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- 50. La plainte de l'U.G.T.M est contenue dans une communication du 2 mai 1960, complétée par une communication du 11 juin 1960. Ces communications ayant été transmises au gouvernement, celui-ci a fait parvenir ses observations à leur sujet par deux lettres des 29 juin 1960 et 6 février 1961.
- 51. Le Maroc n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; il a ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations relatives à la non-reconnaissance de l'U.G.T.M.
A. Allégations relatives à la non-reconnaissance de l'U.G.T.M.
- 52. Les plaignants allèguent qu'il leur aurait été refusé de participer aux manifestations du 1er Mai en raison du fait que leur organisation, l'U.G.T.M, n'aurait pas reçu la reconnaissance légale. Seule l'Union marocaine du Travail, U.M.T, syndicat gouvernemental, aurait été autorisée à défiler à l'occasion de la Fête du travail. Aux yeux des plaignants, le gouvernement chercherait, par son attitude, à imposer un monopole syndical en violation des principes des libertés démocratiques et du droit syndical.
- 53. A l'appui de ses allégations, l'organisation plaignante fournit des spécimens de lettres des autorités notifiant aux responsables de l'U.G.T.M l'interdiction d'exercer toute activité syndicale, le texte d'une circulaire de l'administration aux entreprises les enjoignant de ne pas traiter avec l'U.G.T.M, le texte de l'interdiction faite aux membres de l'U.G.T.M de participer aux manifestations du 1er Mai, enfin, le texte du dahir sur le droit syndical et celui du décret venant limiter ce droit.
- 54. Aux termes de ce dernier (décret no 2.57.0571, du 19 hija 1376 - 17 juillet 1957 -, relatif aux syndicats professionnels), le secrétaire général du gouvernement se voit autorisé, après avis des ministères intéressés, à s'opposer à la constitution d'un syndicat dans un délai de trois mois à compter du dépôt des statuts. Dans sa première réponse, du 31 mai 1960, le gouvernement déclare que l'organisation plaignante (à cette époque) n'avait effectivement pas été reconnue et que c'est bien en application du décret qui vient d'être mentionné qu'il a été fait opposition à sa création.
- 55. Le Comité tient à faire remarquer qu'une telle disposition légale est en contradiction flagrante avec le principe fondamental d'après lequel les employeurs et les travailleurs devraient avoir le droit de constituer les organisations de leur choix sans autorisation préalable.
- 56. Le Comité a noté toutefois que, dans sa deuxième réponse, du 6 février 1961, le gouvernement déclare que le décret dont il est question ci-dessus a été abrogé et, qu'en conséquence, toutes les mesures administratives qui avaient été prises en application dudit décret sont devenues caduques. « Aujourd'hui - poursuit le gouvernement -, les syndicats professionnels peuvent se constituer librement au Maroc, sans opposition administrative possible. » Le gouvernement indique que les agents des administrations publiques ont reçu des instructions les invitant à recevoir les dirigeants des nouveaux syndicats et à entretenir avec eux les mêmes rapports qu'avec les syndicats affiliés à l'U.M.T. «On peut donc affirmer - conclut le gouvernement - qu'il n'existe plus de la part des autorités administratives marocaines aucune discrimination entre syndicats. »
- 57. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de noter avec satisfaction la déclaration du gouvernement selon laquelle, d'une part, le décret limitant la liberté des travailleurs de constituer les organisations de leur choix sans autorisation préalable a été abrogé, d'autre part, les décisions prises en application de ce décret sont devenues caduques et de décider en conséquence qu'il serait pour lui sans objet de poursuivre plus avant l'examen de cet aspect du cas.
- Allégations relatives à des licenciements discriminatoires
- 58. Les plaignants allèguent que de nombreux travailleurs auraient été licenciés pour le seul motif qu'ils étaient membres de l'U.G.T.M. A l'appui de cette allégation, les plaignants donnent une liste de quelque quatre-vingts noms, en regard desquels figurent l'adresse des intéressés, l'établissement où ils étaient employés, leur situation de famille, la date de leur licenciement et leur ancienneté.
- 59. Le gouvernement a répondu à ces allégations de manière très détaillée. Dans sa communication du 6 février 1961, il déclare tout d'abord que, s'il y a eu des licenciements, ceux-ci ont été opérés par les employeurs dans un nombre très restreint d'entreprises «en vue d'éviter des troubles à l'intérieur des entreprises » et «en dehors de toute pression administrative ».
- 60. Dès que le gouvernement a eu connaissance de ces licenciements - poursuit celui-ci - le ministre du Travail et des Questions sociales, au cours d'une réunion tenue le 29 juillet 1960, c'est-à-dire avant même l'abrogation du décret du 17 juillet 1957 mentionné plus haut, a donné pour instructions aux contrôleurs et inspecteurs du travail d'intervenir énergiquement auprès des employeurs intéressés pour obtenir la réintégration des salariés qui avaient été licenciés pour des motifs extra-professionnels. Ces instructions ont été confirmées par une circulaire du 30 juillet 1960 dont le gouvernement joint le texte à sa réponse. Cette circulaire disait notamment: «Suite aux instructions verbales qui vous ont été données lors de la réunion du 29 juillet 1960, je vous rappelle qu'il est parvenu à la connaissance du gouvernement de Sa Majesté, que des employés dans un certain nombre d'entreprises ont été licenciés, suspendus ou rétrogradés abusivement pour des raisons extra-professionnelles. Je vous demande instamment de prendre toutes mesures nécessaires pour la réintégration de ces travailleurs et la normalisation des situations illégalement créées. »
- 61. Le gouvernement déclare ensuite que les agents de l'Inspection du travail, à qui la liste fournie par les plaignants avait été communiquée, sont intervenus immédiatement pour rétablir les travailleurs dans leur situation antérieure. A la suite de l'enquête à laquelle les inspecteurs du travail se sont livrés et qui porte sur la totalité des personnes mentionnées par les plaignants, il s'est révélé qu'un grand nombre de salariés, se prétendant licenciés pour des motifs d'ordre syndical, l'ont été en réalité pour des fautes graves ou d'autres motifs étrangers à leur appartenance syndicale. Un tableau fourni par le gouvernement et donnant les raisons des licenciements effectués montre que, parmi ces motifs, figurent par exemple: insuffisance professionnelle, absence prolongée et injustifiée, vol, faute professionnelle grave, implication dans une affaire de meurtre, fermeture du chantier, et rixe sur les lieux de travail. L'enquête effectuée a démontré par ailleurs que certains des travailleurs mentionnés par les plaignants avaient démissionné volontairement ou qu'ils n'avaient jamais été employés dans l'entreprise mentionnée. Dans certains cas, enfin, où les agents de l'Inspection du travail n'ont pas pu obtenir la réintégration lorsqu'ils l'estimaient justifiée, le gouvernement indique qu'une commission de la main-d'oeuvre sera prochainement réunie par le ministère compétent pour régler la situation de ces ouvriers.
- 62. Le gouvernement déclare que les inspecteurs du travail ont pu obtenir un certain nombre de réintégrations, mais que dans d'autres cas, ils se sont vu opposer une fin de non-recevoir de la part des employeurs, qui ont fait remarquer que les travailleurs licenciés avaient été remplacés par d'autres leur donnant entière satisfaction et qu'ils ne pouvaient renvoyer sans motifs valables.
- 63. Le gouvernement déclare enfin que certains travailleurs licenciés ont saisi les tribunaux du travail de demandes de réintégration, procédure qui leur a été recommandée par l'Inspection du travail.
- 64. En vertu de l'article 1 de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ratifiée par le Maroc, les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi. Ce même article précise qu'une telle protection doit notamment s'appliquer en ce qui concerne les actes ayant pour but de congédier un travailleur ou lui porter préjudice par tous autres moyens en raison de son affiliation syndicale. Le Comité a constaté que certains des faits allégués, lesquels, pour la plupart, ne sont pas contestés par le gouvernement, constituent le type même de situation que la convention no 98 vise à éviter. Etant donné l'importance que le Comité a toujours attachée à ce que soient respectés les principes énoncés dans cette convention et étant donné par ailleurs que l'article 3 de la convention dispose que des organismes appropriés aux conditions nationales doivent, en cas de besoin, être institués pour assurer le respect du droit d'organisation, le Comité recommande au Conseil d'administration de suggérer au gouvernement qu'il envisage l'adoption de toutes mesures qui paraîtraient utiles afin d'éviter, d'une manière générale, que des actes de discrimination antisyndicale tels que ceux qui font l'objet de la présente plainte puissent se reproduire à l'avenir.
- 65. En l'espèce, il ressort de la réponse circonstanciée fournie par le gouvernement que celui-ci a mis tout en oeuvre pour que les travailleurs abusivement licenciés soient réintégrés. Le Comité recommande au Conseil d'administration de noter avec satisfaction que, dans un certain nombre de cas, les efforts des autorités ont été à cet égard couronnés de succès. Il recommande également au Conseil d'administration d'exprimer l'espoir que toutes les personnes congédiées pour des questions de discrimination antisyndicale qui n'ont pas encore été réintégrées ou qui ne peuvent pas l'être pour une raison ou pour une autre reçoivent dans un proche avenir réparation du préjudice subi, et de prier le gouvernement de bien vouloir le tenir au courant des progrès accomplis dans ce sens.
- 66. Notant ensuite la déclaration du gouvernement selon laquelle plusieurs travailleurs ont saisi les tribunaux du travail de demandes de réintégration, le Comité a rappelé que dans tous les cas où une affaire faisait l'objet d'une action devant une instance judiciaire nationale, lorsque toutes les garanties d'une procédure judiciaire régulière sont assurées, il a, estimant que la décision à intervenir était susceptible de lui fournir des éléments d'informations utiles pour son appréciation des allégations formulées, décidé d'ajourner l'examen du cas en attendant d'être en possession du résultat des procédures engagées.
- 67. En l'espèce, le Comité a jugé opportun de suivre sa pratique constante en recommandant au Conseil d'administration de demander au gouvernement de bien vouloir lui communiquer le résultat des procédures engagées devant les tribunaux du travail marocains par certains travailleurs licenciés et, en attendant, d'ajourner l'examen de cet aspect du cas.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 68. Dans ces conditions, en ce qui concerne le cas dans son ensemble, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) en ce qui concerne les allégations relatives à la non-reconnaissance de l'U.G.T.M:
- i) de noter avec satisfaction que le décret no 2.57.0571 du 17 juillet 1957 limitant la liberté des travailleurs de constituer les organisations de leur choix sans autorisation préalable a été abrogé;
- ii) de noter que les décisions prises en application de ce décret sont devenues caduques;
- iii) de décider qu'il serait pour lui sans objet de poursuivre plus avant l'examen de cet aspect du cas;
- b) en ce qui concerne les allégations relatives à des licenciements discriminatoires:
- i) de suggérer au gouvernement d'envisager l'adoption de toutes les mesures qui paraîtraient utiles afin d'éviter, d'une manière générale, que des actes de discrimination antisyndicale tels que ceux qui font l'objet de la présente plainte puissent à l'avenir se reproduire;
- ii) de noter avec satisfaction que, dans un certain nombre de cas, les efforts déployés par le gouvernement en vue de la réintégration de travailleurs abusivement licenciés ont été couronnés de succès;
- iii) d'exprimer l'espoir que toutes les personnes congédiées pour des raisons de discrimination antisyndicale qui n'ont pas encore été réintégrées ou ne peuvent pas l'être pour une raison ou pour une autre recevront dans un proche avenir réparation du préjudice subi et de prier le gouvernement de bien vouloir le tenir au courant des progrès accomplis dans ce sens;
- iv) de demander au gouvernement de bien vouloir lui communiquer le résultat des procédures engagées devant les tribunaux du travail marocains par certains travailleurs licenciés et, en attendant, de décider d'ajourner l'examen de cet aspect du cas;
- c) de prendre note du présent rapport intérimaire, étant entendu que le Comité fera de nouveau rapport lorsqu'il sera en possession des informations demandées au gouvernement.
- Genève, le 24 février 1961. (Signé) Roberto AGO, Président.