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- 95. Dans leur communication conjointe datée du 16 juin 1992, le Syndicat des officiers et ingénieurs mécaniciens de la marine marchande (SOEMM), le Syndicat du personnel de la marine marchande portugaise (SMMP) et la Fédération des syndicats maritimes (FSM) ont présenté une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement du Portugal. Le gouvernement a envoyé ses observations sur ce cas dans une communication du 28 septembre 1992.
- 96. Le Portugal a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes
- 97. Dans leur communication conjointe du 16 juin 1992, le Syndicat des officiers et ingénieurs mécaniciens de la marine marchande (SOEMM), le Syndicat du personnel de la marine marchande portugaise (SMMP) et la Fédération des syndicats maritimes (FSM) allèguent que certaines dispositions de conventions conclues entre certains syndicats de travailleurs de la marine marchande et des entreprises d'administration d'équipages portent atteinte à la liberté syndicale de plusieurs catégories de travailleurs maritimes.
- 98. Les organisations plaignantes relatent qu'à la fin de 1991, un groupe d'autres organisations syndicales (le Syndicat des capitaines et officiers pilotes de la marine marchande (SINCOMAR), le Syndicat des officiers et des hommes d'équipage de la marine marchande et des chauffeurs à terre (SISTEMAQ), le Syndicat des ingénieurs de la marine marchande (SEMM) et le Syndicat des officiers et des hommes d'équipage des Chambres de la marine marchande (SMMCMM)) ont signé avec l'entreprise "Wallem Shipmanagement Lda", qui s'occupe de l'administration d'équipages pour le compte d'armateurs de la marine marchande, un document intitulé "Instrument de réglementation collective du travail" (IRCT) portant accord sur le mode de recrutement des équipages.
- 99. Elles indiquent qu'aux termes de l'article 1, paragraphe 2, de cet accord, l'entreprise "Wallem" s'engage à ne recruter de membres d'équipages que par l'intermédiaire des syndicats signataires de l'IRCT, lesquels s'arrogent, au paragraphe 3 de l'article 1, la qualité de "représentants uniques et exclusifs de tous les travailleurs maritimes portugais".
- 100. En même temps, continuent les organisations plaignantes, l'entreprise s'engage, aux termes de l'article 26 a) de l'IRCT, à prélever chaque mois sur le salaire de tous les membres d'équipage un pourcentage déterminé et à le reverser, au titre de cotisation syndicale, aux syndicats qui les ont agréés.
- 101. Les organisations plaignantes déclarent que l'exécution de cet accord s'est traduit par la pratique systématique d'actes manifestement discriminatoires et hautement préjudiciables à la liberté syndicale en matière d'emploi. En pratique, les syndicats signataires de l'accord, en s'appuyant sur leur droit exclusif de recruter des membres d'équipage pour les navires gérés par "Wallem", ne recommandent à cette dernière que les travailleurs qui acceptent que leur salaire fasse l'objet de retenues à leur profit. Les travailleurs qui n'acceptent pas ces déductions du fait qu'ils sont affiliés à d'autres syndicats ne sont pas recrutés par l'entreprise. Les organisations plaignantes indiquent également qu'en raison du chômage qui frappe durement plusieurs catégories de travailleurs maritimes, bon nombre d'entre eux sont contraints d'accepter les retenues, voire de changer de syndicat, car c'est le seul moyen d'obtenir un emploi. Elles sont d'avis que ces faits constituent une violation flagrante des dispositions des paragraphes 1 et 2 a) de l'article 1 de la convention no 98.
- 102. Les organisations plaignantes estiment également que ces faits constituent une violation de la Constitution de la République portugaise et d'autres textes législatifs en vertu desquels les auteurs d'infractions sont passibles de peines d'emprisonnement et d'amendes, et indiquent qu'elles ont déposé une plainte auprès du Tribunal du travail de Lisbonne et auprès de l'Inspection générale du travail, afin de faire cesser ces pratiques illégales, mais que, malgré l'évidence des faits, les autorités n'ont pas encore pris de mesures pour remédier à la situation.
- 103. Selon les organisations plaignantes, les mêmes syndicats ont conclu en mai 1992 un accord identique avec l'entreprise "Tripul - Sociedade de gestâo de navios Lda", avec laquelle ils appliquent le même système: l'entreprise n'accepte que les membres d'équipage désignés par eux, et ils ne recommandent aux fins du recrutement que des travailleurs sur le salaire desquels un pourcentage est prélevé. D'autres accords du même type seraient en cours de négociation, ce qui étendra à brève échéance, d'après les organisations plaignantes, à l'ensemble des travailleurs maritimes portugais cette pratique de discrimination et d'atteinte à la liberté syndicale en matière d'emploi.
- 104. Elles concluent que toute cette situation est due à la passivité de l'Etat portugais qui n'assure pas la bonne application de la convention no 98, et que ce manquement cause de graves préjudices qui sont difficilement réparables envers les travailleurs maritimes portugais.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement
- 105. Le gouvernement a fait parvenir, en annexe à sa communication du 28 septembre 1992, une copie du texte de l'autre accord mentionné par les organisations plaignantes, à savoir l'accord conclu en mai 1992 entre le SINCOMAR, le SISTEMAQ, le SEMM et le SMMCMM et l'entreprise "Tripul - Sociedade de gestâo de navios Lda" (ci-après l'accord TRIPUL), ainsi qu'une copie d'une lettre que la Fédération des syndicats des travailleurs maritimes (FESMAR), regroupant les syndicats susmentionnés, a adressée à l'inspection générale du travail.
- 106. Le gouvernement estime tout d'abord que l'invocation expresse, par les organisations plaignantes, des paragraphes 1 et 2 a) de l'article 1 de la convention no 98, permet de conclure que celles-ci partent du principe que la convention no 98 interdit les systèmes de sécurité syndicale ou de "closed shop". Or, continue le gouvernement, il ressort de la jurisprudence des organes de contrôle de l'OIT (Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale et le rapport VIII (2) de la 31e session de la Conférence, Commission des relations industrielles de la 32e session de la Conférence) que des clauses de sécurité syndicale ne sont pas contraires à la convention no 98. Dans ces conditions, elles ne sont pas incompatibles avec les obligations internationales du Portugal découlant de sa ratification de la convention no 98. Le gouvernement estime en outre que, s'agissant de clauses de conventions collectives librement négociées entre les parties contractantes, tout à fait en marge des services nationaux de l'administration du travail, il devrait être considéré comme étranger au contenu des conventions collectives et comme ne pouvant être tenu responsable sur le plan international.
- 107. Le gouvernement énumère ensuite les dispositions de la législation nationale applicables en la matière: i) l'article 55, 2 b), de la Constitution qui garantit aux travailleurs, sans aucune discrimination, "la liberté d'affiliation, aucun travailleur ne pouvant être contraint de verser des cotisations syndicales à un syndicat dont il n'est pas affilié"; ii) l'article 37 de la loi syndicale qui dispose qu'"est interdit et considéré comme nul et non avenu tout accord ou acte visant à subordonner l'emploi d'un travailleur à la condition qu'il s'affilie ou ne s'affilie pas à un syndicat ou cesse de faire partie d'un syndicat ou visant à congédier ou muter un travailleur, ou encore lui porter préjudice par tous autres moyens en raison de son affiliation syndicale ou de sa particpation à des activités syndicales"; et iii) l'article 1er, 3 de la loi no 57 de 1977 qui dispose "qu'aucun travailleur ne peut être contraint de verser des cotisations à un syndicat dont il n'est pas membre". Il conclut qu'il semblerait que les clauses visées par les organisations plaignantes soient contraires à la législation nationale, mais non incompatibles avec les obligations internationales du Portugal en vertu de la convention no 98, raison pour laquelle l'Inspection du travail a agi et le Tribunal du travail de Lisbonne a déclaré la plainte présentée par les organisations plaignantes recevable.
- 108. En ce qui concerne les dispositions (art. 26 a)) de l'accord conclu entre le SINCOMAR, le SISTEMAQ, le SEMM et le SMMCMM, d'une part, et l'entreprise "Wallem Shipmanagement Lda", d'autre part (ci-après accord WALLEM), et les dispositions (art. 28) de l'accord TRIPUL, qui portent sur la perception des cotisations syndicales, le gouvernement reproduit l'interprétation de ces dispositions données par la FESMAR comme elle ressort d'une lettre que celle-ci a adressée à l'inspection du travail. La FESMAR est d'avis que les dispositions en question n'impliquent pas que les membres d'équipage, pour être engagés, doivent cesser d'appartenir aux syndicats auxquels ils auraient librement adhéré et que les cotisations évoquées dans lesdits articles n'ont pas le caractère de cotisations syndicales effectives, mais plutôt celui d'une "participation à toutes les charges et dépenses nécessaires et indispensables à la négociation et à la gestion ultérieure de ce genre de contrat".
- 109. Si l'interprétation de la FESMAR est correcte, continue le gouvernement, on doit considérer qu'elle correspond à l'interprétation donnée aux paragraphes 250 et 324 du Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale.
- 110. Le gouvernement indique également que, quoi qu'il en soit, il est choquant que les cotisations syndicales évoquées dans les articles 26 de l'accord WALLEM et 28 de l'accord TRIPUL soient du même montant pour les travailleurs affiliés aux syndicats signataires de ces accords et pour les travailleurs qui n'en sont pas membres. C'est pourquoi le gouvernement, compte tenu de la doctrine défendue au paragraphe 324 du Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, s'efforce d'obtenir des parties contractantes des deux accords qu'elles modifient de leur plein gré ces dispositions de manière à les ajuster aux principes défendus par le comité.
- 111. En ce qui concerne le droit exclusif de recrutement des travailleurs maritimes, le gouvernement indique que les articles 1, paragraphes 2, des deux accords semblent conférer aux syndicats signataires la fonction de bureau de placement de travailleurs maritimes pour les deux entreprises, en exclusivité dans le cas de l'accord WALLEM et à titre préférentiel dans le cas de l'accord TRIPUL. Il indique également que ni la législation portugaise ni les obligations contractées au niveau international ne s'opposent à ce recrutement exclusif ou préférentiel dès lors qu'il s'agit de travailleurs maritimes, ce qui ressort clairement du domaine d'action statutaire des syndicats plaignants et des syndicats signataires des deux accords.
- 112. Il déclare qu'il n'y a pas non plus d'obstacle à ce que le mécanisme de recrutement librement décidé dans les deux accords soit maintenu dans les strictes limites d'une fonction intermédiaire entre les travailleurs maritimes désireux d'être recrutés et les armateurs qui ont besoin d'eux, sans que cette fonction d'intermédiaire soit utilisée comme un moyen de discrimination syndicale.
- 113. Le gouvernement estime qu'une analyse des dispositions pertinentes des deux accords ne fait apparaître aucune intention de discrimination puisque les syndicats signataires sont tenus, aux fins des accords, d'assurer la protection de tous les travailleurs maritimes, et notamment de défendre leurs intérêts et les droit qui découlent de ces accords, sans aucune discrimination. Il est d'avis que, si tel est le comportement adopté par les parties contractantes, un tel comportement n'est pas contraire au paragraphe 2 a) de l'article 1 de la convention no 98.
- 114. En ce qui concerne l'allégation des syndicats plaignants selon laquelle, en pratique, les syndicats signataires, en s'appuyant sur lesdites dispositions des accords, obligent les travailleurs à changer de syndicat pour jouir des avantages découlant des accords, le gouvernement indique que les syndicats plaignants ont présenté une plainte au tribunal compétent, qui est toujours en instance, ainsi qu'à l'Inspection du travail qui a conclu que "la question devra être réglée par un jugement, par le biais d'une action en justice".
- 115. Le gouvernement conclut en indiquant que l'efficacité des accords en question, qui n'ont pas été déposés ni publiés et qui n'ont donc pas acquis de force réglementaire, résulte de l'acceptation par les travailleurs des conditions qui y sont établies et qu'il ne s'agit pas, par conséquent, de conditions d'emploi et de travail établies par la loi pour lesquelles le gouvernement est responsable.
- 116. En conclusion, il estime que les clauses conventionnelles dénoncées par les organisations plaignantes ne paraissent pas incompatibles avec les obligations contractées par le Portugal en ratifiant la convention no 98.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité
- 117. Le comité note que, dans le présent cas, les allégations concernent certaines dispositions de deux accords conclus entre certains syndicats de travailleurs maritimes et deux entreprises d'administration d'équipages pour le compte d'armateurs de la marine marchande relatives à la perception des cotisations syndicales et au recrutement des travailleurs maritimes.
- 118. En ce qui concerne les dispositions relatives aux cotisations syndicales, le comité note que les accords WALLEM et TRIPUL prévoient que "la compagnie s'engage à retenir chaque mois sur le salaire des membres d'équipage les cotisations syndicales et de les faire parvenir aux syndicats contractants ...".
- 119. Il note également que l'accord WALLEM dispose que l'entreprise s'engage à ne recruter de marins que par l'intermédiaire des syndicats signataires et que ceux-ci sont les représentants uniques et exclusifs de tous les travailleurs maritimes portugais aux fins des effets de l'accord; l'accord TRIPUL prévoit en son article 1 que l'entreprise s'engage à recruter de préférence par l'intermédiaire des syndicats signataires et que ceux-ci assureront la représentation de tous les marins protégés par l'accord.
- 120. Le comité note que les organisations plaignantes déclarent que les syndicats signataires de l'accord ne recommandent que les travailleurs qui acceptent que leur salaire fasse l'objet de retenues à leur profit et que les travailleurs qui n'acceptent pas ces déductions, du fait qu'ils sont affiliés à d'autres syndicats, ne sont pas recrutés par ces entreprises. Elles déclarent également que bon nombre de travailleurs maritimes sont contraints d'accepter les retenues, voire de changer de syndicat, car c'est le seul moyen d'obtenir un emploi. Elles sont d'avis que ces faits constituent une violation flagrante des dispositions des paragraphes 1 et 2 a) de l'article 1 de la convention no 98.
- 121. Le comité observe que, dans une lettre adressée à l'Inspection du travail, la Fédération des syndicats de travailleurs maritimes (FESMAR), fédération à laquelle sont affiliés les syndicats signataires des deux accords, déclare que les dispositions en question n'impliquent pas que les membres d'équipage, pour être engagés, doivent cesser d'appartenir aux syndicats auxquels ils auraient librement adhéré et que les cotisations n'ont pas le caractère de cotisations syndicales effectives, mais plutôt celui d'une "participation à toutes les charges et dépenses nécessaires et indispensables à la négociation et à la gestion ultérieure de ce genre de contrat".
- 122. Il observe également que le gouvernement indique que, bien qu'il semblerait que lesdits articles des deux accords ne soient pas conformes aux dispositions de la législation nationale, ils ne sont pas pour autant contraires aux principes du Comité de la liberté syndicale selon lesquels la convention no 98 n'autorise ou n'interdit pas les clauses de sécurité syndicale.
- 123. Le comité note également que les organisations plaignantes ont déposé une plainte au Tribunal du travail - affaire toujours en instance -, ainsi qu'à l'Inspection du travail qui a conclu que "la question devra être réglée par un jugement, par le biais d'une action en justice".
- 124. Le comité rappelle que, dans les cas impliquant des questions relatives aux clauses de sécurité syndicale - y compris celles prévoyant le recrutement de travailleurs par l'intermédiaire d'organisations syndicales signataires d'un accord collectif et celles instituant des contributions par des travailleurs non affiliés à ces syndicats -, il s'est inspiré des débats qui ont eu lieu au sein de la Conférence internationale du Travail lors de l'adoption de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.
- 125. A cette occasion, la Commission des relations professionnelles de la Conférence, tenant compte du débat qui avait eu lieu en son sein sur la question des clauses de sécurité syndicale, s'est généralement mise d'accord pour exprimer dans son rapport l'opinion que la convention ne devrait en aucune façon être interprétée comme autorisant ou interdisant les clauses de sécurité syndicale et que de telles questions relèvent de la réglementation et de la pratique nationales. (Voir 281e rapport du comité, cas no 1579 (Pérou), paragr. 64, où sont cités les comptes rendus des sessions de la Conférence internationale du Travail (CIT), 32e session, 1949, p. 464; 284e rapport, cas no 1611 (Venezuela), paragr. 337-340.)
- 126. Tenant compte de cette déclaration, le comité considère que les problèmes liés aux clauses de sécurité syndicale doivent être résolus sur le plan national, conformément à la pratique et au système de relations professionnelles de chacun des pays. En d'autres termes, tant les situations où les clauses de sécurité syndicale sont autorisées que celles où elles sont interdites peuvent être considérées comme conformes aux principes et normes de l'OIT en matière de liberté syndicale.
Recommandation du comité
Recommandation du comité
- 127. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver la recommandation suivante:
- Se fondant sur les débats ayant eu lieu au sein de la Conférence internationale du Travail en 1949 lors de l'adoption de la convention no 98, le comité considère que tant les situations où les clauses de sécurité syndicale sont autorisées que celles où elles sont interdites peuvent être considérées comme conformes aux principes et normes en matière de liberté syndicale.