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- 4. Le Comité, à sa huitième session (mars 1954) a fait rapport au Conseil d'administration sur une plainte de la Confédération internationale des syndicats libres alléguant qu'il serait porté atteinte à l'exercice des droits syndicaux en Hongrie. Considérant qu'il était saisi d'allégations précises selon lesquelles la situation existant en Hongrie était incompatible avec le principe de la liberté syndicale - allégations auxquelles le gouvernement s'était abstenu de répondre -, le Comité avait recommandé au Conseil d'administration de décider que le cas méritait un examen plus approfondi de sa part. Cette conclusion du Comité a été approuvée par le Conseil d'administration à sa 124ème session (mars 1954). A sa 130ème session (novembre 1955), le Conseil d'administration a d'autre part décidé de charger le Directeur général d'entreprendre, au nom du Conseil d'administration, une nouvelle démarche auprès du gouvernement hongrois en vue d'obtenir ses observations éventuelles concernant la plainte de la C.I.S.L. Répondant à cette demande du Conseil d'administration, le gouvernement hongrois a fait parvenir ses observations par une lettre en date du 6 février 1956.
- 5. Alors que les tragiques événements qui se déroulent actuellement en Hongrie doivent être au premier plan des préoccupations du Comité et du Conseil d'administration, le Comité estime important de poursuivre l'examen de la plainte initiale et de la réponse du gouvernement hongrois à cette plainte et de formuler ses observations sur cette réponse, étant donné que les événements qui ont suivi ont démontré que la plainte initiale était fondée et que la réponse initiale n'était pas satisfaisante ; c'est ce que le Comité a fait aux paragraphes 6 à 37 du présent rapport. Les conclusions du Comité en ce qui concerne la situation actuelle figurent aux paragraphes 38 à 45 du rapport.
6. La plainte de la C.I.S.L, datée du 24 janvier 1951, contient les allégations suivantes concernant l'exercice des droits syndicaux en Hongrie
6. La plainte de la C.I.S.L, datée du 24 janvier 1951, contient les allégations suivantes concernant l'exercice des droits syndicaux en Hongrie- 7. Un système identique à celui de la Tchécoslovaquie, et qui a son origine en U.R.S.S, serait également appliqué en Hongrie. Le droit de constituer des syndicats aurait été remplacé par le syndicalisme obligatoire ; en outre, les communistes qui font partie des syndicats ont l'ordre de s'emparer des leviers de commande et d'appliquer la politique du Parti communiste. Comme, dans ces pays, ce sont les communistes qui détiennent le pouvoir, c'est donc le gouvernement lui-même qui a la haute main sur les syndicats. Les syndicats n'ont pas le droit d'exercer librement leur activité et les droits syndicaux fondamentaux sont violés.
- 8. Le plaignant a en outre allégué qu'on a inculqué aux syndicats hongrois une conception nouvelle de leurs obligations, et que le premier ministre adjoint, Matyas Rakosi, a déclaré, suivant le journal Szabad Nép, que les syndicats ont comme tâche permanente de faire comprendre que leur rôle n'est plus maintenant de protéger les intérêts des travailleurs, mais d'être au service de toutes les démocraties populaires.
- 9. Au dire du plaignant, il semble pourtant qu'il n'ait pas été facile de soumettre les travailleurs hongrois à ce contrôle rigoureux du parti. Le journal Szabad Nép a publié, en juillet 1950, des décisions du comité politique du Parti hongrois des travailleurs concernant certains problèmes touchant à l'activité en matière syndicale. Suivant ce journal, le Comité politique a examiné l'action exercée par les communistes au sein du Conseil national des syndicats et aux échelons supérieurs de la hiérarchie syndicale. Ces dirigeants ont été blâmés par ce comité dans les termes suivants:
- Les communistes qui sont membres du Conseil des syndicats n'ont pas lutté pour assurer fermement le rôle dominant du Parti ni pour assurer la mise en oeuvre systématique des directives du Parti dans les syndicats. Ces dirigeants ont reconnu en paroles le rôle dominant du Parti, mais, en pratique, ils ont toléré et ils ont excusé ceux qui minimisaient ce rôle, et certains d'entre eux se sont, laissés aller à les imiter. Ils ont toléré et ils ont dissimulé l'activité de certains chefs syndicaux, des dirigeants du Memosz (Association nationale des travailleurs du bâtiment) et du Syndicat des mineurs, par exemple, qui, jusqu'à ces derniers temps, ont souvent trompé le Parti et lui ont manifesté une attitude hostile... En sous-estimant le rôle du Parti, ils en sont arrivés logiquement à laisser le champ libre aux éléments contre-révolutionnaires de tendance sociale-démocrate de droite dans les syndicats et ils ont permis à nos ennemis de tenter de mettre les syndicats en opposition avec le Parti.
- 10. Selon le plaignant, la plainte suivante montre combien il a été difficile de mettre à la raison les travailleurs hongrois:
- L'influence des opportunistes sociaux-démocrates et la désaffection qui se manifeste à l'égard du Parti doivent être radicalement éliminées de la direction des syndicats. Les dirigeants syndicalistes se donnent pour tâche fondamentale d'amener les syndicats à accomplir sans fléchissement la mission qui leur est dévolue, celle d'être le principal soutien du Parti dans le domaine de la production et du développement des industries socialistes. Les syndicats doivent lutter systématiquement pour la réalisation du plan de cinq ans, pour l'augmentation du rendement, pour la réduction des frais de production, pour l'établissement d'un système socialiste des salaires et des normes qui soit équitable et pour le développement du mouvement stakhanoviste et l'émulation dans la production.
- 11. Le secrétaire du Parti communiste de Budapest, Kovács, aurait déclaré aux ouvriers que leurs fonctionnaires syndicaux n'étaient pas les représentants des syndicats, mais les représentants du Parti au sein des syndicats, et que leur tâche était d'assurer le rôle dominant du Parti et l'exécution de ses consignes.
- 12. Il ressortirait de cette déclaration que les syndicats n'existent plus en tant qu'organisations indépendantes destinées à protéger leurs membres. L'Etat est le patron ; le parti communiste est l'Etat ; le Parti a toujours raison.
- 13. Le plaignant a ajouté en outre ce qui suit : les dirigeants qui ne se conforment pas au mot d'ordre du Parti, comme Kishazi, président des syndicats hongrois, sont renvoyés non pas par les membres des syndicats, mais par le gouvernement. Il n'y a plus de vote secret pour l'élection des fonctionnaires syndicaux; un vote à main levée permet de repérer tous ceux qui sont opposés au candidat communiste. Les travailleurs sont ainsi forcés d'appuyer un système qui permet de favoriser l'ouvrier le plus fort et le plus habile de l'usine et de lui donner l'outillage le meilleur. Son record de production devient ensuite la " norme " pour ce travail. Tous ceux qui ne peuvent l'atteindre doivent subir une réduction des taux de salaire à la tâche.
- 14. Les renseignements ci-dessus montrent, selon le plaignant, que le système établi en U.R.S.S en ce qui concerne les organisations de travailleurs est également imposé aux pays dominés par les communistes et que les travailleurs perdent ainsi, dans ces pays, les avantages d'un véritable syndicalisme. Les décisions dont dépendent la vie et le bien-être des travailleurs sont prises par des dictateurs ; les masses n'ont qu'à se taire et à se soumettre.
- ANALYSE DE LA REPONSE DU GOUVERNEMENT
- 15. Dans sa réponse, en date du 6 février 1956, le gouvernement hongrois qui était alors au pouvoir a déclaré ce qui suit:
- Introduction
- 16. Le gouvernement hongrois désire souligner, en guise d'avant-propos, que la plainte adressée à l'Organisation internationale du Travail par la Confédération internationale des syndicats libres comprend des inexactitudes et des accusations dénuées de tout fondement. Si le gouvernement hongrois désire, malgré tout, faire connaître la situation des syndicats hongrois, c'est exclusivement dans l'intérêt de l'amélioration des relations internationales, de la suppression des malentendus. Parlant de la situation des syndicats hongrois, il faut préciser, dès l'introduction, qu'elle n'est, en effet, pas analogue à celle des syndicats fonctionnant dans les pays capitalistes. Cette différence provient du fait qu'en Hongrie, le système capitaliste exploiteur a pris fin et que c'est la classe ouvrière, alliée à la paysannerie travailleuse, qui est au pouvoir. Le nouveau système social, le système de démocratie populaire, représente des nouveaux rapports de propriété ; il transforme le système étatique et juridique ; il crée et applique de nouvelles formes d'organisation. Parmi les conditions de la démocratie populaire, les rapports de l'Etat envers les travailleurs et les rapports des travailleurs envers l'Etat - cet Etat qu'ils acceptent totalement comme leur pour la première fois - sont transformés. C'est la classe ouvrière qui exerce le pouvoir, celle qui est en majorité membre des syndicats, et qui donne la majorité des dirigeants de l'Etat et des chefs économiques. Les éléments les plus évolués de cette même classe ouvrière sont les membres du parti révolutionnaire. Etat, syndicats et Parti, chacun à sa propre place, sont les représentants du nouveau pouvoir, les représentants de la classe ouvrière.
- Les rapports entre les syndicats hongrois et l'Etat
- 17. Avant la libération, avant 1945, les associations étaient soumises, en Hongrie, à un contrôle de la police, police qui surveillait aussi les réunions de ces associations. Leur contrôle était effectué non pas par les ministres compétents, mais par le ministre de l'Intérieur, par l'organe suprême de la police. Bien que les syndicats aient été considérés comme des " associations ", ils étaient soumis à une surveillance sévère et leur sphère d'activité était très limitée. La loi ne leur garantissait aucun droit en matière de réglementation des conditions de travail. Par contre, après la libération de la Hongrie, et après le remaniement démocratique du pays, l'article 56 de la Constitution de 1949 (loi XX de 1949) énonce : " La République populaire hongroise garantit le droit d'association, afin de développer les activités sociales, économiques et culturelles des travailleurs. " Dans la République populaire hongroise, les syndicats jouissent de droits particuliers. Ils ont une autonomie complète ; les lois et décrets en vigueur ne comportent aucune disposition, même en ce qui concerne leur enregistrement. Les syndicats gèrent eux-mêmes leurs affaires et leurs règlements sont adoptés et mis à exécution par les organes élus des syndicats. L'alinéa 1) de l'article 15 du décret-loi no 18 de 1955 sur les associations dit expressément que l'effet de ce décret ne s'étend pas aux syndicats. Par cette disposition, on a formellement reconnu le fait qu'en Hongrie les organes étatiques ne peuvent intervenir dans la vie interne des syndicats. (C'est ici qu'il faut noter que le décret no 7330 de 1946, cité dans les documents reçus, a été abrogé par le décret no 73 de 1954 du Conseil des ministres sur l'exercice de la surveillance générale des associations.) Mais les décrets précités ne concernent pas la situation juridique des syndicats. En Hongrie, tout le monde peut adhérer aux syndicats, sans distinction aucune. Avant 1945, les fonctionnaires n'avaient pas ce droit. Actuellement, les fonctionnaires peuvent adhérer librement aux différentes organisations et y remplir des fonctions. Le décret no 538 de 1945 du Président du Conseil des ministres déclare en son paragraphe 1 " Les fonctionnaires publics ne sont nullement limités en ce qui concerne leur inscription à des organisations politiques, aux syndicats libres... " Aux termes de l'article 55 de la Constitution hongroise, " la République populaire hongroise, conformément aux intérêts des travailleurs, garantit la liberté de parole, la liberté de presse, la liberté de réunion ". Rien n'empêche donc une organisation quelconque de donner, sans autorisation préalable, toute publicité à ses objectifs et à ses activités. Les syndicats hongrois disposent d'un quotidien permanent, le Népszava. De nombreux syndicats, tels que, par exemple, le Syndicat national des travailleurs du bâtiment, du bois et des matériaux de construction, le Syndicat national des travailleurs de la fonction publique, etc., font paraître un journal syndical spécial. Les syndicats hongrois ont également une maison d'édition qui a fait paraître, entre 1952 et 1954, 882 livres et brochures en 4.300.000 exemplaires. Il n'y a aucune loi, disposition ou pratique administrative en Hongrie restreignant la liberté des membres des syndicats de tenir des réunions. Ils n'ont pas d'autorisation préalable à demander au gouvernement; la présence de représentants du gouvernement n'est pas requise ; ils peuvent aussi, s'ils le désirent, organiser des réunions communes avec d'autres organisations. La juridiction hongroise assure de larges attributions aux syndicats et met à leur disposition des moyens juridiques efficaces afin qu'ils puissent remplir leurs tâches concernant la représentation et la défense des intérêts de façon intégrale. C'est à la réalisation de ces principes que visent l'article 4 A du Code du travail (décret-loi no 7 de 1951, modifié par le décret-loi no 25 de 1953), ainsi que les articles 1 à 3 du décret no 53 de 1953 du Conseil des ministres portant sur l'application du Code du travail, aux termes desquels les organes de l'Etat réglementent les questions relatives aux conditions de vie des travailleurs, avec la collaboration du Conseil central des syndicats et des syndicats. Les syndicats jouent un rôle important dans le domaine de la protection du travail. Aux termes de l'article 155 du décret no 53 de 1953 du Conseil des ministres, portant sur l'application du Code du travail, le contrôle préalable de la protection du travail et de l'hygiène publique des usines, ateliers et machines est la tâche des syndicats. De nouvelles usines, institutions, machines, des équipements nouveaux, ne peuvent commencer à fonctionner qu'avec leur autorisation. Les inspecteurs de la protection du travail des syndicats peuvent, en cas de non-application des règles de la protection du travail, donner des instructions tendant à y remédier et, au cas où la non-application de ces règles menace la santé corporelle des travailleurs, ils peuvent faire arrêter le fonctionnement des machines, des équipements, des ateliers, et, si nécessaire, de l'usine tout entière. Les inspecteurs de la protection du travail des syndicats ont le droit d'infliger des amendes aux dirigeants économiques pour la non-application des règles de la protection du travail ou, dans les cas graves, de soumettre aux autorités une plainte contre les chefs responsables (décret no 121 de 1951 du Conseil des ministres.) Le gouvernement hongrois a confié aux syndicats la direction et le contrôle de la sécurité sociale. Aux termes de l'article 2 du décret-loi no 39 de 1955 portant sur l'assurance-maladie des travailleurs, c'est le Conseil des ministres, après avis du Conseil central des syndicats, qui est compétent en matière d'assurance-maladie. Les fonctionnaires des syndicats jouissent d'une sérieuse assistance judiciaire. Aux termes de l'article 29 2) du Code du travail, ils ne peuvent être congédiés qu'avec l'assentiment de l'autorité syndicale supérieure. Dans le domaine financier et économique, les syndicats hongrois sont totalement indépendants de l'Etat. Leur budget n'a aucun rapport avec le budget de l'Etat; seuls les dirigeants syndicaux décident de l'utilisation des recettes.
- Les rapports entre les syndicats hongrois et le Parti des travailleurs hongrois
- 18. Le Parti des travailleurs hongrois est le parti de la classe ouvrière, du peuple travailleur. Il unit dans ses rangs les forces les plus évoluées du peuple hongrois, les meilleurs éléments de la classe ouvrière, de la paysannerie laborieuse et des intellectuels. Ce parti est la force motrice du système de démocratie populaire, et ce, grâce à sa préparation théorique et combative, à la qualité de ses membres, et, en tout premier lieu, à sa politique, qui sert les intérêts des travailleurs et qui est approuvée et soutenue par l'immense majorité du peuple hongrois. La classe ouvrière hongroise reconnaît, la direction du Parti ; c'est ce que montre le passage cité des statuts des syndicats hongrois. Il faut souligner cependant que dans la pratique on ne saurait dire que le Parti dirige les syndicats que pour autant que certains membres du Parti sont capables de diriger ces syndicats. Les membres du Parti prennent une part active à la production, à la vie politique, économique et culturelle. Ils s'efforcent, par des paroles et des faits, de gagner jour après jour la confiance des travailleurs, pour eux-mêmes et pour le Parti. Le Parti, bien entendu, attribue une très grande importance aux syndicats, en tant qu'ils constituent la plus grande organisation sociale de la classe dirigeante. L'attention du Parti envers les syndicats ne se manifeste pas, il s'en faut de beaucoup, par une intervention organique ou administrative, mais par l'éducation des membres du Parti qui militent dans les syndicats. Compte tenu de tout cela, il faut déclarer de façon résolue que la calomnie concernant la mainmise générale du Parti sur les syndicats ou sur les membres des syndicats est dénuée de tout fondement. Les résolutions du Parti ne sont obligatoires que pour les membres du Parti. Pour les non-membres, elles représentent simplement des recommandations. Jamais, nulle part, le Parti n'agit au nom des syndicats, mais par contre il ordonne à ses membres d'accomplir consciencieusement les décisions des organes syndicaux. Les syndicats peuvent librement procéder à des enquêtes disciplinaires également contre les membres du Parti. Les membres du Parti ne jouissent pas d'avantages spéciaux dans les syndicats. Karoly Peyer, représentant de l'ancienne Hongrie à la direction de la Confédération internationale des syndicats libres, pourra confirmer que le Parti social-démocrate de la Hongrie d'antan avait prescrit, dans nombre de syndicats, la participation obligatoire et l'abonnement au journal du Parti. Le Parti des travailleurs hongrois non seulement ne contraint personne à adhérer au Parti, mais choisit ses membres avec beaucoup de circonspection.
- Quelques-unes des questions concernant la situation et l'activité des syndicats hongrois
- 19. Depuis sa création, en 1898, le mouvement syndical hongrois a toujours relevé de la direction d'un seul centre syndical, le Conseil central des syndicats. Il n'y a donc jamais eu en Hongrie deux ou plusieurs centrales syndicales. Les travailleurs hongrois ont continué à garder, après la victoire sur le fascisme, leur traditionnelle unité. Les syndicats hongrois jouissent de l'entière confiance des travailleurs, ce qui est prouvé par le fait que, même avec l'affiliation volontaire, ils groupent la majorité des travailleurs dans toutes les différentes branches de l'économie nationale et qu'ils sont arrivés, au cours de ces dernières années, à obtenir de nombreux résultats dans le domaine du relèvement des conditions de vie et de travail et de la défense des intérêts de leurs membres. Dans ces circonstances, les travailleurs hongrois repoussent toute tentative visant à détruire l'unité syndicale. Il est fait mention, dans les documents reçus 1, de l'alinéa 2) de l'article 56 de la Constitution hongroise comme s'il prescrivait l'unité des syndicats par des décrets obligatoires. Une telle interprétation est erronée ; l'article en question parle du groupement des travailleurs et de leur unité démocratique, mais ne comprend pas, loin de là, de disposition ayant le sens qui lui est prêté. Un démocratisme le plus total caractérise la vie interne et l'activité des syndicats hongrois. Leurs statuts ont été approuvés par le congrès réunissant tous les syndicats. Ces statuts établissent clairement les droits et les devoirs des membres, ainsi que ceux des organes à tous les échelons. La plainte formulée par la Confédération internationale des syndicats libres comporte l'affirmation non conforme à la vérité disant que les fonctionnaires syndicaux ne sont pas élus au scrutin secret, mais par vote à main levée. A ce sujet il n'est besoin que de citer l'article 17 des Statuts des syndicats hongrois, selon lequel : " Les comités d'atelier, les comités d'entreprise, les comités régionaux, les conseils syndicaux départementaux, les bureaux fédéraux des syndicats nationaux, ainsi que le Conseil central des syndicats sont élus au scrutin secret par les membres des syndicats ou, selon le cas, par leurs délégués. " Les dirigeants de la Confédération internationale des syndicats libres exposent le fait que les syndicats hongrois organisent des compétitions de travail, participent à la fixation des normes de travail et des salaires, comme si tout cela était fait en faveur de l'Etat et allait à l'encontre des intérêts des travailleurs. A propos de cette assertion, il faut à nouveau attirer l'attention sur le fait qu'en Hongrie la classe ouvrière est devenue classe dirigeante et qu'elle ne peut espérer que d'elle-même le relèvement de son propre bien-être et de sa culture. C'est pour cette raison que les syndicats organisent des compétitions de travail, qu'ils font de la propagande de production, non pas sur ordre de l'Etat, mais conformément au désir et à l'initiative des travailleurs, d'après leurs propres décisions. Il est prétendu dans les documents reçus que les normes de travail sont élevées en Hongrie. Au sujet de cette affirmation non fondée, il faut dire que les normes sont fixées par des méthodes expérimentales et scientifiques, non pas par les syndicats, mais par les chefs techniques économiques. Les syndicats peuvent donner leur avis, faire des observations, des propositions, et faire des contestations en des lieux supérieurs. En ce qui concerne les assertions portant sur le " favoritisme des stakhanovistes ", il faut rappeler qu'il y a en Hongrie de nombreuses dizaines de milliers de stakhanovistes. Il est difficile de croire que ce sont tous des favorisés, et ce, soi-disant, dans le but de justifier les normes élevées. Si le rendement des stakhanovistes était égal à la norme, ils ne pourraient atteindre des rendements de plusieurs cent pour cent. Ces assertions sont contraires à tout raisonnement sensé. En conclusion, le gouvernement hongrois exprime l'espoir que, sur la base de ce qui vient d'être dit, les différents organes de l'Organisation internationale du Travail auront la possibilité de faire connaître la véritable situation des syndicats en Hongrie à la Confédération internationale des syndicats libres et demande, pour sa part, aux organes de l'Organisation internationale du Travail de tout mettre en couvre pour obtenir cette mise au point, c'est-à-dire pour la suppression des divergences d'opinion.
- OBSERVATIONS CONCERNANT LA REPONSE SOUMISE LE 6 FEVRIER 1956 PAR LE GOUVERNEMENT HONGROIS ALORS AU POUVOIR
- 20. La réponse en date du 6 février 1956 faite par le gouvernement alors au pouvoir appelle les observations suivantes du Comité.
- Allégation relative à l'impossibilité de constituer librement des syndicats de travailleurs
- 21. Il était allégué que la Hongrie aurait adopté le même système syndical que la Tchécoslovaquie et l'Union soviétique, système qui, selon le plaignant, est caractérisé par le monopole de l'organisation syndicale existante, ou encore par l'impossibilité pour les travailleurs de constituer des organisations professionnelles en dehors d'un " système d'organismes " qui, bien que désigné par le terme " syndicat " ne s'acquitte pas des fonctions normales d'une organisation syndicale. C'est ainsi que le droit de constituer librement des syndicats ouvriers aurait été remplacé en Hongrie par le syndicalisme obligatoire.
- 22. En examinant, à sa huitième session (mars 1954), la législation définissant le régime syndical de la Hongrie, le Comité avait notamment pris en considération les dispositions des articles 55 et 56 de la Constitution hongroise de 1949, ainsi que diverses dispositions législatives réglementant le droit d'association. Le Comité avait remarqué que la Constitution hongroise de 1949 " garantissait le droit d'association dans l'intérêt du développement de l'activité sociale, économique et culturelle des travailleurs ", et qu'elle comportait une " disposition consacrant le principe - appliqué en fait depuis 1945 - de l'unité du mouvement syndical et de son rattachement au Front populaire démocratique ". Le paragraphe 56 de la Constitution hongroise, auquel le Comité s'était référé, a la teneur suivante
- 56. 1) La République populaire de Hongrie garantit constitutionnellement le droit d'association dans l'intérêt du développement de l'activité sociale, économique et culturelle du travailleur.
- 2) Pour l'accomplissement de ses tâches, la République populaire de Hongrie s'appuie sur les organisations de travailleurs conscients. Afin de défendre l'ordre démocratique populaire, d'intensifier la participation à l'édification du socialisme, de développer l'oeuvre d'éducation culturelle, de réaliser les droits du peuple et de cultiver la solidarité internationale, les travailleurs constituent des syndicats professionnels, des associations démocratiques de femmes et de jeunes, ainsi que d'autres organisations de masse, et groupent toutes ces forces dans le Front populaire démocratique. Dans ces organisations se réalisent la collaboration étroite et l'unité démocratique des travailleurs de l'industrie, des travailleurs agricoles et des travailleurs intellectuels. La classe ouvrière, s'appuyant sur l'unité démocratique du peuple et guidée par son avant-garde, constitue la force directrice dans l'activité politique et sociale.
- Les dispositions législatives réglementant le droit d'association, que le Comité avait prises en considération, étalent celles de la loi no XVII de 1938 sur la répression des abus en matière de droit d'association, telle qu'amendée par le décret gouvernemental no 7330 de 1946. Le Comité avait constaté que la loi no XVII de 1938 telle qu'amendée était une loi de portée générale, applicable à toutes les associations sans distinction, en vertu de laquelle " celles-ci se trouvaient placées sous la haute surveillance du ministre de l'Intérieur, auquel il appartenait notamment d'en autoriser la constitution, d'en approuver les statuts et règlements intérieurs et de prononcer la dissolution des associations illégales ".
- 23. Dans sa réponse, le gouvernement formulait les observations suivantes concernant les textes précités:
- 1) L'article 56 2) de la Constitution hongroise ne vise pas à établir un régime d'unité syndicale ayant un caractère obligatoire. Une telle interprétation est erronée : l'article en question traite des groupements de travailleurs et de leur unité démocratique, mais ne comprend aucune disposition ayant le sens qui lui est prêté par le Comité.
- 2) Le décret no 7330 de 1946, modifiant la loi no XVII de 1938, a été abrogé par le décret no 73 de 1954 du Conseil des ministres, relatif à la surveillance générale des associations. Ces textes ne concernent toutefois pas la situation juridique des syndicats.
- Le gouvernement se référait également à deux autres textes législatifs dont le Comité n'avait pas eu connaissance lors du premier examen du cas à sa session de mars 1954, à savoir : 1) le décret-loi no 18 de 1955 sur les associations ; 2) le décret no 25 de 1953 modifiant le Code du travail. En ce qui concerne le décret-loi no 18 de 1955 sur les associations, le gouvernement indiquait que ce texte - qui a abrogé l'ensemble de la législation antérieure en matière de droit d'association - comporte une clause (article 15 1)) aux termes de laquelle les syndicats professionnels se trouvent expressément exclus de son champ d'application. Le décret no 25 de 1953 contient d'autre part une disposition reconnaissant le caractère représentatif du Conseil central des syndicats et des syndicats affiliés, qui est ainsi conçue:
- 4A. 1) Le Conseil national des syndicats professionnels et les syndicats professionnels pourront, en qualité de représentants des intérêts des travailleurs, en vue d'assurer l'élévation constante du niveau matériel et culturel des travailleurs et de sauvegarder les droits qui leur sont conférés par le Code du travail, régler les questions concernant le niveau de vie des travailleurs, à savoir, notamment, les conditions de travail, les salaires, la protection du travail, la fourniture de main-d'oeuvre, l'émulation professionnelle, l'assurance sociale, la culture et les sports et, pour assurer la sauvegarde et la protection des droits des travailleurs, les représenter devant les autorités et les tribunaux.
- 24. En ce qui concerne l'unité de fait du mouvement syndical hongrois, le gouvernement faisait valoir que les syndicats hongrois s'étaient placés, dès 1898, sous la direction d'une centrale unique, qui était le Conseil central des syndicats et qu'il n'a jamais existé en Hongrie plusieurs centrales syndicales et que les travailleurs hongrois ont su sauvegarder leur unité sur le plan syndical, les syndicats hongrois groupant la majorité des travailleurs dans toutes les branches de l'économie et jouissant de leur entière confiance. Dans ces circonstances, les travailleurs hongrois repousseraient résolument toute tentative visant à briser l'unité du mouvement syndical.
- 25. Selon les informations fournies par le gouvernement, la législation hongroise ne comportait que deux dispositions se rapportant au régime syndical, à savoir : l'article 56 de la Constitution cité au paragraphe 22 ci-dessus, et l'article 4 A du Code du travail, tel qu'amendé par le décret no 7 de 1953 ; aucun de ces deux textes ne contenait cependant de dispositions réglementant la constitution des organisations syndicales.
- 26. Dans ces conditions, le Comité note que si, au moment où la réponse a été communiquée, il existait en Hongrie une législation réglementant le droit d'association en général, les syndicats n'étaient pas visés par cette réglementation et le Comité ne possède aucun élément d'information concernant le statut légal qui serait applicable à un syndicat qui désirerait se constituer en dehors du mouvement syndical existant. Le Comité attache une importance fondamentale au principe universellement reconnu selon lequel " les travailleurs sans distinction d'aucune sorte devraient avoir le droit de constituer sans autorisation préalable, des organisations de leur choix et de s'y affilier ", et confirme à nouveau l'opinion qu'il avait émise dans des cas antérieurs, et notamment dans celui relatif à la République dominicaine, selon laquelle le droit des travailleurs de constituer librement des organisations de leur choix ne peut être considéré comme existant que dans la mesure où il est pleinement reconnu et respecté tant en fait qu'en droit.
- Allégations relatives à la subordination des syndicats existants à l'Etat et au Parti des travailleurs hongrois (Parti communiste)
- 27. Selon le plaignant, les communistes qui militent dans les syndicats auraient reçu l'ordre de s'emparer des leviers de commande et d'appliquer la politique du Parti au sein des syndicats. Etant donné que c'est le Parti communiste qui détient les leviers de commande, ce serait, en fait, le gouvernement lui-même qui aurait la haute main sur les syndicats ; ceux-ci seraient donc dans l'impossibilité d'exercer librement leur activité. A l'appui de cette thèse, la Confédération internationale des syndicats libres citait les propos de M. Rakosi, qui, à l'époque était Premier Ministre adjoint et dirigeant du Parti communiste, et aurait déclaré que la tâche permanente des syndicats serait de faire comprendre qu'ils ont pour mission non pas de protéger les intérêts des travailleurs, mais d'être au service de toutes les démocraties populaires. Le plaignant faisait ensuite état de plusieurs citations illustrant les difficultés rencontrées par le Parti communiste pour consolider sa mainmise sur les syndicats ainsi que les moyens utilisés à cette fin. En effet, déclarait le plaignant, il n'aurait pas été facile de faire accepter aux travailleurs hongrois le contrôle rigoureux du Parti communiste. C'est ainsi que, selon le journal Szabad Nép de juillet 1950, le comité politique du Parti des travailleurs hongrois (Parti communiste), après avoir examiné l'action des communistes au sein du Conseil central des syndicats et aux échelons supérieurs de la hiérarchie syndicale, aurait formulé les critiques suivantes à l'adresse de ces dirigeants communistes:
- Les communistes qui sont membres du Conseil des syndicats n'ont pas lutté pour assurer fermement le rôle dirigeant du Parti m pour assurer la mise en oeuvre systématique des directives du Parti dans les syndicats. Ces dirigeants ont reconnu en paroles le rôle dirigeant du Parti, mais en pratique, ils ont toléré et ils ont excusé ceux qui minimisaient ce rôle, et certains d'entre eux se sont laissés aller à les imiter. Ils ont toléré et ils ont dissimulé l'activité de certains chefs syndicaux, des dirigeants du Memosz (Association nationale des travailleurs du bâtiment) et du Syndicat des mineurs, par exemple, qui, jusqu'à ces derniers temps, ont souvent trompé le Parti et manifesté une attitude hostile au Parti... En sous-estimant le rôle du Parti, ils en sont, arrivés logiquement à laisser le champ libre aux éléments contre-révolutionnaires de tendance sociale-démocrate de droite dans les syndicats et ils ont permis à nos ennemis de tenter de mettre les syndicats en opposition avec le Parti.
- La citation ci-après témoigne également, selon le plaignant, de la résistance des travailleurs hongrois à l'emprise du Parti communiste:
- L'influence des opportunistes sociaux-démocrates et la désaffection qui se manifeste à l'égard du Parti doivent être radicalement éliminées de la direction des syndicats. Les dirigeants syndicalistes se donnent comme tâche fondamentale d'amener les syndicats à accomplir sans fléchissement la mission qui leur est dévolue, celle d'être le principal soutien du Parti dans le domaine de la production et du développement des industries socialistes. Les syndicats doivent lutter systématiquement pour la réalisation du plan de cinq ans, pour l'augmentation du rendement, pour la réduction des frais de production, pour l'établissement d'un système socialiste des salaires et, des normes qui soit équitable et pour le développement du mouvement stakhanoviste et l'émulation dans la production.
- De son côté, M. Kovácz, alors secrétaire du Parti communiste de Budapest, aurait déclaré aux ouvriers que leurs fonctionnaires syndicaux n'étaient pas les représentants des syndicats, mais les représentants du Parti au sein des syndicats et que leur tâche était d'assurer le rôle dominant du Parti et l'exécution de ses consignes. Dans ces conditions, estime le plaignant, les syndicats n'existent plus en Hongrie en tant qu'organisations indépendantes destinées à protéger leurs membres. En effet, le plaignant fait observer qu'en Hongrie, c'est à l'Etat que sont dévolues les fonctions de l'employeur et que c'est l'Etat lui-même qui est placé sous la direction du Parti communiste. Ce dernier exerce donc un pouvoir absolu.
- 28. Dans sa réponse le gouvernement déclarait ce qui suit : la Constitution hongroise de 1949 (article 56) " garantit le droit d'association en vue de développer les activités sociales, économiques et culturelles des travailleurs ". Les syndicats jouissent donc d'une autonomie complète et gèrent eux-mêmes leurs affaires. La législation relative à la surveillance des associations par le ministère de l'Intérieur a été abrogée, et la nouvelle loi générale sur les associations (loi no XVII de 1955) exclut expressément les syndicats de son champ d'application. L'article 55 de la Constitution hongroise garantit d'autre part la liberté de parole, de presse et de réunion. Rien n'empêche donc les organisations syndicales de tenir des réunions sans autorisation préalable et de donner toute publicité à leurs objectifs et à leurs activités. En fait, plusieurs syndicats possèdent leur propre journal et la maison d'édition des syndicats fait paraître de nombreuses publications non périodiques. Les syndicats jouissent également d'une complète indépendance du point de vue financier et économique. Il n'y a aucun rapport entre le budget des syndicats et celui de l'Etat. Les dirigeants syndicaux décident seuls de l'utilisation des recettes. L'Etat hongrois a confié aux syndicats des tâches très importantes dans le domaine de la protection du travail et de la sécurité sociale. Des inspecteurs syndicaux veillent à l'observation par les entreprises de la législation protectrice du travail ; en cas d'infractions, ils ont le droit d'infliger des amendes ou de porter plainte contre les responsables (décret no 121 de 1951). Les assurances sociales sont placées sous la gestion et sous le contrôle des syndicats (décret-loi no 39 de 1955). Les dirigeants syndicalistes bénéficient d'importantes garanties légales. Ils ne peuvent être congédiés qu'avec l'assentiment de l'autorité syndicale supérieure (article 29 du Code du travail). En ce qui concerne les relations entre le Parti des travailleurs hongrois et les syndicats, le gouvernement déclare que si, comme le stipule les statuts des syndicats hongrois, les travailleurs hongrois reconnaissent la direction du Parti, c'est que ce dernier est le parti de la classe ouvrière, qui groupe dans ses rangs les éléments les plus évolués du peuple hongrois. Le Parti représente la force directrice de la démocratie populaire hongroise et sa politique est approuvée par l'immense majorité du peuple hongrois. En pratique, cependant, le Parti ne dirige les syndicats que dans la mesure où ses membres, qui militent également dans les syndicats, sont capables d'assumer des fonctions de direction. Les membres du Parti prennent une part active à l'activité syndicale, mais leur action repose essentiellement sur la persuasion. Le Parti n'intervient pas dans la vie du syndicat sur le plan d'organisation ou de gestion, mais exerce une action éducative à l'égard de ses membres qui militent dans le syndicat. Les résolutions du Parti ne sont obligatoires que pour les membres du Parti, tandis que pour les non-membres, elles ne représentent que des recommandations. Le Parti n'agit jamais au nom des syndicats ; ceux-ci peuvent procéder librement à des enquêtes disciplinaires contre lés membres du Parti. Le gouvernement rejetait donc comme dénuée de tout fondement l'allégation relative à la mainmise générale du Parti communiste sur les syndicats.
- 29. Le Comité, lors du premier examen de ce cas, avait noté que la Constitution hongroise de 1949 semblait prévoir le rattachement du mouvement syndical au Front populaire démocratique lorsqu'elle stipule (article 56 2)) que " les travailleurs constituent des syndicats professionnels, des associations démocratiques des femmes et des jeunes, ainsi que d'autres organisations de masse et groupent toutes ces forces dans le Front populaire démocratique ". Toutefois, la réponse du gouvernement ne comportait aucune précision quant à la portée de cette disposition constitutionnelle. A cet égard, le Comité confirme à nouveau le principe énoncé par la Conférence internationale du Travail dans la résolution sur l'indépendance du mouvement syndical, aux termes de laquelle "les gouvernements ne devraient pas chercher à transformer le mouvement syndical en un instrument politique qu'ils utiliseraient pour atteindre leurs objectifs, et ne devraient pas, non plus, essayer de s'immiscer dans les fonctions normales d'un syndicat, en prenant prétexte de ses rapports librement établis avec un parti politique ".
- Allégations relatives à l'élection et à la révocation de dirigeants syndicaux
- 30. Il était allégué que les dirigeants syndicalistes ne se pliant pas aux mots d'ordre du Parti seraient révoqués, non pas par les membres des syndicats, mais par le gouvernement. Une telle mesure de révocation aurait notamment été prise contre M. Kishazi, ancien président du Conseil central des syndicats hongrois. Le vote secret aurait d'ailleurs été supprimé lors des élections syndicales et remplacé par le vote à main levée, cette procédure permettant de repérer tous ceux qui sont opposés aux candidats communistes.
- 31. Dans sa réponse, le gouvernement a déclaré que la vie interne des syndicats s'inspire d'un esprit parfaitement démocratique, les dirigeants syndicaux étant élus au scrutin secret, conformément à l'article 17 des statuts des syndicats hongrois, qui dispose:
- Les comités d'atelier, les comité d'entreprise, les comités régionaux, les conseils syndicaux départementaux, les bureaux fédéraux des syndicats nationaux ainsi que le Conseil central des syndicats, sont élus au scrutin secret par les membres des syndicats ou, selon les cas, par leurs délégués.
- 32. Quant à l'allégation relative à la révocation, par le gouvernement, de certains dirigeants syndicalistes, le Comité note que, si le plaignant n'a pas fourni de preuve concernant l'existence d'une telle pratique, il n'en cite pas moins le nom de M. Kishazi, ancien président du Conseil central des syndicats hongrois ; la réponse du gouvernement ne contient aucune référence aux circonstances de la démission de M. Kishazi de ses fonctions de président du Conseil central des syndicats.
- 33. Dans ces conditions, le Comité réaffirme que la révocation par le gouvernement de certains chefs syndicalistes constitue une atteinte grave au libre exercice des droits syndicaux et attire l'attention sur la nécessité d'éviter toute immixtion gouvernementale dans l'exercice par les dirigeants syndicalistes de fonctions syndicales auxquelles ils ont été librement élus par les membres des syndicats.
- Allégation concernant certaines mesures relevant d'une politique de productivité
- 34. Le plaignant a affirmé que sous le régime syndical en vigueur les travailleurs seraient forcés d'appuyer un système qui favorise l'ouvrier le plus fort et le plus habile, bénéficiant du meilleur outillage et dont le rendement record deviendrait par la suite la " norme " de rendement pour le travail donné. Les travailleurs qui ne seraient pas à même de fournir un rendement aussi élevé subiraient alors une réduction de leur salaire.
- 35. Dans sa réponse, le gouvernement s'est élevé contre l'interprétation selon laquelle l'organisation par les syndicats de l'émulation du travail, leur participation à la fixation des normes de rendement et des salaires, etc., auraient pour but de favoriser les intérêts de l'Etat et seraient contraires aux intérêts des travailleurs. Le gouvernement a rappelé qu'en Hongrie, c'est la classe ouvrière qui est au pouvoir et que ce n'est donc que grâce à leur propre effort que les travailleurs peuvent espérer améliorer leur situation matérielle. Si, dans ces conditions, les syndicats s'occupent des questions de productivité, ils le font, non pas sur l'ordre de l'Etat, mais conformément à la volonté des travailleurs et en application des décisions des organes syndicaux. Quant à la fixation des normes de rendement, le gouvernement a déclaré que celles-ci sont déterminées suivant des méthodes expérimentales et scientifiques, non pas par les syndicats, mais par les chefs techniques compétents. Enfin, en ce qui concerne les avantages dont bénéficieraient certains ouvriers privilégiés, à savoir les stakhanovistes, le gouvernement a déclaré que le nombre de ceux-ci atteint plusieurs dizaines de milliers et qu'il est donc impensable qu'ils soient tous des privilégiés. Si, comme le prétend le plaignant, le rendement de ces stakhanovistes était transformé en " normes " de rendement pour le travail qu'ils exécutent, il leur serait impossible d'atteindre un rendement dépassant cette norme de 100 pour cent ou davantage, comme cela arrive dans la pratique. Le raisonnement du plaignant, conclut le gouvernement, est donc contraire au bon sens.
- 36. Le Comité estime que la réponse à la question de savoir dans quelle mesure la part que prennent les syndicats à l'organisation de l'émulation du travail et à la propagande en vue de l'accroissement de la production est compatible avec l'exercice effectif par les syndicats de leur fonction de protection des intérêts des travailleurs, dépend du degré de liberté dont jouissent les syndicats à d'autres égards.
- 37. En ce qui concerne les allégations du plaignant et la réponse en date du 6 février faite par le gouvernement du moment, prises dans leur ensemble, le Comité réaffirme le principe qu'il avait énoncé dans son premier rapport, selon lequel la présente procédure a pour but " d'assurer le respect des libertés syndicales, en droit comme en fait ", et que, par conséquent, " lorsqu'il s'agit de cas où des allégations précises ont été formulées en ce qui concerne une situation de fait, le Comité ne peut se contenter des réponses qui renvoient simplement à des dispositions légales applicables ou qui rappelleraient seulement de telles dispositions ". Comme il a déjà eu l'occasion de l'indiquer dans le cas relatif à la République dominicaine, le Comité " désire souligner l'importance qu'il attache à ce que les travailleurs et les employeurs puissent effectivement former, en toute liberté, des organisations de leur choix et y adhérer librement". C'est de ce point de vue que le Comité a examiné les questions dont il est saisi dans le cas d'espèce et qui ont trait à la position des syndicats dans un système économique et social, qui, comme il est admis par tous les intéressés, diffère considérablement de celui de la majorité des Etats Membres de l'Organisation internationale du Travail.
- EVENEMENTS SURVENUS DEPUIS LA REPONSE DU GOUVERNEMENT
- 38. Depuis que le gouvernement hongrois a fait parvenir ses observations sur la plainte de la Confédération internationale des syndicats libres, des événements tragiques se sont déroulés en Hongrie, qui ont un rapport direct avec la protection de la liberté syndicale et qui ont fait l'objet d'une recommandation de l'Assemblée générale des Nations Unies. Dans ces conditions, le Comité croit devoir évoquer de plein droit les événements en question.
- 39. Il y a eu, entre le 24 octobre et le 4 novembre, une série de changements de gouvernements en Hongrie accompagnés d'événements politiques et militaires qui ont été examinés par le Conseil de sécurité et l'Assemblée générale des Nations Unies.
- 40. Le 1er novembre 1956, selon une émission radiodiffusée de Budapest, le Présidium du Conseil central des syndicats a démissionné "en faveur des syndicalistes anciennement emprisonnés et persécutés"; il était annoncé, en outre, que les syndicats s'appelleraient dorénavant " Union nationale des syndicats libres de Hongrie " et avaient décidé de se retirer de la Fédération syndicale mondiale.
- 41. Le 2 novembre 1956, le Conseil national des syndicats hongrois a publié une déclaration dans laquelle il formulait le programme suivant:
- 1) Défense des travailleurs, indépendance de tout parti politique ou du gouvernement.
- 2) Participation aux prochaines élections et représentation à l'Assemblée nationale, ainsi qu'à la direction des organismes révolutionnaires.
- 3) Droit de grève ; condamnation des normes de travail ; nouveau système des salaires.
- 4) Appel aux Nations Unies.
- 5) Demande d'emprunts à l'étranger pour restaurer l'économie nationale.
- 6) Contacts avec les organisations syndicales internationales, à l'exception de la Fédération syndicale mondiale.
- 42. Le 2 novembre 1956, M. Nagy, alors premier ministre de Hongrie, qui avait déjà fait appel aux Nations Unies, a lancé un second appel au Secrétaire général des Nations Unies tendant à ce que la neutralité de la Hongrie soit reconnue par les grandes puissances. Le 4 novembre 1956, l'Assemblée générale des Nations Unies a adopté, par 50 voix contre 8, avec 15 abstentions, une résolution aux termes de laquelle, " ... les récents événements de Hongrie montrent clairement le désir du peuple hongrois d'exercer ses droits fondamentaux, ses libertés et son indépendance et d'en jouir dans leur plénitude ".
- Cette résolution dont le texte intégral figure en annexe au présent document i déclare notamment:
- L'Assemblée générale des Nations Unies...
- ......................................................................................................................................................
- 3. Affirme le droit du peuple hongrois d'avoir un gouvernement conforme à ses aspirations nationales et dévoué à son indépendance et à son bien-être;
- 4. Prie le Secrétaire général d'enquêter sur la situation provoquée par l'intervention étrangère en Hongrie, d'observer directement cette situation avec le concours de représentants désignés par lui, et de faire rapport à l'Assemblée générale dans le plus bref délai, ainsi que de proposer le plus tôt possible des méthodes qui permettent de mettre fin à l'intervention étrangère en Hongrie conformément aux principes de la Charte des Nations Unies ;
- 5. Fait appel au gouvernement hongrois et au gouvernement de l'Union des républiques soviétiques socialistes pour qu'ils autorisent des observateurs désignés par le Secrétaire général à entrer en territoire hongrois, à y circuler librement et à communiquer au Secrétaire général leurs constatations.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 43. Bien que les aspects politiques de cette situation relèvent uniquement des Nations Unies, ses incidences sur la liberté d'association intéressent directement l'Organisation internationale du Travail.
- 44. Compte tenu de toutes ces circonstances, le Comité, après examen de la plainte soumise par la Confédération internationale des syndicats libres, de la réponse fournie par le gouvernement hongrois à la date du 6 février 1956, et des événements qui se sont récemment produits en Hongrie, ainsi que de la résolution adoptée par l'Assemblée des Nations Unies le 4 novembre 1956, propose au Conseil d'administration d'adopter les recommandations suivantes en cette matière et de demander au Secrétaire général des Nations Unies de les porter à l'attention de l'Assemblée générale des Nations Unies:
- 1) Une liberté syndicale complète devrait être établie en Hongrie.
- 2) A cette fin, il serait extrêmement désirable que la Hongrie prenne toutes les mesures nécessaires pour assurer la pleine application de la convention sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et de la convention sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, et ratifie ces conventions dans les plus brefs délais.
- 3) Afin que les garanties prévues par ces conventions soient pleinement effectives, la Hongrie devrait établir les libertés civiles définies par la Déclaration universelle des Droits de l'Homme.
- 4) L'indépendance du mouvement syndical devrait être pleinement respectée et aucune tentative ne devrait être faite par qui que ce soit afin de l'utiliser comme un instrument pour atteindre des objectifs purement politiques.
- 5) Une liberté complète devrait être assurée au mouvement syndical afin qu'il puisse élire librement ses représentants et organiser son activité dans des congrès librement élus sans aucune intervention des pouvoirs publics.
- 45. Le Conseil d'administration se souviendra que, le 26 juin 1951, la Conférence internationale du Travail, en réponse à des résolutions adoptées par l'Assemblée générale le 3 novembre 1950 et par le Conseil économique et social le 14 mars 1951, a adopté une résolution réaffirmant la ferme détermination de l'Organisation internationale du Travail de se consacrer à la cause de la paix par tous les moyens pratiques dont elle dispose et déclarant que l'Organisation internationale du Travail collaborera avec l'Assemblée générale et le Conseil de sécurité au maintien ou à la restauration de la paix et de la sécurité internationales et qu'elle fournira à cette fin toutes informations et toute assistance appropriées à ces organes des Nations Unies. Le Comité recommande par conséquent au Conseil d'administration d'informer l'Assemblée générale que l'Organisation internationale du Travail est prête à collaborer avec l'Assemblée générale dans toute mesure concernant la question de la liberté syndicale que l'Assemblée générale pourrait prendre, compte tenu du désir clairement manifesté par le peuple hongrois d'exercer ses droits fondamentaux, ses libertés et son indépendance et d'en jouir dans leur plénitude ; le Comité recommande en outre au Conseil d'administration d'indiquer que l'Organisation internationale du Travail est prête à participer et désire vivement participer à tous arrangements pris en application du paragraphe 5 de la résolution de l'Assemblée générale afin de déterminer quelle est la situation actuelle en ce qui concerne le respect de la liberté syndicale en Hongrie.
- Genève, le 8 novembre 1956. (Signé) Roberto AGO, Président.
Z. ANNEXE
Z. ANNEXE
- Résolution adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies le 4 novembre 1956
- L'Assemblée générale,
- Considérant que l'Organisation des Nations Unies est fondée sur le principe de l'égalité souveraine de tous ses membres,
- Rappelant que le Traité de paix, signé à Paris le 10 février 1947 entre la Hongrie et les puissances alliées et associées, garantit expressément la jouissance des droits de l'homme et des libertés fondamentales en Hongrie et que la Charte des Nations Unies proclame le principe général de ces droits et de ces libertés pour tous les peuples,
- Convaincue que les récents événements de Hongrie montrent clairement le désir du peuple hongrois d'exercer ses droits fondamentaux, ses libertés et son indépendance et d'en jouir dans leur plénitude,
- Condamnant l'emploi de forces militaires soviétiques pour réprimer les efforts faits par le peuple hongrois pour réaffirmer ses droits,
- Constatant, d'autre part, la déclaration par laquelle le gouvernement de l'Union des républiques soviétiques socialistes, le 30 octobre 1956, proclamait sa politique de non-intervention dans les affaires intérieures d'autres Etats,
- Constatant que, le 1er novembre 1956, le gouvernement hongrois a adressé au Secrétaire général une communication indiquant qu'il avait exigé du gouvernement de l'Union des républiques soviétiques socialistes le retrait immédiat des forces soviétiques,
- Constatant en outre que, dans une communication du 2 novembre 1956 adressée au Secrétaire général, le gouvernement hongrois a demandé au Conseil de sécurité de donner pour instructions à l'Union des républiques soviétiques socialistes et au gouvernement hongrois d'entamer immédiatement des négociations au sujet du retrait des forces soviétiques,
- Constatant que l'intervention de forces militaires soviétiques en Hongrie a provoqué d'importantes pertes en vies humaines et de graves effusions de sang dans la population hongroise,
- Prenant note de l'appel radiodiffusé lancé le 4 novembre 1956 par le premier ministre Imre Nagy ;
- 1 Fait appel au gouvernement de l'Union des républiques soviétiques socialistes pour qu'il renonce immédiatement à toute attaque armée contre la population hongroise et à toute forme d'intervention, en particulier à l'intervention armée, dans les affaires intérieures de la Hongrie;
- 2 Fait appel à l'Union des républiques soviétiques socialistes pour qu'elle cesse de faire entrer de nouvelles forces armées en Hongrie et pour qu'elle retire sans tarder toutes ses forces du territoire hongrois;
- 3 Affirme le droit du peuple hongrois d'avoir un gouvernement conforme à ses aspirations nationales et dévoué à son indépendance et à son bien-être ;
- 4 Prie le Secrétaire général d'enquêter sur la situation provoquée par l'intervention étrangère en Hongrie, d'observer directement cette situation avec le concours de représentants désignés par lui, et de faire rapport à l'Assemblée générale dans le plus bref délai, ainsi que de proposer le plus tôt possible des méthodes qui permettent de mettre fin à l'intervention étrangère en Hongrie conformément aux principes de la Charte des Nations Unies ;
- 5 Fait appel au gouvernement hongrois et au gouvernement de l'Union des républiques soviétiques socialistes pour qu'ils autorisent des observateurs désignés par le Secrétaire général à entrer en territoire hongrois, à y circuler librement et à communiquer au Secrétaire général leurs constatations;
- 6 Fait appel à tous les Membres de l'Organisation des Nations Unies pour qu'ils collaborent avec le Secrétaire général et ses représentants à l'exercice de ses fonctions ;
- 7 Invite le Secrétaire général à s'enquérir d'urgence, en consultation avec les directeurs des institutions spécialisées compétentes, des besoins que le peuple hongrois pourrait avoir de produits alimentaires, de médicaments et d'autres articles analogues, et de faire rapport à l'Assemblée générale aussitôt que possible;
- 8 Demande à tous les membres de l'Organisation des Nations Unies et prie les organisations humanitaires nationales et internationales de coopérer pour mettre à la disposition du peuple hongrois les fournitures dont il pourrait avoir besoin.