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Interim Report - Report No 57, 1961

Case No 231 (Argentina) - Complaint date: 28-APR-60 - Closed

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  1. 97. La plainte de la C.I.S.C est contenue dans une communication du 28 avril 1960, complétée par deux communications des 19 mai et 29 juin 1960. Par une communication du 4 juin 1960, la Fédération internationale des syndicats chrétiens des employés, techniciens, cadres et voyageurs de commerce a fait savoir au Directeur général qu'elle entendait appuyer la plainte de la C.I.S.C. Le gouvernement a fait parvenir ses observations sur les diverses communications de la C.I.S.C par une lettre en date du 24 février 1961.
  2. 98. L'Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, de même que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 99. Les plaignants allèguent que, le 1er décembre 1959, le Syndicat des employés de banque de Buenos Aires (S.E.B.B.A.) aurait demandé au ministre du Travail l'obtention de la personnalité syndicale; celui-ci, s'appuyant sur une disposition de la loi no 14455, aurait rejeté cette demande, le syndicat n'ayant pas six mois d'existence à la date de sa présentation. Une intervention de la C.I.S.C demandant au gouvernement de reconsidérer sa position serait restée sans réponse.
  2. 100. Entre-temps, le 11 janvier 1960, un conflit aurait éclaté à la Banque de la Nation à la suite de l'envoi par la direction générale d'une circulaire confidentielle interdisant aux employés toute activité syndicale (dont les plaignants fournissent le texte) et de la convocation subséquente des dirigeants syndicaux à la succursale de Boedo pour communication de cet ordre et annonce de sanctions éventuelles.
  3. 101. Les représentants du S.E.B.B.A se seraient alors présentés le 19 février à la Direction générale des relations de travail, autorité compétente en la matière, pour demander la convocation d'une réunion de conciliation. Ladite autorité, après avoir déclaré verbalement que, le S.E.B.B.A, n'ayant pas la personnalité syndicale, il lui serait impossible de répondre favorablement à cette demande, a laissé s'écouler les délais sans y donner suite. Un recours au ministre du Travail serait resté lui aussi sans effet.
  4. 102. Le 24 mars 1960, le S.E.B.B.A aurait déposé plainte devant la justice contre la Banque de la Nation et le ministre du Travail pour violation du nouvel article 14 de la Constitution nationale concernant le droit des travailleurs à une organisation syndicale libre et démocratique et a demandé au gouvernement d'agir en accord avec la loi no 14932 portant ratification de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Le 2 avril 1960, le juge du travail, après avoir constaté à la banque la réalité des faits dénoncés, aurait adressé des communications au président de la banque et au ministre du Travail pour s'informer des motifs de ces atteintes à la liberté syndicale. Trois heures après la visite du juge à la Banque de la Nation, les autorités de celle-ci auraient décidé de muter le secrétaire général de la section S.E.B.B.A, M. Raúl Ignacio Robaccio, à une succursale distante de 670 kilomètres de Buenos Aires, en même temps que d'ouvrir contre lui une information administrative tendant à transformer cette mutation en licenciement pur et simple.
  5. 103. Le S.E.B.B.A aurait alors demandé au juge une décision interdisant toute modification de la situation jusqu'au prononcé de la sentence. Bien que cette décision ait été prise par le juge, la banque aurait refusé d'en tenir compte, malgré une nouvelle sentence du même juge contre le président de la banque pour refus et désobéissance. La décision du juge du travail ayant fait l'objet d'un recours de la part des autorités de la Banque de la Nation, la chambre d'appel, aurait confirmé le 19 avril 1960, la mesure prise par le juge jusqu'au prononcé de la sentence. La Banque de la Nation aurait refusé de nouveau de se conformer à cette décision.
  6. 104. Dans sa réponse, le gouvernement indique que le S.E.B.B.A est inscrit au registre approprié de la Direction générale des associations professionnelles du ministère du Travail et de la Sécurité sociale comme organisation du premier degré. Cette inscription a été accordée parce qu'elle a été demandée conformément aux dispositions législatives en vigueur, étant donné que l'organisation en question a fourni les garanties exigées par la loi no 14455 sur les associations professionnelles (art. 22).
  7. 105. Ultérieurement, le S.E.B.B.A a sollicité l'octroi de la personnalité syndicale; cette demande n'a pas pu être acceptée, cette organisation ne remplissant pas la condition que pose la loi no 14455, article 18, alinéa 3: avoir exercé une activité syndicale depuis plus de six mois.
  8. 106. Le gouvernement ajoute que l'article 15, alinéa 3, de la loi no 14455 indique que «par la simple inscription sur le registre mentionné à l'article 35 de la présente loi, les associations professionnelles auront le droit de défendre et de représenter les intérêts professionnels devant l'Etat et les employeurs quand, dans la même branche d'activité, il n'existe pas d'association jouissant de la personnalité syndicale ». Or - déclare le gouvernement dans la banque, il existe une organisation qui possède la personnalité syndicale, savoir: l'Association des employés de banque.
  9. 107. Le Comité, à l'occasion d'un autre cas mettant en cause l'Argentine (dans le présent cas, le gouvernement renvoie d'ailleurs aux observations qu'il avait alors présentées), avait examiné de façon très détaillée les multiples conséquences de la distinction opérée par la loi nationale entre organisations jouissant de la personnalité syndicale et organisations ne jouissant pas de cette personnalité.
  10. 108. Après une étude approfondie de la loi, le Comité avait alors exprimé l'opinion que l'indépendance des organisations professionnelles dans leurs rapports avec les pouvoirs publics pourrait être compromise si le législateur ou le pouvoir exécutif établit, entre les diverses organisations en présence, une distinction qui n'est pas fondée sur des critères objectifs et, à plus forte raison, si les conséquences de la distinction entre les différentes organisations aboutissent à réserver à certaines d'entre elles un monopole tant dans le domaine de la réglementation des conditions d'emploi (négociations collectives, etc.) que, dans celui de la représentation et de la défense des intérêts des travailleurs auprès des autorités publiques.
  11. 109. Le Comité avait constaté également que, du point de vue strictement syndical, le rôle imparti aux organisations ne jouissant pas de la personnalité syndicale était extrêmement limité et il avait rappelé à ce propos la définition donnée par l'article 10 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 - ratifiée depuis par l'Argentine - selon laquelle l'expression « organisations professionnelles» doit être entendue comme signifiant «toute organisation de travailleurs ou d'employeurs ayant pour but de promouvoir et de défendre les intérêts des travailleurs et des employeurs ».
  12. 110. Etant donné que la distinction opérée par la loi entre organisations jouissant de la personnalité syndicale et organisations ordinaires se traduit pour ces dernières par l'impossibilité de défendre les intérêts professionnels et de conclure des conventions collectives, le Comité avait estimé que les organisations qui n'ont pas la personnalité syndicale n'ont pas le droit d'organiser librement leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action. « En outre - déclarait le Comité -, étant donné les fonctions limitées qui sont reconnues à ces organisations, on est en droit de se demander si cette distinction ne soulève pas la question du principe généralement reconnu du droit pour les travailleurs de constituer des organisations de leur choix et de s'y affilier, principe consacré par l'article 2 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. »
  13. 111. Etant donné, d'une part, que la situation ne paraît pas avoir changé depuis l'époque où les constatations rappelées ci-dessus ont été faites; étant donné, d'autre part, que, dans l'intervalle, l'Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, le Comité recommande au Conseil d'administration d'attirer de nouveau l'attention du gouvernement sur le fait que le statut privilégié accordé aux associations dotées de la personnalité syndicale limite considérablement les moyens d'action des organisations qui ne sont pas dotées de cette personnalité, et peut indirectement avoir pour effet d'affecter la liberté des travailleurs d'adhérer à des organisations de leur choix, et sur l'opportunité d'une éventuelle suppression de la distinction opérée par la loi entre les associations dotées de la personnalité syndicale et les autres organisations syndicales.
  14. 112. En ce qui concerne l'allégation selon laquelle la direction de la Banque de la Nation aurait pris des mesures en vue d'interdire aux employés toute activité syndicale (voir paragr. 100 ci-dessus), le gouvernement rappelle tout d'abord que les employés de la Banque de la Nation, banque officielle, ont le caractère d'agents de l'Etat. Il ajoute que la mesure prise par la direction de la banque l'a été en application de la résolution ministérielle no 112/59, du 24 mars 1959, elle-même adoptée pour faire face à une situation exceptionnelle qui risquait de troubler le fonctionnement de l'activité bancaire, service d'importance vitale dont l'arrêt risquait de paralyser l'activité économique du pays.
  15. 113. Dans ces conditions - déclare le gouvernement -, il n'a pas été possible de permettre que, sous prétexte d'exercer des activités syndicales pendant les heures d'ouverture au public, les employés de la Banque de la Nation, agents de l'Etat, paralysent totalement l'activité bancaire de l'Etat, perturbant ainsi l'activité économique du pays. « En conséquence - conclut le gouvernement -, il était inévitable d'exiger que les activités syndicales s'exercent en dehors des heures d'ouverture au public, afin de ne pas entraver l'activité vitale qu'exercent les banques de l'Etat. »
  16. 114. La résolution ministérielle mentionnée au paragraphe 112 ci-dessus, et dont le gouvernement fournit le texte, s'exprime à cet égard en ces termes: « Les délégués du personnel, membres de commissions internes ou travailleurs qui occupent des charges représentatives semblables, s'ils ont le droit de remplir leur mission syndicale, doivent le faire, d'une façon compatible avec l'accomplissement efficace de leurs obligations professionnelles en tant qu'employés; il en est ainsi parce qu'ils ont le caractère de personnel en activité; est déplacée par conséquent toute attitude des employés qui tend à paralyser ou à entraver de quelque façon la prestation réelle et efficace de leurs services en portant atteinte au déroulement normal de l'activité dans les établissements de banque et d'assurance; ... dans l'activité en question et vu les particularités de celle-ci, les délégués du personnel, membres de commissions internes ou travailleurs qui occupent d'autres charges semblables de caractère syndical, doivent exercer leurs fonctions syndicales en dehors des heures de travail.
  17. 115. Il ressort tant des explications données par le gouvernement que des textes qu'il fournit à l'appui de ces dernières que, contrairement à ce qu'affirment les plaignants, les mesures prises par la direction de la Banque de la Nation n'ont pas eu pour effet d'interdire de façon absolue toute activité syndicale de la part des employés, mais simplement d'en limiter l'exercice à des moments se situant en dehors des heures de travail.
  18. 116. Il n'apparaît pas qu'une telle limitation puisse être considérée comme une atteinte à l'exercice des droits syndicaux, puisque, aussi bien, l'article 1 al. 2 b) de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, implique sans ambiguïté que les employeurs, s'ils peuvent consentir à ce que les activités syndicales se déroulent durant les heures de travail, ne sont pas tenus de le faire. La convention s'exprime en effet à cet égard en ces termes: il ne devra pas être porté préjudice à un travailleur en raison de « sa participation à des activités syndicales en dehors des heures de travail ou, avec le consentement de l'employeur, durant les heures de travail».
  19. 117. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider que cet aspect particulier du cas n'appelle pas de sa part un examen plus approfondi.
  20. 118. Répondant aux allégations des plaignants relatives au transfert du secrétaire général de leur organisation, qui, d'après eux, aurait constitué une mesure de discrimination antisyndicale, le gouvernement affirme, au contraire, qu'il s'agit d'un transfert normal, décidé dans le cadre du régime légal en vigueur pour les employés de l'administration publique.
  21. 119. Tout en considérant que les éléments d'information dont il dispose ne lui permettent pas de déterminer les raisons véritables qui ont motivé le transfert en question, le Comité estime qu'étant donné que ce transfert a été décidé à un moment où il existait un conflit entre l'employeur et l'organisation dont la personne visée était secrétaire général, les plaignants ont pu être amenés à penser qu'il existait un lien entre ce transfert et la qualité de dirigeant syndical de celui qui en a été l'objet.
  22. 120. Dans ces conditions, tout en estimant que les informations contradictoires dont il dispose en l'espèce ne lui permettent pas de conclure qu'un examen plus approfondi de la part du Conseil d'administration aurait une utilité quelconque, le Comité souligne, comme il l'avait fait dans plusieurs cas antérieurs, qu'un des principes fondamentaux de la liberté syndicale est celui de la protection adéquate des travailleurs contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi - licenciement, transfert et autres actes préjudiciables -, et que cette protection est particulièrement souhaitable en ce qui concerne les délégués syndicaux, étant donné que, pour pouvoir remplir leurs fonctions syndicales en pleine indépendance, ceux-ci doivent avoir la garantie qu'ils ne subiront pas de préjudice en raison de leur mandat syndical. Le Comité indique également que la garantie de semblable protection dans le cas de dirigeants syndicaux est en outre nécessaire pour assurer le respect du principe fondamental selon lequel les organisations de travailleurs ont le droit d'élire librement leurs représentants.
  23. 121. En conséquence, le Comité recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance qu'il attache aux principes mentionnés plus haut, lesquels sont consacrés par les conventions (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, toutes deux ratifiées par l'Argentine.
  24. 122. Reste un point mentionné par les plaignants sur lequel le gouvernement s'abstient de présenter ses observations. Il s'agit des allégations selon lesquelles deux décisions rendues en première instance et en appel et enjoignant à la direction de la Banque de ne pas modifier la situation du secrétaire général de l'organisation plaignante auraient été ignorées par les autorités bancaires.
  25. 123. Le Comité estime qu'il serait opportun pour lui d'ajourner l'examen de cet aspect particulier du cas en attendant de recevoir les observations du gouvernement à son sujet, observations qu'il recommande au Conseil d'administration de solliciter du gouvernement.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 124. En ce qui concerne le cas dans son ensemble, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de décider, pour les raisons indiquées aux paragraphes 112 à 117 ci-dessus, que les allégations relatives à l'interdiction faite aux employés de la Banque de la Nation d'exercer des activités syndicales n'appellent pas de sa part un examen plus approfondi;
    • b) d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait que le statut privilégié accordé aux associations dotées de la personnalité syndicale limite considérablement les moyens d'action des organisations qui ne sont pas dotées de cette personnalité, étant de nature à toucher indirectement la liberté des travailleurs d'adhérer à des organisations de leur choix, et sur l'opportunité d'une éventuelle suppression de la distinction opérée par la loi entre les associations dotées de la personnalité syndicale et les autres organisations syndicales;
    • c) d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance que le Conseil d'administration attache au principe selon lequel les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi - licenciement, transfert et autres actes préjudiciables -, cette protection étant particulièrement souhaitable en ce qui concerne les délégués syndicaux, étant donné que, pour pouvoir remplir leurs fonctions syndicales en pleine indépendance, ceux-ci doivent avoir la garantie qu'ils ne subiront pas de préjudice en raison de leur mandat syndical;
    • d) d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait que la garantie de semblable protection dans le cas de dirigeants syndicaux est en outre nécessaire pour assurer le respect du principe fondamental selon lequel les organisations de travailleurs ont le droit d'élire librement leurs représentants;
    • e) de demander au gouvernement de bien vouloir présenter ses observations quant aux allégations relatives au fait que la direction de la Banque de la Nation ne se serait pas conformée aux sentences prononcées par le juge du travail et, ultérieurement, par la juridiction d'appel, au sujet de la situation du secrétaire général de l'organisation plaignante;
    • f) de prendre note du présent rapport intérimaire en ce qui concerne cette dernière allégation, étant entendu que le Comité fera à nouveau rapport à son sujet lorsqu'il sera en possession des informations sollicitées du gouvernement à l'alinéa e) ci-dessus.
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