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Definitive Report - Report No 199, March 1980

Case No 934 (Morocco) - Complaint date: 12-JUN-79 - Closed

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  1. 120. Par une communication du 12 juin 1979, la Confédération démocratique du travail (CDT) a présenté une plainte en violation des droits syndicaux au Maroc. Elle a en outre fourni des informations complémentaires à sa plainte dans une communication du 11 juillet 1979. Pour sa part, le gouvernement a envoyé ses observations par des lettres des 18 décembre 1979 et 15 janvier 1980.
  2. 121. Le Maroc n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; il a ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 122. La CDT explique dans sa plainte qu'elle est une organisation centrale de syndicats nationaux constituée en novembre 1978 conformément aux lois nationales en vigueur. Elle a acquis, ajoute-t-elle, une large représentativité dans différents secteurs comme, par exemple, les Postes et télécommunications, l'enseignement, les chemins de fer et les phosphates.
  2. 123. Les syndicats nationaux affiliés à la CDT ont entamé plusieurs démarches en vue de satisfaire les revendications de leurs adhérents et ont présenté à cet effet, auprès des administrations concernées, un cahier revendicatif concernant des augmentations de salaires et l'attribution de certains droits sociaux. Ces démarches ont pris plusieurs fois la forme d'une véritable négociation avec des ministres. Toutefois, selon la CDT, le gouvernement n'a pas cru devoir répondre aux revendications exprimées. Face à cette situation, divers syndicats nationaux ont été amenés à organiser des mouvements de grève, en particulier dans le secteur de la santé les 7 mars et 10-11 avril 1979 et dans l'enseignement les 5-6-7 février, 21-23-24 février et 10-11 avril 1979.
  3. 124. L'organisation plaignante estime qu'en organisant de tels mouvements, les syndicats en question exerçaient un droit qui n'avait jamais été contesté aux travailleurs. La CDT déclare à cet égard que la Constitution nationale, en son article 14, garantit le droit de grève, et que ce droit avait été exercé, en pratique, à plusieurs reprises sans réactions de la part du gouvernement.
  4. 125. Or, cette fois, poursuit la CDT, le gouvernement a nié le droit de grève aux fonctionnaires en se fondant sur le décret ministériel no 57-1465 du 5 février 1958. L'organisation plaignante observe que ce décret est antérieur à la première Constitution marocaine de 1962, laquelle disposait, tout comme les constitutions adoptées ultérieurement, que le droit de grève garanti aux travailleurs serait réglementé par une loi. Depuis lors, aucune loi en la matière n'a été publiée. 2-1 en résulte, pour la CDT, que le droit de grève est un droit absolu et que les textes le réglementant, adoptés avant la première Constitution, ne sont plus en vigueur. La CDT remarque en outre que le décret de février 1958 ne s'appliquait qu'à certains fonctionnaires tels que les policiers, les pompiers, les militaires et les magistrats. Il ne saurait donc, selon la CDT, être appliqué à l'ensemble de la fonction publique.
  5. 126. La CDT ajoute que le gouvernement a mobilisé tous les agents de l'autorité pour assiéger les locaux des syndicats affiliés dans toutes les villes du Maroc afin d'empêcher les réunions et assemblées de syndiqués. Des dizaines de militants ont été arrêtés et les publications de la CDT ont été saisies et utilisées comme pièces à conviction dans des procès que l'organisation plaignante qualifie de préfabriqués. Enfin, la CDT allègue que, le lendemain des jours de grève, des décisions de révocations collectives ont été prises à l'encontre d'un millier de militants.
  6. 127. En annexe à sa plainte, la CDT fournit une liste de 70 syndicalistes de l'enseignement qui ont été arrêtés et déférés devant la justice et de 708 enseignants révoqués à la suite des grèves.
  7. 128. Dans sa communication du 11 juillet 1979, la CDT déclare que le mouvement était largement justifié par les conséquences de la crise que connaît le pays et les orientations de la politique économique et sociale du gouvernement. Elle cite à cet égard certaines statistiques officielles concernant le chômage et le niveau des salaires. L'organisation précise également que 688 militants ont été arrêtés, dont certains ont subi des mauvais traitements, 230 ont été condamnés à des peines allant de un mois à deux ans de prison ferme, 708 enseignants et 178 travailleurs de la santé ont été suspendus ou révoqués. Elle fournit en annexe des listes des syndicalistes frappés par ces mesures en indiquant les motifs invoqués par les autorités, à savoir, dans la plupart des cas, l'incitation à la grève, ou, pour certaines personnes, distribution de tracts, résistance à l'autorité, réunion sans autorisation, entrave à la liberté du travail ou atteinte à l'ordre public.
  8. 129. Dans sa lettre du 18 décembre 1979, le gouvernement déclare en premier lieu qu'aucune réunion qui s'est tenue de façon légale n'a été interdite. Au sujet des grèves dans les secteurs de l'enseignement et de la santé, il indique que des atteintes à la liberté du travail et à l'ordre public ont été enregistrées au cours de ces mouvements et que les arrestations de grévistes ont été effectuées conformément à la législation en vigueur. Les auteurs d'infractions ont été déférés devant la justice pour des faits sanctionnés par la loi pénale marocaine. Les inculpés ont bénéficié pendant toute la procédure des garanties reconnues par la loi. La justice a examiné les cas en séance publique et les intéressés ont bénéficié du droit à la défense, de même qu'il leur a été permis d'user des moyens de recours. Nulle pression, ajoute le gouvernement, n'a été exercée à leur égard de la part d'une justice indépendante, honnête et consciente de ses responsabilités.
  9. 130. Pour ce qui est des mesures prises à l'encontre des grévistes, le gouvernement remarque que les libertés et droits publics garantis par la Constitution ne peuvent s'exercer de façon désorganisée. Il incombe donc au pouvoir réglementaire d'instaurer le cadre organisationnel pour l'exercice de ces libertés conformément aux conditions politiques, sociales et économiques.
  10. 131. Pour le gouvernement, il n'est pas concevable, juridiquement, que les lois et règlements antérieurs à la Constitution soient abrogés et que, dans l'attente d'une législation organisant l'exercice du droit de grève garanti par la Constitution, soit laissé un vide juridique qui porterait atteinte à la bonne marche de l'ordre général du pays. Le gouvernement indique que le texte juridique relatif à l'exercice du droit syndical par les fonctionnaires reste l'arrêté ministériel du 3 février 1958 et que l'article 5 de cet arrêté dispose que tout arrêt collectif de travail, en dehors des règles d'assiduité, sera sanctionné sans considération aucune des garanties disciplinaires. La Cour suprême s'est prononcée sur la légalité de cet arrêté dans un arrêt rendu le 17 février 1961. Le gouvernement signale également que, par le décret no 319 du 7 avril 1979, le Premier ministre a rendu un avis public applicable à tous les fonctionnaires de la réglementation en vigueur et, en particulier, de l'article 5 de l'arrêté du 3 février 1958. Il rappelle en outre l'existence du principe général qui impose la continuité des services publics, quelles que soient les situations. Enfin, le gouvernement observe que la CDT a le droit, conformément à la législation en vigueur, de formuler un recours auprès de la Cour suprême contre les décisions de révocation prises à l'encontre de ses membres.
  11. 132. Dans sa lettre du 15 janvier 1980, le gouvernement transmet des informations fournies par le ministère de l'Education nationale, d'où il ressort qu'un premier mouvement organisé par la CDT pour quarante-huit heures en février a été reporté après la création d'une commission ministérielle chargée d'étudier les revendications syndicales. Cette commission a approuvé plusieurs revendications dans un mémorandum transmis au Conseil des ministres qui l'a accepté le 16 mars 1978. Bien que les syndicats aient été informés de cette décision, une deuxième grève a été décidée pour les 11 et 12 avril 1978. Une troisième grève a été déclenchée les 5, 6 et 7 février 1979. Auparavant, poursuit le gouvernement, de nombreux contacts avaient eu lieu avec le Syndicat national de l'enseignement pour lui faire part des avantages accordés. Le gouvernement remarque en outre que le Maroc a fait l'objet d'une attaque militaire entre la date de proclamation de la grève et celle où elle a eu lieu. Malgré la décision du gouvernement de poursuivre le dialogue, une nouvelle grève d'une durée de quatre jours a été décidée pour les 21, 22, 23 et 24 février 1979. Le dialogue a été poursuivi et pourtant, à nouveau, le Syndicat national de l'enseignement a proclamé sa volonté de déclencher de nouveaux mouvements. Le gouvernement joint à sa communication un document rendant compte des avantages obtenus par les différents personnels de l'enseignement.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 133. Le présent cas concerne essentiellement les grèves survenues dans la fonction publique, en particulier dans les secteurs de la santé et de l'enseignement au cours de d'année 1979. Ces mouvements de grève, déclenchés pour des durées variant de un à trois jours, faisaient suite, selon les plaignants, à l'absence de réponse de la part des autorités aux revendications formulées par les organisations syndicales au sujet d'augmentations de salaires et d'attribution de certains droits sociaux. Le gouvernement a estimé, sur la base d'une réglementation adoptée en 1958, que la grève était illégale. De ce fait, les autorités ont procédé à l'arrestation d'un grand nombre de syndicalistes, dont plus de 200 ont été condamnés à des peines de prison, ainsi qu'à des licenciements ou mises à pied de près de 900 travailleurs grévistes. Il ressort des informations détaillées fournies par les plaignants que, dans la grande majorité des cas, l'incitation à la grève constituait le motif invoqué par les autorités. Pour sa part, le gouvernement déclare de façon plus générale que des atteintes à la liberté du travail et à l'ordre public avaient été enregistrées.
  2. 134. Le comité a signalé à de multiples occasions que le droit de grève est généralement reconnu aux travailleurs et à leurs organisations en tant que moyen légitime de défense de leurs intérêts professionnels et que, si ce droit fait l'objet de restrictions ou d'interdictions dans la fonction publique ou les services essentiels, des garanties appropriées devraient être accordées pour protéger les travailleurs ainsi privés d'un moyen essentiel de défense de leurs intérêts professionnels. Le comité a aussi indiqué que les restrictions devraient s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et rapides, aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer et que les décisions arbitrales devraient être dans tous les cas obligatoires pour les deux parties. De telles décisions, une fois rendues, devraient être exécutées rapidement et de façon complète. Le comité croit également utile de rappeler les termes de la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1978, dont l'article 7 prévoit que "des mesures appropriées aux conditions nationales doivent, si, nécessaire, être prises pour encourager et promouvoir le développement et l'utilisation les plus larges de procédures permettant la négociation des conditions d'emploi entre les autorités publiques intéressées et les organisations d'agents publics, ou de toute autre méthode permettant aux représentants des agents publics de participer à la détermination desdites conditions".
  3. 135. En l'espèce, les informations fournies par les plaignants et le gouvernement au sujet des négociations entamées avant les mouvements de grève sont largement contradictoires. Selon le gouvernement, elles ont abouti à la satisfaction des revendications alors que, selon les plaignants, le gouvernement a ignoré ces revendications. Il est dans ces conditions difficile de déterminer si les travailleurs et leurs organisations ont bénéficié de garanties destinées à compenser l'interdiction du droit de grève. De manière générale, le comité estime, qu'un recours à des procédures de conciliation et d'arbitrage aurait pu largement contribuer à prévenir le conflit et à créer un climat plus propice au développement des relations professionnelles.
  4. 136. Le comité doit signaler également, comme il l'a fait dans d'autres case, que des arrestations et des licenciements massifs de grévistes comportent de graves risques d'abus et de sérieux dangers pour la liberté syndicale. Il a considéré aussi, à ces occasions, que le développement des relations professionnelles pouvait être compromis par une attitude inflexible dans l'application aux travailleurs de sanctions trop sévères pour faits de grève. Le comité observe que, dans le présent cas, la durée des arrêts de travail a été relativement réduite et que les informations fournies par le gouvernement ne font pas état d'actes de violence ou d'autres infractions semblables de l'ordre public commis par les grévistes. En raison de ces considérations et de celles exprimées au paragraphe antérieur, le comité estime qu'il serait souhaitable que des mesures soient prises en vue de réexaminer la situation des travailleurs emprisonnés ou licenciés.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 137. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de signaler à l'attention du gouvernement les principes et considérations exprimés aux paragraphes 134 et 135 ci-dessus concernant les garanties compensatoires à accorder aux travailleurs de la fonction publique privés du droit de grève;
    • b) de signaler également à l'attention du gouvernement les considérations exprimées au paragraphe 136 ci-dessus au sujet des arrestations et des licenciements massifs de grévistes;
    • c) de suggérer au gouvernement, compte tenu de toutes ces considérations, que des mesures soient prises en vue de réexaminer la situation des travailleurs emprisonnés ou licenciés;
    • d) de prier le gouvernement de tenir le comité informé des mesures qui seraient prises en ce sens.
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