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Definitive Report - Report No 286, March 1993

Case No 1639 (Argentina) - Complaint date: 09-APR-92 - Closed

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  1. 61. Les plaintes faisant l'objet du présent cas figurent dans des communications de la Fédération des ouvriers céramistes de la République d'Argentine (FOCRA) du 9 avril 1992, une communication de la Confédération générale du travail de la République d'Argentine (CGT) du 11 juin 1992 et une communication de l'Association des pilotes de ligne du 21 décembre 1992.
  2. 62. Le gouvernement a envoyé ses observations dans une communication du 23 décembre 1992.
  3. 63. L'Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 64. Dans leurs communications des 9 avril et 11 juin 1992, respectivement, la Fédération des ouvriers céramistes de la République d'Argentine (FOCRA) et la Confédération générale du travail de la République d'Argentine (CGT) allèguent qu'en promulguant, le 12 août 1991, le décret no 1334/91 le gouvernement a violé le droit de négociation collective.
  2. 65. Les plaignants signalent que l'article 14 bis de la Constitution nationale garantit le droit des associations de recourir à la négociation collective pour fixer les salaires et les conditions de travail de leurs membres, et que la loi no 14250 de 1953, modifiée par la loi no 23545 de 1988, prévoit une procédure de négociation collective entre les syndicats et les employeurs, l'Etat jouant le rôle de gardien de l'intérêt général, grâce au contrôle de légitimité qu'il exerce par le moyen de l'homologation et par les observations qu'il se réserve de faire.
  3. 66. Les plaignants indiquent que, depuis avril 1991, la loi no 23928 sur la convertibilité de l'austral (monnaie ayant un cours légal en Argentine de 1985 à 1991) interdit toute indexation ou actualisation monétaire abrogeant toutes les dispositions légales ou réglementaires qui établissaient ou autorisaient l'indexation sur les prix, l'actualisation monétaire, la variation des coûts ou toute autre forme de réévaluation des dettes, impôts, prix ou tarifs des biens, ouvrages ou services. Cette décision s'applique également aux effets des relations et situations juridiques existantes, aucune disposition légale, réglementaire, contractuelle ou conventionnelle - y compris les conventions collectives de travail - antérieure au 1er avril 1991, date d'entrée en vigueur de la loi sur la convertibilité de l'austral, ne pouvant être appliquée ou invoquée pour ajuster le montant des paiements en australes. Cette loi visait, selon les autorités argentines, à en finir avec l'inflation et à établir la parité entre l'austral et le dollar des Etats-Unis. Elle interdit aux parties de convenir de clauses d'ajustement automatique des salaires en fonction des prix, de l'actualisation monétaire ou de toute autre forme de revalorisation automatique.
  4. 67. Depuis la promulgation du décret no 1334/91, avant de négocier les échelles de salaires, les parties doivent déterminer les bases de calcul et la méthode qui leur permettront de mesurer la productivité dans les domaines visés par la convention; ces bases de calcul et cette méthode doivent être approuvées par l'autorité compétente avant la fixation des échelles salariales. A l'article 3, le décret dispose qu'aux effets de l'homologation l'autorité compétente veillera à ce que la convention: a) ne contienne pas de clause enfreignant des normes d'ordre public ni n'établisse de mécanismes d'indexation interdits par la loi de convertibilité de l'austral; et b) n'affecte pas de manière significative la situation économique générale et que les hausses de salaire soient déterminées en fonction des augmentations effectives de la productivité, vérifiées ou raisonnablement estimées.
  5. 68. Les plaignants concluent que le décret no 1334/91 subordonne la négociation des salaires à l'augmentation de la productivité, à l'exclusion de tout autre paramètre, et que l'autorité administrative intervient par deux fois, à savoir avant les négociations, lorsque le ministère du Travail approuve les bases de calcul et la méthode adoptées et, au moment de l'homologation, lorsqu'il vérifie que les hausses salariales décidées correspondent bien à une augmentation effective de la productivité.
  6. 69. Enfin, les plaignants signalent que ce décret, en subordonnant la négociation des salaires au critère de la productivité et en érigeant le ministère du Travail et de la Prévoyance en juge suprême des décisions prises par les parties, puisqu'il peut s'opposer à l'entrée en vigueur d'une convention collective, porte atteinte à la nécessaire liberté de décision des acteurs de la négociation collective et au caractère volontaire de la procédure. Les plaignants signalent aussi qu'une telle restriction n'est acceptable que si elle est imposée à titre exceptionnel, la règle devant être la libre négociation des salaires. Or ce décret, en se définissant comme décret d'application des lois sur la convertibilité de l'austral et les conventions collectives de travail, transforme en principe général ne souffrant aucune exception les restrictions exceptionnelles à la libre négociation des salaires qui sont acceptées par l'OIT. Le décret no 1334/91 et la loi considérée par le pouvoir exécutif comme son fondement visent à stabiliser l'économie en supprimant l'inflation, objectif largement partagé par la classe ouvrière et ses représentants légitimes; toutefois, les plaignants précisent que, depuis la mise en application du décret, les salaires ont été gelés, alors que l'inflation et le coût de la vie ont continué d'augmenter. Le moyen choisi par le pouvoir exécutif n'est pas adapté à l'objectif qu'il vise. Les plaignants soulignent enfin qu'il n'est indiqué nulle part, ni dans les considérants ni dans le dispositif du décret, que ses dispositions sont transitoires; il s'agit donc bien là d'une réglementation permanente.
  7. 70. Dans sa communication du 21 décembre 1992, l'Association des pilotes de ligne (APLA) a présenté également des allégations relatives à la violation du droit de négociation collective par la promulgation du décret no 1334/91; dans le cas particulier des pilotes où, comme dans d'autres cas, il n'est pas possible d'améliorer la "productivité" directe puisque la planification du nombre et de la fréquence des vols est une prérogative de l'employeur, le ministère du Travail omet de convoquer les commissions paritaires. Les plaignants ajoutent que Aerolíneas Argentinas depuis plus d'un an et Líneas Aéreas Privadas Argentinas SA depuis plus de six mois demandent en vain la constitution d'une commission paritaire. Les plaignants signalent que Aerolíneas Argentinas SA a ramené le nombre de ses pilotes de 561 à 492, ce qui a entraîné une augmentation de la productivité indirecte de 14 pour cent. Ils affirment qu'en omettant de convoquer la commission paritaire dans les délais prévus par la loi no 23546 l'Etat intervient dans la vie syndicale et viole le droit de négociation collective.
  8. 71. Par ailleurs, cette organisation plaignante allègue que le gouvernement, par le biais du décret no 2184/90, intervient dans la vie syndicale en réglementant administrativement le droit de grève. Elle signale aussi que le ministère du Travail ne protège pas les travailleurs syndiqués de l'entreprise Aerolínas Argentinas SA, comme il ressort des plaintes dénonçant des infractions aux lois du travail, et notamment de nombreux licenciements collectifs.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 72. Le gouvernement déclare dans sa communication du 23 décembre 1992 qu'il s'est engagé non seulement à mettre en oeuvre un plan traditionnel d'ajustement économique, mais aussi à réaliser une véritable transformation structurelle et en profondeur de la nation en vue d'éliminer tous les obstacles qui, historiquement, ont mené à l'échec les plans économiques successivement adoptés pour essayer de résoudre le problème chronique de l'inflation. C'est ainsi qu'il a non seulement procédé à une restructuration en profondeur de l'appareil administratif de l'Etat, mais qu'il a aussi lancé un processus de déréglementation totale de l'économie et de modernisation et d'actualisation de la législation; c'est dans ce contexte qu'a été promulgué le décret no 1334/91 contesté par les organisations plaignantes. Dans d'autres secteurs, ledit instrument n'a donné lieu à aucune objection.
  2. 73. Les résultats économiques et sociaux de ce plan sont - pour la première fois depuis des années - à la portée de tous les Argentins. Il suffit de signaler que l'inflation, insurmontée depuis plusieurs lustres, a été effectivement contenue, à tel point que, depuis le 1er avril 1991, date d'entrée en vigueur du plan de convertibilité, la hausse des prix à la consommation (coût de la vie), qui avait atteint 39 pour cent, a chuté, s'établissant pour les douze mois écoulés à guère plus de 18 pour cent. Il ne fait pas de doute que ce processus n'est pas encore totalement consolidé et qu'il reste encore beaucoup à faire pour transformer le pays de manière à établir un système plus juste de rétribution salariale, conséquence d'une meilleure répartition des richesses et des charges; il n'en est pas moins vrai que les représentants légitimes de la classe ouvrière argentine ne peuvent ignorer ces circonstances, car les premières victimes de l'inflation sont précisément ceux qui - comme les travailleurs - vivent d'un revenu mensuel ou bimensuel fixe et dont le pouvoir d'achat ne cesse de s'éroder à cause de l'inflation. C'est pourquoi il est difficile de comprendre comment l'un des piliers de la politique économique actuelle de l'Argentine continue d'être attaqué avec tant d'obstination par ceux qui, en définitive, représentent l'un des secteurs qui en bénéficient le plus, puisqu'il a permis non seulement de maintenir le pouvoir d'achat des salaires, mais aussi d'assurer la croissance constante de l'activité économique et d'atténuer peu à peu le problème jusque-là chronique du chômage.
  3. 74. Le gouvernement affirme que la Confédération générale du travail (CGT) n'est pas fondée à invoquer le droit prétendument enfreint, étant donné que la faculté de conclure des conventions est propre aux associations de base, ou pour le moins à celles qui regroupent les organisations d'une même branche d'activité. Cette faculté est l'un des fondements de la liberté syndicale, tout comme l'est le droit de négociation des associations de base qui, dans chaque secteur, sont les plus aptes à adapter la négociation collective à leur activité spécifique; on favorise ainsi l'horizontalité dans la négociation, ce qui est un gage d'efficacité. La convention no 98 consacre ce principe en reconnaissant le droit de négocier au nom des travailleurs à l'organisation syndicale la plus représentative des intérêts du groupe. L'entité confédérale ne peut agir que par délégation; par conséquent, la faculté de négocier est un droit intrinsèque de l'organisation de base.
  4. 75. La CGT aurait dû joindre les pièces attestant que la présente plainte était bien le fruit de la décision démocratique de son organe directeur, qu'elle reflétait le mandat des syndicats qui la composent, puisque la question débattue ne relève pas de sa compétence. Par conséquent, le gouvernement demande au Comité de la liberté syndicale d'ignorer toute présentation autonome de plainte par la CGT, puisque celle-ci s'attribue ainsi de façon illégitime la représentativité de la majorité des associations qui la composent, alors même que ces dernières sont encore en train de négocier.
  5. 76. Le décret no 1334/91 ne limite pas, mais au contraire favorise la négociation collective des conditions matérielles de travail, même s'il la subordonne aux conditions particulières dans lesquelles s'exerce l'activité économique en général, en vertu de la loi no 23928 sur la convertibilité, qui a dicté la teneur dudit décret. C'est en effet dans ce contexte que cet instrument fixe des critères concrets pour que, dans la négociation collective des salaires, les parties tiennent compte des grandes orientations de la politique économique et des mesures anti-inflationnistes en vigueur. A cette fin, le décret fixe aussi des règles selon lesquelles les autorités administratives devront analyser le contenu des accords conclus en vue de leur homologation. Cela s'applique aux conventions collectives de travail qui, en vertu précisément de la législation en vigueur (loi no 14250 et dispositions complémentaires), sont plus qu'un simple accord contractuel entre les parties signataires du fait que, ayant été homologuées, elles acquièrent force obligatoire non seulement pour les contractants mais aussi pour toutes les entreprises relevant de l'activité commerciale ou industrielle en question. C'est précisément ce qui confère toute leur légitimité aux dispositions dudit décret, puisque les principes qu'il consacre ne s'appliquent qu'aux accords auxquels les parties prétendent faire porter effet "erga omnes"; de fait, il ne peut invalider les accords qui auraient été conclus sans se conformer à ses dispositions, lesquelles, en tant que telles, et en vertu de l'article 1197 du Code civil, seront pleinement valides et obligatoires pour les parties signataires.
  6. 77. Le gouvernement précise que l'effet "erga omnes" des conventions homologuées que prévoit la législation argentine exige que l'autorité administrative, avant d'établir l'acte d'homologation, contrôle, conformément à l'article 3 bis du décret no 1334, que la convention collective ne contient pas de clause enfreignant des normes d'ordre public protectrices de l'intérêt général, ni qu'elle affecte de manière significative la situation économique générale, ni encore qu'elle entraîne une grave détérioration des conditions de vie des consommateurs. Cette disposition ne constitue pas une violation qui aurait été introduite dans la législation argentine par le décret no 1334/91; bien au contraire, ces mêmes normes, de la même teneur, existaient déjà dans la loi no 14250 et sont restées en vigueur, inchangées depuis son adoption. La seule innovation de ce décret a été de subordonner l'homologation des conventions au respect des règles et politiques économiques en vigueur, tel qu'il ressort de la loi no 23928 sur la convertibilité.
  7. 78. Le gouvernement signale que le pouvoir exécutif a promulgué le décret no 1334/91 en vertu des attributions réglementaires que lui confère l'article 86, paragraphe 2, de la Constitution nationale. La Cour suprême de justice a déclaré que les décrets promulgués par le pouvoir exécutif en vertu de ses attributions constitutionnelles deviennent partie intégrante de la loi de base, tout en la complétant, et que toute violation ou interprétation incorrecte de leurs dispositions est aussi une infraction à la loi elle-même. Le décret ne fait que réitérer l'impossibilité d'indexer, ce que la loi interdit déjà, et fixer des orientations pour que les parties puissent modifier les critères de négociation qui seraient incompatibles avec elle. Si ce décret n'avait pas été promulgué, le ministère du Travail et de la Prévoyance n'aurait de toute façon pas pu homologuer les accords salariaux motivés par l'inflation, étant donné que la loi sur la convertibilité, qui est d'ordre public, l'interdit; ce décret est donc raisonnable, puisque ses dispositions ne sont qu'une réaffirmation ou une conséquence logique de celles de la loi qui, elle, n'a jamais été contestée par les plaignants; étant donné que la teneur du décret et celle de la loi sont compatibles, le bien-fondé du premier découle de la constitutionnalité de la seconde. Le décret no 1334/91 modifie la loi no 14250 pour l'harmoniser avec le plan de convertibilité. Par ailleurs, la loi no 23928 prévoit l'abrogation, l'interdiction et l'inapplicabilité de toute procédure d'indexation à partir du 1er avril 1991.
  8. 79. Etant donné l'état d'urgence économique du pays, le gouvernement n'a eu de cesse d'équilibrer l'effort collectif, soumettant aussi le capital, par le biais de l'ouverture économique, à une situation de concurrence externe en vue de stabiliser les prix, et par là même réduisant les marges de profit. Ce délicat équilibre suppose aussi des éléments qui protègent la source de travail. Ce n'est pas le gouvernement qui impose des limites à la négociation mais - cela doit être bien clair - la situation actuelle de l'économie argentine. De même que les travailleurs voient le cadre de la négociation circonscrit par la législation susmentionnée, de même les chefs d'entreprise voient leurs revenus limités par l'ouverture économique. L'OIT s'est prononcée à diverses occasions sur ce thème, et elle a toujours reconnu que certaines circonstances économiques pouvaient influer sur la négociation à condition que cela découle naturellement d'une situation donnée et n'entraîne pas d'ingérence abusive de l'administration.
  9. 80. En ce qui concerne l'homologation ou acte d'homologation de l'autorité administrative, le gouvernement déclare qu'il ne s'agit aucunement d'approuver ou de rejeter une convention collective de travail, mais seulement de lui faire porter effet "erga omnes". Une convention collective non homologuée est un accord qui s'applique entre les signataires. Il en ressort que le décret no 1334/91 ne viole pas la liberté de négociation et ne fait qu'instruire le ministère du Travail et de la Prévoyance de la façon d'appliquer la loi sur la convertibilité. A cet égard, il remplit trois fonctions: 1) indiquer au ministère du Travail et de la Prévoyance les précautions à prendre avant d'homologuer une convention collective en vertu de la loi sur la convertibilité; 2) signaler aux parties que, pour être homologué, l'accord doit respecter certaines règles, à savoir que les critères établis par le décret sont considérés comme les seuls techniquement viables, ainsi qu'en a décidé le législateur; un accord qui ne respecterait pas lesdits critères ne serait pas homologué, ce qui ne l'empêcherait pas pour autant d'être applicable entre les parties signataires; 3) instruire le ministère du Travail et de la Prévoyance pour qu'il puisse fournir aux parties un appui technique leur permettant de modifier les critères de la négociation et d'exploiter la possibilité de négocier sur la base de la productivité qui, techniquement, est l'unique façon d'obtenir des augmentations salariales réelles, comme cela se fait dans d'autres régions du monde.
  10. 81. Le gouvernement signale que les pouvoirs d'homologation du ministère du Travail et de la Prévoyance n'ont, sauf quelques très rares exceptions, pas changé depuis 1953, c'est-à-dire depuis qu'ont été adoptés la loi no 14250 et son décret d'application no 6582/54, qui ont institué le système légal spécifique et unique de négociation collective dans le pays. La loi originelle, en son article 3, donnait au ministère le pouvoir d'homologuer les conventions, tandis que l'article premier du décret no 6582/54 fournissait à ce sujet des précisions qui correspondaient grosso modo à ce qui est indiqué dans l'actuel article 4 de la loi no 14250, où la seule nouveauté par rapport à 1988 est que "les normes d'ordre public" doivent faire l'objet de la vigilance du ministère du Travail et de la Prévoyance. Ce n'est pas le décret incriminé no 1334/91, mais la loi elle-même qui, ainsi que le mentionne le troisième considérant du décret, impose des contrôles visant à garantir que les conventions ne contiennent pas de clauses contraires à l'ordre public général et économique (art. 4, troisième paragraphe, de la loi no 14250). A cet égard, le décret no 1334/91, dans son préambule, mentionne expressément la loi no 23928 (sur la convertibilité), en vertu de laquelle le gouvernement exerce sa faculté de fixer la valeur de la monnaie (art. 67, paragr. 10, de la Constitution), ce qui établit ainsi un lien sans équivoque avec l'ordre public. L'un des effets de cette même loi a été d'interdire tout type d'indexation, ce qui, selon les plaignants, aurait précisément eu pour conséquence de restreindre la liberté de négociation des salaires. Or il n'y a rien là de déraisonnable, étant donné que l'indexation était l'une des pratiques qui érodait la valeur de la monnaie et par conséquent dégradait les salaires, puisque les augmentations étaient directement répercutées sur les prix. En interdisant l'indexation, le décret no 1334/91 rétablit la productivité comme unique élément naturel et authentique de négociation dans une société particulièrement sensibilisée par ce problème extrêmement particulier qu'est l'hyperinflation et que peu d'autres pays ont connu. Dans ces conditions, le lien entre la productivité, retenue comme critère salarial, et la stabilité monétaire, non seulement va de soi mais encore figurait déjà dans le texte original d'application de la loi no 14250.
  11. 82. Outre que la productivité entretient un rapport logique avec le salaire, il y a lieu de signaler qu'il n'existe pas d'autre critère d'augmentation des salaires qui ne met sérieusement en danger la production (par faillite de l'entreprise) ou la valeur de la monnaie (par augmentation des prix). On peut, sur une courte période ou de façon occasionnelle, envisager d'augmenter les salaires et non les prix, mais en fin de compte si les hausses salariales ne correspondent pas à un accroissement de la productivité, elles se répercutent nécessairement et inexorablement sur les prix; il n'y a donc pas accroissement de la production mais gonflement de la masse monétaire qui entraîne une dégradation de la monnaie, ou encore, aux termes de la loi no 14250, "une grave détérioration des conditions de vie des consommateurs".
  12. 83. En ce qui concerne la liberté de négociation, le gouvernement souligne que l'homologation d'une convention collective de travail, en vertu du décret no 1334/91, ne restreint en aucune manière l'autonomie collective, mais qu'au contraire les parties ont toute liberté de négocier, quand bien même ce serait en dehors du champ de la loi sur la convertibilité; le ministère du Travail et de la Prévoyance est à même d'assister les parties pour qu'elles négocient dans le cadre des critères fixés par la loi, lesquels, compte tenu de leur raison d'être technique, sont plus avantageux pour elles. Le décret no 1334/91 se réfère d'une manière suffisamment souple à la productivité pour que les salaires puissent être négociés librement, même en tenant compte de ce critère, c'est-à-dire en tenant compte de ce qu'est finalement la réalité. Ainsi, alors que l'article premier du décret sollicite des parties des renseignements sur la productivité, l'article 3 bis, alinéa b), dispose qu'aux fins de l'accord salarial l'accroissement de la productivité peut être vérifié ou simplement estimé; cette formulation ouvre le champ à une série de possibilités concernant l'examen de la productivité, concept si ample qu'il est difficile d'imaginer concrètement quelle réalité pourrait en être exclue. Il en ressort donc que le décret no 1334/91 procède logiquement et nécessairement de la loi no 23928. En conclusion, on ne saurait s'en prendre à un décret qui ne viole pas la liberté de négociation et procède d'une loi d'ordre public qui, elle-même, n'est pas contestée.
  13. 84. Enfin, le gouvernement signale qu'après la promulgation de ce décret, le ministère a prévu l'organisation, au sein de la Direction nationale des relations professionnelles, de réunions en vue d'instruire les fonctionnaires appelés à diriger les négociations salariales, et a informé les parties intéressées de la portée et de la teneur des nouvelles dispositions. Il ajoute que d'innombrables commissions de négociation se sont déjà constituées et que d'autres se constitueront au ministère pour réviser les clauses économiques d'autant de conventions collectives, toujours dans le cadre du décret, et que les organisations qui représentent aujourd'hui et représenteront demain les travailleurs au sein de ces commissions sont les mêmes que celles qui ont signé les accords en vigueur jusque-là et que la CGT prétend représenter. Nombre de ces commissions ont déjà clos leurs travaux, ayant conclu des accords salariaux conformes à la clause ou aux clauses de productivité en question, et les autorités compétentes ont homologué la plupart d'entre eux (le gouvernement joint une liste des accords salariaux négociés dans le cadre du décret no 1334/91 et homologués au 13 juillet 1992).

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 85. En premier lieu, en ce qui concerne la déclaration du gouvernement selon laquelle la CGT n'est pas fondée à présenter des allégations faute d'autorisation de ses organisations affiliées, le comité considère que les questions relatives à la promulgation de lois et de règlements en matière de négociation collective revêtent un intérêt direct pour toute confédération nationale; dans ce sens, la plainte de la CGT doit être considérée comme recevable du point de vue des procédures du comité.
  2. 86. Le comité observe que les allégations du présent cas portent sur le décret no 1334/91, qui réglemente la loi no 23928 (cette loi prévoit l'abrogation, l'interdiction et l'inapplicabilité de toute procédure d'indexation à partir du 1er avril 1991) en matière de contrats ou de relations de travail. Concrètement, les allégations concernent la limitation en vertu du décret no 1334/91 de la négociation des salaires à l'augmentation de la productivité, à l'exclusion de tout autre paramètre, et l'ingérence de l'autorité administrative à l'occasion de l'approbation, par le ministère du Travail, des bases de calcul et de la méthode de mesure de la productivité, ainsi que de l'homologation, lorsqu'il vérifie que les hausses de salaires acceptées correspondent bien à une augmentation effective de la productivité.
  3. 87. Le comité prend note des informations fournies par le gouvernement en ce qui concerne notamment les problèmes économiques dont souffre l'Argentine depuis de nombreuses années; il note aussi que le gouvernement a mis en oeuvre un plan d'ajustement économique qui implique une transformation structurelle de l'économie et sa déréglementation totale ainsi que la modernisation et l'actualisation de la législation en général. Le comité a pris note également des améliorations découlant, selon le gouvernement, de ce plan.
  4. 88. Le comité note, par ailleurs, que, selon le gouvernement, le décret no 1334/91 a été adopté par le pouvoir exécutif conformément aux attributions réglementaires que lui confère la Constitution nationale (art. 86, paragr. 2) et qu'il ne fait que réitérer l'impossibilité d'indexer (ce que la loi sur la convertibilité interdit déjà) et fixer des critères pour que les parties à la négociation puissent modifier en conséquence ceux qui y seraient contraires; l'homologation par l'autorité administrative n'a pas pour objet d'approuver ou de rejeter une convention collective de travail, mais seulement de lui faire porter effet "erga omnes", c'est-à-dire de l'appliquer aux entreprises du secteur d'activité concerné non parties à la convention. Cette procédure, toujours selon le gouvernement, ne limite pas la liberté de négociation, car la référence à la productivité est suffisamment souple pour permettre de négocier librement les salaires tout en tenant compte de ce critère.
  5. 89. Le comité note que la productivité est, sans nul doute, un critère dont les parties tiennent compte en général au cours de la négociation collective, même si son application à certaines catégories de travailleurs peut poser des problèmes difficiles à surmonter, comme l'a souligné dans le présent cas l'Association des pilotes de ligne, à propos des pilotes qu'elle représente. Le comité constate que la loi no 23928 et le décret no 1334/91 empêchent d'étendre une convention collective qui ne tiendrait pas compte de l'interdiction d'indexation (comme la loi en dispose) et des limitations liées à l'accroissement de la productivité (comme le prévoit le décret). Le comité relève à cet égard que, dans le système argentin des relations professionnelles, la quasi-totalité des conventions collectives les plus importantes font l'objet d'une demande d'homologation. Il estime donc que, dans le contexte national, les limitations apportées par la loi et le décret en question ne laissent pas aux parties une liberté complète de négociation collective.
  6. 90. Le comité est conscient qu'à certaines époques, pour assainir l'économie en général et juguler l'inflation en particulier, les gouvernements peuvent adopter des mesures qui entraînent des restrictions à la détermination des échelles de salaires dans les conventions collectives. A cet égard, le comité souhaite signaler qu'il a déjà eu l'occasion de se prononcer sur des allégations similaires de subordination de la négociation collective à la politique économique du gouvernement en Argentine et, concrètement, à des critères de productivité. (Voir 279e rapport, cas nos 1560 et 1567 (Argentine), paragr. 680 à 716.) En effet, en novembre 1991, le comité, lorsqu'il a examiné ces cas, s'est penché sur un décret (no 1757/90) en vertu duquel l'autorité administrative dans le cadre du secteur public pouvait suspendre "les dispositions conventionnelles ... si elles contreviennent à la productivité et empêchent ou entravent l'administration de l'entreprise". (Voir 279e rapport, paragr. 707.)
  7. 91. Dans ces conditions, le comité réitère les conclusions qu'il a formulées à sa session de novembre 1991, où il rappelait que lui-même ainsi que la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations avaient souligné que "si, au nom d'une politique de stabilisation, un gouvernement considère que, pour des raisons impérieuses, le taux des salaires ne peut être fixé librement" (dans le présent cas, la détermination de ce taux exclut l'indexation et doit tenir compte des indices d'augmentation de la productivité) "par voie de négociation collective, une telle restriction devrait être appliquée comme une mesure d'exception, limitée à l'indispensable, ne devrait pas excéder une période raisonnable et devrait être accompagnée de garanties appropriées en vue de protéger le niveau de vie des travailleurs. Il convient d'attacher d'autant plus d'importance à ce principe que, par suite de limitations successives, on aboutit parfois à une suspension de longue durée des négociations salariales contraire à la promotion de la négociation collective volontaire". (Voir 279e rapport du comité, cas nos 1560 et 1567 (Argentine), paragr. 714, Etude d'ensemble de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations, 69e session de la Conférence internationale du Travail, 1983, paragr. 315; et 233e rapport, cas nos 1183 et 1205 (Chili), paragr. 482.)
  8. 92. Par conséquent, tenant compte des particularités du système de négociation collective en Argentine et constatant que les limitations à la négociation collective vont au-delà d'une période raisonnable, le comité exprime l'espoir que le gouvernement pourra atteindre aussitôt que possible les objectifs de son plan économique de manière à pouvoir rétablir pleinement le droit de négociation collective.
  9. 93. Quant à l'allégation de l'Association des pilotes de ligne (APLA) relative au décret no 2184/90 sur le droit de grève, le comité l'examinera dans le cadre du cas no 1653, pour lequel il a reçu des allégations détaillées sur la question. En ce qui concerne le défaut allégué de protection des travailleurs de l'entreprise Aerolíneas Argentinas SA en matière de licenciement collectif, le comité observe que les allégations de l'APLA concernent des violations d'autres droits de la législation du travail que les droits syndicaux.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 94. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à adopter la recommandation suivante:
    • Tenant compte des particularités du système de négociation collective en Argentine et constatant que les limitations à la négociation collective en vertu de la loi no 23928 et du décret no 1334/91 vont au-delà d'une période raisonnable, le comité exprime l'espoir que le gouvernement pourra atteindre aussitôt que possible les objectifs de son plan économique, de manière à pouvoir rétablir pleinement le droit de négociation collective.
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