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Definitive Report - Report No 279, November 1991

Case No 1566 (Peru) - Complaint date: 20-NOV-90 - Closed

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  1. 64. Les organisations plaignantes ont présenté leur plainte dans une communication conjointe, en date du 20 novembre 1990, et ont fourni un complément d'information dans une autre communication, en date du 25 avril 1991. Une communication, datée du 7 juin 1991, a été reçue de la CGTP. Le gouvernement a fait connaître ses observations au sujet des allégations formulées contre lui dans une communication datée du 26 mars 1991, parvenue au BIT le 2 mai 1991.
  2. 65. Le Pérou a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 66. Dans leur communication conjointe du 20 novembre 1990, les plaignants rappellent que la Constitution politique du Pérou, en son article 55, garantit aux travailleurs le droit de grève; le décret présidentiel no 017 du 2 novembre 1962 fixe les conditions dans lesquelles s'exerce ce droit. Le 17 novembre 1990, le gouvernement a promulgué le décret présidentiel no 070-90-TR qui traite de l'exercice du droit de grève dans les services essentiels et qui est d'une portée plus générale que le décret no 017, limité au secteur privé. Selon les plaignants, il est clair que ce nouveau décret représente une entrave à l'exercice de la liberté syndicale, et notamment du droit de grève.
  2. 67. Les plaignants indiquent que le décret présidentiel no 017 du 2 novembre 1962 subordonne le déclenchement d'une grève à toute une série de conditions et exige notamment qu'un préavis d'au moins 72 heures soit donné simultanément à l'employeur et à l'Autorité administrative du travail. Dans la pratique, tous les préavis de grève présentés par les travailleurs et leurs organisations, même s'ils respectent scrupuleusement les conditions fixées par le décret, sont jugés irrecevables par les services administratifs du ministère du Travail et de la Promotion sociale, ce qui permet automatiquement aux autorités, sans autre formalité administrative, de déclarer la grève illégale, en conséquence de quoi les grévistes peuvent être accusés de faute grave et risquent d'être licenciés.
  3. 68. L'article premier du décret présidentiel no 070-90-TR indique que "les services essentiels sont ceux dont l'interruption risque de mettre en danger la vie, la liberté, la sécurité ou la santé des personnes, d'où la nécessité d'un service minimum pour parer à ce risque".
  4. 69. L'article 2 du décret présidentiel contient la liste des services essentiels:
    • a) santé, hôpitaux, cliniques et services d'assistance;
    • b) services publics de nettoiement et d'assainissement;
    • c) approvisionnement en eau, énergie électrique, gaz et combustibles;
    • d) cimetières, inhumations et autopsies;
    • e) transports publics, communications et télécommunications;
    • f) administration de la justice, à la requête de la Cour suprême de justice;
    • g) tous autres services ou activités dont l'interruption pourrait, du fait de son ampleur, de sa durée ou des circonstances, mettre en danger la vie, la santé, la liberté ou la sécurité des personnes, ce qui est laissé à l'appréciation du ministère chargé du secteur en question.
  5. 70. L'article 3 du décret présidentiel dispose que les entreprises et entités dont les travailleurs assurent les services essentiels indiqués à l'article 2 sont tenues de communiquer chaque année à leur personnel et, selon le cas, à l'Autorité administrative du travail ou à l'Institut national de la fonction publique les effectifs nécessaires pour le fonctionnement de ces services. Les plaignants signalent que les dispositions de l'article 3 obligent les organisations syndicales du secteur public comme du secteur privé ou les travailleurs qui se mettent en grève à fournir "la liste des travailleurs nécessaires pour éviter une interruption des services essentiels" (article 5 du décret présidentiel no 070-90-TR).
  6. 71. Selon les plaignants, on constate que le nombre de travailleurs fixé en vertu du décret présidentiel vise à garantir, non pas un service minimum pour les activités jugées essentielles, mais le maintien de ces activités, ce qui est une chose très différente de ce qui est admis dans ce domaine. De la sorte, la législation entrave de façon disproportionnée l'exercice du droit de grève qu'elle prétend protéger. Il est donc clair que ce décret vise à vider de son contenu le droit de grève et contrevient ainsi à l'article 3 de la convention no 87.
  7. 72. En cas de divergences sur le nombre de travailleurs devant figurer sur la liste dont il est fait état plus haut, l'article 4 du décret dispose que c'est l'Autorité administrative du travail ou l'Institut national de la fonction publique qui tranchera, en coordination avec le secteur intéressé, ce qui va l'encontre de certains principes de la liberté syndicale.
  8. 73. En outre, l'article 6 du décret présidentiel dispose que l'obligation indiquée à l'article 5 "est également applicable dans les cas où la grève risque d'entraîner la détérioration de biens, de matières premières, de machines ou d'installations qui empêcherait la reprise immédiate du travail une fois terminée la grève". Les plaignants considèrent que ces dispositions montrent clairement que le service minimum tel qu'il est prévu à l'article 6 vise à protéger, non pas les droits fondamentaux des citoyens, mais les intérêts économiques des entreprises.
  9. 74. L'article 8 dispose par ailleurs que "le refus du syndicat ou des travailleurs de respecter les obligations fixées dans le présent décret présidentiel constituera une faute punissable en vertu de la loi, sans préjudice de l'illégalité de la grève". Selon les plaignants, les dispositions de ce décret confèrent des pouvoirs discrétionnaires aux autorités gouvernementales et limitent gravement l'exercice du droit de grève sans prévoir aucune sorte de compensation pour les travailleurs victimes de ces restrictions. La privation de droits syndicaux ne manque pas d'entraîner des violences et porte atteinte aux intérêts légitimes des travailleurs, ce qui est en définitive préjudiciable à l'ensemble de la collectivité.
  10. 75. Par ailleurs, dans leur communication du 25 avril 1991 ainsi que dans leur communication antérieure, les plaignants se déclarent préoccupés de ce que le Congrès de la République s'apprête à approuver un projet de loi portant réglementation du droit de grève sur lequel le Comité de la liberté syndicale avait déjà émis des réserves en 1981 car il contient des dispositions ayant pour effet de limiter le droit de grève. (Voir cas no 1081, 214e rapport du comité, paragr. 269.) Les plaignants rappellent en détail les observations formulées par le comité au sujet de certaines de ces dispositions et ajoutent que rien n'indique que les autorités législatives aient tenu compte de ses suggestions. Le mouvement syndicale du Pérou s'inquiète des intentions du gouvernement d'approuver ce projet à très court terme.
  11. 76. Dans sa communication du 7 juin 1991, la CGTP fait référence quant à elle à plusieurs décrets qui limitent le droit de négociation collective en fixant des plafonds et en imposant certains cadres structurels. Plusieurs de ces décrets ont déjà été passés en revue lors de l'examen du cas no 1548 (Pérou). La communication porte aussi sur les décrets concernant la grève, qui font l'objet de la présente plainte.
  12. 77. Compte tenu de ce qui précède, les plaignants invitent le comité à envoyer une mission de contacts directs afin d'essayer d'éviter une détérioration encore plus grave de la liberté syndicale au Pérou.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 78. Dans sa communication datée du 26 mars 1991, le gouvernement indique que le décret présidentiel no 070-90-TR dispose, conformément à l'article 55 de la Constitution de l'Etat, que l'exercice du droit de grève qui est reconnu aux travailleurs est assujetti à la loi et à divers règlements. Le gouvernement respecte fidèlement les droits constitutionnels des travailleurs.
  2. 79. Selon le gouvernement, les modalités d'exercice desdits droits ne représentent en aucune manière une entrave à la liberté syndicale ni au droit de grève. Le droit d'organisation est respecté par le gouvernement en dehors des limitations imposées à certains travailleurs qui ne peuvent pas légalement s'affilier au syndicat de leur entreprise.
  3. 80. En ce qui concerne le droit de grève, le gouvernement indique que ce droit est reconnu et accordé aux travailleurs, ce qui leur permet d'agir collectivement, mais ne constitue pas un droit syndical, malgré les relations existant entre ces divers droits qui sont reconnus et qui, en outre, sont de nature collective. Le droit de grève n'a en aucune manière été limité; au contraire, la réglementation prévue par le décret présidentiel no 070-90-TR garantit son libre exercice mais, dans le même temps, en introduisant l'idée de "services essentiels", elle protège les droits légitimes des personnes, droits qui sont supérieurs à ceux des travailleurs en tant que tels.
  4. 81. En conséquence, le gouvernement estime qu'il est inconcevable que l'exercice du droit de grève puisse mettre en danger la vie, la liberté, la sécurité et la santé des personnes, étant donné qu'il s'agit là de droits naturels qui dépassent le cadre de la loi, y compris de la constitution politique, laquelle définit clairement les droits des personnes en son article 2.
  5. 82. Le gouvernement indique que les droits des travailleurs des secteurs jugés essentiels (santé, hôpitaux, cliniques et services d'assistance, services publics de nettoiement et d'assainissement, approvisionnement en eau, énergie électrique, gaz et combustibles, transports publics, communications et télécommunications, cimetières, inhumations et autopsies) doivent être protégés en cas de conflit avec leurs employeurs, mais que l'Etat se doit aussi de garantir et de protéger les droits fondamentaux des personnes en général.
  6. 83. C'est pourquoi les travailleurs, dans l'exercice de leur droit de grève, ne doivent pas interrompre des services publics ou essentiels pour la population tels que ceux mentionnés dans le décret présidentiel no 070-90-TR, sous peine de violer la loi et de se rendre coupables d'un délit sanctionné par le Code pénal.
  7. 84. Afin de ne pas porter atteinte aux droits des personnes, les travailleurs qui exercent leur droit de grève sont tenus de faire fonctionner les services essentiels indiqués, ce qui exige des effectifs déterminés. La grève n'est pas un droit absolu des travailleurs car son exercice est subordonné à des règlements qui permettent à la fois de garantir l'exercice de ce droit et de ne pas porter atteinte aux droits fondamentaux des personnes; c'est sur cette base que le gouvernement a promulgué le décret présidentiel no 070-90-TR.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 85. Le comité note que les allégations ont trait au décret présidentiel no 070-90-TR, du 16 novembre 1990, concernant l'exercice du droit de grève dans les services essentiels et l'établissement d'un service minimum, au décret présidentiel no 017 du 2 novembre 1962, qui fixe des conditions rendant difficile dans la pratique l'exercice du droit de grève, et au projet de loi visant à réglementer le droit de grève, actuellement à l'étude au parlement.
  2. 86. En ce qui concerne le décret présidentiel no 070-90-TR, le comité prend note de la réponse du gouvernement selon lequel ce décret ne limite en aucune façon le droit de grève mais, en introduisant l'idée de service minimum dans certains secteurs essentiels, vise à trouver un équilibre entre le droit de grève des travailleurs et le droit des personnes en général, droits qui sont, l'un comme l'autre, constitutionnels. Le comité tient à rappeler cependant que le droit de grève ne peut être limité, voire interdit, que dans le cas des fonctionnaires agissant en tant qu'organes de la puissance publique, ou dans les services essentiels au sens strict du terme, c'est-à-dire dans les services dont l'interruption pourrait mettre en danger la vie, la sécurité ou la santé de tout ou partie de la population. (Voir à ce sujet, par exemple, le cas no 1140 (Colombie), paragr. 144, 236e rapport du comité.) Il rappelle aussi que, quand le droit de grève fait l'objet de restrictions ou d'une interdiction dans des entreprises ou des services jugés essentiels, ces limitations devraient s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et rapides, aux diverses étapes desquelles les intéressés devraient pouvoir participer, et dans lesquelles les sentences rendues devraient être appliquées entièrement et sans retard.
  3. 87. Pour ce qui touche à l'établissement d'un service minimum, le comité prend note des allégations des plaignants à propos de certaines dispositions du décret présidentiel no 070-90-TR. Tout en rappelant qu'un service minimum peut être établi quand des grèves risquent, par leur ampleur et leur durée, d'entraîner une crise nationale d'une telle gravité que les conditions normales d'existence de la population pourraient être en danger, il précise qu'un tel service minimum, pour être acceptable, devrait se limiter aux opérations strictement nécessaires pour ne pas compromettre la vie ou les conditions normales d'existence de tout ou partie de la population et que les organisations de travailleurs devraient, au même titre que les employeurs et les pouvoirs publics, participer à la définition de ce service minimum. (Voir à ce sujet le cas no 1244 (Espagne), paragr. 153 et 154, 234e rapport du comité.)
  4. 88. A propos des services essentiels énumérés à l'article 2 du décret présidentiel no 070-90-TR, pour lesquels un service minimum est prévu, le comité, même s'il estime légitime d'établir un service minimum en cas de grève, demande notamment au gouvernement de faire preuve de modération lorsqu'il s'agit d'établir un tel service dans des secteurs qui, en eux-mêmes, ne sont pas considérés comme essentiels, étant entendu que ledit service minimum ne devrait porter que sur les opérations strictement nécessaires pour ne pas compromettre la vie, la sécurité ou la santé de tout ou partie de la population. (Voir à ce sujet le cas no 1244 (Espagne), op. cit.)
  5. 89. En ce qui concerne les obstacles administratifs et la difficulté pratique de se mettre légalement en grève en raison des conditions fixées par le décret présidentiel no 017 de 1962 qui exige de donner aux autorités un préavis de 72 heures et de préciser l'heure du vote de la grève, le nombre de votants et le nombre de travailleurs que le syndicat regroupe ou qui appartiennent à l'entreprise en question, le comité souligne que les procédures légales régissant le droit de grève ne devraient pas être compliquées au point que, dans la pratique, il soit impossible de se mettre légalement en grève. En outre, bien que le comité estime que l'obligation de déposer un préavis pour déclencher une grève ne constitue pas une violation de la liberté syndicale, il doit constater que, dans le cas d'espèce, le préavis peut être déclaré irrecevable par les autorités administratives, ce qui risque d'entraîner le licenciement des grévistes. Le comité invite donc instamment le gouvernement, dans le cadre d'une réforme éventuelle de la loi qui régit le droit de grève, à prendre des mesures en vue de simplifier les procédures à suivre pour se mettre légalement en grève.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 90. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) En ce qui concerne le décret présidentiel no 070-90-TR, le comité, tout en prenant note des informations communiquées par le gouvernement, tient à rappeler que, quand le droit de grève est limité ou supprimé dans des entreprises ou services jugés essentiels, ces limitations devraient s'accompagner de procédures de conciliation et d'arbitrage appropriées, impartiales et rapides.
    • b) A propos de l'établissement d'un service minimum, le comité rappelle qu'un tel service peut être établi quand les grèves risquent, par leur ampleur et leur durée, d'entraîner une crise nationale aiguë et que les conditions normales de vie de la population s'en trouveraient menacées. Un service minimum, pour être acceptable, devrait se limiter aux opérations strictement nécessaires pour ne pas compromettre la vie ou les conditions normales d'existence de tout ou partie de la population, et les organisations de travailleurs devraient, au même titre que les employeurs et les pouvoirs publics, participer à la définition de ce service minimum.
    • c) En ce qui concerne les services essentiels énumérés à l'article 2 du décret présidentiel no 070-90-TR, pour lesquels un service minimum est prévu, le comité demande au gouvernement de faire preuve de modération lorsqu'il s'agit d'établir un service minimum dans des secteurs qui, en eux-mêmes, ne sont pas considérés comme essentiels, étant entendu que ce service minimum doit se limiter aux opérations strictement nécessaires pour ne pas compromettre la vie, la sécurité ou la santé de tout ou partie de la population.
    • d) A propos des obstacles administratifs et de la difficulté pratique de se mettre légalement en grève compte tenu des conditions imposées par le décret présidentiel no 017 de 1962, le comité souligne que les procédures légales ne devraient pas être compliquées au point qu'il devienne impossible, dans la pratique, de se mettre légalement en grève. En conséquence, le comité invite instamment le gouvernement, lors d'une éventuelle réforme de la loi sur les grèves, à prendre des mesures en vue de simplifier les procédures à suivre pour se mettre légalement en grève.
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