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- 57. Dans des communications datées des 31 octobre et 6 décembre 1991, le Congrès du travail du Canada (CTC) a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement du Canada (Colombie Britannique), au nom du Syndicat national des fonctionnaires provinciaux (NUPGE) et du Syndicat des fonctionnaires provinciaux de la Colombie Britannique (BCGEU). La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) et l'Internationale des services publics (ISP) ont exprimé leur soutien à cette plainte dans des communications datées respectivement des 8 et 12 novembre 1991.
- 58. Le gouvernement fédéral, dans des communications datées des 13 mai et 14 septembre 1992, a fait parvenir les observations et les informations du gouvernement de la Colombie Britannique.
- 59. Le Canada a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948. Il n'a pas ratifié la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, ni la convention (no 154) sur la négociation collective, 1981.
A. Allégations du plaignant
A. Allégations du plaignant
- 60. Dans sa communication du 31 octobre 1991, l'organisation plaignante allègue que le gouvernement de la Colombie Britannique aurait enfreint les conventions nos 87, 98, 151 et 154 en promulguant, en mars 1991, la loi no 82 sur les rémunérations équitables, ci-après appelée la "loi", qui contrevenait aux droits de libre négociation collective des fonctionnaires de cette province. Ce type de législation n'est pas nouveau pour le service public car de tels instruments limitant les augmentations de salaires ont déjà été adoptés à deux reprises en 1982 et en 1983.
- 61. Cependant, la loi en question va bien au-delà de l'ancienne législation restreignant les salaires. Aucune limite spécifique (en pourcentage) des augmentations de salaires n'est fixée - cette limite devant dépendre de la "capacité de payer" de l'employeur, telle que déterminée par ce dernier et par le commissaire nommé par le gouvernement. Par capacité de payer, on entend toutes mesures fiscales ou financières adoptées par le gouvernement. Selon la législation, la définition de la "rémunération" comprend bien plus que les salaires et les prestations: elle s'étendrait aussi aux pratiques et règles de travail, aux conditions et à l'organisation du travail, à la reclassification et aux augmentations. La législation est applicable rétroactivement à partir d'une date indéterminée.
- 62. La loi accorde au commissaire de larges pouvoirs qui lui permettent d'ignorer des accords librement négociés. Ses décisions ne sont pas susceptibles d'appel. Le commissaire est habilité à:
- - diminuer les salaires ou autres formes de rémunération;
- - ordonner aux travailleurs le reversement de salaires;
- - remonter dans le temps aussi loin qu'il/elle le souhaite pour imposer des contrôles de salaires;
- - annuler un arrangement obtenu par l'intermédiaire d'un médiateur;
- - ignorer une sentence arbitrale;
- - imposer unilatéralement des décisions en matière de salaires ou toute autre mesure qu'il/elle estime relever de la rémunération;
- - imposer unilatéralement le mode de répartition de la rémunération entre salaires, conditions de travail ou prestations;
- - imposer le mode de calcul de la rémunération;
- - prendre des arrêtés d'application ayant même valeur que le jugement d'un tribunal sans qu'aucune procédure d'appel ne soit prévue par la loi .
- 63. Le plaignant se réfère à des décisions antérieures du Comité de la liberté syndicale concernant des problèmes similaires dans la province. Dans le cas no 1173, le comité avait estimé qu'un système qui fonctionne en s'ingérant dans la négociation collective peut non seulement décourager le recours à la négociation collective volontaire, mais être également incompatible avec le principe de la non-ingérence des autorités publiques dans le processus de la négociation collective (voir 230e rapport, paragr. 578). Le comité a par la suite formulé l'espoir que le gouvernement respecterait les accords équitables conclus par les parties (voir 234e rapport, paragr. 91(c)). Cependant, en l'occurrence, le gouvernement n'a pas appliqué les recommandations du comité et a adopté en 1985 de nouvelles restrictions de salaires touchant le secteur public. Ceci a donné lieu à une nouvelle plainte (cas no 1329) à l'occasion de laquelle le comité a réitéré ses recommandations. Le gouvernement, en retardant sa réponse à la seconde plainte, a aussi réussi à esquiver la Mission d'étude et d'information qui s'est rendue au Canada en 1985.
- 64. Un aspect important de la loi réside en ce qu'elle a une durée indéterminée. Le gouvernement de la Colombie Britannique ne pourrait donc prétendre qu'elle a été promulguée pour faire face à une crise économique. La loi supprime la libre négociation collective et la remplace par des directives obligatoires sur les salaires qui doivent être fixées et appliquées par le Commissaire à l'équité des rémunérations. Ce poste a été créé de manière arbitraire par le gouvernement pour pouvoir faire indirectement ce qu'il ne peut faire dans le cadre de la négociation collective. En d'autres termes, le gouvernement déterminera l'augmentation en pourcentage (le cas échéant) qui sera accordée aux travailleurs du secteur public et l'imposera au commissaire, moyennant quoi le commissaire deviendra simplement le porte-parole du gouvernement/employeur.
- 65. La partie 2 de la loi décrit brièvement les directives concernant les rémunérations et est extrêmement restrictive. Les directives concernant les rémunérations équitables sont publiées par le Conseil exécutif et précisent à qui, quand et comment elles s'appliquent. L'article 12 permet à chacune des parties de solliciter l'intervention d'un médiateur, mais ce dernier n'est pas une tierce partie neutre et libre de faire des recommandations impartiales, car ledit article lui fait obligation d'opérer dans le cadre d'un plan de rémunération compatible avec la loi. Il n'est donc pas possible de négocier librement des accords. L'article 14 dispose qu'en négociant ou en établissant un plan de rémunération pour les agents du secteur public, les parties au plan ou l'employeur du secteur public établissant le plan devra ou devront accorder la plus grande importance à la capacité de payer de l'employeur du secteur public. L'article 15 oblige les employeurs du secteur public à communiquer le plan de rémunération au commissaire dix jours au plus après son élaboration. Le commissaire examine alors ce plan pour déterminer s'il est conforme ou non aux directives; dans la négative, il peut le renvoyer aux parties pour leur permettre de le mettre en conformité.
- 66. La partie 3 de la loi habilite le lieutenant-gouverneur en conseil à fixer les règles de la rémunération. Ces règles sont d'une portée très large et peuvent prescrire des limitations aux augmentations de rémunération, exiger des réductions et interdire toute augmentation de la rémunération. Elles ont une portée globale. A titre d'exemple, si un employeur donné du secteur public souhaite négocier de meilleures conditions de travail en faveur de son personnel, il lui est interdit de le faire par la reclassification des postes ou par la réorganisation de son entreprise.
- 67. Le pouvoir du commissaire apparaît à l'évidence dans les articles 23(2) et (3) qui l'autorisent à fixer les termes d'un plan de rémunération pour les parties. Plutôt que de recourir au processus de la négociation collective, le commissaire impose tout simplement un plan aux salariés. En outre, l'article 24 donne au commissaire le pouvoir de faire appliquer ses décisions.
- 68. Selon le plaignant, la loi enfreint la convention no 87 car, bien qu'elle n'empêche pas directement les salariés de s'affilier à des syndicats, elle supprime effectivement les avantages découlant de l'affiliation syndicale, c'est-à-dire de la création d'une organisation aux fins de négociation par l'intermédiaire d'un agent de négociation. En vertu de la loi, les syndicats ne seraient guère plus que des clubs sociaux et ne disposeraient pas de véritable droit de négociation collective.
- 69. Le comité a déclaré à maintes reprises dans le passé que les employeurs relevant du gouvernement ne devraient pas utiliser leur autorité pour ignorer les accords négociés. De plus, le fait que la loi a une durée indéterminée est contraire aux conclusions antérieures du comité à cet égard. (Voir 241e rapport, cas no 1172, paragr. 115.)
- 70. La loi enfreint aussi la convention no 98 car elle ignore la négociation collective volontaire en donnant au commissaire le pouvoir d'imposer des conditions de travail aux parties, ce qui est contraire aux conclusions antérieures du comité (Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, paragr. 639, 640, 643).
- 71. De surcroît, la loi enfreint aussi la convention no 151 car les membres d'unités de négociation et les cadres sont traités de façon discriminatoire. Cette loi a été adoptée sans qu'aucun effort soit fait pour entamer une discussion avec le syndicat, et elle ne prévoit pas le règlement des différends par l'intermédiaire d'un mécanisme indépendant et impartial. En outre, le fondement et le contenu de la loi sont totalement incompatibles avec la convention no 154.
- 72. Le plaignant conclut que la loi, telle que promulguée en mars 1991, est contraire aux principes du droit international du travail car elle supprime la libre négociation collective, et demande son abrogation.
- 73. Dans sa communication du 31 octobre 1991, le CTC a signalé que des plaintes semblables, touchant cinq provinces différentes, avaient été présentées et il a demandé que celles-ci soient examinées séparément. Par ailleurs, il a souligné que le mouvement syndical et la plupart des spécialistes indépendants des relations professionnelles estimaient que ces relations se détérioraient rapidement dans le secteur public du Canada, les gouvernements des provinces n'hésitant pas à faire voter des lois qui suppriment ou restreignent fortement le droit à la négociation collective dans ce secteur. Le CTC estime que, pour connaître avec précision la gravité de la détérioration des relations professionnelles au Canada, le Comité de la liberté syndicale du BIT devrait envoyer une mission indépendante dans ce pays au cours des prochains mois. Le CTC suggère donc au comité d'envisager sérieusement cette possibilité, la seule à lui permettre d'apprécier pleinement les préoccupations que suscitent les relations professionnelles dans le secteur public canadien. Le CTC a réitéré sa demande dans sa communication du 6 décembre 1991, et il a signalé qu'une nouvelle plainte contre une loi fédérale obligeant les fonctionnaires à retourner au travail serait bientôt déposée auprès du comité. Selon le CTC, plus de 500.000 travailleurs canadiens voient ainsi leurs droits bafoués par la législation fédérale ou provinciale.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 74. A la suite d'élections générales tenues en octobre 1991, le gouvernement nouvellement élu s'est engagé à restaurer la libre négociation collective dans le secteur public, engagement réitéré dans son budget du 26 mars 1992. Dans une communication du 14 septembre 1992, le gouvernement a informé le Bureau que le projet de loi no 82 avait été abrogé et a transmis une copie du texte d'abrogation.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 75. Le comité note que ce cas concernait certaines limitations du droit de négociation collective des travailleurs de la province de la Colombie Britannique (Canada). Il renvoie aux observations faites dans son rapport au sujet du cas no 1616 (Canada) en ce qui concerne le contexte général dans lequel cette plainte a été présentée, ainsi qu'à ses vues sur les arguments économiques en tant que justification des restrictions à la négociation collective.
- 76. Le comité note que des restrictions semblables à la négociation collective étaient applicables, sous cette forme ou sous une autre, depuis 1982 dans la province de la Colombie Britannique et que l'objectif et la philosophie de la loi étaient très proches de ceux de la loi sur la stabilisation des rémunérations de la Colombie Britannique, en vigueur de 1982 à 1988; cette loi a été analysée en détail lors de l'examen des cas nos 1173, 1329 et 1350. En fait, les dispositions de fond de la loi étaient identiques aux dispositions correspondantes de l'ancienne loi, que le comité a étudiée de manière approfondie à l'occasion de son examen du cas no 1173 (234e rapport, paragr. 85, approuvé par le Conseil d'administration à sa 226e session). Dans le présent cas, en imposant un plafond salarial non négociable et en prévoyant l'intervention d'un commissaire qui avait un droit de regard sur tous les accords négociés et décidait, en dernier ressort, du montant des rémunérations, la loi permettait l'ingérence des autorités dans la négociation collective.
- 77. Le droit de négocier librement avec les employeurs est un élément essentiel de la liberté syndicale, et les autorités publiques devraient s'abstenir de toute action ayant pour effet de restreindre ou d'entraver l'exercice légal de cette activité. Le comité a rappelé à de nombreuses reprises dans le passé l'importance qu'il attache au principe de l'autonomie des parties à la négociation collective, principe très largement reconnu dans les travaux préparatoires qui ont conduit à l'adoption par la Conférence internationale du Travail en 1981 de la convention (no 154) sur la négociation collective.
- 78. Le comité a reconnu que si, pour des raisons impérieuses touchant à l'intérêt économique national et à sa politique de stabilisation, un gouvernement considère que le taux des salaires ne peut pas être fixé librement par voie de négociation collective, une telle restriction devrait être appliquée comme une mesure d'exception, limitée à l'indispensable, elle ne devrait pas excéder une période raisonnable et elle devrait être accompagnée de garanties appropriées en vue de protéger le niveau de vie des travailleurs (Recueil de décisions et de principes, op. cit., paragr. 641). La commission d'experts a adopté une position similaire sur la question (Etude d'ensemble, 1983, Liberté syndicale et négociation collective, paragr. 315). Le comité rappelle que des moyens devraient être trouvés pour persuader les parties aux négociations collectives de tenir compte de leur propre gré, dans leurs négociations, des considérations relatives à la politique économique et sociale du gouvernement et à la sauvegarde de l'intérêt général. Mais, pour cela, il faut d'abord que les objectifs reconnus comme d'intérêt général aient fait l'objet d'une large consultation des parties à l'échelon national, conformément aux principes énoncés par la recommandation (no 113) sur la consultation aux échelons industriel et national, 1960; il serait possible d'envisager une procédure permettant de signaler dans certains cas à l'intention des parties les considérations d'intérêt général qui appelleraient de leur part un nouvel examen des conventions prévues. Toutefois, la persuasion devrait toujours être préférée à la contrainte (cas no 1329, 243e rapport, paragr. 184, approuvé par le Conseil d'administration à sa 232e session).
- 79. Le comité note cependant que le nouveau gouvernement, peu après son élection en octobre 1991, s'est engagé à rétablir la libre négociation collective dans la province et à abroger la loi contestée.
- 80. Le comité note que la loi no 82 a été abrogée et que le gouvernement a transmis copie de la loi d'abrogation. Compte tenu de cette évolution, le comité estime que le présent cas n'appelle pas un examen plus approfondi.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 81. Au vu des conclusions qui précèdent, le gouvernement invite le Conseil d'administration à décider que le présent cas n'appelle pas un examen plus approfondi.