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Report in which the committee requests to be kept informed of development - Report No 204, November 1980

Case No 962 (Türkiye) - Complaint date: 05-MAY-80 - Closed

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  1. 231. Le comité a déjà examiné le cas no 930 à plusieurs de ses sessions dont la plus récente en mai 1980, où il a présenté un rapport intérimaire au Conseil d'administration. Depuis lors, le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication du 25 août 1980.
  2. 232. Le cas no 962 se rapporte à des plaintes que le comité n'a pas encore examinées. Celles-ci ainsi que les informations complémentaires présentées par les plaignants figurent dans deux communications respectivement datées des 5 et 7 mai 1980, présentées par la Confédération mondiale du travail (CMT) et la Fédération syndicale mondiale (FSM). Les plaintes concernent des mesures prises contre la Confédération des syndicats ouvriers progressistes (DISK). La CMT a fourni des informations complémentaires dans une lettre du 6 mai 1980. Le gouvernement, pour sa part, a fourni ses observations dans une lettre du 20 août 1980.
  3. 233. Par ailleurs, de nouvelles plaintes postérieures au changement de régime survenu en Turquie et relatives à la dissolution de la DISK et à l'arrestation de dirigeants syndicaux ont été reçues les 17 et 22 septembre 1980 (cas nos 997 et 999). Ces plaintes ont été transmises au nouveau gouvernement qui n'a pas encore communiqué ses observations, et le comité se propose d'examiner ces cas à sa prochaine session.
  4. 234. La Turquie n'a pas ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948; elle a, en revanche, ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

Cas no 930

Cas no 930
  1. A. Examen antérieur du cas
  2. 235. Les allégations encore en instance après l'examen du cas par le comité en mai 1980 concernaient des fouilles et des fermetures de locaux syndicaux d'unions régionales ou locales, et la situation d'un certain nombre de dirigeants et de militants syndicaux passibles de poursuites judiciaires et pour certains encore détenus soit pour avoir participé à des réunions syndicales ou pour y avoir chanté en décembre 1979 l'Internationale considérée par le gouvernement comme "l'hymne des pays communistes", soit parce que les forces de l'ordre auraient trouvé dans les locaux des syndicats des "publications interdites", soit enfin pour avoir protesté contre l'arrestation de leurs dirigeants.
  3. 236. Il s'agissait des syndicalistes suivants: Metin Denismen, président du Syndicat des banques (BANKSEN), Fehmi Isiklar, secrétaire général de la DISK, Gultekin Gazioglu et dix autres militants de l'Association d'enseignants (TOEBDER), Cevat Ozhasirci, président du Syndicat de la construction (BAYSEN), et des dirigeants du Syndicat des travailleurs de la métallurgie (MADEN-IS), à savoir le président Kemal Turkler, le secrétaire général Mehmet Karaca, Bahtiyar Erkul, Kemal Daysal, Necdet Onaram et Abdullab Yilmaz, ce dernier étant président de l'Union régionale d'Ankara (MADEN-IS).
  4. 237. A sa session de mai 1980, le Conseil d'administration, sur recommandation du comité, avait prié le gouvernement d'envoyer ses observations sur les allégations des plaignants concernant les fouilles et les fermetures de locaux d'unions régionales ou locales, ainsi que des informations précises sur la situation des syndicalistes mentionnés ci-dessus et les résultats des actions judiciaires intentées contre ses dirigeants, et en particulier les jugements concernant M. Gultekin Gazioglu et ses compagnons.
  5. B. Réponse du gouvernement
  6. 238. Sur un plan général, le gouvernement a répondu dans sa communication du 25 août 1980 que l'article 3 de la loi no 1402 sur l'état de siège en vigueur dans 20 provinces sur 67 autorisait le commandant de l'état de siège à recourir à des mesures exceptionnelles quand la sauvegarde de l'ordre public le nécessitait.
  7. 239. Pour ce qui est des fouilles et des fermetures de locaux syndicaux d'unions régionales ou locales, le gouvernement affirmait que, dans les régions où l'état de siège n'est pas en vigueur, fouilles et fermetures ne peuvent intervenir qu'à la suite d'un mandat de perquisition ou d'un jugement du tribunal. Dans les régions où l'état de siège est en vigueur, poursuivait le gouvernement, et lorsque les cas sont de la compétence des autorités de l'état de siège, le commandant de l'état de siège, en application des pouvoirs qui lui sont conférés par l'article 3 de la loi no 1402, peut ordonner la fouille ou la fermeture des locaux de toutes sortes d'associations. Le gouvernement indiquait qu'aucun recours judiciaire ou administratif n'a été introduit qui impliquerait que les autorités locales civiles ou militaires auraient agi à l'encontre de ces dispositions.
  8. 240. Au sujet des syndicalistes dont les noms étaient mentionnés par les plaignants, le gouvernement affirmait qu'ils continuaient à exercer actuellement leurs activités syndicales en toute liberté, et il poursuivait en indiquant qu'aucun syndicaliste n'avait été arrêté ou détenu en raison d'activités purement syndicales.
  9. Cas no 962
  10. A. Allégations des plaignants
  11. 243. Dans leurs nouvelles communications des 5 et 7 mai 1980, la CMT et la FSM ont allégué que le gouvernement a suivi une politique de répression et d'intimidation à l'égard de la DISK.
  12. 244. Selon les organisations plaignantes, la célébration du 1er mai a été interdite par le gouvernement. L'avant-veille, l'imprimerie du syndicat des services publics aurait été investie par l'armée, et le matériel de propagande du 1er mai saisi. Le 30 avril, l'armée aurait pris d'assaut le siège de la DISK, et 23 dirigeants de cette organisation auraient été arrêtés.
  13. 245. De plus, toujours selon les plaignants, le 5 mai les forces de l'ordre auraient à nouveau envahi le siège de la DISK et arrêté 16 autres dirigeants syndicaux dont F. Isiklar, secrétaire général de la DISK (déjà mentionné dans le cas no 930 traité ci-dessus), N. Nebieglu, vice-président, H. Ekinci, secrétaire général adjoint, T. Kocamanoglu, membre du bureau exécutif, et K. Akar, président du comité de surveillance de la DISK. Tous ces, responsables auraient été soumis à la torture et mis au secret par les autorités de l'état de siège.
  14. 246. Les plaignants précisent que A. Bastürk, R. Guven et M. Aktalgali et tous les autres dirigeants du comité exécutif de la DISK seraient désormais en prison, à l'exception de l'un d'entre eux qui se trouve à l'étranger. Par ailleurs, au total, 367 dirigeants, ou militants, de ce syndicat auraient été arrêtés.
  15. 247. La FSM, pour sa part, ajoute que l'interdiction des célébrations du 1er mai a provoqué des grèves de protestation et des cortèges qui auraient été réprimés à Istanbul, Izmir, Ankara et, surtout, Antalja où la police serait intervenue, tuant un garçon de dix ans et blessant plusieurs manifestants. De plus, 700 travailleurs et militants syndicaux auraient été arrêtés dans les diverses villes turques. La FSM indique cependant qu'à Mersin, au cours d'une manifestation, des syndicalistes ont démontré leur détermination de lutter contre la vague de répression qui frappait la classe ouvrière et de défendre ses libertés et ses droits.
  16. B. Réponse du gouvernement
  17. 248. Le gouvernement, dans sa réponse du 20 août 1980, explique que la Turquie traverse une période difficile caractérisée par des actes de terrorisme perpétrés par des groupes clandestins animés d'idéologies extrémistes. Dans le présent cas, le gouvernement reconnaît que le commandant de l'état de siège a dû interdire tout rassemblement public le 1er mai à Istanbul. Cette décision, ajoute le gouvernement, a été prise en application de la loi no 1402 sur l'état de siège et visait à sauvegarder l'ordre public et à empêcher les pertes de vies humaines, les forces de l'ordre n'étant pas sûres d'âtre en mesure d'assurer la sécurité des participants et des organisateurs. C'est dans ce contexte que la manifestation de la DISK a été interdite à Istanbul. En revanche, le gouvernement affirme que des manifestations du 1er mai ont été organisées librement dans d'autres villes et que la DISK en a organisé une à Mersin avec la participation des travailleurs venus de tout le pays.
  18. 249. Cependant, poursuit le gouvernement, les dirigeants de la DISK auraient lancé des appels à la grève pour protester contre l'interdiction, se mettant ainsi en infraction, et encourant de ce fait une peine allant jusqu'à six mois de prison en application de l'article 55 de la loi no 275 sur la grève. Ces dirigeants ont donc été arrêtés et présentés au tribunal de première instance de Bakirköy (Istanbul) le 29 avril 1980. Après six jours de détention pour certains, moins pour d'autres, tous ont été libérés par le tribunal qui a décidé de maintenir les poursuites en les laissant en liberté.
  19. 250. Entre-temps, ajoute le gouvernement, une autre action judiciaire a été intentée par le procureur du tribunal de l'état de siège d'Istanbul à l'encontre du président de la DISK qui a été de nouveau arrêté par les autorités militaires de l'état de siège cette fois. Après l'instruction préliminaire, l'intéressé a toutefois été remis en liberté. Selon le gouvernement, toutes les actions administratives et judiciaires se seraient déroulées conformément à la loi et aux procédures légales; en outre, il ajoute qu'il communiquera les résultats du procès de Bakirköy dès qu'ils seront connus.

Cas no 930

Cas no 930
  1. C. Conclusions du comité
  2. 241. En ce qui concerne les allégations de fouilles et de fermetures de locaux syndicaux, le comité note les explications communiquées par le gouvernement dans cette affaire. Etant donné que des allégations analogues sont examinées dans le cadre du cas no 962, le comité se réfère aux conclusions auxquelles il a abouti sur ce point dans cette nouvelle affairez.
  3. 242. Pour ce qui est des syndicalistes dont les noms étaient mentionnés par les plaignants, le gouvernement a déclaré en termes très généraux dans sa réponse du 25 août 1980 qu'ils continuaient à exercer leur activité en toute liberté, sans toutefois préciser s'ils étaient ou non encore passibles de poursuites judiciaires. A cet égard, le comité regrette que le gouvernement n'ait pas fourni des observations plus précises sur la situation des dirigeants syndicaux mentionnés par les plaignants, comme le lui avait demandé le comité, et en particulier qu'il n'ait toujours pas communiqué le texte du jugement qui aurait été rendu à l'égard de Gultekin Gazioglu de l'Association d'enseignants TOEBDER.
  4. Cas no 962
  5. C. Conclusions du comité
  6. 251. Dans ce dernier cas et partiellement dans le cas précédent, le comité observe que les questions soulevées portent sur l'interdiction de la manifestation du 1er mai, l'occupation de locaux syndicaux avec confiscation de matériel syndical, des arrestations et des violences à l'encontre de dirigeants et de militants syndicaux au cours des grèves de protestation qui en ont résulté.
  7. a) Allégation relative à l'interdiction de la manifestation du 1er mai
  8. 252. Au sujet de cet aspect du cas, le comité observe que les informations données par le gouvernement et par les plaignants différent dans la mesure où le gouvernement affirme que l'interdiction ne touchait que la ville d'Istanbul, dans le cadre de l'état de siège, les plaignants indiquant, en revanche, que la répression des cortèges de protestation contre l'interdiction a sévi également dans d'autres villes du pays. Le gouvernement, à l'appui de sa déclaration, a précisé qu'une manifestation du 1er mai, réunissant des travailleurs venus de tout le pays, s'est déroulée à Mersin, ce que les plaignants reconnaissent eux-mêmes. En tout état de cause, il ressort cependant des informations disponibles que les célébrations du 1er mai ont été interdites par le commandant de l'état de siège d'Istanbul.
  9. 253. A cet égard, le comité rappelle, en premier lieu, que le droit d'organiser des réunions publiques et des cortèges à l'occasion du 1er mai constitue, comme il l'a signalé à maintes reprises, un aspect important des droits syndicaux.
  10. 254. Le comité a également estimée qu'il appartient au gouvernement, en tant que responsable du maintien de l'ordre, de déterminer dans l'exercice de ses pouvoirs de sécurité si, dans des circonstances données, des réunions ou des manifestations, même de caractère syndical, peuvent mettre en danger la tranquillité et la sécurité publiques, et de prendre, en conséquence, les mesures préventives nécessaires pour écarter ce danger.
  11. 255. Cependant, si pour éviter des désordres les autorités décident d'interdire une manifestation, elles devraient, de l'avis du comité, s'efforcer de s'entendre avec les organisateurs de la manifestation afin de permettre sa tenue en un autre lieu où des désordres ne seraient pas à craindre. Bien qu'une telle manifestation ait eu lieu à Mersin, le comité observe, sur ce point, que des cortèges de protestation auraient été réprimés dans plusieurs villes de Turquie.
  12. b) Allégations relatives à l'occupation de locaux et à la confiscation de matériel de propagande du 1er mai
  13. 256. Les plaignants allèguent, en outre, que les locaux de la DISK auraient été occupés à deux reprises et que du matériel de propagande syndicale aurait été saisi par les autorités. Sur ce point, le gouvernement n'a pas commenté les mesures dénoncées par les plaignants dans le cadre du cas no 962, mais il a précisé dans le cadre du cas no 930 qu'en vertu de la loi sur l'état de siège le commandant de l'état de siège peut ordonner la fouille ou la fermeture des locaux de toutes sortes d'associations.
  14. 257. A cet égard, le comité estime que l'occupation des locaux syndicaux et la confiscation de matériel de propagande du 1er mai ou d'autres publications de nature syndicale peuvent constituer une grave ingérence des autorités dans les activités syndicales, comme il l'a signalé dans le passé, et par-là même, aller à l'encontre du principe selon lequel les syndicats doivent avoir le droit d'organiser leur activité, les autorités publiques devant s'abstenir d'en entraver l'exercice légal. En outre, la conférence internationale du Travail, dans sa résolution de 1970 sur les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles, a mis un accent particulier sur la liberté d'opinion et d'expression, sur le droit de recevoir et de répandre les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit et sur le droit à la protection des biens des syndicats.
  15. c) Allégations relatives à l'arrestation des dirigeants de la DISK
  16. 258. Le comité note, à cet égard, que les intéressés ont été remis en liberté en attendant d'être jugés pour infraction à la loi no 275 sur la grève. Il estime, dans ces conditions, qu'il lui serait utile de disposer du résultat des actions judiciaires en cours.
  17. d) Allégations relatives à des violences au cours des manifestations de protestation contre l'interdiction des célébrations du 1er mai
  18. 259. Le gouvernement ne formule pas d'observation au sujet des violences ayant entraîné la mort d'un enfant et les blessures de plusieurs manifestants à Antalja.
  19. 260. Le comité ne dispose donc pas d'informations suffisantes sur cet aspect du cas pour parvenir à des conclusions en toute connaissance de cause. Néanmoins, sur un plan plus général, le comité souhaite rappeler à l'attention du gouvernement que le droit de grève est généralement reconnu comme un moyen essentiel dont disposent les travailleurs et leurs organisations pour la défense de leurs intérêts économiques et sociaux. Le comité relève la gravité de certaines allégations formulées par les plaignants qui se référent notamment à la mort et aux blessures de manifestants. Dans les cas où la dispersion de manifestation pour des raisons d'ordre public a entraîné des pertes de vies humaines et des blessures, le comité a toujours attaché une importance spéciale à ce qu'il soit immédiatement procédé à une enquête impartiale et approfondie pour déterminer les responsabilités.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 261. Dans ces conditions, le comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de noter qu'à l'époque des réponses du gouvernement des 20 et 25 août 1980 certains dirigeants ou militants syndicaux avaient été relâchés;
    • b) de prier le gouvernement de tenir le comité informé des résultats de toutes actions judiciaires qui seraient encore intentées contre les syndicalistes mentionnés par les plaignants dans le cas no 930 (voir paragr. 236 ci-dessus), ainsi que de fournir le texte de tout jugement avec ses attendus qui aurait été prononcé à leur égard;
    • c) de signaler à l'attention du gouvernement:
    • i) les principes et considérations exprimés aux paragraphes 253 à 255 ci-dessus concernant l'interdiction de la manifestation du 1er mai et en particulier le principe selon lequel le droit d'organiser des réunions publiques et des cortèges à l'occasion du 1er mai constitue un aspect important des droits syndicaux;
    • ii) les principes et considérations exprimés aux paragraphes 256 et 257 concernant l'occupation des locaux syndicaux et la confiscation de matériel de propagande du 1er mai ou d'autres publications de nature syndicale et de rappeler, notamment, que la Conférence internationale du Travail, dans sa résolution de 1970 sur les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles, a mis l'accent sur la liberté d'opinion et d'expression, sur le droit de recevoir et de répandre les informations et les idées par quelque moyen que ce soit et sur le droit à la protection des biens des syndicats;
    • d) de prier le gouvernement de communiquer le texte des jugements prononcés par le tribunal de Bakirköy contre les dirigeants de la DISK avec leurs attendus dès qu'ils auront été rendus, ainsi que des informations sur l'action intentée par le procureur du tribunal de l'état de siège à l'encontre du président de la DISK;
    • e) de noter que de nouvelles plaintes, postérieures au changement de régime survenu en Turquie, et relatives à la dissolution de la DISK et à l'arrestation de dirigeants syndicaux, ont été reçues les 17 et 22 septembre 1980 (cas nos 997 et 999), qu'elles ont été transmises au nouveau gouvernement qui n'a pas encore communiqué ses observations et que le comité se propose d'examiner ces cas à sa prochaine session.
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