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Interim Report - Report No 283, June 1992

Case No 1590 (Lesotho) - Complaint date: 05-SEP-90 - Closed

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  1. 320. La Fédération internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (FITBB) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement du Lesotho dans des communications des 5 septembre 1990 et 24 juin 1991. Par la suite, elle a envoyé des informations complémentaires dans des lettres datées des 19 juillet, 25 septembre et 5 novembre 1991.
  2. 321. Le gouvernement a fait parvenir certaines observations sur les allégations dans des communications des 13 décembre 1991 et 29 janvier 1992.
  3. 322. Le Lesotho a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l'organisation plaignante

A. Allégations de l'organisation plaignante
  1. 323. Dans ses lettres des 5 septembre 1990 et 24 juin 1991, la FITBB allègue que les autorités militaires ont pris des mesures contre le Syndicat des travailleurs de la construction et assimilés du Lesotho (CAWULE), organisation qui lui est affiliée, à l'occasion d'un différend entre ce syndicat et une société internationale de travaux publics (SPIE-BATIGNOLLES), qui avait été chargée de la réalisation d'un barrage hydroélectrique (Highlands Water Project). Au cours des travaux, des négociations engagées entre le syndicat et la société ont été rompues, ce qui a entraîné une grève. Pendant la grève, de nombreux syndicalistes ont été congédiés et remplacés par de la main-d'oeuvre occasionnelle. Le syndicat a porté la question devant les tribunaux du Lesotho en vue d'obtenir la réintégration des syndicalistes.
  2. 324. L'organisation plaignante allègue que le gouvernement a violé la convention no 87 pour les motifs suivants:
    • - des dirigeants syndicaux ont été emprisonnés arbitrairement, dont M. Sello Ts'Ukulu, secrétaire général du CAWULE, arrêté dans la nuit du 20 juillet 1990;
    • - le 20 juillet également, des policiers fortement armés ont attaqué des membres du comité syndical sur le chantier du barrage hydroélectrique de Bokong Ha Katse, agression au cours de laquelle sept syndicalistes ont été atteints par;
    • - le passeport de M. Ts'Ukulu lui a été retiré, ce qui l'a empêché d'assister à une réunion de la FITBB pendant la première semaine d'août 1990;
    • - deux dirigeants du Syndicat des travailleurs des briqueteries, de la construction et du bois du Lesotho (LBCWWU), MM. Lebohang Belebesi et Tsehla Motsamai, ont aussi été arrêtés arbitrairement le 30 août 1990 pour des motifs inconnus;
    • - les responsables syndicaux sont souvent accusés d'incitation à la grève et d'atteinte à la sécurité interne, accusations qui ont été réfutées par la Haute Cour;
    • - la société persiste à refuser de réintégrer 200 travailleurs ayant participé à la dernière grève, affaire que le CAWULE a portée devant la Haute Cour.
  3. 325. L'organisation plaignante joint à sa lettre un communiqué de presse du CAWULE qui fournit des explications sur le différend et sur la grève. Il en ressort qu'un différend portant sur les conditions d'emploi (transport jusqu'à Maseru et retour, indemnités de logement pour les salariés, et augmentations de salaires) a éclaté entre le syndicat et la société. Le 15 mai 1990, à la suite d'une impasse dans les procédures de conciliation qui avaient duré trois jours, du 7 au 9 mai, les travailleurs ont décidé à l'unanimité de faire grève le 15 juin 1990. Le 4 juin, le syndicat a été averti par le ministère du Travail que le préavis de grève adressé au ministre n'était pas conforme aux dispositions de la loi applicable, car le ministre n'avait pas encore demandé au syndicat si un arbitrage serait nécessaire; le commissaire au Travail soutenait que la grève porterait préjudice aux autres parties concernées par le différend. Le 13 juin, le syndicat a rencontré la direction de la société pour discuter des accords de reconnaissance, et la question de la grève envisagée a été évoquée; le syndicat a de nouveau sondé les travailleurs pour savoir s'ils souhaitaient donner suite au projet de grève et ceux-ci lui ont manifesté leur soutien massif car l'arrogance de la société avait lassé leur patience. Lorsque la grève a débuté, 30 travailleurs ont été congédiés sans que le syndicat eût été consulté.
  4. 326. L'organisation plaignante joint à sa lettre du 19 juillet 1991 copie des documents suivants: plaidoyer présenté par le CAWULE devant la Cour d'appel du Lesotho le 19 juillet 1991; lettre du 1er juin 1990 dans laquelle la société accepte de prendre en charge les frais de traitement d'un membre du CAWULE victime d'une agression, Peter Moshoeshoe, accompagnée du rapport du médecin; lettre de la société en date du 22 mars, par laquelle celle-ci prend des dispositions pour loger les policiers sur le chantier de construction du barrage; lettre de la société du 18 mai 1991 refusant à un représentant syndical la possibilité de rencontrer les travailleurs; action en diffamation intentée par le CAWULE contre des membres du conseil militaire; procès-verbal de la procédure de conciliation des 7, 8 et 9 mai 1990; préavis de grève licite du CAWULE daté du 15 mai 1990; avis de requête et ordonnance du tribunal du 5 juillet 1990 autorisant la police à faire respecter sa décision interdisant au CAWULE et à ses membres de pénétrer dans le campement du chantier de la société à Katse; arrêt de la Haute Cour du 3 juillet 1990 déclarant la grève illicite; liste de 334 travailleurs congédiés demandant leur réintégration.
  5. 327. L'organisation plaignante répète que la collusion entre le gouvernement et la société pour empêcher l'exercice du droit d'organisation du CAWULE et prendre des mesures discriminatoires à l'encontre des syndicalistes ayant participé à la grève de juin 1990 constitue une violation des conventions nos 87 et 98. Elle appelle l'attention sur le document susmentionné dans lequel la société accepte de prendre en charge le traitement et les frais de déplacement d'un travailleur; elle y voit une illustration de l'intimidation pratiquée par la société. Elle souligne aussi que la société a largement recouru à l'intervention de la police pour empêcher l'action du syndicat au cours de la grève.
  6. 328. La grève est maintenant terminée et une nouvelle convention a été conclue; néanmoins, soutenue par les tribunaux du Lesotho, la société continue d'exercer une discrimination à l'encontre des travailleurs qui ont pris part à la grève. L'organisation plaignante donne des exemples récents de mesures d'intimidation prises contre le syndicat:
    • - les autorités militaires avaient autorisé le CAWULE à organiser la première célébration de la Fête du travail de l'histoire du Lesotho le 1er mai 1991, mais 212 personnes ont été arrêtées à 7 heures du matin et relâchées à 11 heures sans inculpation; tous les drapeaux du CAWULE ont été confisqués et ne lui ont pas encore été restitués;
    • - une quinzaine de policiers militaires fortement armés étaient présents et filmaient la manifestation; ils ont cherché à intimider les dirigeants syndicaux qui ont pris la parole à cette occasion et leur ont interdit de critiquer le gouvernement, sans quoi le syndicat ne serait plus autorisé à tenir des réunions publiques;
    • - le 2 mai 1991, des policiers fortement armés ont pénétré dans les locaux du CAWULE à la recherche de travailleurs qui devaient se présenter au poste de police.
  7. 329. Dans sa lettre du 25 septembre 1991, l'organisation plaignante fait état de l'arrêt de la Cour d'appel du 26 juillet 1991 qui a débouté le CAWULE de son action contre la société pour licenciement injustifié de syndicalistes. Elle cite les commentaires du juge:
    • Il semble qu'il n'y ait pas au Lesotho de dispositions législatives protégeant les travailleurs qui se mettent en grève, par exemple à la suite d'un différend sur les salaires. Le concept de "pratiques déloyales", qui existe en Afrique du Sud et dans certains pays occidentaux, n'est pas encore parvenu au Lesotho. Ce concept permet par exemple à un syndicat d'appeler ses membres à faire grève lorsqu'ils ont été traités de façon déloyale, sans avoir à craindre que leur absence du travail soit considérée comme une rupture de leur contrat de travail. Cette arme de négociation est jugée essentielle de nos jours pour maintenir un juste équilibre des forces entre l'employeur et les salariés, et il ne semble pas y avoir de raisons pour que le Lesotho ne s'aligne pas sur les autres pays que j'ai mentionnés à cet égard.
    • La FITBB voit dans cet aveu une preuve directe du fait que le gouvernement ne tient pas compte des normes internationales du travail, étant donné en particulier que la législation est en contradiction avec la convention no 87 qui protège le droit de grève.
  8. 330. L'organisation plaignante ajoute que les membres du CAWULE continuent d'être victimes de harcèlements sur le chantier de construction du barrage de Katse dans le cadre du projet hydroélectrique des Highlands. Le 30 août 1991, à 4 heures du matin, un délégué d'atelier, M. Ngaka Sula, qui travaillait comme veilleur de nuit, a été tué par balles; il coopérait avec l'organisateur régional du CAWULE en lui permettant de pénétrer le soir dans les foyers où étaient logés les travailleurs. Apparemment, la société ne permettait pas aux organisateurs syndicaux de parler aux travailleurs pendant la journée. L'organisateur a ensuite été arrêté pendant quatre jours et, selon l'organisation plaignante, les circonstances donnent à penser que le meurtre était le résultat d'activités syndicales légitimes. L'organisateur ayant réussi à s'échapper a informé les responsables du CAWULE de cet épisode.
  9. 331. Dans sa lettre du 5 novembre 1991, l'organisation plaignante ajoute que trois policiers ont amené l'organisateur régional du CAWULE sur les lieux du meurtre de M. Sula et l'ont soumis à un interrogatoire brutal. Ils lui ont dit que c'était à cause de l'attitude de M. Sula vis-à-vis de la police que celle-ci avait finalement décidé de le tuer. L'organisation plaignante joint à sa communication copie d'une lettre datée du 19 août 1991 dans laquelle le CAWULE priait le commissaire au Travail de demander à la société de rencontrer le syndicat pour discuter des questions de travail autour de la table de négociations, mais apparemment le commissaire n'a pas tenu compte de cette demande.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 332. Dans une lettre du 13 décembre 1991, le gouvernement conteste tout d'abord l'identité de l'organisation plaignante, faisant valoir que c'est une correspondance antérieure du CAWULE qui constitue le point de départ de la plainte, et non les lettres de la FITBB du 5 septembre 1990 et du 24 juin 1991. Il soutient ensuite que, si l'on décide que ce sont les lettres de la FITBB qui ont déclenché la procédure officielle devant le Comité de la liberté syndicale, il y a vice de forme dans la procédure car la fédération n'a pas mis à la disposition du gouvernement, par l'intermédiaire du Bureau, tous les renseignements et les documents en sa possession, de façon à permettre au gouvernement de répondre de façon complète et en toute connaissance de cause. Le gouvernement estime que l'organisation plaignante est tenue de fournir toutes les informations nécessaires pour permettre à ceux contre qui une plainte est présentée de connaître pleinement la nature des accusations portées contre eux. En outre, le gouvernement déclare que les deux premières lettres de la FITBB sont formulées en termes trop vagues et généraux et ne mentionnent pas d'atteintes précises aux droits syndicaux.
  2. 333. Au sujet de la lettre de la FITBB du 19 juillet 1991, le gouvernement considère que les pièces jointes à cette lettre n'apportent aucun éclaircissement sur cette affaire. Il les décrit comme un amalgame de documents disparates que rien ne rattache les uns aux autres et qui sont par conséquent sans intérêt. Il conteste en particulier le rapport que peuvent présenter avec l'affaire les documents concernant la plainte en diffamation du CAWULE, le procès-verbal de la procédure de conciliation et le préavis de grève en date du 15 mai 1990. Quant à la lettre de la société dans laquelle l'organisation plaignante prétend voir la preuve d'actes d'intimidation commis par celle-ci, le gouvernement déclare que le fait que la société ait accepté de prendre en charge le traitement de M. Moshoeshoe n'établit nullement l'identité de l'agresseur ni les motifs de l'agression. De même, si des policiers ont été logés sur le chantier de la société à Katse, les faits remontent à mars 1990 et n'avaient donc rien à voir avec la période sur laquelle porte le présent cas, à savoir la période de la grève qui a commencé le 15 juin 1990. Le texte du CAWULE exposant ses arguments devant le tribunal compétent est, selon le gouvernement, totalement étranger à l'affaire, et il ne suffit pas de l'avoir annexé à des lettres concernant le présent cas pour pouvoir prétendre qu'il contient des preuves ou des arguments en rapport avec lui. Enfin, en ce qui concerne la copie de deux décisions de justice, le gouvernement déclare que ni l'OIT ni aucun de ses divers comités n'ont compétence comme juridiction d'appel; il ne voit donc pas l'intérêt que ces documents peuvent présenter en l'espèce. De même, le gouvernement estime que la liste des travailleurs congédiés, dont le cas a été porté devant la Cour d'appel, ne fait apparaître aucune atteinte aux droits syndicaux; il ajoute que, somme toute, leur cas a été examiné par la Cour.
  3. 334. Au sujet de l'allégation de la FITBB selon laquelle des responsables du LBCWWU ont aussi été arrêtés de façon arbitraire, le gouvernement souligne que la preuve n'a pas été apportée que ce syndicat local ou le LBAWU soient affiliés à l'organisation qui porte plainte dans le cas présent, à savoir la FITBB.
  4. 335. En conséquence, le gouvernement considère que le plaignant doit être débouté en attendant qu'il présente une plainte mieux étayée. Selon lui, ce serait, en l'état actuel des choses, abuser du mécanisme de règlement des conflits conçu par l'OIT dans de bonnes intentions que de recevoir une plainte aussi vague et générale, qui ne signale aucune atteinte précise aux droits syndicaux.
  5. 336. Dans sa communication du 29 janvier 1992, le gouvernement réitère qu'étant donné que la FITBB se réfère à une lettre du CAWULE la partie plaignante devrait être le CAWULE. Il s'estime handicapé pour répondre aux allégations, car la lettre du CAWULE n'a pas été envoyée avec la plainte de la FITBB. Quant au fond de l'affaire, le gouvernement déclare que le Comité de la liberté syndicale ne doit pas servir de tribune pour réviser les décisions des tribunaux du Lesotho; ses observations sur le jugement se limiteront donc aux aspects matériels du cas dont est saisi le comité ainsi qu'à l'objectif visé par la FITBB lorsqu'elle s'y est référée.
  6. 337. Selon le gouvernement, l'"aveu" figurant dans l'arrêt de la Cour d'appel ne représente rien d'autre qu'une opinion qui a été exprimée par le juge en rendant son jugement mais dont ne dépendait pas sa décision. Il est bien connu en droit qu'une telle opinion exprimée incidemment par un juge n'entre pas dans la ratio decidandi et, en tant que telle, ne constitue pas un précédent. Le gouvernement fait valoir que la législation du travail du Lesotho montre que le juge se trompe lorsqu'il déclare que "le concept de 'pratiques déloyales' qui existe en Afrique du Sud et dans certains pays occidentaux n'est pas encore parvenu au Lesotho". Le gouvernement fait remarquer que la loi no 11 de 1964 sur les syndicats et les différends du travail traite, dans sa partie XI, des "pratiques déloyales" et contient des dispositions très précises qui protègent le droit des travailleurs d'organiser des syndicats en toute liberté et à l'abri de toute presssion. Elle interdit que des discriminations ou des représailles s'exercent à l'encontre des travailleurs du seul fait qu'ils sont affiliés à un syndicat ou y assument des responsabilités. Il est incorrect d'affirmer, comme tend à le faire croire l'extrait de l'arrêt de la Cour d'appel, que les travailleurs du Lesotho ne peuvent pas interrompre le travail lorsqu'ils ont été traités de façon déloyale par un employeur. L'article 15, alinéa 4, de la loi no 22 de 1967 sur l'emploi dispose qu'"un salarié peut refuser de continuer à travailler pour un employeur s'il est maltraité par celui-ci. La question de savoir s'il y a eu ou non mauvais traitement peut être soumise au fonctionnaire du travail en application des dispositions de l'article 81". Selon le gouvernement, il est faux de dire que la législation du Lesotho contrevient aux dispositions de la convention no 87 en ne protégeant pas le droit de grève. La loi no 11 de 1964, parties VIII à X, traite des procédures en cas de grève. Les dispositions de ces parties de la loi confèrent un caractère légal à une grève, à condition que cette action soit entreprise une fois épuisées toutes les procédures prévues. Les personnes participant à une grève légale ne sont pas, en vertu de la loi, passibles de sanctions pénales. Le gouvernement n'est pas d'accord avec l'idée selon laquelle il existe une norme internationale interdisant de licencier des salariés en grève. Il est également en désaccord avec le juge de la Cour d'appel sur ce point. Il se demande quels sont les pays occidentaux auxquels pensait le juge et dans lesquels les travailleurs ont le droit d'organiser une grève illimitée sans risquer un licenciement.
  7. 338. Le gouvernement déclare que la loi no 11 de 1964, dans sa définition de la grève, la considère, entre autres, comme une violation du contrat de service du salarié. S'il est un cas dans lequel un contrat de travail peut être résilié pour motif légitime, c'est bien celui dans lequel il y a rupture du contrat par l'une des parties. Le gouvernement soutient qu'il s'agit là d'une pratique internationalement acceptée. Si une grève équivaut à une rupture de contrat, l'employeur est libre soit de ne pas en tenir compte et de continuer à considérer les grévistes comme ses salariés, soit de prendre acte de cette rupture et de mettre fin aux services des grévistes. Le gouvernement est de ce fait convaincu que la législation du Lesotho ne viole aucune norme internationale du travail relative à la protection du droit de grève.
  8. 339. Le gouvernement déclare qu'il a peu de commentaires à faire sur le meurtre de Ngaka Sula, sauf qu'il confirme qu'il a été informé que le 27 août 1991, ou vers cette date, un policier du nom de Molebatsi a tué par balles un certain Ngaka Sula, salarié de l'un des consortiums participant à la réalisation du barrage hydroélectrique (Highlands Water project). A la connaissance du gouvernement, le meurtre de M. Sula n'a aucun rapport avec ses activités syndicales. Les deux personnes se seraient querellées dans une taverne, ce qui serait à l'origine des coups de feu. Le policier a été inculpé d'homicide (cas no RCI/83/8/91). Selon le gouvernement, le procès permettra d'éclaircir la plupart des faits, lesquels ne peuvent pas encore être connus à ce stade puisque l'affaire est actuellement entre les mains de la justice.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 340. Le comité note que ce cas concerne des allégations selon lesquelles un employeur et le gouvernement auraient commis des actes antisyndicaux à la suite d'une grève du Syndicat des travailleurs de la construction et assimilés du Lesotho en juin 1990, en violation des conventions nos 87 et 98. Bien que la grève soit terminée, qu'une nouvelle convention collective ait été signée et que la Cour d'appel ait rendu une décision définitive déboutant le syndicat de sa demande de réintégration de travailleurs qu'il jugeait licenciés injustement, l'organisation plaignante affirme que le syndicat qui lui est affilié continue de faire l'objet de mesures de discrimination antisyndicale.
  2. 341. Les allégations précises peuvent se résumer comme suit: 1) arrestation de trois dirigeants syndicaux et syndicalistes nommément désignés (M. Sello Ts'Ukulu, secrétaire général du CAWULE, le 20 juillet 1990, et MM. Lebohang Belebesi et Tsehla Motsamai, dirigeants du Syndicat des travailleurs des briqueteries, de la construction et du bois du Lesotho, le 30 août 1990); 2) attaque de la police au cours de laquelle sept dirigeants syndicaux auraient été atteints par des coups de feu sur le chantier de construction du barrage hydroélectrique de Bokong Ha Katse le 20 juillet 1990; 3) confiscation du passeport de M. Ts'Ukulu pour l'empêcher d'assister à une réunion syndicale internationale; 4) fréquentes actions en justice contre des responsables syndicaux comme forme de harcèlement à la suite d'une grève; 5) congédiement de travailleurs, 30 initialement puis 334 en tout, et refus de les réintégrer à la suite de la grève; 6) immixtion de la police dans la célébration de la fête du travail le 1er mai 1991; 7) meurtre, le 30 août 1991, de M. Ngaka Sula, veilleur de nuit et délégué d'atelier du CAWULE, et interrogatoire brutal de l'organisateur régional du CAWULE en rapport avec ce meurtre; 8) enfin, du point de vue législatif, absence dans les lois du Lesotho de dispositions protégeant les travailleurs qui participent à des grèves légitimes, ainsi qu'il est relevé dans l'arrêt de la Cour d'appel déboutant le CAWULE de son action contre la société pour licenciements injustifiés.
  3. 342. Le comité relève que le gouvernement, dans sa première réponse, conteste l'identité de l'organisation plaignante en déclarant qu'il devrait s'agir du syndicat national, le CAWULE, et non de l'organisation internationale de travailleurs auquel il est affilié, étant donné que cette dernière se réfère à une lettre du CAWULE antérieure à la plainte de la FITBB.
  4. 343. Le comité rappelle tout d'abord, en se référant aux arguments du gouvernement sur la recevabilité de la plainte, que, conformément aux décisions concernant sa procédure que le Conseil d'administration a approuvées, les allégations sont recevables si elles sont soumises par une organisation nationale de travailleurs ou d'employeurs directement intéressée par la question, par des organisations internationales d'employeurs ou de travailleurs jouissant du statut consultatif auprès de l'OIT, ou d'autres organisations internationales d'employeurs ou de travailleurs lorsque ces allégations sont relatives à des questions affectant directement les organisations membres de ces organisations internationales. (Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, 3e édition, 1985, paragr. 34.) Dans le présent cas, les lettres de la FITBB de septembre 1990 et juin 1991 contiennent des allégations relatives à des questions intéressant directement un syndicat du Lesotho qui lui est affilié, le CAWULE, qu'elle mentionne expressément. Les allégations sont donc recevables d'après le troisième critère susmentionné. Le fait que la FITBB, dans les lettres où elle formule sa plainte, fasse état - sans en fournir copie - d'autres communications émanant du syndicat et bien antérieures à la présentation de la plainte peut faire l'objet d'observations de la part du gouvernement mais n'affecte en rien la recevabilité de la plainte de la FITBB. Compte tenu de cette conclusion, le comité se réjouit du fait que le gouvernement ait répondu de façon détaillée à certaines des allégations.
  5. 344. Toujours à propos des vices de forme qui seraient contenus dans la plainte, le gouvernement fait valoir que les lettres de la FITBB ne signalent pas d'atteintes précises aux droits syndicaux. Le comité estime toutefois que la description par l'organisation plaignante des huit points énumérés plus haut est suffisamment détaillée pour permettre un examen du cas, et que le gouvernement aurait donc dû s'attacher à répondre en détail à toutes les allégations. Le comité rappelle à cet égard que le but de l'ensemble de la procédure est d'assurer le respect des libertés syndicales en droit comme en fait et qu'il est convaincu que, si elle protège les gouvernements contre des accusations déraisonnables, ceux-ci devraient reconnaître à leur tour l'importance qu'il y a à ce qu'ils présentent, en vue d'un examen objectif, des réponses bien détaillées et portant sur des faits précis aux accusations bien détaillées et portant sur des faits précis, qui pourraient être dirigées contre eux. (Premier rapport du comité, paragr. 31.)
  6. 345. Le comité note que le gouvernement critique le manque de précision et de pertinence des documents fournis par la FITBB et de sa plainte initiale, qu'il soutient que la protection des grévistes est bel et bien prévue par la législation du travail du Lesotho et qu'il déclare que le meurtrier du délégué d'atelier du CAWULE sera jugé mais que d'autres détails concernant cet aspect du cas ne peuvent pas encore être connus, l'affaire étant actuellement entre les mains de la justice. En particulier, le comité a pris bonne note des réponses du gouvernement à six des questions soulevées par l'organisation plaignante. Le comité les résume ci-après. Premièrement, le gouvernement soutient que les documents fournis par la FITBB, par exemple celui où il est question d'une action en diffamation, sont étrangers à l'affaire. Deuxièmement, il nie que le fait que la société ait accepté de prendre en charge financièrement le traitement médical d'un travailleur (à la suite d'une agression le 12 mai 1990) prouve qu'elle ait un rapport quelconque avec l'agresseur ou fasse la lumière sur le motif de l'agression. Troisièmement, il considère que les allégations selon lesquelles les policiers étaient logés sur le chantier de construction en mars 1990 parce que ces logements étaient bâtis plusieurs mois avant les événements entourant la grève de juin 1990 n'ont aucune pertinence. Quatrièmement, il nie que les copies de diverses décisions rendues par les tribunaux puissent fonder une plainte sur la question des grèves et déclare que le mécanisme de l'OIT ne constitue pas une juridiction d'appel compétente. Cinquièmement, au sujet des congédiements, il signale que tous les travailleurs licenciés ont pu défendre leur cause. Enfin, le comité note le point de procédure soulevé par le gouvernement au sujet de l'arrestation, le 30 août 1990, de deux dirigeants du Syndicat des travailleurs des briqueteries, de la construction et du bois du Lesotho (LBCWWU), en ce sens que l'organisation plaignante n'a pas indiqué si ce syndicat lui était aussi affilié. Le comité prie donc l'organisation plaignante de préciser ce point afin que le gouvernement soit à même de faire connaître ses observations à ce sujet.
  7. 346. En reprenant un à un les griefs invoqués ci-dessus, le comité doit tout d'abord déplorer que le gouvernement n'a pas répondu à l'allégation selon laquelle le secrétaire général du CAWULE, M. Sello Ts'Ukulu, aurait été arrêté le 20 juillet 1990, c'est-à-dire un mois après la grève du syndicat, et se serait vu retirer son passeport. Il rappelle que l'arrestation de dirigeants syndicaux pour des activités liées à l'exercice de leurs droits syndicaux est contraire aux principes de la liberté syndicale (Recueil, paragr. 87) et qu'étant donné que la participation de syndicalistes à des réunions syndicales internationales est un droit syndical fondamental, les gouvernements doivent s'abstenir de toute mesure, telle que la confiscation des documents nécessaires à leurs déplacements, qui empêcherait les représentants des organisations de travailleurs d'exercer leur mandat en toute liberté et indépendance. (254e rapport, cas no 1406 (Zambie), paragr. 470.) En conséquence, le comité prie le gouvernement de confirmer que le secrétaire général du CAWULE est libre de s'acquitter de ses fonctions syndicales, notamment en se rendant à l'étranger si cela est nécessaire, et que son passeport lui a été restitué.
  8. 347. En ce qui concerne l'allégation selon laquelle la police aurait lancé une attaque au cours de laquelle sept dirigeants syndicaux auraient été atteints par des coups de feu sur le chantier de construction d'un barrage, le 20 juillet 1990, un mois après la grève, le comité déplore de nouveau que le gouvernement n'ait pas fourni de renseignements précis à ce sujet. Même si le gouvernement nie la pertinence de l'allégation concernant le fait que la police était hébergée sur le site du barrage en mars de cette année en faisant valoir que les événements sur lesquels portent la plainte ont eu lieu bien après la grève de juin 1990, le comité ne peut que souligner qu'une telle présence policière, même pour une durée limitée, peut facilement donner naissance à un sentiment d'insécurité chez les travailleurs et leur syndicat et menacer le libre exercice des droits syndicaux. Le comité estime donc que de telles pratiques devraient être évitées. En outre, il appelle l'attention du gouvernement sur le principe selon lequel, lorsque se sont déroulés des troubles ayant entraîné des pertes de vies humaines ou des blessures graves, l'institution par les soins du gouvernement intéressé d'une enquête judiciaire indépendante est une méthode particulièrement appropriée pour éclaircir pleinement les faits, déterminer les responsabilités, sanctionner les coupables et prévenir la répétition de telles actions. (Recueil, paragr. 78.) Il prie le gouvernement d'indiquer s'il a été procédé à une telle enquête et de lui en communiquer les résultats.
  9. 348. Comme l'organisation plaignante ne fournit pas de renseignements à l'appui de son allégation selon laquelle des actions en justice sont fréquemment engagées contre des responsables syndicaux ayant participé à des grèves, et que le gouvernement ne fait pas de commentaires à ce sujet, le comité n'est pas en mesure d'examiner cet aspect du cas.
  10. 349. En ce qui concerne l'allégation selon laquelle la police serait intervenue dans la manifestation organisée par le syndicat pour célébrer la Fête du travail, le 1er mai 1991, le comité regrette que le gouvernement n'ait pas répondu sur ce point et appelle l'attention du gouvernement sur le fait que le droit d'organiser des réunions publiques et des cortèges à l'occasion du 1er mai constitue un aspect important des droits syndicaux; les autorités de police devraient recevoir des instructions précises pour éviter que, dans les cas où l'ordre public n'est pas sérieusement menacé, il soit procédé à l'arrestation de personnes pour le simple fait d'avoir organisé une manifestation ou d'y avoir participé. (Recueil, paragr. 155 et 168.) Cela est particulièrement important dans le cas présent car, apparemment, les autorités avaient donné leur aval aux activités organisées par le syndicat. En conséquence, le comité veut croire que tous les biens confisqués au syndicat à l'occasion du 1er mai lui ont été restitués et que, à l'avenir, les autorités éviteront de telles interventions.
  11. 350. En ce qui concerne le meurtre par un policier de M. Ngaka Sula, délégué d'atelier du CAWULE; le comité note que l'affaire est entre les mains de la justice. Il demande au gouvernement de lui fournir une copie du jugement dès que celui-ci sera rendu par le tribunal compétent et, dans l'intervalle, de le tenir au courant de l'évolution de la procédure.
  12. 351. En ce qui concerne le licenciement de travailleurs ayant pris part à la grève décidée par le CAWULE - 334 au total -, le comité juge insuffisante la première réponse du gouvernement selon laquelle les personnes licenciées ont pu se faire entendre. Il a pu s'appuyer, pour l'examen de cette partie de la plainte, sur diverses pièces judiciaires dont l'organisation plaignante lui a fourni copie. D'après la décision de la Haute Cour, en date du 3 juillet 1990, la grève d'une journée était illégale en raison d'un vice de procédure dans la notification du préavis. Il ressort de l'arrêt du 26 juillet 1991 de la Cour d'appel que les tribunaux du Lesotho analysent dans l'esprit de la common law les licenciements effectués à la suite d'une grève - légale ou non - et considèrent la grève comme un manquement si fondamental au contrat de travail que l'employeur est en droit d'y voir une rupture du contrat et de congédier les grévistes. La décision indique que, "à moins qu'une disposition législative ne l'en empêche, (l'employeur) est en droit de congédier les grévistes pour rupture de contrat". Le comité a examiné la deuxième réponse du gouvernement - dans laquelle celui-ci fait valoir que la législation du travail du Lesotho permet de procéder à des licenciements en cas de grèves, même légales, qui équivalent à une rupture de contrat - et note que le gouvernement rejette les obiter dicta du juge de la Cour d'appel ayant eu à statuer sur l'action engagée par le CAWULE pour licenciements abusifs.
  13. 352. A cet égard, le comité rappelle que le droit de grève est un droit fondamental et légitime des travailleurs et de leurs organisations pour la promotion et la défense de leurs intérêts professionnels. (Recueil, paragr. 362-364.) Il en résulte que le recours à des mesures extrêmement graves comme le licenciement de travailleurs du fait de leur participation à une grève et le refus de les réembaucher impliquent de graves risques d'abus et constituent une violation de la liberté syndicale. (Recueil, paragr. 444.) Vu que des relations professionnelles perturbées par des licenciements collectifs motivés par la participation à une grève peuvent grandement s'améliorer si les employeurs considèrent sérieusement la possibilité de réintégrer les personnes touchées par cette sanction, le comité invite le gouvernement à intervenir auprès de l'employeur dans le cas présent pour que celui-ci réintègre les travailleurs en question, et à le tenir informé de l'évolution de la situation.
  14. 353. Du point de vue législatif, le comité note que l'organisation plaignante cite une décision de la Cour d'appel où il est indiqué que la législation du Lesotho ne prévoit pas de protection contre les licenciements abusifs pour faits de grève. Le comité note cependant que la loi de 1964 sur les syndicats et les différends du travail contient des dispositions en vertu desquelles les syndicalistes peuvent engager des actions devant les tribunaux et devant les juridictions chargées de connaître des pratiques déloyales en matière de travail les employeurs qui commettent des actes tels que des licenciements après une grève, considérés comme des actes antisyndicaux. Toutefois, compte tenu des avis contradictoires de la cour d'appel et du gouvernement, le comité demande au gouvernement de préciser la portée des dispositions de la loi de 1964 qui permettraient de protéger les travailleurs contre des licenciements pour fait de grève et d'indiquer, en particulier, si elles permettent une protection contre les licenciements qui interviendraient en vertu de la common law.
  15. 354. Le comité rappelle au gouvernement que les services techniques du BIT sont à sa disposition pour toute assistance qu'il voudrait recevoir en matière de législation du travail.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 355. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité regrette que le gouvernement n'ait pas répondu à l'allégation selon laquelle le secrétaire général du CAWULE aurait été arrêté le 20 juillet 1990 et se serait vu retirer son passeport. Rappelant que l'arrestation de dirigeants syndicaux pour des activités liées à l'exercice de leurs droits syndicaux est contraire aux principes de la liberté syndicale et que les gouvernements devraient s'abstenir de toute mesure, telle que la confiscation des documents nécessaires aux déplacements, qui empêcherait les représentants d'organisations de travailleurs d'exercer leur mandat en toute liberté et indépendance, le comité prie le gouvernement d'indiquer si le secrétaire général du CAWULE est libre de s'acquitter de ses fonctions syndicales, notamment en se rendant à l'étranger si cela est nécessaire, et que son passeport lui a été restitué.
    • b) Au sujet de l'arrestation, le 30 août 1990, de deux dirigeants du Syndicat des travailleurs des briqueteries, de la construction et du bois du Lesotho (LBCWWU), comme l'organisation plaignante n'a pas indiqué si ce syndicat lui était également affilié, le comité l'invite à préciser ce point.
    • c) En ce qui concerne l'allégation selon laquelle la police aurait lancé une attaque au cours de laquelle sept dirigeants syndicaux auraient été atteints par des coups de feu sur le chantier de construction d'un barrage, le 20 juillet 1990, le comité regrette, là encore, que le gouvernement n'ait pas fourni de renseignements précis et le prie d'indiquer s'il a ordonné une enquête judiciaire pour éclaircir pleinement les faits, déterminer les responsabilités, sanctionner les coupables et prévenir la répétition de tels actes et, dans l'affirmative, de lui en communiquer les résultats.
    • d) Le comité note qu'une procédure pénale est en cours devant les tribunaux pour le meurtre, par un policier, de M. Ngaka Sula, délégué d'atelier du CAWULE, le 30 août 1991, et demande au gouvernement de lui fournir une copie du jugement concernant ce meurtre, dès qu'il sera prononcé, et, dans l'intervalle, de le tenir informé de l'évolution de la procédure.
    • e) Au sujet du congédiement de travailleurs - 334 au total -, qui avaient pris part à la grève lancée par le CAWULE, le comité rappelle l'importance du droit de grève et invite le gouvernement à intervenir auprès de l'employeur dans le cas présent afin qu'il envisage sérieusement la possibilité de réintégrer les personnes frappées par cette sanction, et à le tenir informé de l'évolution de la situation.
    • f) Le comité demande au gouvernement de préciser la portée des dispositions de la loi de 1964 qui permettraient de protéger les travailleurs contre des licenciements pour fait de grève et d'indiquer, en particulier, si elles permettent une protection contre les licenciements qui interviendrait en vertu de la common law.
    • g) Le comité rappelle au gouvernement que les services techniques du BIT sont à sa disposition pour toute assistance qu'il voudrait recevoir en matière de législation du travail.
    • h) Au sujet de l'allégation selon laquelle la police se serait immiscée dans une manifestation que le syndicat avait organisée, avec l'aval des autorités, pour célébrer la fête du travail, le 1er mai 1991, le comité regrette que le gouvernement n'ait pas répondu sur ce point. Il veut croire que tous les biens qui avaient été confisqués au CAWULE ce jour-là lui ont été restitués, et qu'à l'avenir les autorités éviteront de telles interventions.
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