurait pris des mesures de répression contre la Confédération générale des syndicats maritimes et autres syndicats connexes (C.G.G.M.A) dont les dirigeants seraient exposés à des arrestations sous prétexte qu'ils agissent sur instruction de l'I.T.F, que le gouvernement qualifierait d'organisation communiste. La C.G.G.M.A serait la victime de l'hostilité systématique de la Confédération générale du travail (C.G.T.), organisation qui jouirait d'une situation privilégiée et serait officiellement soutenue par le gouvernement. Contrairement à l'esprit du syndicalisme libre et à une déclaration faite le 19 avril 1950 par le Président Perón, aux termes de laquelle «aucun dirigeant syndical argentin n'a été et ne sera jamais sujet à aucune pression de quelque sorte qu'elle soit en vue de lui faire changer sa manière de voir quant aux nécessités de son organisation pour la poursuite de ses buts syndicaux... », le ministre du Travail aurait déclaré dix jours plus tard que la C.G.G.M.A n'avait pas de statut légal et ne s'identifiait pas avec la politique sociale poursuivie par le gouvernement national, que ses activités avaient un caractère perturbateur et étaient contraires à l'intérêt national et que son programme était inspiré de l'étranger du fait de son affiliation à la Fédération internationale des ouvriers du transport.
  5. 136. Par suite de l'hostilité de la C.G.T, le fonctionnement des organismes de négociation successivement institués de 1947 à 1950 pour résoudre les conflits du travail dans l'industrie maritime - organismes au sein desquels la C.G.G.M.A était représentée - aurait été paralysé. En 1950, une nouvelle commission paritaire aurait même été instituée à cet effet, sans représentation de la C.G.G.M.A et en violation formelle d'un accord signé avec le ministre des transports en 1949.
  6. 137. Etant donné l'absence d'un mécanisme de négociation, la C.G.G.M.A se serait vue forcée de recourir à la grève pour soutenir ses revendications. Lors d'une grève, les membres de l'équipage qui s'étaient mis en grève ayant été renvoyés par la compagnie, un fonctionnaire du ministère des transports aurait convoqué des représentants des syndicats affiliés à la C.G.G.M.A. et leur aurait déclaré que les marins licenciés seraient réintégrés dans leur emploi si les syndicats rompaient avec la C.G.G.M.A. Une telle injonction serait, de l'avis des plaignants, contraire, non seulement au principe de la liberté syndicale, mais également à la Constitution argentine.
  7. 138. Des mesures de répression de caractère personnel auraient été exercées contre les grévistes et les objets personnels de ceux qui quittaient le navire auraient été retenus.
  8. 139. La C.G.G.M.A aurait fait l'objet d'une campagne des plus viles de la part des journaux contrôlés par le gouvernement.
  9. 140. En conclusion, le plaignant demande que l'O.I.T enquête sur le respect des droits syndicaux dans la République argentine.
    • Plaintes concernant l'industrie des chemins de fer
  10. 141. Les différentes plaintes présentées à cet égard ayant un contenu similaire, elles peuvent être analysées ensemble.
  11. 142. La majorité d'entre elles se bornent à formuler des allégations d'ordre général selon lesquelles, à la suite des grèves des cheminots qui eurent lieu de novembre 1950 à janvier 1951 et en août 1951, le gouvernement aurait pris diverses mesures de répression mobilisation militaire des cheminots, licenciements massifs et arrestation d'un grand nombre de cheminots.
  12. 143. Dans le mémoire joint à sa plainte, l'un des plaignants précise que plus de cinq cents cheminots auraient été arrêtés, qu'ils seraient soumis à un régime de détention inhumain et que la majorité d'entre eux devraient être prochainement traduits devant les tribunaux militaires. Il proteste contre l'affirmation du gouvernement selon laquelle les cheminots auraient, en se mettant en grève sans l'autorisation de la Confédération générale du travail et de l'Union des cheminots, contrevenu aux dispositions de la loi sur les associations professionnelles et participé à une grève déclarée illégale par le ministre du Travail puisque, aux termes de l'exposé des motifs du décret du 25 janvier 1951 instituant la mobilisation, elle aurait été « déclenchée et dirigée par des personnes ne représentant pas les cheminots». Faisant état d'une déclaration du général Perón, il affirme que la grève aurait au contraire été voulue par la presque totalité des cheminots qui, devant le refus de leurs dirigeants officiels de soutenir leurs revendications, avaient d'eux-mêmes constitué un « Comité consultatif d'urgence » ; ce comité aurait en fait été le seul organisme représentatif des cheminots puisque la direction officielle des syndicats des cheminots avait perdu la confiance de ses membres. Il prétend que la grève aurait été motivée par la situation matérielle des cheminots qui était devenue intenable et par diverses mesures antiouvrières prises par le gouvernement (installation aux postes de direction de protégés politiques, la plupart du temps incompétents, licenciements abusifs en violation du statut des cheminots). La grève n'aurait été déclarée qu'après une période d'attente de deux ans pendant lesquels les cheminots ont en vain espéré voir leurs revendications satisfaites et elle aurait joui du plus large soutien de la part de la population argentine. Par deux fois, elle aurait été interrompue par le gouvernement qui déclarait s'engager à donner satisfaction aux revendications, reconnaissant implicitement par là, non seulement la justesse de ces revendications, mais encore le fait que la grève avait réellement un caractère économique.
  13. 144. Le décret du 25 janvier 1951 instituant la mobilisation des cheminots, véritable loi du temps de guerre qui n'aurait pas dû être appliquée en temps de paix, constituerait une annulation du droit de grève et une violation de la Constitution de l'Argentine.
  14. 145. En annexe à ce mémoire figurait une liste - déclarée incomplète - de 166 noms de travailleurs devant être jugés en relation avec la grève des cheminots de novembre 1950 - janvier 1951.
  15. 146. En conclusion, les plaignants demandent une intervention auprès du gouvernement pour que cessent les mesures de répression, que soient réintégrés les cheminots licenciés, que soient libérés les détenus et que soit annulé le décret instituant la mobilisation des cheminots.
    • Plaintes concernant l'ensemble de la situation syndicale
  16. 147. Une plainte de la Confédération internationale des syndicats libres en date du 25 avril 1952, qui reprend et résume une série d'autres plaintes adressées par le même auteur à des dates antérieures au Conseil économique et social, groupe sous les quatre titres suivants les atteintes qui auraient été portées par le gouvernement de la République argentine aux droits syndicaux:
    • a) atteintes aux droits syndicaux par voie législative ;
    • b) violation du droit syndical par voie administrative;
    • c) atteintes à la liberté individuelle des syndiqués ;
    • d) violences exercées par les autorités à l'égard des travailleurs en leur qualité de syndiqués.
      • Atteintes aux droits syndicaux par voie législative
    • 148. Le plaignant allègue que les droits syndicaux auraient été violés par des mesures législatives portant, d'une part, sur le droit d'association et, d'autre part, sur le droit de grève.
      • Atteintes au droit d'association
    • 149. En ce qui concerne les atteintes qui auraient été portées au droit d'association, le plaignant, se basant notamment sur les articles 4 et 42 d'un décret du 2 octobre 1945, soutient que ces dispositions «ouvriraient la voie à l'arbitraire, puisqu'elles permettraient au ministre du Travail de retirer à tout moment à un syndicat ouvrier le droit de fonctionner comme tel».
      • Atteintes au droit de grève
    • 150. En ce qui concerne les atteintes qui auraient été portées au droit de grève, le plaignant allègue, d'une part, qu'en vertu des articles 33, 34 et 35 du décret du 15 janvier 1945 sur la répression des crimes contre la sécurité de l'Etat, toutes espèces de grèves pourraient être interdites ; et, d'autre part, qu'en vertu des articles 7 et 8 du décret du 11 octobre 1950 relatif à la répression de l'espionnage, du sabotage et de la trahison, le gouvernement, désireux de mettre fin à une grève, aurait le moyen d'arrêter et de condamner à des peines extrêmement sévères les dirigeants syndicaux ayant décidé de recourir à la grève pour des motifs strictement professionnels.
      • Violations du droit syndical par voie administrative
    • 151. Le plaignant allègue que la Confédération générale du travail fondée le 2 mars 1936, aurait à cette époque joui d'une liberté syndicale en droit et en fait. Mais après l'arrivée au pouvoir du général Perón, les deux fédérations nationales les plus importantes - l'Union des cheminots fondée en 1932, et la Fraternelle des cheminots, fondée en 1887 - auraient été placées sous le contrôle immédiat de l'autorité militaire. L'une et l'autre de ces fédérations se seraient vu imposer un administrateur qui aurait décidé leur désaffiliation de la C.G.T. Par la suite, le gouvernement se serait servi de ces deux fédérations nationales ainsi réformées dans sa campagne de coercition contre la C.G.T, en vue d'établir la domination de l'Etat sur l'ensemble du mouvement syndical. Les syndicats, une fois placés sous contrôle, auraient reconstitué la C.G.T. ; après quoi, les syndicats qui, jusque-là, avaient été indépendants auraient été contraints de s'affilier à la nouvelle C.G.T contrôlée par le gouvernement et pourvus par elle d'administrateurs serviles qui auraient su les rendre inoffensifs. Les fédérations nationales professionnelles qui s'opposèrent à l'absorption par la nouvelle C.G.T auraient été dissoutes l'une après l'autre ou placées de force sous le contrôle d'un administrateur et réorganisées par la suite. Il en aurait été de même des sections locales de ces fédérations, et un sort identique aurait été réservé aux fédérations régionales et aux syndicats indépendants. A titre d'exemple de ces interventions de l'administration au mépris du droit syndical, le plaignant cite les noms d'administrateurs qui auraient été placés à la tête de plusieurs syndicats de marins. Bien que nommés en apparence par les dirigeants de la C.G.T, ils auraient été en fait désignés par le ministère du Travail et de la Prévoyance sociale.
  17. 152. Un autre exemple de l'immixtion du pouvoir dans la vie des organisations syndicales serait fourni par les faits suivants qui se seraient produits à l'occasion de la dernière campagne électorale présidentielle. La Fraternelle des cheminots, de même que les autres syndicats, aurait été invitée à promettre son appui sans condition à la réélection du général Perón. Invoquant ses statuts, la Fraternelle s'y serait refusée et aurait décidé de porter la question devant son assemblée annuelle qui devait avoir lieu le 9 mai 1951. L'autorité craignant que, suivant l'exemple d'autres syndicats, la Fraternelle des cheminots (la plus ancienne organisation syndicale argentine) ne se prononçât à son tour contre la réélection du général Perón, aurait donné l'ordre à des forces de l'armée, une semaine avant l'assemblée générale, d'occuper les locaux de la Fraternelle. L'ordre aurait été exécuté avec la complicité de la police et de nombreux syndiqués auraient été arrêtés. La Fraternelle se serait décidée pour la lutte et aurait constitué un comité provisoire chargé de reconstituer une Fraternelle indépendante du contrôle du gouvernement et de réclamer la libération de ses membres emprisonnés à l'occasion des grèves précédentes. Le 1er août 1951, la Fraternelle des cheminots aurait déclenché une grève malgré le décret du 24 janvier 1951 qui ordonnait la mobilisation des travailleurs du rail. La grève aurait été brisée par la police, et des centaines de cheminots auraient été arrêtés et maltraités dans les commissariats de police de Buenos-Aires et dans les locaux de la ville de Azul de la province de Buenos-Aires.
  18. 153. De façon continue, le gouvernement interviendrait dans la vie des syndicats, les contrôlerait et manifesterait sa volonté de les diriger.
  19. 154. Parmi les atteintes les plus récentes à la liberté syndicale, le plaignant cite la saisie par les troupes armées aidées par la police, le 28 novembre 1951, du mobilier et des dossiers du secrétariat du Comité ouvrier d'action syndicale indépendante (C.O.A.S.I), du syndicat de l'industrie de la chaussure et du syndicat des arts graphiques. Ces trois organisations syndicales auraient été, depuis le 14 décembre 1949, dissoutes par ordre du comité bicaméral du Congrès argentin.
    • Atteintes à la liberté individuelle des syndiqués
  20. 155. Le plaignant allègue qu'au mépris de la liberté syndicale et sans égard pour les droits de l'homme tels qu'ils sont définis par la Déclaration des droits de l'homme adoptée, avec la voix de l'Argentine, par l'Assemblée des Nations Unies en 1948, les arrestations arbitraires de syndicalistes, les détentions prolongées sans jugement, les tortures et autres mauvais traitements par la police, l'expulsion du pays par simple décision administrative, la domiciliation obligatoire en dehors de la résidence habituelle, et autres actes de violence, auraient été exercés à l'égard d'un nombre très élevé de syndiqués.
  21. 156. Deux cents ouvriers auraient été arrêtés pour soi-disant violation du décret du 15 janvier 1945 sur la sécurité de l'Etat, à l'occasion de la grève des cheminots de janvier 1951, et auraient été emprisonnés sans jugement pendant de nombreux mois.
  22. 157. A l'appui de son allégation, le plaignant cite les noms de personnalités arrêtées qui jouissent d'une notoriété particulière dans le monde syndical. Ces personnes auraient été toutes mises au secret pendant quinze jours, puis jugées pour « association illicite » et violation du décret sur la sécurité de l'Etat mentionné plus haut. En réalité, la charge d'association illicite serait de toute évidence inventée pour les besoins de la cause, car, jusqu'à la veille de leur arrestation, les prévenus auraient été reconnus officiellement comme représentants du Comité provisoire des cheminots, et c'est avec eux que le gouvernement aurait 'négocié. Un certain nombre de détenus auraient été libérés conditionnellement, mais de nombreux syndiqués auraient dû s'enfuir à l'étranger pour se soustraire à une arrestation certaine.
  23. 158. Enfin, le plaignant allègue qu'à l'occasion de la grève du 1er août 1951, plusieurs membres de la Fraternelle des cheminots dont il cite les noms auraient été arrêtés et seraient toujours détenus.
    • Violences exercées par les autorités à l'égard des travailleurs en leur qualité de syndiqués
  24. 159. Le plaignant allègue que le ministre du Travail aurait mis tout en oeuvre pour empêcher les grèves de se déclarer. Il y aurait réussi de 1945 à 1947. Depuis lors cependant, des grèves auraient été déclenchées dans plusieurs industries pour obtenir une amélioration des conditions de vie ou de travail, ou encore pour assurer la défense des droits syndicaux ou du droit d'élire des dirigeants syndicaux. Le secrétaire du Travail, n'ayant pu empêcher ces grèves de se produire, aurait essayé de gagner à sa cause, par la corruption ou autrement, les animateurs des grèves. N'ayant pas réussi, il leur aurait fait subir les sévices les plus cruels, ajoutant à l'emprisonnement la violence et la torture, parfois jusqu'à ce que mort s'ensuivît.
  25. 160. Le plaignant cite plusieurs exemples à l'appui de son allégation, entre autres le cas de M. Cipriano Reyes, membre du Parlement, qui aurait été emprisonné sans jugement pendant deux ans pour avoir réclamé la restauration de la liberté syndicale.

B. Analyse des réponses

B. Analyse des réponses
  1. 161. Dans ses lettres des 27 décembre 1951, 24 avril 1952 et 9 septembre 1952, le gouvernement présente d'abord un certain nombre d'observations générales, puis se réfère d'une manière plus précise aux allégations présentées en ce qui concerne l'industrie maritime, l'industrie des chemins de fer et l'ensemble de la situation syndicale.
    • Observations générales
  2. 162. Rappelant l'opinion exprimée par le membre employeur du bureau du Conseil d'administration selon lequel «la seule obligation expressément assumée par les gouvernements et qui nous donne le droit de mettre en cause leur action concerne le cas où ils ont ratifié une convention et où l'on fait valoir qu'ils ne l'appliquent pas », opinion qui concorde avec celle défendue par le délégué argentin au Conseil économique et social en 1949, lorsque fut discutée la question de la violation des droits syndicaux, le gouvernement signale que, n'ayant pas ratifié la convention sur la liberté syndicale, il tient à formuler les plus expresses réserves quant à la compétence de l'O.I.T pour examiner une question de caractère exclusivement interne et déjà résolue d'une manière satisfaisante au moyen de procédures absolument légales.
  3. 163. Il affirme ensuite que la liberté syndicale est absolue dans la République argentine, qu'elle est régie par des normes légales qui non seulement sont précisées dans la réglementation spéciale qui a fixé le régime des associations professionnelles, mais qui sont également incorporées dans le droit constitutionnel qui consacre les droits du travailleur. Il déclare qu'il donne son plein appui aux droits syndicaux, que ceux-ci ont été adoptés comme des principes fondamentaux de la doctrine du « justicialisme » et que la politique qu'il suit dans ce domaine lui a valu une écrasante majorité lors des dernières élections. Aussi estime-t-il que les plaintes sont motivées par des considérations exclusivement politiques, qu'elles manquent de preuves, étant donné que les plaignants n'ont pu et ne pourront les fournir, et qu'elles ne devraient pas être prises en considération.
    • Allégations relatives à l'industrie maritime
  4. 164. La Fédération internationale des ouvriers du transport a vu sa bonne foi surprise et a servi d'instrument à la C.G.G.M.A, organisation qui se trouve presque totalement sous la coupe d'éléments communistes.
  5. 165. Le gouvernement s'abstient de formuler des observations quant à l'attitude de la C.G.T à l'égard de la C.G.G.M.A et quant à l'attitude de la presse, étant donné qu'il s'agit de deux questions pour lesquelles la responsabilité de l'Etat ne peut être mise en cause.
  6. 166. En ce qui concerne le fonctionnement des organismes de négociation, il est inexact de dire que des négociations ne peuvent pas aboutir, étant donne que toute organisation de travailleurs de caractère représentatif peut toujours négocier directement avec les employeurs en matière de conditions de travail sans qu'il soit besoin d'une intervention de l'Etat ; si les employeurs refusent de négocier, elle peut s'adresser au Conseil des relations professionnelles pour que soit reconnue l'existence d'une «pratique déloyale », procédure permettant de prévenir les entraves auxquelles peut dans la pratique se heurter une négociation. Etant donné ces dispositions, le gouvernement estime qu'il n'est pas nécessaire de commenter l'attitude des fonctionnaires mis en cause à ce sujet dans la plainte.
  7. 167. Quant à la grève de l'industrie maritime, il était justifié d'en déclarer l'illégalité parce qu'elle fut déclenchée en violation des textes sur la réglementation de l'exercice du droit de grève, qui prévoient notamment que les réclamations collectives doivent être formulées par écrit et qu'aucun changement ne peut être apporté à la situation existante tant que les négociations sont en cours.
  8. 168. Le gouvernement estime inutile de prendre en considération les allégations relatives à l'attitude qu'aurait eue un fonctionnaire du ministère des Transports au cours de la grève et aux représailles exercées contre les grévistes, étant donné le caractère vague et imprécis de ces allégations.
  9. 169. Enfin, il signale qu'il n'y a ni détenu ni inculpé à la suite du conflit de l'industrie maritime.
    • Allégations relatives d l'industrie des chemins de fer
  10. 170. L'intervention du ministre du Travail dans le conflit des chemins de fer, tant en ce qui concerne la médiation que la qualification juridique du mouvement de grève, s'est effectuée en conformité des dispositions légales en vigueur. Le mouvement de grève fut déclaré illégal en accord avec les opinions défendues sur la question, tant par la jurisprudence que par la doctrine. L'établissement du Comité d'urgence a constitué un attentat aux droits des travailleurs et à la stabilité des institutions reconnues par le droit public argentin. Il s'agit d'une question de droit interne qui est exclusivement de la compétence des juges naturels auxquels il appartiendra d'appliquer, le cas échéant, les sanctions pénales. A propos de la liste de noms qui était jointe à la plainte, le gouvernement déclare que seulement cinq personnes ont été traduites en justice pour des délits de droit commun et en vertu d'un mandat de détention préventive rendu par le juge compétent et confirmé par la Cour d'appel. La grève ayant été déclarée illégale du fait que les revendications étaient en cours d'examen, le décret de mobilisation a représenté une mesure normale à laquelle d'autres pays ont également eu recours lorsque l'économie nationale se trouve gravement compromise et étant donné les caractéristiques des services publics.
    • Allégations relatives à l'ensemble de la situation syndicale
  11. 171. Dans sa lettre du 9 septembre 1952, le gouvernement déclare d'abord que la plainte de la Confédération internationale des syndicats libres reprend en substance les allégations déjà contenues dans les plaintes antérieures et qu'il ne serait, partant, pas nécessaire de la prendre en considération pour formuler de nouvelles observations. Toutefois, par déférence envers le Comité de la liberté syndicale, le gouvernement formule un certain nombre d'observations complémentaires résumées ci-après.
  12. 172. Le gouvernement soutient que le plaignant, en se référant à l'article 42 de la loi no 12921 gouvernant les activités des organisations syndicales, a fait de cet article une citation tronquée dans le but manifeste de surprendre la bonne foi de l'O.I.T. Le gouvernement cite dans sa réponse le texte intégral de cet article et prétend que l'allégation est, partant, erronée et tendancieuse.
  13. 173. Or, c'est sur la base de la citation tronquée de l'article 42 que le plaignant aurait pu alléguer que : 1) « ce texte permet à un gouvernement dictatorial toutes les interprétations », et 2) « en Argentine tous les droits syndicaux seraient totalement supprimés ».
  14. 174. En ce qui concerne ces deux dernières allégations, le gouvernement entend porter à la connaissance du Comité de la liberté syndicale les éléments d'appréciation suivants.
  15. 175. Quant au prétendu «gouvernement dictatorial», il déclare que le triomphe du général Perón aux élections de 1946 fut obtenu à la suite d'élections entièrement libres dont la régularité fut reconnue à la fois par les cinq partis de l'opposition et les observateurs étrangers. Il en fut de même des dernières élections au cours desquelles le mandat présidentiel du général Perón fut renouvelé pour la seconde fois à une majorité considérablement accrue. Ce serait là une preuve irréfutable que le gouvernement actuel de la République argentine est l'expression de la volonté de la grande majorité du peuple argentin, qui a ainsi entendu témoigner de sa gratitude à un gouvernement «qui a fait de l'Argentine une nation socialement juste, économiquement libre et politiquement souveraine ».
  16. 176. Quant à l'allégation relative à la «suppression totale des droits syndicaux », son manque de fondement serait apparent du fait que le plaignant n'aurait donné qu'une citation tronquée de l'article 42 et aurait cité hors de leur contexte des articles d'autres lois qui n'ont aucun rapport avec le problème en discussion.
  17. 177. Quant à l'allégation que, dans la République argentine, seuls les syndicats adhérents de la C.G.T auraient le droit de conclure des conventions collectives légalement reconnues, le gouvernement déclare qu'il n'a jamais fait de distinction à cet égard entre les syndicats affiliés à la C.G.T et les syndicats autonomes. Il précise que l'organe du ministère du Travail et de la Prévoyance sociale chargé d'enregistrer les conventions collectives et de coopérer à la solution des différends entre employeurs et travailleurs a toujours fait preuve, conformément aux principes légaux qui régissent la matière, de la plus grande impartialité.
  18. 178. A l'appui de son affirmation, le gouvernement donne une liste de conventions collectives auxquelles des organisations autonomes non adhérentes de la C.G.T auraient été parties et dont certaines auraient été conclues grâce à l'intervention du ministère du Travail et de la Prévoyance sociale.
  19. 179. Le gouvernement en tire la conclusion que les organisations autonomes ou indépendantes jouissent, dans les limites de la loi, d'une entière liberté d'organisation, de fonctionnement et d'action en ce qui concerne la défense de leurs intérêts professionnels. Elles sont en outre complètement libres de conclure des conventions collectives légalement reconnues.
  20. 180. Quant à la loi no 13985 (sur la répression de l'espionnage, du sabotage et de la trahison) et au décret no 536/45 (sur la répression des crimes contre la sécurité de l'Etat), le gouvernement soutient que ces textes n'ont aucun rapport avec le droit syndical et le droit de grève sous sa forme légale. Les articles sur lesquels le plaignant s'est basé visent exclusivement des actes d'espionnage, de sabotage, etc., actes qui sont réprimés dans tous les pays démocratiques soucieux de sauvegarder l'ordre public. Le gouvernement ajoute que la nécessité ne s'est jamais fait sentir de faire application de ces articles.
  21. 181. Quant au cas de M. Cipriano Reyes, le gouvernement soutient que l'intéressé a été condamné par les tribunaux civils du pays en raison non pas de ses activités politiques ou syndicales, mais de sa participation à un complot de caractère à la fois politique et révolutionnaire.
  22. 182. Il ressort de cette analyse que plusieurs des plaintes, bien qu'émanant d'auteurs différents, traitent de questions similaires, tandis que d'autres, bien qu'émanant du même plaignant, traitent de questions très différentes.
  23. 183. De son côté, le gouvernement, dans ses trois communications, a soulevé certaines questions préjudicielles avant de présenter ses observations sur le fond des plaintes dont il a été saisi.
  24. 184. Dans ces conditions, il a semblé nécessaire de grouper les allégations et les observations d'après leurs objets.

C. C. Conclusions du comité

C. C. Conclusions du comité
  • Question préjudicielle quant à la compétence du Comité
    1. 185 Dans sa lettre du 24 avril 1952, le gouvernement a formulé les plus expresses réserves quant à la compétence de l'O.I.T pour connaître de la question du respect des droits syndicaux dans la République argentine en arguant, d'une part, du caractère purement interne de cette question qui, au surplus, se trouve -réglée d'une manière satisfaisante en conformité avec la législation existante et, d'autre part, du fait que la République argentine n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical. Il s'appuie à cet égard sur l'opinion exprimée par le membre employeur du bureau du Conseil d'administration selon laquelle «la seule obligation expressément assumée par les gouvernements et qui nous donne le droit de mettre en cause leur action concerne le cas où ils ont ratifié une convention et où l'on fait valoir qu'ils ne l'appliquent pas».
    2. 186 Le Comité estime qu'il ne lui appartient pas de reprendre la question de la compétence de l'O.I.T relativement à l'examen des allégations portant sur les atteintes à la liberté syndicale qui pourraient être commises dans des pays Membres de l'O.I.T ruais n'ayant pas ratifié la convention sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, étant donné qu'il s'agit d'un problème qui a déjà fait l'objet d'amples discussions lors de la 33ème session de la Conférence internationale du Travail en 1950, session à laquelle la Conférence décida d'approuver les décisions du Conseil d'administration et du Conseil économique et social des Nations Unies relatives à l'établissement d'une procédure d'investigation et de conciliation en matière de liberté syndicale.
    3. 187 Le gouvernement, tout en faisant des réserves expresses sur la compétence du Comité, a néanmoins tenu à présenter ses observations sur le fond des plaintes.
  • Question préjudicielle quant au caractère politique des plaintes
    1. 188 Le gouvernement soutient que les plaintes revêtent un caractère purement politique et sont, partant, susceptibles d'être utilisées «comme des arguments de caractère politique dirigés contre les intérêts argentins sacrés aussi bien par des éléments idéologiques du type auquel appartiennent les organisations syndicales plaignantes que par des éléments occupant toute autre position idéologique extrême ».
    2. 189 Le Comité a formulé dans son premier rapport certains principes pour l'examen des plaintes auxquelles le gouvernement mis en cause attribue un caractère purement politique. S'inspirant du principe général adopté par le Conseil d'administration sur proposition de son bureau, le Comité a notamment décidé que, même si certaines allégations sont d'origine politique ou présentent certains aspects politiques, elles devraient néanmoins être examinées quant au fond si elles soulèvent des questions intéressant directement l'exercice des droits syndicaux.
    3. 190 Dans le cas présent, les plaintes portent notamment sur des questions telles que le statut légal des syndicats, les interventions administratives dans la vie syndicale, l'application aux syndicats de la législation sur la sécurité de l'Etat, des poursuites intentées contre des chefs syndicalistes, autant de questions qui se rapportent directement à l'exercice des droits syndicaux.
    4. 191 Dans ces conditions, le Comité a estimé que, sans préjuger le fond, il lui appartient d'examiner le cas, quels que soient par ailleurs les motifs des plaignants et quelle que soit l'« idéologie » dont ils s'inspirent.
  • Allégations concernant le statut légal des syndicats
    1. 192 La Confédération internationale des syndicats libres, dans ses différentes communications, allègue que le décret no 23852 du 2 octobre 1945 sur les associations professionnelles porte atteinte au droit d'association. Se basant plus particulièrement sur les articles 4 et 42 de ce décret, le plaignant prétend que ces articles ouvrent la voie à l'arbitraire puisqu'ils permettent au ministre du Travail de retirer, à tout moment, à un syndicat ouvrier le droit de fonctionner comme tel.
    2. 193 Dans ses communications en date du 26 décembre 1951 et du 24 avril '1952, le gouvernement argentin soutient que « la liberté syndicale est en Argentine véritable et absolue et qu'elle est régie par des normes légales qui - indépendamment du fait qu'elles sont précisées dans le décret no 23852... qui se borne strictement à rendre effective une liberté que vit le peuple argentin - sont incorporées dans le droit constitutionnel, qui consacre d'une manière spécifique les droits du travailleur».
    3. 194 Dans sa communication du 9 septembre 1952, il fait observer que le plaignant n'a pas cité le texte complet de l'article 42 du décret précité et a, de ce fait, donné à cette disposition une interprétation tendancieuse.
    4. 195 Pour l'examen des allégations, il convient donc de se reporter aux deux textes suivants qui gouvernent le régime des syndicats professionnels : la Constitution argentine de 1949 (Série législative, 1949, Arg. 1) et le décret no 23852 du 2 octobre 1945 approuvant le régime légal des associations professionnelles de travailleurs (Série législative, 1945, Arg. 3).
  • Garantie constitutionnelle du droit syndical
    1. 196 Sous le titre : « Droits du travailleur», la Constitution dans son article 37, alinéa 10, prévoit que le droit de s'associer librement et de participer à d'autres activités légales tendant à la défense des intérêts professionnels est un des droits essentiels des travailleurs que la société doit respecter et protéger en en assurant le libre exercice et en réprimant tout acte susceptible de l'entraver ou d'y faire obstacle. Il ressort de cette disposition que la liberté de constituer des syndicats est garantie à tous les travailleurs sans distinction d'aucune sorte.
    2. 197 Cette garantie n'acquiert toute son importance que si on l'examine à la lumière de l'article 35 de la Constitution qui dispose que « les droits et garanties reconnus par la présente Constitution ne pourront être modifiés par les lois réglementant leur exercice ».
    3. 198 Or le plaignant, se basant plus particulièrement sur les articles 4 et 42 du décret no 23852 qui a précisément pour objet de régler l'exercice de la liberté syndicale, soutient que ce texte met directement en cause le principe de la liberté syndicale.
    4. 199 Pour apprécier la portée de cette allégation, il est nécessaire de se reporter au statut des syndicats professionnels tel qu'il est fixé par le décret précité du 2 octobre 1945.
  • Statut des syndicats professionnels
    1. 200 Aux termes de l'article 1er du décret précité, les associations professionnelles pourront se constituer librement et sans autorisation préalable, à condition que leur objet ne soit pas contraire à la morale, aux lois ni aux institutions fondamentales de la nation.
    2. 201 L'article 2, qui définit le terme « association professionnelle», dispose qu'aux fins du présent décret sera considérée comme association professionnelle toute association formée par des travailleurs manuels ou intellectuels exerçant leur activité dans les mêmes profession, industrie ou métier, ou dans les professions, industries, métiers similaires ou connexes, pour la défense de leurs intérêts professionnels.
    3. 202 Les dispositions qu'on vient de citer sont d'une portée tout à fait générale et s'appliquent à toutes les associations professionnelles, quel que soit leur statut juridique. Il en ressort qu'en pleine conformité avec la Constitution, le droit de former des associations sans autorisation préalable et sans discrimination est reconnu aux travailleurs.
    4. 203 Mais si la réglementation n'établit aucune distinction en ce qui concerne le droit pour les travailleurs de former des organisations, il n'en va pas de même en ce qui concerne l'action que peuvent déployer ces organisations en matière de défense des intérêts professionnels. Le décret établit en effet une distinction très nette à cet égard entre les trois catégories d'associations suivantes: a) les associations non enregistrées ; b) les associations enregistrées mais non dotées de la personnalité syndicale ; c) les associations dotées de la personnalité syndicale.
  • Associations non enregistrées
    1. 204 Aux termes de l'article 4 du décret, article sur lequel le plaignant a fondé en partie son allégation, a les associations qui ne possèdent pas la personnalité syndicale et ne sont pas inscrites conformément aux dispositions de l'article 43 ne peuvent agir en qualité d'associations professionnelles de travailleurs ».
    2. 205 Prise à la lettre, cette disposition signifierait que les associations non enregistrées, tout en n'étant pas illicites, ne seraient pas moins frappées de mort civile ou du moins d'une sorte de déchéance professionnelle. Or, la liberté syndicale n'implique pas seulement le droit, pour les travailleurs et les employeurs, de constituer librement des associations de leur choix, mais encore celui, pour les associations professionnelles elles-mêmes, de se livrer à une activité licite de défense de leurs intérêts professionnels.
    3. 206 Il importe, dès lors, d'examiner si les conditions mises à l'enregistrement ou à l'acquisition de la personnalité syndicale sont réellement de nature à mettre en cause la liberté syndicale. Ces conditions ne sont pas les mêmes pour les associations simplement enregistrées et les associations dotées de la personnalité syndicale. Il convient donc de les examiner séparément.
  • Associations enregistrées
    1. 207 Toute association peut se faire enregistrer en sollicitant son inscription à un registre spécial tenu par le ministre du Travail et de la Prévoyance sociale. La demande d'inscription devra être accompagnée: 1) d'une copie authentique du procès-verbal de constitution ainsi que des statuts et règlements de l'association, et 2) de la liste des membres formant le comité directeur avec indication de leur nationalité, de leur profession ou métier. La demande devra être signée de 30 membres au minimum (article 43).
    2. 208 Il semble ressortir de cette disposition que les conditions mises à l'enregistrement sont de pure forme et ne sauraient donc être interprétées comme une restriction mise à la liberté des travailleurs ou des employeurs.
    3. 209 Une fois enregistrées, les associations professionnelles jouissent notamment des droits suivants:
    4. 1) de présenter des requêtes pour la défense de leurs intérêts professionnels;
    5. 2) de fonder des institutions de prévoyance et d'assistance sociale ;
    6. 3) d'établir des colonies de vacances, réfectoires, sanatoriums, hôpitaux et tous services sociaux tendant à élever la culture des membres du syndicat, à préserver leur santé et à améliorer leur niveau moral et matériel;
    7. 4) d'assumer ou de promouvoir l'organisation de coopératives de production, de consommation, de crédit ou de logement, conformément à la législation en vigueur;
    8. 5) de promouvoir l'instruction générale et professionnelle de leurs membres, par des oeuvres appropriées telles que bibliothèques, conférences, publications, écoles techniques, ateliers et expositions ;
    9. 6) de constituer des fédérations ou adhérer à des fédérations;
    10. 7) d'imposer des cotisations ou quotes-parts à leurs membres ;
    11. 8) de faire, pour la réalisation de leurs fins, tous autres actes qui ne leur sont pas interdits (article 32).
    12. 210 Cette énumération ne semble toutefois pas être limitative, car d'après l'article 3, les associations professionnelles enregistrées pourront agir librement et accomplir, en vue de la réalisation de leurs fins, tous actes qui ne sont pas expressément réservés aux associations dotées de la personnalité syndicale.
  • Associations dotées de la personnalité syndicale
    • a) Conditions de l'octroi de la personnalité syndicale
      1. 211 Pour acquérir la personnalité syndicale, les associations professionnelles devront déposer soit au secrétariat d'Etat au Travail et à la Prévoyance sociale, dans la capitale fédérale, soit à la délégation ou à l'autorité remplissant ses fonctions, dans les provinces ou les territoires nationaux, une requête indiquant le nombre de leurs membres cotisants, le montant de leur fortune et les services sociaux qu'elles ont institués, et accompagnée de la copie authentique des règlements ou statuts de l'association, ainsi que de la liste des membres du comité directeur, avec leurs nationalité, profession ou métier (article 14).
      2. 212 L'attribution de la personnalité syndicale à une association professionnelle est subordonnée à un certain nombre de conditions ayant notamment trait à son objet, ses statuts, son ancienneté syndicale et son caractère représentatif.
    • Objet. - 213. L'objet de l'association doit être celui déterminé aux articles 1 et 2 du décret cités plus haut, c'est-à-dire qu'elle doit avoir le caractère d'une association professionnelle dont l'objet n'est pas contraire à l'ordre public.
  • Statuts. - 214. Les statuts de l'association doivent contenir les énonciations suivantes: a) dénomination, domicile et objet; b) obligations et droits des membres et conditions de leur admission et de leur départ ; c) détermination et dénomination des organes directeurs, avec spécification de leurs fonctions, droits et obligations ; durée et forme de révocation de leur mandat, procédure de désignation et remplacement des membres des organes directeurs ; d) mode de constitution et d'administration de la fortune sociale, affectation de cette fortune en cas de dissolution, régime des cotisations ; e) forme de convocation et procédure des assemblées ordinaires et extraordinaires ou congrès, émission et réception du vote des membres, présidence des assemblées ; f) époque et forme de présentation, d'approbation et de publication des rapports et bilans, procédure de vérification et de contrôle ; g) sanctions en cas de violation des statuts et des décisions syndicales ; h) procédure à suivre pour la modification des statuts ainsi que pour la dissolution volontaire de l'association ; i) autorités compétentes et procédure à suivre pour ordonner la suspension et la reprise du travail (article 24).
    1. 215 On notera que cet article fait bien une obligation aux associations de régler certaines matières dans leurs statuts, mais ne prescrit pas la manière de les régler. Par ailleurs, les questions qui doivent être ainsi réglées semblent porter, en fait, exclusivement sur des matières qu'il est dans l'intérêt des membres de l'association de voir ainsi régler.
    2. 216 Il ne semble donc pas que l'article 24 mette directement en cause le droit dont doivent jouir les associations professionnelles d'établir librement leurs statuts.
  • Ancienneté syndicale. - 217. L'association doit, à la date où elle sollicite sa reconnaissance, avoir exercé son activité syndicale pendant six mois au moins. Cette disposition, qui prévoit un certain stage avant la reconnaissance, semble être inspirée par des considérations d'ordre purement pratique et n'appelle donc pas d'autres commentaires.
  • Caractère représentatif de l'association. - 218. La condition la plus importante que l'association doit remplir pour obtenir la reconnaissance de la personnalité syndicale est sans doute celle qu'« elle doit être suffisamment représentative dans la zone où s'exerce son activité, eu égard au nombre des membres cotisants par rapport à celui des personnes qui exercent la forme d'activité considérée».
    1. 219 Il ne ressort pas clairement de ce texte que c'est l'association comptant le plus grand nombre d'adhérents qui doit bénéficier de la personnalité syndicale. On peut toutefois déduire du texte d'autres articles du décret que c'est bien ce « critère majoritaire » qui devra être déterminant pour la décision du ministre du Travail.
    2. 220 L'article 9 du décret prévoit en effet que «s'il existe une association dotée de la personnalité syndicale, cette personnalité ne pourra être conférée à une autre association de la même branche d'activité que si le nombre des membres cotisants de celle-ci a été, sans interruption pendant la période de six mois précédant immédiatement le dépôt de la demande de reconnaissance, supérieur au nombre des membres de l'association dotée de la personnalité syndicale ».
    3. 221 Dans ce cas, l'association minoritaire sera déchue de la personnalité syndicale au profit de l'association comptant un plus grand nombre d'adhérents (article 10).
    4. 222 Si ces diverses conditions sont remplies, le ministre du Travail devra rendre, dans un délai de 60 jours, une décision accordant ou refusant la reconnaissance de la personnalité syndicale. Cette décision pourra faire l'objet d'un recours au pouvoir exécutif.
    5. 223 L'importance de la reconnaissance de la personnalité syndicale résulte du fait que les associations professionnelles qui en bénéficient jouissent de droits beaucoup plus étendus que les associations simplement enregistrées.
    6. 224 Aux termes de l'article 33, « les associations professionnelles dotées de la personnalité syndicale seront en effet seules compétentes pour: 1) défendre et représenter devant l'Etat et devant les employeurs les intérêts professionnels; 2) défendre et représenter les intérêts individuels de chacun de leurs membres devant les institutions de prévoyance, les tribunaux et toutes autres administrations de l'Etat; 3) participer à l'activité des organismes d'Etat créés pour la réglementation du travail ; 4) intervenir dans les négociations collectives, conclure et modifier des accords et conventions collectives, collaborer à la surveillance de l'application de la législation du travail et promouvoir l'élargissement et l'amélioration de cette législation ; 5) collaborer avec l'Etat, en qualité d'organismes techniques et consultatifs, à l'étude et à la solution des problèmes relatifs à leur profession ; 6) participer le cas échéant à une activité politique, si une assemblée générale ou un congrès en décide ainsi. Les associations professionnelles ne seront tenues de se conformer aux lois, décrets et règlements régissant les partis politiques que si elles décident de participer de manière permanente et continue à l'activité politique ».
    7. 225 De plus, les membres des associations dotées de la personnalité syndicale jouissent d'une priorité d'emploi à égalité de conditions dans les services publics, les entreprises concessionnaires des services publics ou adjudicataires des travaux publics (article 37).
    8. 226 Enfin, sur requête d'une association dotée de la personnalité syndicale et sur décision préalable du ministre du Travail, les employeurs devront retenir sur la rémunération du personnel affilié le montant des cotisations et contributions au syndicat et remettre ce montant à celui-ci (article 40).
    9. 227 Il ressort de cette analyse que le législateur confère bien aux associations dotées de la personnalité syndicale un statut privilégié par rapport aux associations simplement enregistrées. Mais l'octroi d'un tel statut n'est pas « le fait du prince», puisque le ministre du Travail doit se conformer à des critères objectifs fixés par la réglementation elle-même et qui valent pour toutes les organisations professionnelles quelles qu'elles soient.
    10. 228 En d'autre termes, la réglementation n'établit a priori aucune distinction entre les divers syndicats qui revendiquent l'octroi de la personnalité syndicale.
      • b) Conditions du retrait de la personnalité syndicale
    11. 229 Comme les associations professionnelles dotées de la personnalité syndicale sont, dans l'esprit du législateur, appelées à jouer un rôle de tout premier plan en matière d'organisation des relations de travail, la question du retrait de la personnalité syndicale a évidemment une importance fondamentale pour la vie syndicale, importance sur laquelle le plaignant a particulièrement attiré l'attention du Comité.
    12. 230 Il y a lieu de rappeler que dans ses diverses communications, la Confédération internationale des syndicats libres, en se basant sur l'article 42 qui prévoit les conditions de retrait de la personnalité syndicale, a notamment soutenu que les conditions dans lesquelles les associations peuvent être privées de la personnalité syndicale ouvrent la voie à l'arbitraire puisqu'elles permettent au ministre du Travail de retirer à tout moment à un syndicat ouvrier le droit de fonctionner comme tel.
    13. 231 Dans sa réponse, le gouvernement a, par contre, fait observer que le plaignant, en ne citant pas intégralement le texte de l'article en cause, en a donné une interprétation erronée.
    14. 232 L'article 42 en question est conçu comme suit:
  • Le secrétariat d'Etat au Travail et à la Prévoyance pourra suspendre ou annuler la reconnaissance de la personnalité syndicale de l'association en cas:
    • a) de violation des dispositions légales, statutaires ou de celles d'une convention collective de travail ;
    • b) d'inexécution de dispositions ordonnées par l'autorité compétente dans l'exercice de ses facultés légales ;
    • c) de réduction du nombre des membres, telle que l'association cesse de revêtir le caractère d'association suffisamment représentative, prévu à l'article 8, 3).
  • La suspension ou le retrait de la personnalité syndicale pourra faire l'objet d'un recours devant le Pouvoir exécutif.
  • En aucun cas l'Etat ne pourra intervenir dans la direction ou l'administration d'une association professionnelle, qu'elle soit ou non dotée de la personnalité syndicale.
    1. 233 Cet article prévoit trois cas de suspension ou de retrait de la personnalité syndicale. La condition prévue à l'alinéa c) - retrait de la personnalité syndicale en raison de la réduction du nombre des membres telle que l'association cesse de revêtir le caractère d'association suffisamment représentative - n'est que le corollaire de la disposition prévue à l'article 8, 3) cité plus haut et en vertu de laquelle seule l'association la plus représentative peut bénéficier de la reconnaissance syndicale. Il s'agit donc là d'une constatation de pur fait qui, de la part du ministre, n'implique aucune mesure de discrimination.
    2. 234 Les dispositions figurant aux alinéas a) et b) - retrait de la personnalité syndicale en cas de violation des dispositions légales statutaires ou de celles d'une convention collective ou d'inexécution des dispositions ordonnées par l'autorité compétente dans l'exercice de ses facultés légales - ont, par contre, le caractère d'une sanction administrative. Toutefois, pour rigoureuse que puisse paraître une telle sanction, elle s'applique à toutes les organisations qui se rendraient coupables des infractions mentionnées ci-dessus et ne comporte, partant, aucune discrimination arbitraire à l'égard des associations en cause.
    3. 235 L'article 42 prévoit deux sauvegardes sur lesquelles le gouvernement a d'ailleurs attiré l'attention. En premier lieu, la suspension ou le retrait de la personnalité syndicale peut faire l'objet d'un recours au Pouvoir exécutif. L'article est muet sur la question de savoir si ce recours - d'ailleurs d'ordre purement administratif - a un effet suspensif ou si, en cas de rejet du recours, l'association intéressée peut aller en appeler aux tribunaux qui paraissent être les instances normales pour connaître des infractions à des dispositions soit d'ordre légal, soit d'ordre contractuel. En second lieu, l'article prévoit qu'en aucun cas l'Etat ne pourra intervenir dans la direction ou l'administration d'une association professionnelle, qu'elle soit ou non dotée de la personnalité syndicale. Il s'ensuit qu'une association ainsi privée de la personnalité syndicale n'est pas devenue illicite pour autant et qu'elle peut continuer à fonctionner à l'abri de toute intervention de la part des pouvoirs publics.
    4. 236 A fortiori, on ne saurait donc assimiler la suspension ou le retrait de la personnalité syndicale à une suspension ou à une dissolution de l'association par voie administrative.
    5. 237 Mais étant donné toutefois que c'est sur l'association dotée de la personnalité syndicale que repose en définitive tout le système des relations professionnelles, il convient de se demander si le retrait de la personnalité syndicale n'entraîne pas, en fait, une déchéance professionnelle telle qu'il équivaut à une dissolution.
    6. 238 Il en serait sans doute ainsi si l'association privée de la personnalité syndicale était réduite au statut d'« association» qui, aux termes de l'article 4 (cité ci-dessus), ne possède ni la personnalité syndicale ni le statut d'une association enregistrée, et qui, de ce fait, « ne peut agir en qualité d'association professionnelle de travailleurs». Mais il ne semble pas que telle soit la conséquence nécessaire du retrait de la personnalité syndicale. L'article 20 prévoit en effet que les associations professionnelles qui n'ont pas obtenu la personnalité syndicale ou auxquelles elle a été retirée ont le droit de solliciter et d'obtenir du gouvernement national ou des gouvernements provinciaux la personnalité juridique en adaptant leur fonctionnement aux dispositions légales et réglementaires prévues à cet effet.
    7. 239 Or en vertu de l'acquisition de la personnalité juridique (il importe de ne pas confondre la personnalité juridique dont il est question ici avec la personnalité syndicale), les associations possèdent les droits dont jouissent normalement les personnes physiques, c'est-à-dire, entre autres, le droit d'acquérir, de posséder, d'ester en justice et de passer des contrats.
    8. 240 La question se pose dès lors de savoir si ces associations ne sont toutefois pas, en vertu de la réglementation spéciale sur les associations professionnelles, privées de fonctions syndicales essentielles telles que, par exemple, celles de conclure des conventions collectives et d'être parties aux procédures de conciliation et d'arbitrage.
    9. 241 Plusieurs dispositions du décret sur les associations professionnelles se rapportent à cet aspect du problème.
    10. 242 C'est ainsi que l'article 33 cité plus haut -dispose que seules les associations dotées de la personnalité syndicale sont compétentes pour défendre et représenter, devant l'Etat et devant les employeurs, les intérêts professionnels, et intervenir dans les négociations collectives. L'article 34, de son côté, précise que les associations professionnelles enregistrées pourront exercer le droit de défendre et de représenter devant l'Etat et devant les employeurs les intérêts professionnels, à condition qu'il n'existe aucune association professionnelle ni fédération dotée de la personnalité syndicale dans la même branche d'activité.
    11. 243 Il ressort donc, a contrario, de cet article que normalement les associations privées de la personnalité syndicale ne sont pas habilitées à défendre les intérêts professionnels devant l'Etat ou devant les employeurs.
    12. 244 De plus, l'article 49 du décret, qui définit les droits syndicaux essentiels dont doivent bénéficier les travailleurs, énonce expressément le droit de négocier collectivement, mais précise que ce droit doit être exercé par l'intermédiaire des associations professionnelles dotées de la personnalité syndicale.
    13. 245 Prises à la lettre, ces dispositions signifieraient donc que les associations dotées de la personnalité syndicale jouissent seules du droit de conclure des conventions collectives aux termes de la réglementation.
    14. 246 En dehors des dispositions qu'on vient de citer, il n'existe pas à l'heure actuelle de loi réglant de manière détaillée le statut des conventions collectives. En effet, le seul texte qui s'y réfère et auquel le gouvernement a fait allusion dans sa réponse est l'arrêté du secrétariat au Travail et à la Prévoyance sociale, en date du 6 mars 1944. Ce texte prévoit, dans son article 6, que les conventions qui fixent des conditions générales en ce qui concerne les salaires et le travail, doivent être établies par l'intermédiaire de la Direction de l'action sociale et, si nécessaire, après consultation de la Direction du travail. Ces conventions collectives sont enregistrées et peuvent faire l'objet d'un décret qui les déclare obligatoires pour toute la branche d'activité intéressée.
    15. 247 Il ne ressort pas expressément du texte de ce décret que seules les associations dotées de la personnalité syndicale peuvent conclure de telles conventions collectives et on peut, partant, admettre qu'en vertu du principe de la liberté des conventions, les associations professionnelles - pour autant du moins qu'elles possèdent la personnalité juridique - peuvent conclure des conventions collectives aux termes du droit commun.
    16. 248 Dans sa réponse du 9 septembre 1952, sur laquelle on aura l'occasion de revenir plus loin, le gouvernement, tout en ne se prononçant pas sur la question précise de savoir si des associations privées de la personnalité syndicale peuvent conclure des conventions collectives, a néanmoins déclaré que le ministère du Travail n'a jamais fait de distinction à cet égard entre les syndicats affiliés à la C.G.T et les syndicats autonomes. Il a en outre précisé que l'organe du ministère du Travail et de la Prévoyance sociale chargé d'enregistrer les conventions collectives et de coopérer à la solution des différends entre employeurs et travailleurs a toujours fait preuve, conformément aux principes légaux qui régissent la matière, de la plus grande impartialité. A l'appui de son affirmation, le gouvernement a cité un certain nombre de conventions collectives auxquelles des organisations autonomes non adhérentes à la C.G.T auraient été parties et dont certaines auraient été conclues grâce à l'intervention du ministère du Travail et de la Prévoyance sociale.
    17. 249 Il semble donc qu'en fait les dispositions du décret sur les associations professionnelles, qui réservent aux seules organisations dotées de la personnalité syndicale le droit de conclure des conventions collectives, soient tombées en désuétude ou du moins soient appliquées dans un sens très libéral.
    18. 250 Il semble ressortir de cette analyse que tous les travailleurs ont le droit, sans discrimination d'aucune sorte et sans autorisation préalable, de former des associations professionnelles. Ces associations sont à leur tour complètement libres dans leur organisation, leur fonctionnement et leur administration.
    19. 251 Toutefois, dans l'esprit du législateur, l'ensemble du système des relations professionnelles devrait essentiellement reposer sur les associations dotées de la personnalité syndicale. L'idée qui est à la base de ce système est évidemment que seuls des syndicats réellement représentatifs, c'est-à-dire les syndicats comprenant le plus grand nombre d'adhérents, sont en mesure de s'acquitter des droits et responsabilités que cette réglementation leur octroie.
    20. 252 Mais la procédure d'octroi ou de retrait de la personnalité syndicale, tout en étant essentiellement une procédure administrative, ne peut être qualifiée d'arbitraire puisque le ministre du Travail est tenu, tant en ce qui concerne l'octroi de la personnalité syndicale qu'en ce qui concerne le retrait de cette personnalité, de se conformer à des critères objectifs, fixés par la loi.
    21. 253 Enfin, il semble ressortir de la réponse du gouvernement qu'en fait les associations non dotées de la personnalité syndicale, mais enregistrées et jouissant de la personnalité juridique, peuvent exercer certaines fonctions syndicales essentielles telles que celles de conclure des conventions collectives et d'être parties aux procédures de conciliation et d'arbitrage.
    22. 254 Dans ces conditions, le Comité estime que le plaignant n'a pas apporté la preuve que la réglementation sur les associations professionnelles -porte atteinte à la liberté syndicale du fait qu'a elle permettrait au secrétaire au Travail de retirer à tout moment à un syndicat ouvrier le droit de fonctionner comme tel ».
    23. 255 Toutefois, le Comité, tenant compte du fait que le statut privilégié accordé aux associations dotées de la personnalité syndicale peut indirectement peser sur la liberté des travailleurs d'adhérer à l'organisation de leur choix, recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement argentin sur l'opportunité qu'il y aurait d'envisager la possibilité de supprimer la distinction qui est actuellement faite entre les associations dotées de la personnalité syndicale et les autres organisations syndicales.
  • Allégations relatives à la violation des droits syndicaux par voie administrative, notamment en ce qui concerne l'industrie maritime et l'industrie des transports
    1. 256 On examinera sous ce titre certaines allégations contenues dans les plaintes de la Confédération internationale des syndicats libres et dans celle provenant de la Fédération internationale des travailleurs des transports. Ces allégations portent, d'une part, sur la prétendue mainmise du gouvernement sur le mouvement syndical et, d'autre part, sur l'éviction des syndicats indépendants des mécanismes de négociation collective.
  • Allégation concernant la mainmise du gouvernement sur te mouvement syndical
    1. 257 Les plaignants allèguent que dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement actuel de la République argentine aurait placé sous son contrôle l'Union des cheminots et la Fraternelle des cheminots, deux organisations qui comptaient parmi les plus importantes des fédérations affiliées à la Confédération générale du travail fondée en 1936 et qui était à cette époque une organisation entièrement indépendante du gouvernement. Ces organisations auraient été contraintes de former le noyau d'une nouvelle Confédération générale du travail placée entièrement sous le contrôle du gouvernement. La plupart des autres syndicats et fédérations syndicales auraient dû, par la suite, s'affilier à la nouvelle C.G.T sous peine d'être dissous ou placés sous le contrôle d'administrateurs désignés par le gouvernement. En mai 1951, les locaux de la Fraternelle des cheminots auraient été occupés par la police pour la raison qu'elle se serait refusée à donner son appui à la réélection du général Perón à la présidence de la République. La police, aidée par la troupe, aurait saisi le 28 novembre 1951 le mobilier et les dossiers du secrétariat du Comité ouvrier d'action syndicale indépendante (C.O.A.S.I.), du syndicat de l'industrie des chaussures et du syndicat des arts graphiques, organisations qui avaient été dissoutes antérieurement (14 décembre 1949) par ordre du Comité bicaméral du Congrès argentin.
    2. 258 Dans sa réponse du 24 avril 1952, le gouvernement déclare notamment qu'il n'est jamais intervenu en aucune manière dans l'administration des syndicats et qu'il n'a jamais fait de distinction entre les syndicats affiliés à la C.G.T et les autres.
    3. 259 En ce qui concerne les rapports entre la C.G.T et les organisations indépendantes, le gouvernement déclare qu'il s'agit là d'une affaire intersyndicale dans laquelle il n'a pas à intervenir.
    4. 260 Quant à l'élection du Président de la République, le gouvernement souligne que tant la campagne électorale que l'élection elle-même se sont déroulées avec une régularité parfaite, attestée à la fois par les partis d'opposition et par les observateurs étrangers.
    5. 261 Les allégations revêtent un double aspect : un aspect légal pour lequel le gouvernement déclare assumer la pleine responsabilité, et un aspect de fait pour lequel il décline toute responsabilité.
    6. 262 En ce qui concerne l'aspect légal, le gouvernement rappelle qu'en vertu du décret sur les associations professionnelles - décret analysé en détail ci-dessus - l'Etat ne peut intervenir dans la direction et l'administration des associations professionnelles, quel que soit par ailleurs leur statut, et qu'il s'est strictement conformé à ce principe. Il a précisé à cet égard que les organisations autonomes ou indépendantes jouissent, dans les limites de la loi, d'une entière liberté d'organisation, de fonctionnement et d'action en ce qui concerne la défense de leurs intérêts professionnels.
    7. 263 Quant aux allégations de fait portant notamment sur des actes de pression syndicale exercée par la C.G.T sur les organisations autonomes, le gouvernement, tout en contestant les faits allégués à cet égard, s'est borné à décliner toute responsabilité en cette matière et s'est, partant, abstenu de prendre position à propos des diverses allégations du plaignant.
    8. 264 Dans ces conditions, le Comité estime que le plaignant n'a pas apporté la preuve que le gouvernement soit intervenu directement dans la vie syndicale. Toutefois, le Comité désire souligner que la liberté syndicale doit être assurée en fait aussi bien qu'en droit et attirer, partant, l'attention du gouvernement argentin sur l'opportunité qu'il y aurait de prendre, si nécessaire, des mesures appropriées en vue d'assurer aux travailleurs et aux employeurs le libre exercice du droit syndical, même vis-à-vis des autres organisations ou des tiers.
  • Allégations relatives aux restrictions mises aux négociations collectives
    1. 265 Dans sa communication du 30 juin 1951, la Confédération internationale des syndicats libres allègue notamment que seuls les syndicats affiliés à la C.G.T officielle peuvent légalement conclure des conventions collectives, ce qui reviendrait pratiquement à priver les travailleurs du droit de négocier. De cette manière, les anciennes organisations syndicales vraiment représentatives auraient été progressivement éliminées.
    2. 266 Une allégation analogue est contenue dans la plainte de la Fédération internationale des travailleurs des transports. Le plaignant affirme que la Confédération générale des syndicats maritimes et autres syndicats connexes (C.G.G.M.A.), organisation indépendante de la C.G.T, aurait été délibérément écartée par les autorités compétentes du mécanisme des négociations collectives, bien qu'elle fût l'organisation la plus représentative des travailleurs de l'industrie maritime. Le plaignant allègue notamment que les organismes de négociation successivement institués de 1947 à 1950 pour résoudre les conflits du travail dans l'industrie maritime - organismes au sein desquels la C.G.G.M.A était représentée - auraient été paralysés. En 1950, une nouvelle commission paritaire aurait été instituée sans représentation de la C.G.G.M.A et en violation formelle d'un accord signé avec le ministre des Transports en 1949.
    3. 267 En ce qui concerne l'allégation de la Confédération internationale des syndicats libres, le gouvernement déclare - on l'a signalé plus haut (voir paragraphe 231) - qu'il est inexact que seuls les syndicats affiliés à la C.G.T puissent légalement conclure des conventions collectives. En fait, le ministère du Travail, qui est l'autorité compétente en la matière, a toujours examiné avec impartialité tout conflit de travail sans faire de distinction entre syndicats affiliés à la C.G.T et syndicats indépendants. A l'appui de son affirmation, le gouvernement fait mention de plusieurs conventions collectives auxquelles des organisations indépendantes étaient parties.
    4. 268 Quant à l'allégation de la Fédération internationale des travailleurs des transports, le gouvernement, tout en déclarant qu'il entend s'abstenir de formuler des observations sur les rivalités entre la C.G.T et la C.G.G.M.A, étant donné qu'il s'agit là de questions intersyndicales pour lesquelles l'Etat n'assume aucune responsabilité, a néanmoins précisé que les organisations de caractère représentatif peuvent engager des négociations directes avec les employeurs sans qu'il soit besoin d'une intervention de l'Etat. Si les employeurs refusent de se prêter à de telles négociations, les organisations intéressées peuvent s'adresser au Conseil des relations professionnelles, organisme créé par le décret du 2 octobre 1945, et qui est compétent pour connaître des cas de « pratiques déloyales » parmi lesquels figure notamment le refus d'un employeur de négocier avec un syndicat.
    5. 269 Le gouvernement ajoute que les négociations avec la C.G.G.M.A ont finalement abouti à la conclusion d'une convention collective.
    6. 270 La plainte de portée générale de la Confédération générale des syndicats libres pose sur le plan pratique la question de savoir si des organisations indépendantes de la C.G.T sont habilitées à conclure des conventions collectives, question qui a été examinée en détail sur le plan légal à propos des «Allégations relatives au statut des syndicats professionnels ».
    7. 271 On se rappellera qu'en principe le droit de conclure des conventions collectives semble être réservé aux organisations les plus représentatives dotées de la personnalité syndicale, que celles-ci soient ou non affiliées à la C.G.T.
    8. 272 Dans sa réponse, le gouvernement confirme que toute organisation de caractère représentatif peut, sans intervention de l'Etat, engager des négociations collectives avec les employeurs, et si ceux-ci se refusent à s'y prêter, elle peut s'adresser au Conseil des relations professionnelles pour faire constater que l'employeur s'est rendu coupable d'une pratique déloyale envers les travailleurs. Le gouvernement fait allusion à l'article 50 du décret sur les associations professionnelles qui énumère, parmi les «pratiques déloyales et contraires à l'éthique professionnelle du travail de la part de l'employeur », le fait « de refuser de mener des négociations collectives avec les travailleurs conformément aux procédures légales ». Tout employeur qui se rendra coupable de pratiques déloyales sera passible d'une amende de trois cents pesos qui pourra être élevée jusqu'au montant équivalant à quinze journées du traitement ou salaire payé au personnel de L'établissement où se seront produites les pratiques déloyales. En cas de récidive, la fermeture de l'établissement pourra être ordonnée pour une durée de un à quinze jours selon la gravité de l'infraction; durant cette période, les salaires normaux devront être payés au personnel qui se trouvera, par suite de cette mesure, privé de son emploi (article 51). Le Conseil des relations professionnelles, qui est composé de sept membres, est appelé à connaître des plaintes relatives à des pratiques déloyales, plaintes qui ne seront toutefois soumises au Conseil que si le secrétaire au Travail ou une association reconnue les estime fondées. La décision du Conseil est rendue à la majorité des voix et a force de chose jugée. Seules, des sanctions entraînant la fermeture de l'établissement ou une amende de plus de mille pesos pourront donner lieu à un recours devant les tribunaux, mais seulement en ce qui concerne la durée de la fermeture ou le montant de l'amende.
    9. 273 A titre de preuve de l'efficacité et de l'impartialité de cette procédure, le gouvernement a cité - on l'a signalé plus haut - toute une série de conventions collectives auxquelles des organisations indépendantes de la C.G.T ont été parties.
    10. 274 Il semble ressortir de cet exposé qu'en fait aussi bien qu'en droit, des syndicats, même s'ils ne sont pas affiliés à la C.G.T, peuvent être parties à des conventions collectives, à condition qu'ils aient un caractère suffisamment représentatif.
    11. 275 Quant à l'allégation plus précise de la Fédération internationale des travailleurs des transports concernant la C.G.G.M.A et d'après laquelle la C.G.T aurait paralysé le fonctionnement des organismes de négociations collectives successivement institués de 1947 à 1950 pour résoudre les conflits du travail dans l'industrie maritime, le gouvernement fait observer qu'avec l'aide du ministère du Travail, les négociations auraient finalement abouti à la conclusion de conventions collectives entre les parties intéressées.
    12. 276 Les allégations du plaignant portent sur des événements qui se sont produits au cours des années 1947 à 1950 et qui ont finalement abouti à un conflit ouvert qui était encore en cours au moment où la plainte a été déposée (2 juin 1950). Or, la réponse du gouvernement, qui date du 24 avril 1952, bien qu'elle soit muette sur les différentes étapes du conflit, rend compte du résultat des négociations acquis depuis le dépôt de la plainte, à savoir : la conclusion de conventions collectives entre les employeurs de l'industrie maritime et les syndicats de la C.G.G.M.A.
    13. 277 Etant donné ce résultat, le Comité estime qu'il n'y a plus lieu d'examiner les allégations qui se rapportent exclusivement aux phases antérieures du conflit.
  • Allégations relatives à la prétendue restriction du droit de grève en vertu des lois sur la sécurité publique
    1. 278 La Confédération internationale des syndicats libres allègue que le gouvernement argentin est en mesure d'interdire toute grève ou d'y mettre fin, et de faire arrêter et condamner à des peines sévères de prison les dirigeants syndicaux qui organisent des grèves, en vertu des articles 33, 34 et 35 de la loi sur la répression des crimes contre la sécurité de l'Etat (décret no 536/45 du 15 janvier 1945), et en vertu des articles 7 et 8 de la loi no 13985 concernant la répression de l'espionnage, du sabotage et de la trahison en date du 11 octobre 1950.
    2. 279 Dans sa réponse, le gouvernement soutient, d'une part, que le décret no 536/45 ne vise pas l'exercice légal du droit de grève, et d'autre part, que la loi no 13985 est dépourvue de tout caractère professionnel ou syndical. Les deux textes ne tendent, en substance, qu'à réprimer des actes de sabotage, d'espionnage, etc. Le gouvernement fait observer qu'il ne s'est jamais trouvé dans la nécessité d'appliquer ces textes incriminés.
    3. 280 Il convient donc de se reporter aux deux textes mis en cause aussi bien par le plaignant que par le gouvernement.
  • Décret-loi du 15 janvier 1945 sur les délits contre la sécurité de l'Etat
    1. 281 Les dispositions de ce décret-loi visent les trois catégories de délits suivants : 1) délit d'incitation à la grève politique ; 2) délit de provocation d'une grève dans les services publics ; 3) délit d'encouragement d'une grève déclarée illégale par l'autorité compétente.
    2. 282 L'article 33, relatif au délit d'incitation à la grève politique, déclare qu'« est passible d'une peine de prison allant de 2 mois à 3 ans, celui qui provoque la suspension ou la cessation du travail pour des motifs étrangers à celui-ci ou qui, tendancieusement, agite des questions économiques, sociales ou politiques en vue d'empêcher la poursuite du travail ».
    3. 283 L'article 34, qui qualifie le délit de provocation à une grève dans les services publics, prévoit qu'"est passible d'une peine de prison allant de 6 mois à 3 ans, celui qui, par quelque manière que ce soit, favorise la déclaration d'une grève d'employés ou d'ouvriers travaillant dans des départements nationaux, provinciaux ou municipaux ou dans des entreprises semi-publiques ou privées qui exploitent des services publics ".
    4. 284 Enfin, l'article 35, relatif au délit d'encouragement à une grève déclarée illégale par les autorités, déclare qu'" est passible d'une peine de prison allant de 1 mois à 2 ans celui qui, par quelque moyen que ce soit, encourage, dans une entreprise privée, la poursuite d'une grève qui a été déclarée illégale par l'autorité compétente ".
    5. 285 Le plaignant déclare que ce décret, par l'ambiguïté voulue des termes " motifs étrangers au travail " et " tendancieusement " de l'article 33, condamne au fond toutes grèves dans les entreprises privées, de même que l'article 34 les interdit dans les entreprises publiques.
    6. 286 Ces dispositions se trouveraient encore renforcées par celles contenues dans la loi du 11 octobre 1950 relative à la répression de l'espionnage, du sabotage et de la trahison.
  • Loi du 11 octobre 1950 tendant à réprimer les délits contre la sécurité de l'Etat.
    1. 287 Aux termes de l'article 7 de cette loi, " est passible d'une peine de prison allant de 1 à 25 ans celui qui, par quelque moyen que ce soit, désorganise, détruit, porte atteinte ou immobilise, en tout ou en partie, temporairement ou de façon permanente, des documents, objets, matériaux, installations, services ou industries de toute nature, avec l'intention de troubler, retarder ou contrecarrer le progrès militaire, économique, financier, social, scientifique ou industriel de la nation ".
    2. 288 L'article 8 de la même loi prévoit qu'" est passible d'une peine de prison allant de 1 à 8 ans celui qui, par quelque moyen que ce soit, alerte le public ou trouble l'esprit public en causant des dommages à la nation ".
    3. 289 Le plaignant prétend qu'en raison de l'imprécision de leurs termes, ces deux articles donnent à un gouvernement désireux d'empêcher ou de mettre fin à une grève le moyen d'arrêter et de condamner à des peines extrêmement sévères les dirigeants syndicaux ayant décidé de recourir à la grève pour des motifs strictement professionnels.
    4. 290 Dans ses diverses réponses, le gouvernement fait tout d'abord observer que ces deux textes n'ont aucun rapport avec le droit syndical et le droit de grève sous sa forme légale. Il précise ensuite que le ministère du Travail, en vertu d'un arrêté du 6 mars 1944, ne peut déclarer illégale une grève que lorsque les travailleurs ne formulent pas leurs revendications par écrit ou recourent à la grève tant que le conflit du travail est encore en instance de conciliation.
    5. 291 Il ressort en effet de l'arrêté cité par le gouvernement que le recours à la grève ou au lock-out est licite sous réserve de la double condition mentionnée plus haut, à savoir: la présentation par écrit des revendications des parties et l'épuisement de la tentative de conciliation. Pendant la procédure de conciliation, le statu quo des conditions de travail doit être observé par les deux parties.
    6. 292 Cette procédure ne semble pas seulement viser les grèves qui peuvent se produire dans l'industrie privée, mais également celles qui se produisent dans les entreprises ou services publics.
    7. 293 Quant aux lois sur la sécurité publique, il convient de noter que les dispositions mises en cause ne visent que le délit d'incitation à des grèves illicites, mais non pas le simple fait de la participation à de telles grèves.
    8. 294 Il ne semble pas moins résulter d'une lecture attentive de ces dispositions que celles-ci, du fait de leur imprécision, pourraient être appliquées à des dirigeants syndicaux dans l'exercice normal de leurs fonctions de défense professionnelle.
    9. 295 Dans ces conditions, le Comité estime que le plaignant n'a pas apporté la preuve que toute espèce de grève pourrait être interdite en vertu des lois sur la sécurité publique.
    10. 296 Toutefois, le Comité, tout en prenant acte de la déclaration du gouvernement qu'il ne s'est jamais trouvé dans la nécessité d'appliquer les dispositions relatives à la grève contenues dans les lois sur la sécurité publique, recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur l'opportunité qu'il y aurait de réviser ces dispositions de manière à ce qu'elles ne puissent s'appliquer aux dirigeants syndicaux dans l'exercice normal de leurs fonctions de défense professionnelle.
  • Allégations relatives à des poursuites qui auraient été intentées arbitrairement contre certains travailleurs et dirigeants syndicalistes
    1. 297 Peuvent être groupées sous ce titre les allégations présentées à cet égard dans la plainte de l'Union internationale des syndicats des travailleurs des transports terrestres et aériens (Bucarest), appuyées par les communications de différentes fédérations nationales, ainsi que certaines allégations contenues dans les plaintes émanant de la Confédération internationale des syndicats libres.
    2. 298 Les plaignants allèguent qu'à la suite de mouvements de grève, un certain nombre de travailleurs et de dirigeants syndicaux auraient été arrêtés par les autorités argentines. Plusieurs d'entre eux auraient été libérés conditionnellement par la suite, d'autres se seraient exilés, mais un certain nombre de personnes arrêtées seraient encore détenues. Dans bien des cas, les détenus auraient été maltraités par la police ; dans deux cas, les victimes auraient succombé aux sévices qu'elles auraient dû endurer.
    3. 299 Rappelons ci-après les principaux faits cités à l'appui de leurs allégations par les plaignants.
    4. 300 En janvier 1951, le gouvernement aurait fait arrêter des centaines de travailleurs des chemins de fer après avoir ordonné, en conséquence d'une grève qualifiée de politique, la mobilisation du personnel ferroviaire, en vertu d'un décret no 473 du 25 janvier 1951. Le gouvernement aurait inculpé les détenus d'avoir constitué une association illégale et d'avoir violé le décret sur la sécurité de l'Etat. Les plaignants allèguent que la grève des chemins de fer aurait été exclusivement motivée par des raisons d'ordre professionnel telles que l'insuffisance des salaires, les licenciements abusifs, etc. Après avoir attendu en fait pendant plus de deux ans que satisfaction fût donnée à leurs revendications, les ouvriers auraient dû recourir à la grève, étant donné que l'Union des cheminots affiliée à la C.G.T se serait refusée à prendre leurs revendications en considération. Ils allèguent en outre qu'ils auraient dû constituer un "comité d'urgence " en dehors de la C.G.T. - comité qualifié par le gouvernement d'association illégale -, mais qu'en ce faisant ils avaient fait simplement usage de leur droit d'association. Le gouvernement lui-même aurait d'ailleurs reconnu le caractère représentatif de ce comité puisqu'il aurait engagé des négociations avec lui et pris l'engagement de prendre leurs revendications en considération. Sur la foi des assurances ainsi données par le gouvernement, la grève aurait été interrompue par deux fois, mais comme le gouvernement ne tenait pas ses promesses, les ouvriers auraient dû recourir, à la date du 24 janvier 1951, pour la troisième fois à la grève, et cette grève aurait été brisée par le gouvernement en vertu du décret de mobilisation mentionné plus haut.
    5. 301 De nouvelles arrestations auraient été opérées à l'occasion d'une grève des chemins de fer déclenchée le 1er août 1951 par la Fraternelle des cheminots.
    6. 302 La Confédération internationale des syndicats libres cite plusieurs exemples de personnes qui, ces derniers temps, auraient été arrêtées et fait l'objet de sévices de la part de la police. Elle cite notamment le cas de M. Cipriano Reyes, député au Parlement, qui, pour avoir réclamé la liberté syndicale, aurait été accusé d'activité subversive, privé de son immunité parlementaire, et incarcéré.
    7. 303 Dans sa réponse, le gouvernement fait observer que les grèves des cheminots auraient été déclarées illégales, non pas en vertu du décret sur la sécurité publique, mais conformément à l'arrêté du 6 mars 1944 sur la conciliation et l'arbitrage des conflits collectifs du travail. Elles auraient été fomentées par des éléments perturbateurs qui auraient attenté, d'une part, aux droits des travailleurs par la constitution d'un comité d'urgence étranger au véritable organisme de représentation ouvrière et, d'autre part, à la stabilité des institutions légales par la violation du décret de 1945 sur le statut des associations professionnelles. Il s'agirait là de questions de droit interne qui relèveraient exclusivement de la juridiction ordinaire. La grève une fois déclarée illégale, il était nécessaire de décréter la mobilisation des chemins de fer pour prévenir les graves dommages qu'une interruption des transports aurait entraînés pour l'économie nationale.
    8. 304 Quant aux arrestations qui auraient été opérées, le gouvernement déclare qu'en fait, seulement cinq personnes seraient détenues, en vertu d'un mandat judiciaire confirmé par la Cour d'appel, et seraient traduites en justice pour des délits de droit commun.
    9. 305 En ce qui concerne plus particulièrement le cas de M. Cipriano Reyes, le gouvernement signale qu'il a été condamné par les tribunaux ordinaires en raison de sa participation à un complot de caractère révolutionnaire et politique. La condamnation n'aurait donc aucun rapport avec l'activité syndicale et politique de l'intéressé.
    10. 306 Pour apprécier les diverses allégations, il paraît nécessaire d'examiner en premier lieu le motif pour lequel des mesures de répression contre des membres ou dirigeants de certaines organisations syndicales auraient été prises.
    11. 307 Le plaignant allègue en premier lieu que c'est à tort que le Comité d'urgence créé par les ouvriers des chemins de fer aurait été qualifié d'" association illégale", puisqu'il représentait la majorité des ouvriers intéressés et que le gouvernement aurait lui-même reconnu son caractère représentatif en négociant avec lui. Le gouvernement a fait, par contre, valoir que la constitution d'un tel comité était étrangère au véritable organisme de représentation des travailleurs et violait le décret sur le statut des associations professionnelles.
    12. 308 Pour apprécier cet aspect de la plainte, il serait nécessaire de se reporter au décret sur les associations professionnelles qui a été examiné en détail ci-dessus (voir "Allégations concernant le statut légal des syndicats ").
    13. 309 Il y a lieu de rappeler qu'en vertu de ce texte, seules les associations dotées de la personnalité syndicale sont en principe compétentes pour représenter les intérêts des travailleurs auprès de l'Etat et des employeurs, et pour engager des négociations collectives. Or le comité d'urgence des cheminots s'était apparemment constitué en dehors de l'Union des cheminots affiliée à la C.G.T et qui, seule, avait la capacité de représenter les travailleurs des chemins de fer. C'est évidemment en se basant sur ce fait que le gouvernement a pu déclarer que la constitution du comité d'urgence violait le décret sur les associations professionnelles.
    14. 310 Le plaignant a allégué en second lieu que les grèves dans les chemins de fer auraient été arbitrairement qualifiées de grèves politiques et que, de ce fait, des mesures de représailles auraient été prises en application du décret sur la sécurité publique.
    15. 311 Le gouvernement a soutenu, par contre, que la grève fut déclarée illégale non pas en vertu de la loi sur la sécurité publique, mais en vertu de l'arrêté du 6 mars 1944 sur les conflits collectifs du travail, arrêté qui a une portée tout à fait générale.
    16. 312 On a signalé plus haut qu'aux termes de cet arrêté, les travailleurs et les employeurs doivent, avant de pouvoir recourir à la grève ou au lock-out, présenter par écrit leurs revendications au secrétaire au Travail et attendre la fin de la procédure de conciliation. L'article 4 de cet arrêté prévoit en outre que les pourparlers de conciliation ne pourront être engagés si, au moment de la présentation du cahier de revendications, des grèves ou des lock-outs se sont déjà produits ou si les parties annoncent qu'elles vont y recourir incessamment. Or le gouvernement précise dans sa réponse que les grèves se sont effectivement produites à un moment où les négociations étaient encore en cours et devaient, de ce fait, être déclarées illégales conformément aux dispositions de l'arrêté sur les conflits collectifs du travail. Il ajoute que la grève une fois déclarée illégale, le décret de mobilisation n'avait pour seul but que d'assurer l'exécution de cette décision (déclaration d'illégalité de la grève) afin d'épargner à la collectivité nationale les graves répercussions d'une interruption des transports.
    17. 313 Il s'ensuivrait donc que les sanctions prises à la suite des grèves ne le furent pas en vertu des décrets sur la sécurité publique, comme le prétendent les plaignants, mais en vertu des dispositions de droit commun et de portée tout à fait générale.
    18. 314 A propos de la liste des noms de personnes arrêtées qui était jointe aux diverses plaintes, le gouvernement a déclaré que seulement cinq personnes ont été traduites en justice pour des délits de droit commun et en vertu d'un mandat de détention préventive rendu par le juge compétent et confirmé par la Cour d'appel. Il semble ainsi ressortir de la réponse du gouvernement que pratiquement toutes les personnes qui, d'après les plaignants, auraient été arrêtées ont été libérées depuis.
    19. 315 En ce qui concerne plus particulièrement le cas de M. Cipriano Reyes, député au Parlement, le gouvernement soutient que l'intéressé a été condamné par les tribunaux civils du pays en raison non pas de son activité politique ou syndicale, mais uniquement en raison de sa participation à un complot de caractère politique et révolutionnaire.
    20. 316 Il semble ressortir de cette analyse que le plaignant n'a pas apporté de preuves suffisantes pour soutenir son allégation que des centaines d'ouvriers auraient été arbitrairement arrêtés en vertu des lois d'exception sur la sécurité publique.
    21. 317 De l'examen d'ensemble du cas le Comité a dégagé les conclusions suivantes.
    22. 318 En ce qui concerne les allégations relatives au statut des syndicats professionnels, le Comité a noté qu'aux termes de la réglementation en vigueur, tous les travailleurs ont le droit, sans discrimination d'aucune sorte et sans autorisation préalable, de constituer des associations professionnelles, et que celles-ci sont à leur tour complètement libres dans leur organisation, leur fonctionnement et leur administration. Cette réglementation ne met toutefois pas sur le même plan les organisations non enregistrées, les organisations enregistrées, et les organisations dotées de la personnalité syndicale. Aussi le Comité, tenant compte du fait que le statut privilégié accordé aux associations dotées de la personnalité syndicale peut indirectement avoir pour effet de peser sur la liberté des travailleurs d'adhérer à des organisations de leur choix, estime-t-il désirable que le gouvernement réexamine les problèmes soulevés par la distinction qui est actuellement faite entre les associations dotées de la personnalité syndicale et les autres organisations syndicales.
    23. 319 En ce qui concerne les allégations relatives à la violation des droits syndicaux par voie administrative, le Comité a noté qu'aux termes de la réglementation actuellement en vigueur, le gouvernement ne peut légalement intervenir dans la formation, le fonctionnement et l'administration des organisations professionnelles, quel que soit leur statut, et que le plaignant n'a pas apporté la preuve que le gouvernement ne se soit pas conformé à ce principe. Etant donné toutefois qu'en ce qui concerne l'allégation d'après laquelle la C.G.T argentine aurait exercé des pressions contre des syndicats autonomes, le gouvernement a déclaré décliner toute responsabilité à cet égard pour la raison qu'il s'agirait là d'affaires purement intersyndicales dans lesquelles il n'aurait pas à intervenir, le Comité estime qu'il serait désirable que le gouvernement argentin prenne, si nécessaire, des mesures appropriées en vue, d'une part, d'assurer aux travailleurs et aux employeurs le libre exercice de leur droit syndical et, d'autre part, de protéger leurs organisations contre d'éventuelles pressions d'organisations rivales ou de tiers.
    24. 320 En ce qui concerne les allégations relatives au pouvoir qu'aurait le gouvernement de supprimer le droit de grève en vertu des lois sur la sécurité publique - lois sur lesquelles le Comité n'a pas à se prononcer -, le Comité a noté que le plaignant n'a pas apporté les preuves de son allégation que toute espèce de grève pourrait être interdite en vertu de ces lois, étant donné que les grèves sont licites si les parties se conforment aux prescriptions prévues par la réglementation sur la conciliation et l'arbitrage. Le Comité a également noté l'assurance donnée par le gouvernement qu'il ne s'est jamais trouvé dans la nécessité d'appliquer les textes incriminés. Toutefois, le Comité, notant l'imprécision des termes de certains articles relatifs aux grèves figurant dans les lois sur la sécurité publique, estime désirable que le gouvernement argentin réexamine ces dispositions en vue d'assurer qu'elles ne puissent être invoquées contre des dirigeants syndicalistes dans l'exercice normal de leurs fonctions de défense professionnelle.
    25. 321 En ce qui concerne les allégations relatives aux persécutions dont auraient été l'objet certains travailleurs et dirigeants syndicalistes, le Comité a noté que les sanctions prises ne le furent pas en vertu des lois sur la sécurité publique, comme le prétendent les plaignants, mais en vertu des dispositions de droit commun et de portée tout à fait générale. Le Comité a également noté qu'à l'exception de six personnes, dont cinq furent condamnées pour des délits de droit commun et une pour complot contre l'Etat, toutes les autres personnes arrêtées à la suite des grèves ont été libérées.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 322. En conclusion, le Comité recommande au Conseil d'administration:
  2. 1) d'attirer l'attention du gouvernement argentin sur l'opportunité de réexaminer les problèmes soulevés par la distinction qui est actuellement faite entre les associations dotées de la personnalité syndicale et les autres organisations syndicales ;
  3. 2) d'attirer l'attention du gouvernement argentin sur l'opportunité de prendre, si nécessaire, des mesures appropriées en vue, d'une part, d'assurer aux travailleurs et aux employeurs le libre exercice de leur droit syndical, d'autre part, de protéger leurs organisations contre d'éventuelles pressions d'organisations rivales ou de tiers ;
  4. 3) d'attirer l'attention du gouvernement argentin sur l'opportunité de réexaminer les dispositions relatives aux grèves figurant dans les lois sur la sécurité publique en vue d'assurer qu'elles ne puissent être invoquées contre des dirigeants syndicalistes dans l'exercice normal de leurs fonctions de défense professionnelle.
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