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Interim Report - Report No 275, November 1990

Case No 1520 (Haiti) - Complaint date: 26-JAN-90 - Closed

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  1. 401. La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement d'Haïti dans une communication du 26 janvier 1990. Le 15 février 1990, la Confédération mondiale des organisations de la professsion enseignante (CMOPE) a fait parvenir au BIT une communication du 30 janvier 1990 provenant de la Confédération nationale des enseignants d'Haïti (CNEH) concernant de semblables allégations de violations de la liberté syndicale durant la même période. Depuis lors, le gouvernement n'a fourni aucune information ou observation à propos de cette plainte, en dépit des demandes répétées qui lui ont été adressées.
  2. 402. A sa réunion de mai-juin 1990, ayant noté qu'en dépit du temps écoulé depuis le dépôt de la plainte il n'avait pas reçu les observations du gouvernement, le comité a signalé à son attention que, conformément à la procédure établie dans le paragraphe 17 de son 127e rapport, il examinerait ce cas quant au fond à sa prochaine réunion, même si les observations du gouvernement n'étaient pas reçues à temps.
  3. 403. Haïti a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de la confédération plaignante

A. Allégations de la confédération plaignante
  1. 404. La CISL indique que, le 1er novembre 1989, M. Jean-Auguste Mesyeux, secrétaire exécutif de la Centrale autonome des travailleurs haïtiens (CATH), a été violemment arrêté par des membres de la Garde présidentielle, alors qu'il s'apprêtait à accomplir ses fonctions syndicales. Il était en compagnie de MM. Evans Paul de la Kid (dirigeant de la Confédération de l'Unité démocratique) et Etienne Marineau (membre de l'Organisation populaire du 17 septembre). Brutalement interpellés par des membres de la Garde présidentielle, ils furent contraints d'avouer sur les lieux mêmes de l'incident qu'ils transportaient des armes, lesquelles, selon de nombreux témoignages, avaient été placées dans le véhicule par les membres de la Garde eux-mêmes. Ces faits se sont produits quelques jours avant que la CATH lance un appel à la grève générale.
  2. 405. Le 2 novembre 1989, les autorités ont présenté les détenus à la télévision; ils portaient des traces manifestes de mauvais traitements et de tortures. Ils sont actuellement détenus à la prison nationale sous la fausse accusation de conspiration contre le gouvernement en place.
  3. 406. Le 6 novembre 1989, la veille du déclenchement d'une grève, le siège de la CATH a été attaqué par des individus portant des uniformes militaires, qui ont détruit tout le mobilier et les articles de bureau.
  4. 407. M. Nally Bauharnais, président de la Confédération syndicale des transports publics (CSTP), a été arrêté à Port-au-Prince dans la nuit du 11 au 12 janvier 1990. Depuis lors, on ignore où il se trouve.
  5. 408. Durant la nuit du 14 au 15 janvier 1990, le local de la Confédération des travailleurs haïtiens (CTH) a été saccagé et couvert d'excréments, et les murs ont été couverts d'inscriptions du genre: "Avril pour cinq ans". Ses principaux dirigeants ont reçu des menaces anonymes. La situation semble actuellement se détériorer. Le gouvernement a décrété l'état de siège et en profite pour poursuivre en toute impunité le harcèlement et l'intimidation du mouvement syndical.
  6. 409. Dans une communication du 15 février 1990 transmise au nom de la Confédération nationale des enseignants d'Haïti (CNEH), la Confédération mondiale des organisations de la profession enseignante (CMOPE) déclare que la liberté syndicale n'est ni respectée ni reconnue en Haïti. La CNEH est directement visée et la vie de ses dirigeants est en danger. Le domicile du secrétaire général adjoint de la CNEH, André L. Joseph, a été violé en son absence, et il est surveillé par des individus non identifiés. Des appels téléphoniques anonymes ont été reçus au siège de la CNEH menaçant ses dirigeants d'assassinat s'ils ne cessaient leurs activités. Les noms les plus cités lors de ces menaces téléphoniques anonymes sont: André Lafontant Joseph, Lourdes Edith Joseph, Evelyne Margron Bertoni, Guy Alexandre et Guy Lochard, tous dirigeants de la CNEH.

B. Conclusions du comité

B. Conclusions du comité
  1. 410. Le comité note avec un vif regret que, malgré le temps écoulé depuis le dépôt de la plainte et les demandes réitérées adressées au gouvernement pour qu'il fournissse ses commentaires et observations à propos de ce cas, le gouvernement n'a toujours pas répondu aux allégations des confédérations plaignantes.
  2. 411. Dans ces conditions, et conformément à la règle de procédure en la matière (voir paragr. 17 du 127e rapport du comité approuvé par le Conseil d'administration à sa 184e session (novembre 1971)), le comité ne peut que présenter - par défaut - un rapport sur le fond de l'affaire, même en l'absence des informations attendues du gouvernement.
  3. 412. Le comité rappelle tout d'abord au gouvernement que le but de l'ensemble de la procédure instituée à l'OIT pour l'examen des allégations en violation de la liberté syndicale est d'assurer le respect des libertés syndicales en droit comme en fait. Si la procédure protège les gouvernements contre les accusations déraisonnables, ceux-ci doivent reconnaître à leur tour l'importance qu'il y a, pour leur propre réputation, à ce qu'ils présentent en vue d'un examen objectif des réponses détaillées aux allégations formulées à leur encontre. (Voir premier rapport du comité, paragr. 31.)
  4. 413. Le comité observe que les allégations dans le présent cas concernent: 1) l'arrestation et la détention de trois syndicalistes, et les mauvais traitements qui leur ont été infligés (MM. Mesyeux, Evans Paul de la Kid et Marineau); 2) l'attaque et le saccage des locaux de la CATH; 3) l'arrestation et la disparition d'un dirigeant syndical, M. Bauharnais; 4) le saccage des locaux de la CTH; 5) l'intimidation et les menaces d'assassinat proférées contre des dirigeants de la CNEH.
  5. 414. Vu les circonstances de ce cas, le comité estime opportun de rappeler ici qu'un mouvement syndical réellement libre et indépendant ne peut se développer que dans le respect des droits fondamentaux de l'homme. Comme il est souligné dans la résolution concernant les droits syndicaux et leurs relations avec les libertés civiles adoptée par la Conférence internationale du Travail en 1970, l'absence de libertés civiles enlève toute signification au concept des droits syndicaux, et les droits conférés aux organisations de travailleurs et d'employeurs doivent se fonder sur le respect des libertés civiles. (Voir Recueil de décisions et principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 68 et 72.)
  6. 415. En ce qui concerne les allégations non contredites par le gouvernement selon lesquelles trois dirigeants syndicaux ont été arrêtés et victimes de tortures et de mauvais traitements, alors qu'ils s'apprêtaient à exercer des fonctions syndicales, et sont depuis lors détenus sous la fausse accusation de conspiration contre le gouvernement, le comité rappelle que l'arrestation et la détention de dirigeants syndicaux et de syndicalistes dans l'exercice de leurs activités ou de leurs droits syndicaux constituent une violation des principes de la liberté syndicale, en ce qu'elles peuvent entraîner un climat de crainte et d'intimidation entravant le déroulement normal de ces activités.
  7. 416. Si les travailleurs et leurs syndicats doivent, aux termes de l'article 8 de la convention no 87, respecter la légalité comme les autres personnes et collectivités organisées - sous réserve que la législation nationale ne porte pas atteinte aux garanties prévues par la convention -, ils doivent aussi bénéficier comme toute autre personne d'une procédure judiciaire régulière, conforme aux principes contenus dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Cela signifie notamment qu'ils ont le droit: d'être informés, au moment de l'arrestation, des motifs de celle-ci; d'être avisés dans les plus brefs délais des accusations portées contre eux; de comparaître rapidement devant le juge compétent; de n'être placés en détention préventive que durant une brève période uniquement destinée à faciliter le déroulement d'une enquête judiciaire; de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense; de communiquer sans entrave avec le conseil de leur choix et d'être jugés promptement par une autorité judiciaire impartiale et indépendante. Ces garanties d'une procédure judiciaire régulière ne doivent pas seulement être exprimées dans la législation mais aussi, et surtout, être appliquées dans la pratique.
  8. 417. Par ailleurs, le comité a souvent fait observer que les gouvernements devraient donner les instructions nécessaires pour s'assurer qu'aucun détenu ne fasse l'objet de mauvais traitements, et que toute personne privée de sa liberté soit traitée avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine. Lorsque, malgré ces instructions, des cas de mauvais traitements sont démontrés, les gouvernements devraient enquêter pour identifier les responsables et leur infliger des sanctions efficaces et suffisamment dissuasives pour prévenir la répétition de tels actes, et prendre les mesures nécessaires pour réparer les préjudices subis par les victimes. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 83-86.)
  9. 418. En ce qui concerne les actes d'intimidation et les menaces proférées contre les dirigeants de la CNEH, la violation de domicile de son secrétaire général adjoint et la surveillance exercée sur lui, les menaces anonymes d'assassinat contre les dirigeants de la CTH, l'attaque et le saccage des locaux de la CATH par des individus portant l'uniforme militaire, ainsi que la mise à sac du siège de la CTH, le comité observe qu'il s'agit là d'actes graves, révélateurs d'un climat général de violence et d'intimidation peu propice à l'exercice normal des droits syndicaux, et qui appellent des mesures énergiques de la part du gouvernement. Dans ce genre de situation, l'institution d'une enquête judiciaire indépendante constitue une méthode appropriée pour éclaircir tous les faits, déterminer les responsabilités, sanctionner efficacement les coupables et prévenir la répétition de pareilles actions.
  10. 419. Une telle instruction judiciaire s'impose particulièrement lorsqu'il y a mort d'homme ou disparition, comme dans le cas de M. Bauharnais dont on est sans nouvelles depuis son arrestation le 12 janvier 1990.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 420. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité regrette vivement que le gouvernement n'ait pas fourni de commentaires et observations sur les graves allégations en instance dans le présent cas.
    • b) Le comité déplore que le gouvernement n'ait pas pris les mesures nécessaires pour que les syndicats, leurs dirigeants et leurs membres puissent exercer leurs activités dans le respect des libertés civiles et des droits fondamentaux de l'homme.
    • c) Le comité demande au gouvernement de fournir des renseignements sur les motifs de l'arrestation et de la détention de MM. Mesyeux, Evans Paul de la Kid et Marineau et sur les mesures prises pour identifier et sanctionner les responsables des tortures et mauvais traitements dont ces syndicalistes auraient été victimes. Il demande en outre instamment au gouvernement d'indiquer précisément les accusations portées contre ces personnes, de libérer immédiatement celles contre lesquelles ne pèse aucune accusation, de faire en sorte que les autres soient jugées promptement par un tribunal impartial et indépendant en bénéficiant de toutes les garanties judiciaires voulues, et de lui communiquer rapidement le texte des jugements avec leurs attendus, afin qu'il puisse procéder en toute connaissance de cause à l'examen des allégations.
    • d) Le comité note avec une grave préoccupation que le gouvernement n'a pas encore fourni d'informations au sujet des actes d'intimidation et de violence dénoncés par les plaignants. Il demande instamment au gouvernement de diligenter des enquêtes judiciaires indépendantes pour éclaircir les faits, sanctionner les coupables et prévenir la répétition de tels actes, et de le tenir informé des résultats des enquêtes concernant:
      • - l'arrestation et la disparition, depuis le 12 janvier 1990, de M. Nally Bauharnais;
      • - les attaques et le saccage des locaux de la CATH et de la CTH;
      • - les menaces d'assassinat, les mesures de surveillance et de harcèlement contre les dirigeants de la CATH, de la CTH et de la CNEH.
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