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Interim Report - Report No 277, March 1991

Case No 1444 (Philippines) - Complaint date: 25-FEB-88 - Closed

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  1. 303. Le comité a déjà examiné ce cas à trois reprises et a présenté chaque fois des conclusions intérimaires au Conseil d'administration pour approbation, dont les plus récentes ont été approuvées en mai-juin 1990. (Voir 272e rapport, paragr. 312-343.) Dans deux communications en date des 19 septembre et 1er octobre 1990, le Kilusang Mayo Uno (KMU) a communiqué de nouvelles allégations relatives à ce cas.
  2. 304. Le gouvernement a formulé d'autres observations sur ce cas par communication du 18 décembre 1990.
  3. 305. Les Philippines ont ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Examen antérieur du cas

A. Examen antérieur du cas
  1. 306. Les principales questions en instance après les trois examens de ce cas sont: les enquêtes et/ou les procès en cours concernant les décès, les tentatives de meurtre et les arrestations de plusieurs dirigeants syndicaux, dont certaines remontent au début de 1987; la répression policière de la célébration du 1er mai à Laguna en 1988; les neuf morts et disparitions signalés en 1989; les pratiques illégales de travail à l'encontre des piquets de grève de la compagnie de bus G-Liner et du grand magasin Gaisano Iligan Inc. Tout en se félicitant des réponses détaillées du gouvernement sur plusieurs des incidents énumérés, le comité a formulé des observations sur le rôle des groupes paramilitaires dans des cas de violence directe ou de pressions indirectes contre des syndicalistes. Il a également déploré l'existence d'un autre type de groupe d'autodéfense armé, connu sous le nom de "Special CAFGU Active Auxiliary" ou SCAAS.
  2. 307. Au vu des conclusions du comité, le Conseil d'administration a approuvé les recommandations suivantes:
    • a) En ce qui concerne les enquêtes en cours dans diverses juridictions concernant les syndicalistes Roxas, Barros, Tullao, Peru, Alberio, Cubilla, Adriano, Sarias, Cueva, Alderite, Espiritu et Roda, le comité demande au gouvernement de fournir de nouvelles informations sur l'évolution des poursuites et des copies de tout arrêt ou jugement rendu.
    • b) ...
    • c) S'agissant des quatre incidents précis survenus en 1988-89 sur lesquels le gouvernement n'a fourni aucune nouvelle information ou pour lesquels, selon le gouvernement, il a été difficile d'enquêter (à savoir la disparition de M. B. Clutario, le procès de M. W. Orculla, la répression policière du rassemblement célébrant le 1er mai 1988 à Laguna et l'allégation de tortures sur la personne de M. Sabidalas), le comité demande au gouvernement de renouveler ses efforts pour retrouver tout indice pouvant lui permettre d'examiner les allégations en pleine connaissance des faits.
    • d) Le comité demande également au gouvernement de transmettre ses observations sur neuf incidents précis dont la liste figure dans les allégations les plus récentes et qui comprennent des cas de morts et de disparitions de syndicalistes dont font état les documents fournis en 1989.
    • e) Etant donné l'ambiguïté du rôle des unités géographiques des forces auxiliaires civiles (CAFGU) et la création d'un nouveau type de groupement armé intitulé "Special CAFGU Active Auxiliary Companies", le comité prie à nouveau le gouvernement de démanteler ces groupes.
    • f) Le comité demande au gouvernement de fournir des données à jour sur le nombre de plaintes en violation des droits de l'homme présentées à divers organismes de contrôle nationaux des Philippines, y compris des données concernant les plaintes rejetées, examinées, réglées ou renvoyées aux tribunaux en vue de poursuites pénales.

B. Autres allégations des plaignants

B. Autres allégations des plaignants
  1. 308. Dans une lettre du 19 septembre 1990, le KMU allègue que, malgré les nombreux appels lancés par le Comité de la liberté syndicale en vue du démantèlement des CAFGU et d'autres groupes armés qui menacent la vie syndicale aux Philippines, la situation des droits syndicaux et des droits de l'homme dans le pays ne présente aucun signe d'amélioration.
  2. 309. Selon les statistiques d'une organisation philippine non gouvernementale, connue sous le nom de "Commission sur les syndicats et les droits de l'homme", 180 cas de répression antisyndicale auraient été commis entre janvier et septembre 1989 par des unités des forces militaires, la police, des groupes de vigiles et d'autres groupes paramilitaires, touchant au total 1.142 travailleurs. Cette organisation joint copie d'un rapport présenté au Congrès le 29 mars 1990 par la Commission sénatoriale des Philippines sur la justice et les droits de l'homme, intitulé "La situation des droits de l'homme aux Philippines", qui critiquait la politique de "guerre totale" menée par la Présidente Aquino afin d'éliminer l'insurrection armée. D'après les plaignants, c'est cette politique qui aurait encouragé la création de groupes anticommunistes fanatiques qui se sont attaqués aux travailleurs et aux paysans parce que les autorités considéraient tous ceux qui critiquaient les politiques gouvernementales comme des sympathisants ou des membres du mouvement révolutionnaire. Le KMU cite un passage du rapport de la Commission sénatoriale confirmant que cette politique de guerre totale a touché les syndicats: "Les fonctionnaires du gouvernement, et en particulier les militaires, ont fait des déclarations un peu trop libres et parfois délibérées qui établissaient un lien entre de nombreux groupes attachés à une cause et des organisations interdites telles que le (parti communiste des Philippines). Avec une telle étiquette, ces groupes risquaient de devenir la cible de groupes de vigiles militaires, paramilitaires et anticommunistes."
  3. 310. Le KMU cite ensuite (avec copies de circulaires, coupures de presse, déclarations en Tagalog, etc. à l'appui) plusieurs cas précis de violations des droits syndicaux dans lesquels sont impliqués des militaires:
    • - le 23 octobre 1989, le commandant de la 224e brigade de police de Laguna a informé M. Verleen Trinidad, président de la Fédération syndicale OLALIA, affiliée au KMU, qu'il figurait sur la liste noire de l'armée, autrement dit qu'il était recherché pour subversion ou appartenance à des organisations illégales; il a d'ailleurs été convoqué à un camp militaire pour interrogatoire;
    • - à la suite des piquets de grève organisés en face du ministère du Travail et de l'Emploi pour condamner l'inclusion de dirigeants syndicaux dans ces listes, la Commission sénatoriale sur la justice et les droits de l'homme a ordonné aux militaires de rayer les noms des dirigeants syndicaux de ces listes; toutefois, certains, dont M. Trinidad, continuent à recevoir des menaces de morts anonymes et doivent constamment changer de résidence pour éviter tout danger;
    • - M. Robert Colendres, président de l'organisation syndicale ALAB, figurait lui aussi sur une liste de l'armée, qui l'a menacé lorsqu'il a refusé de signer une déclaration disant qu'il faisait partie d'un organisme interdit;
    • - l'alliance syndicale PAMANTIK allègue que des hommes armés ont fait irruption dans ses bureaux à la recherche de dirigeants syndicaux, et redoute une descente de l'armée;
    • - le 6 mars 1990, Nestor Libalib, dirigeant syndical à la Société Blue Bar Coconut, a été arrêté sans mandat d'arrêt et détenu par les membres de la 237e brigade de police; il aurait été torturé en prison;
    • - le 7 mars 1990, Cornelio Tagulao, responsable d'un groupe culturel de travailleurs connu sous le nom de SIKLAB, a été abattu par balles par des hommes non identifiés alors qu'il passait en tricycle devant le marché de Mariveles; selon des membres de sa famille, c'était en fait son frère, Rufo, dirigeant syndical de la zone franche d'exportation de Bataan, qui était visé;
    • - le 10 mars 1990, des soldats du 702e bataillon d'infanterie ont pénétré sans mandat de perquisition dans les bureaux d'AMBA-BALA, une agence syndicale de la province de Bataan affiliée au KMU, et ont mis à sac les locaux et arrêté Rolly Olano, secrétaire général de l'une des sections locales du syndicat;
    • - le 26 août 1990, Lydia Sicat, une militante de la région III de l'Alliance des travailleurs du syndicat, a été enlevée par des militaires qui disaient être des agents secrets de la brigade des stupéfiants de Pampanga; elle s'est échappée deux jours plus tard, et dit avoir été interrogée par ces personnes, qui étaient en fait des membres d'une unité spéciale de lutte contre l'insurrection, et qui l'accusaient d'être membre du parti communiste interdit; son syndicat a déposé plainte auprès du ministère de la Justice et du bureau régional de la Commission des droits de l'homme des Philippines;
    • - M. Primo Amparo, président du syndicat AMBA-BALA, affilié au KMU, affirme que les militaires ont menacé d'écraser son organisation syndicale, ainsi que d'autres organisations syndicales militantes, dans le cadre de leur campagne de lutte contre l'insurrection à Luzon-centre; cette intervention a fait de nombreuses victimes parmi les civils et les syndicalistes;
    • - le 25 mars 1990, environ 50 membres du Commandement militaire régional ont attaqué un séminaire syndical à Quezon City et arrêté 60 travailleurs qui y participaient; ils ont tous été relâchés le lendemain, à l'exception des deux instructeurs (Marlon Luares et Elizalde Lalaluan), qui ont été détenus quelques semaines pour subversion en raison de leur appartenance à la Nouvelle armée du peuple; ils bénéficient actuellement d'une mise en liberté sous caution.
  4. 311. Le KMU ajoute que la situation des travailleurs de l'industrie du sucre de l'île Negros ne s'est pas améliorée: 206 membres de la Fédération nationale des travailleurs de l'industrie du sucre (NFSW) ont été assassinés par les CAFGU entre février 1986 et février 1989, et ces groupes paramilitaires sont utilisés par les propriétaires terriens comme milice privée contre les travailleurs qui osent présenter des revendications comme la réforme agraire. Le KMU cite le témoignage du Major général Gerardo Flores, chef des services secrets de la police, devant un comité du Congrès, selon lequel "les CAFGU sont devenus un moyen commode pour les membres des milices privées de sortir de l'illégalité". Le président de la NFSW affirme que des détachements des CAFGU sont constitués dans les haciendas où existent des coopératives de travailleurs, dans l'intention manifeste de terroriser les travailleurs et les empêcher ainsi de réclamer des augmentations de salaire. La NFSW affirme que le Fonds de développement du sucre, créé par des propriétaires terriens qui prélèvent une taxe sur la production de sucre, sert à financer la formation, l'habillement et l'armement des CAFGU. Ce fonds a admis qu'il finançait les CAFGU, qui sont sous le contrôle des militaires, dans un document qui a été soumis à la Commission sénatoriale sur la justice et les droits de l'homme.
  5. 312. Selon le plaignant, David Borja, président du Syndicat uni de Lanao, syndicat affilié au KMU, a été abattu par balles le 29 avril 1990 par trois hommes non identifiés, alors qu'il rentrait chez lui en motocyclette. Le plaignant affirme également qu'une unité active auxiliaire spéciale des CAFGU (ou SCAA) est en voie de formation pour être utilisée dans les mines Atlas, lieu des actions antisyndicales menées par des groupes de vigiles dont il a été fait état lors des examens précédents de ce cas.
  6. 313. Enfin, le KMU signale que, le 9 juillet 1990, la Cour suprême a confirmé la validité de l'arrestation sans mandat de personnes soupçonnées de subversion, au motif que la subversion est un acte criminel récurrent; ce raisonnement avait valeur de doctrine sous le régime Marcos. Dans un avis dissident, deux juges ont déclaré qu'il s'agissait là d'une "doctrine dangereuse", et de nombreux groupes philippins des droits de l'homme l'ont critiquée. Le KMU termine en disant que, malgré les nombreuses déclarations de la Présidente Aquino selon lesquelles "les violations des droits de l'homme ne deviendront jamais une habitude ou une politique de (son) gouvernement", celui-ci est incapable de respecter ses engagements et de protéger les droits des syndicats et les droits de l'homme.
  7. 314. Dans sa communication du 1er octobre 1990, le KMU soutient que Reynaldo Arcelon, chef des gardes de sécurité de la société Laws Textile Philippines Ltd. de Manille, a assassiné, le 27 septembre 1990, Edwin A. Fernandez, membre du Conseil national du KMU, et Sergio "Jojo" Atilano, instructeur de la Fédération nationale des syndicats (NAFLU). Ce jour-là, les syndicalistes avaient été autorisés à pénétrer dans l'entreprise pour surveiller le déroulement d'un vote d'homologation auquel ils s'étaient présentés contre le syndicat en poste, la Confédération des travailleurs libres (CFW-TUCP). Selon le KMU, M. Fernandez aurait pris des photos du garde de sécurité, qui menaçait des partisans de la NAFLU devant l'urne; il aurait ensuite été abattu d'une balle dans la nuque, de même que M. Atilano, qui s'était porté à son aide. La direction a immédiatement ordonné aux travailleurs de rentrer chez eux et fermé l'usine; les deux corps ont été abandonnés là pendant deux heures jusqu'à ce que la direction contacte le poste de police de Taguig; le rapport d'autopsie n'est pas encore disponible. Le KMU déclare que cette violence délibérée s'inscrit dans le cadre de la politique anti-KMU que mène cette société depuis 1988, date à laquelle ce dernier a commencé à y organiser les travailleurs.
  8. 315. En outre, le KMU fait état du meurtre, le 28 septembre 1990, de trois employés en grève de la Goldilocks Bakeshop, de Mandaluyong, à Manille, par les gardes de sécurité recrutés auprès de l'Agence de sécurité des Dragons bleus associés. Les personnes tombées sous les balles des gardes de sécurité qui ont attaqué le piquet de grève sont: Oriel de la Torre, Nestor Apolonio et Jun Gripal. Un représentant du ministère du Travail et de l'Emploi aurait alors donné aux grévistes l'ordre de reprendre leur travail. La police a arrêté 96 gardes de sécurité et saisi de nombreuses armes à feu, dont deux fusils Armalite munis de lance-grenades (une grenade a été lancée contre le piquet de grève, mais n'a pas explosé). Le KMU affirme que cinq autres personnes arrêtées ont avoué avoir reçu de la direction de la Goldilocks 6 dollars des Etats-Unis pour disperser les grévistes. Le plaignant explique que ce syndicat indépendant, fort de 800 membres, s'est mis en grève le 4 septembre pour obtenir certains avantages matériels et protester contre le licenciement de 20 syndicalistes; les grévistes sont retournés au piquet de grève après le massacre, et des gardes de la société auraient de nouveau tiré sur eux deux jours plus tard. Le KMU réclame des sanctions contre les gardes de sécurité et une enquête sur la collaboration entre l'employeur et les fonctionnaires du ministère du Travail et de l'Emploi dans cette intervention violente.

C. Réponse du gouvernement

C. Réponse du gouvernement
  1. 316. Dans sa communication du 18 décembre 1990, le gouvernement signale tout d'abord qu'il a déjà répondu à la plupart des allégations générales formulées par le KMU dans ses précédentes réponses concernant ce cas.
  2. 317. En ce qui concerne les coups de feu tirés à la société Laws Textiles Philippines Ltd., le gouvernement explique que le vote d'homologation qui a eu lieu le 27 septembre 1990 dans les locaux de cette entreprise était supervisé par un représentant du ministère du Travail et de l'Emploi, Mme A.C. Gregorio. Selon cette dernière, ces coups de feu ont été tirés après que des troubles eurent éclaté près des isoloirs: il y eut plusieurs coups de feu, suivis du décès d'un dirigeant du KMU. La police a mené une enquête sur cet incident et, sur la base d'une identification faite par un témoin oculaire, a intenté contre Reynaldo Arcilon des poursuites pénales pour meurtre auprès du tribunal régional. Le procès est en cours.
  3. 318. En ce qui concerne les coups de feu tirés à l'entreprise Goldilocks Bakeshop, le gouvernement affirme qu'après enquête, des poursuites pénales ont été engagées auprès du tribunal régional contre l'un des gardes de sécurité, Danilo de la Cruz, et contre trois autres personnes impliquées dans les violences du 28 septembre 1990 qui ont abouti à la mort de trois travailleurs tenant des piquets de grève.
  4. 319. En ce qui concerne le prétendu recours à la "politique de la guerre totale" comme moyen de répression syndicale, le gouvernement nie avoir jamais adopté cette prétendue politique. Bien qu'assailli de menaces par les communistes et par des groupes d'extrême-droite, le gouvernement n'a jamais eu recours à des mesures répressives pour résoudre ce problème. Les mesures qui ont été et qui sont utilisées visent uniquement le maintien et le respect de la paix et de l'ordre par les forces de police régulières, les forces militaires et les conseils de la paix et de l'ordre décrits dans des réponses précédentes du gouvernement concernant ce cas. Le gouvernement voit, dans le rapport de la Commission sénatoriale dont fait mention le KMU, une manifestation des efforts qu'il a faits pour promouvoir la reconnaissance et le respect des droits de l'homme dans le pays. Il signale par ailleurs: la mise en place de conseils de la paix et de l'ordre, l'abolition des groupes de vigiles et les négociations de paix avec des groupes de rebelles, comme en témoignent les coupures de presse remises par le gouvernement.
  5. 320. Selon le gouvernement, il n'y a rien de surprenant à ce que la police et l'armée tiennent une liste des personnes connues comme membres de groupes illégaux, y compris du parti communiste et de la Nouvelle armée du peuple. La liste dont parle le KMU n'est rien d'autre qu'une liste de criminels recherchés; le fait que certaines des personnes figurant sur la liste sont membres de syndicats, de partis politiques ou d'associations religieuses n'a aucune importance car s'ils figurent sur la liste ce n'est pas parce qu'ils sont affiliés à de telles organisations mais uniquement parce qu'ils ont commis des actes considérés comme illégaux dans ce pays. Le gouvernement ne comprend pas que le KMU continue à dire qu'on le persécute simplement parce qu'il exerce ses droits et libertés. Selon le gouvernement, bien qu'ayant commis des actes qui pourraient être considérés comme des crimes, le KMU n'a fait l'objet d'aucune poursuite pénale; et bien qu'il y ait eu, au cours d'une récente et violente grève générale, atteinte à la propriété publique et privée, le gouvernement s'est contenté de condamner cette violence et de poursuivre au pénal ceux qui avaient été pris en flagrant délit.
  6. 321. En ce qui concerne les allégations de violations des droits syndicaux et des droits de l'homme, le gouvernement rappelle qu'en raison des violentes activités menées par des rebelles de gauche comme de droite la paix et l'ordre sont fragiles dans le pays. Il affirme que le premier devoir de l'Etat consiste à protéger ses citoyens contre de telles violences. Si les militaires ont procédé aux arrestations et aux incursions évoquées par le KMU, c'est parce qu'ils étaient persuadés que les personnes en cause étaient impliquées dans des activités criminelles et illicites, telles que la sédition, la subversion et d'autres crimes contre l'Etat. Le gouvernement souligne que ces arrestations et incursions n'étaient motivées ni par l'appartenance de ces personnes à des syndicats, ni par leur participation aux activités syndicales, bien que le KMU ait tenté de présenter les choses de cette façon.
  7. 322. S'agissant de l'irruption de l'armée dans un séminaire de travailleurs, le gouvernement reconnaît les faits, mais il souligne que ce raid a permis de saisir de nombreux documents subversifs et séditieux, et que ce n'est pas parce que les locaux abritaient des séminaires de travailleurs que ce raid a eu lieu mais parce qu'ils servaient à ce moment-là de dépôt à des objets à caractère criminel que le gouvernement a le droit de confisquer.
  8. 323. En ce qui concerne le rôle des CAFGU à Negros Island, le gouvernement réitère que ni lui ni la législation nationale n'acceptent l'existence de groupes civils armés.
  9. 324. Quant à la décision de la Cour suprême relative aux arrestations sans mandat, le gouvernement affirme qu'il est universellement admis qu'une personne prise en flagrant délit peut être arrêtée sans mandat, et que la Cour suprême s'est fondée sur ce principe pour autoriser l'arrestation sans mandat de personnes ayant versé dans la subversion, dans la mesure où il s'agit d'un cas de flagrant délit.
  10. 325. Enfin, le gouvernement s'engage à communiquer les renseignements demandés par le comité en mai-juin 1990 concernant les aspects de ce cas qui restent en instance après les différents examens précédents. Il précise cependant que les CAFGU n'ont rien d'ambigu à ses yeux et qu'ils résultent de l'exercice par l'Etat d'un attribut inhérent à sa souveraineté, consistant à protéger ses citoyens de la violence et à assurer la paix et l'ordre. La montée de l'insurrection dans le pays justifie, dans n'importe quel système juridique, l'exercice de ce pouvoir par l'Etat. Le gouvernement déclare qu'il ne peut, en toute bonne conscience, compromettre la sécurité de la majorité de ses citoyens en supprimant ces unités.

D. Conclusions du comité

D. Conclusions du comité
  1. 326. Le comité déplore la mort de syndicalistes à la suite des coups de feu tirés lors du vote d'homologation à l'entreprise Laws Textiles Philippines Ltd. et contre les piquets de grève à la Goldilocks Bakeshop. Il note que les procès des gardes de la sécurité accusés de ces meurtres suivent leur cours et appelle l'attention du gouvernement sur l'importance d'un jugement rapide visant à éclaircir pleinement les faits, à déterminer les responsabilités et à sanctionner les coupables (voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 78), et lui demande de l'informer de la décision finale dès que les jugements seront rendus.
  2. 327. Le comité prend note de la réponse du gouvernement aux autres communications récentes concernant ce cas, mais se doit d'exprimer son profond regret du fait que certaines allégations sérieuses et détaillées sont restées sans réponse de la part des autorités pendant un certain temps. En particulier, le comité regrette qu'aucune information, à part un exposé général sur l'obligation de l'Etat de faire respecter la loi et l'ordre, n'a été fournie au sujet de l'arrestation de trois dirigeants syndicaux (Nestor Libalib, Rolly Olano et Lydia Sicat) en mars et avril 1990, et de la mort du syndicaliste David Borja le 29 avril 1990. En conséquence, il prie le gouvernement de donner des réponses complètes et détaillées sur ces aspects du cas afin que le comité puisse les examiner dès qu'il reprendra cette affaire.
  3. 328. En ce qui concerne les brimades dont des dirigeants syndicaux et des syndicalistes auraient fait l'objet de la part des militaires et de la police, y compris la tenue d'une liste noire ou d'une liste de personnes recherchées, les menaces, les interrogatoires et les raids, le comité prend note de la réponse du gouvernement selon lequel certaines de ces mesures se justifient par le fait que l'Etat doit faire respecter la loi en recherchant les criminels et en luttant contre la criminalité. Le comité note en particulier que le gouvernement nie fermement que l'affiliation syndicale ou la participation aux activités syndicales des intéressés aient quoi que ce soit à faire avec les mesures prises. Cette contradiction entre la façon dont le plaignant voit ces mesures et les explications du gouvernement amène le comité à demander une fois de plus que lui soient transmises aussi rapidement que possible les copies de tous jugements rendus à la suite des différentes mesures énumérées par le KMU et de toutes décisions prises à la suite des plaintes déposées auprès de la Commission des droits de l'homme des Philippines qui pourraient l'éclairer sur les motifs réels des arrestations et des raids. En particulier, le comité demande au gouvernement de lui fournir des précisions sur les procès en cours contre les deux instructeurs syndicaux, MM. Marlon Luares et Elizalde Malaluan, arrêtés et relâchés sous caution après l'irruption de l'armée dans un séminaire de syndicalistes le 25 mars 1990. Il lui demande aussi d'envoyer des exemplaires des documents séditieux qu'il dit avoir confisqués. C'est alors seulement que le comité pourra évaluer pleinement cette allégation.
  4. 329. En attendant, le comité tient toutefois à rappeler l'importance qu'il a toujours attachée au respect de certaines libertés civiles sans lesquelles les droits syndicaux ne peuvent être pleinement exercés. Ces libertés civiles sont énumérées dans la résolution concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les liberté civiles, adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1970, et comprennent l'interdiction de toute arrestation et détention arbitraire, le droit à un procès équitable et le droit à la protection des biens syndicaux. En appelant l'attention du gouvernement sur ces principes, le comité note que le rapport de la Commission sénatoriale de mars 1990, cité à la fois dans les dernières allégations du plaignant et dans la réponse du gouvernement, "met en garde contre certains excès de la part des fonctionnaires de l'Etat, et en particulier des militaires qui ouvrent la porte à toutes sortes d'atteintes à la liberté des groupes de militants et du simple citoyen".
  5. 330. Le comité demeure particulièrement préoccupé par le maintien et la prolifération présumée de groupes armés, appelés Unités géographiques des forces auxiliaires civiles, compagnies auxiliaires actives spéciales des CAFGU, milices privées ou autre chose, qui n'ont aucun lien formel avec les organismes réguliers de la nation qui assurent le respect de la loi et le maintien de l'ordre. Dans une des dernières allégations auxquelles le gouvernement ne répond pas expressément, il est dit qu'une société créée par un employeur sert à financer ce genre de groupe, afin de lutter contre les activités légitimes des travailleurs de l'île Negros. Tout en se félicitant des déclarations réitérées du gouvernement affirmant que ni lui ni la législation nationale ne soutiennent l'existence de groupes civils armés et que son souci pour le respect des droits de l'homme se manifeste par la suppression de vigiles, le comité ne peut qu'exprimer son inquiétude devant le refus d'abolir les CAGFU par lequel le gouvernement conclut sa réponse.
  6. 331. Dans ses précédents examens de ce cas, le comité a noté que ces organismes avaient été créés sous l'autorité du ministère de la Défense nationale en vertu de l'arrêté présidentiel no 264 de 1987, dans le cadre des nombreux efforts déployés pour stopper la prolifération de groupes d'autodéfense non contrôlés, et que leurs activités devaient être contrôlées par les conseils de la paix et de l'ordre conformément à l'arrêté présidentiel no 309. Toutefois, comme cela a déjà été clairement dit lors de l'examen de ce cas par le comité en mai-juin 1990 (272e rapport, paragr. 341), il continue à y avoir des cas - dont font état les documents fournis - de violence antisyndicale directe dus à des groupes paramilitaires. En outre, dans un précédent rapport (1988), la Commission sénatoriale avait demandé expressément le démantèlement de ce genre de groupes. Les CAFGU n'ont donc pas atteint l'objectif pour lequel ils ont été créés et, ce qui est pire, ils sont clairement considérés par l'une des principales fédérations syndicales du pays, qui est l'un des plaignants dans ce cas, comme un de ces nombreux groupes paramilitaires soutenus officiellement. C'est là l'ambiguïté du rôle des CAFGU à laquelle le présent comité a fait référence lors des précédents examens de ce cas, ce qui a incité le comité à demander leur abolition. Eu égard à l'insistance du gouvernement, selon qui on ne peut en aucun cas assimiler les CAFGU aux vigiles, qu'il s'est juré de faire disparaître, le comité demande au gouvernement de fournir des renseignements à jour sur le rôle des CAFGU et de leurs unités auxiliaires (SCAA), compte tenu des allégations présentées dans le présent cas.
  7. 332. En ce qui concerne la récente décision de la Cour suprême concernant les arrestations sans mandat, le comité prend note de la déclaration du gouvernement précisant que cela s'applique aux cas de subversion. Dans la mesure où cette doctrine judiciaire se limite à ces cas, le comité n'est pas compétent pour formuler des observations à ce sujet. Il tient cependant à rappeler qu'étant donné l'importance qu'il a toujours attachée à l'exercice du syndicalisme dans un climat libre de toute insécurité et de toute crainte, certaines garanties fondamentales d'une procédure judiciaire régulière devraient toujours être respectées dans le cas des syndicalistes détenus. (Voir, en particulier, op. cit., paragr. 110.)
  8. 333. Enfin, le comité note que le gouvernement s'est engagé à communiquer de plus amples renseignements sur les autres allégations en instance après les précédents examens de ce cas, et en particulier sur 1) l'évolution de plusieurs procès (ceux des syndicalistes Roxas, Barros, Tullao, Peru, Alberio, Cubilla, Adriano, Sarias, Cueva, Alderite, Espiritu et Roda); 2) toute nouvelle enquête sur la situation de MM. Clutario, Orculla, Sabidalas, et sur l'incident qui a troublé en 1988 la fête du 1er mai 1988 à Laguna; 3) les neuf décès ou disparitions signalés en 1989 et les pratiques du travail déloyales qui ont perturbé les piquets de grève de 1989 et qui sont décrites aux paragraphes 320 et 322 du 272e rapport du comité; 4) des statistiques à jour concernant les activités des divers organismes créés dans le pays en vue de promouvoir les droits de l'homme et de contrôler la violation de ces droits. Par ailleurs, le comité demande au gouvernement de fournir des précisions sur les procès intentés aux deux instructeurs syndicaux, MM. Marlon Luares et Elizalde Malaluan, arrêtés et relâchés sous caution après l'irruption d'un groupe de militaires dans un séminaire de syndicalistes le 25 mars 1990.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 334. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité déplore la mort de syndicalistes survenue au cours d'un vote d'homologation à l'entreprise Laws Textiles Philippines Ltd. et des piquets de grève à la société Goldilocks Bakeshop, et demande au gouvernement de l'informer de l'issue des procès en cours contre les gardes de la sécurité accusés de ces crimes.
    • b) Le comité demande au gouvernement de lui communiquer ses observations détaillées sur l'arrestation de trois dirigeants syndicaux (Nestor Libalib, Rolly Olano et Lydia Sicat), lors d'incidents distincts en mars et avril 1990, et sur la mort présumée du syndicaliste David Borja, le 29 avril 1990, au sujet desquelles aucune information n'a été fournie.
    • c) Le comité demande au gouvernement de lui transmettre le plus rapidement possible des copies de tout jugement rendu à propos des différents interrogatoires, arrestations et menaces, que le plaignant rattache à une politique militaire et policière de harcèlement antisyndical, afin que le comité puisse évaluer cette allégation. Le comité demande en particulier au gouvernement de fournir des précisions sur les procès engagés contre les deux syndicalistes instructeurs, MM. Marlon Luares et Elizalde Malaluan, arrêtés et relâchés sous cautionnement après le raid militaire lors d'un séminaire syndical le 25 mars 1990, et d'envoyer des exemplaires des documents séditieux qu'il dit avoir confisqués.
    • d) Le comité exprime son inquiétude devant le refus du gouvernement de démanteler les Unités géographiques des forces auxiliaires civiles (CAFGU); le gouvernement ayant indiqué que ces groupes armés ne pouvaient être assimilés aux vigiles non contrôlés qu'il s'est juré de faire disparaître, le comité lui demande de fournir des renseignements à jour sur le rôle des CAFGU et de leurs unités auxiliaires (SCAA), compte tenu des allégations présentées dans le présent cas.
    • e) Dans la mesure où la récente décision de la Cour suprême concernant les arrestations sans mandat ne s'applique qu'aux cas n'ayant aucun rapport avec la liberté syndicale, le comité n'est pas compétent pour formuler des observations à ce sujet; il demande cependant au gouvernement de respecter des garanties d'une procédure judiciaire régulière dans les cas de détention de syndicalistes.
    • f) Enfin, le comité attend les renseignements promis par le gouvernement sur certains aspects en instance de ce cas, et en particulier sur 1) l'évolution de plusieurs procès (ceux des syndicalistes Roxas, Barros, Tullao, Peru, Alberio, Cubilla, Adriano, Sarias, Cueva, Alderite, Espiritu et Roda); 2) tout renseignement nouveau sur la situation de MM. Clutario, Orculla, Sabidalas, et sur l'incident qui a troublé en 1988 la fête du 1er mai à Laguna; 3) les neuf morts ou disparitions signalés en 1989 et les pratiques du travail déloyales qui ont perturbé les piquets de grève de 1989 et qui sont décrites aux paragraphes 320 et 322 du 272e rapport du comité; 4) des statistiques à jour sur les activités des divers organismes créés dans le pays en vue de promouvoir les droits de l'homme et de contrôler la violation de ces droits. En particulier, le comité demande au gouvernement de fournir des précisions sur les procès intentés aux deux instructeurs syndicaux, MM. Marlon Luares et Elizalde Malaluan, arrêtés et relâchés sous caution après l'irruption d'un groupe de militaires dans un séminaire de syndicalistes le 25 mars 1990.
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