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Report in which the committee requests to be kept informed of development - Report No 300, November 1995

Case No 1682 (Haiti) - Complaint date: 10-NOV-92 - Closed

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Allégations: mort violente, arrestations, licenciements de syndicalistes, violation de la liberté d'opinion, de réunion et de manifestation

  • Allégations: mort violente, arrestations, licenciements de syndicalistes, violation de la liberté d'opinion, de réunion et de manifestation
    1. 156 La Confédération internationale des syndicats libres (CISL), la Confédération mondiale du travail (CMT) et l'Organisation générale indépendante des travailleurs et des travailleuses d'Haïti (OGITH) avaient présenté des plaintes en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement d'Haïti en date des 10 novembre 1992, 24 mars et 29 avril 1993, respectivement. La Centrale latino-américaine des travailleurs (CLAT) avait appuyé la plainte de la CMT dans une lettre du 25 mars 1993. Par des communications des 29 avril 1993, 25 mai et 10 août 1994, la CISL, l'OGITH et la CLAT avaient présenté de nouvelles allégations.
    2. 157 Le comité s'était trouvé devant une difficulté particulière de procédure dans ces cas, puisque les allégations portées contre les autorités militaires qui exerçaient un pouvoir de fait en Haïti n'avaient pu être transmises qu'au gouvernement d'Haïti reconnu par la communauté internationale, bien que ce gouvernement ne puisse être tenu pour responsable des agissements ayant fait l'objet de ces plaintes.
    3. 158 Après que le gouvernement actuel eut réintégré le territoire national, le comité lui avait demandé de fournir ses observations et informations sur l'évolution de la situation quant aux faits allégués dans les plaintes. (Voir 295e rapport du Comité de la liberté syndicale (paragr. 9) de novembre 1994.)
    4. 159 Depuis lors, le gouvernement n'a pas envoyé de réponse sur le fond des affaires en cause, et le comité, comme il l'a indiqué dans son 299e rapport (paragr. 8 de juin 1995), a lancé un appel pressant au gouvernement pour attirer son attention sur le fait que, conformément à la règle de procédure (voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 62), il pourrait présenter un rapport sur ces affaires même si les informations et observations du gouvernement n'étaient pas reçues à temps. En conséquence, le comité souhaite examiner ces cas à la présente session afin d'établir quels sont les principes de la liberté syndicale mis en cause dans ces affaires.
    5. 160 Haïti a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 161. Dans le cas no 1682, la plainte initiale de la CISL datée du 10 novembre 1992 avait trait aux violations des droits de l'homme et des droits syndicaux qui avaient résulté du coup d'Etat militaire de septembre 1991 par lequel le gouvernement haïtien démocratiquement élu avait été renversé. Selon la CISL, des centaines de personnes, dont plusieurs syndicalistes, avaient été assassinées ou avaient disparu après le coup d'Etat. De nombreux autres dirigeants ou militants syndicaux avaient sauvé leur vie en fuyant le pays ou en passant dans la clandestinité. Les bureaux syndicaux avaient été pillés et fermés. Les quelques rares bureaux syndicaux toujours ouverts le devaient au fait qu'ils étaient restés très discrets. Toutefois, l'activité syndicale normale était exclue, et il avait été nécessaire pour des raisons personnelles de rappeler le représentant de la CISL en Haïti.
  2. 162. La liste des cas spécifiques fournie par la CISL n'était en aucun cas exhaustive étant donné que l'obtention d'informations et de témoignages en Haïti était extrêmement difficile puisqu'elle risquait de mettre en péril la sécurité des personnes concernées. Ces exemples démontraient néanmoins la répression brutale et impitoyable exercée par le gouvernement illégitime et les autorités militaires en place en Haïti à l'encontre du mouvement syndical démocratique:
    • - Le 20 octobre 1991, Joseph Manucy Pierre, secrétaire responsable de l'information de la Centrale autonome des travailleurs haïtiens (CATH), avait été arrêté dans les locaux de la centrale par des officiers militaires. Suite à une réaction internationale rapide, les militaires l'avaient libéré et avaient retiré les charges qui pesaient contre lui. Afin de protéger sa vie, M. Manucy était passé dans la clandestinité.
    • - L'Organisation générale indépendante des travailleurs et des travailleuses d'Haïti (OGITH) avait fermé ses locaux le 30 septembre 1991 et les avait seulement rouverts de manière restreinte. Suite à une interview accordée par M. Schiller Marcelin, secrétaire général de l'OGITH, à une radio américaine en novembre 1991, des officiers militaires avaient averti les dirigeants de l'OGITH que les propos de M. Marcelin étaient "stupides et dangereux". M. Marcelin avait décidé de rester aux Etats-Unis. M. André François, trésorier de l'OGITH, s'était également réfugié aux Etats-Unis après avoir été menacé par les militaires.
    • - Des enseignants affiliés à la Confédération nationale des enseignants d'Haïti (CNEH) avaient été harcelés et intimidés par des militaires. Un grand nombre d'entre eux avaient été mutés dans d'autres écoles, et les maisons de certains autres enseignants avaient été mises à feu. Les dirigeants de la CNEH étaient passés dans la clandestinité et le siège de la confédération avait été fermé.
    • - Le 5 novembre 1991, des soldats avaient essayé d'enlever Daniel Lubin, un des dirigeants de la CNEH, qui se trouvait à l'extérieur du siège. Il avait pu s'enfuir.
    • - Le 2 janvier 1992, Jean-Claude Museau, membre de la CNEH et enseignant à Les Cayes, avait été enlevé par des officiers militaires lorsque ceux-ci avaient découvert qu'il possédait de la littérature en faveur du Président Aristide. Les militaires l'avaient torturé en l'obligeant à avaler les documents en question. M. Museau était mort le 6 janvier 1992, suite à ces tortures.
    • - Le 20 mars 1992, Parnel Boyer, membre de la CNEH, s'était sauvé de justesse de sa maison mise à feu. Des témoins avaient déclaré que les militaires étaient responsables de l'incendie.
    • - Le 13 mars, une manifestation organisée par la FENEH (fédération des étudiants) à l'Ecole normale supérieure (Université d'Etat) avait été violemment dispersée par les forces armées. MM. Bernard Canatus et Edrice St. Amand, enseignants qui soutenaient l'action de la FENEH, avaient été blessés.
    • - Le 20 mai, un certain nombre d'étudiants, membres de la FENEH, s'étaient rassemblés à la Faculté des sciences humaines (un département de l'Université d'Etat) pour exprimer leurs griefs. Plusieurs escadrons militaires avaient fait irruption sur le terrain de l'université, avaient tiré des coups de feu et avaient fait des victimes graves parmi les manifestants. De nombreux étudiants avaient été arrêtés. Lors de l'incident, des soldats étaient partis à la recherche de M. Camille Chalmers dans les immeubles de l'université. M. Chalmers était un conseiller connu du Syndicat des travailleurs de l'électricité et était accusé d'être l'instigateur du rassemblement des étudiants. Il avait été violemment battu en présence de témoins et arrêté par la suite. Après avoir été interrogé pendant trois heures, il avait été libéré. Il souffrait de blessures à la tête.
    • - Le 25 mai, Patrick Morisseau, enseignant et syndicaliste, avait été arrêté par la police à Port-au-Prince. La nuit même, sa mère, Mme Claire Eduard, avait été assassinée. Sa soeur Suzette, ainsi que la secrétaire de l'OGITH-Femmes, Marie Carline Philisias, avaient été menacées et harcelées.
    • - Lors d'une émission dans la nuit du 27 mai, la radio gouvernementale avait divulgué les noms de cinq enseignants. Les fonctionnaires gouvernementaux travaillant pour la radio en question avaient accusé ces personnes d'être les principaux instigateurs des manifestations organisées par des étudiants dans l'école publique et de soutenir l'opposition politique. Ces accusations avaient constitué pour les personnes concernées, actuellement passées dans la clandestinité, une menace sérieuse et délibérée. Suite à cette menace, Jean Raynold Pierre, Robert Beausil, Wilfrid Menthor, Daniel Fignole, Saint Amour Firmin et Mme Henri craignaient pour leur vie.
    • - Dans un mémorandum publié en juillet 1992 dans le journal "Le Matin", la Confédération nationale des enseignants d'Haïti (CNEH) avait condamné les actes de violences commis dans les universités, et en particulier les incidents sanglants qui avaient eu lieu à la Faculté de médecine, au cours desquels des étudiants avaient été pris en otage et un certain nombre d'entre eux battus. M. Blaise, un jeune membre du conseil exécutif de la Fédération nationale des étudiants (FENEH), avait été gravement blessé. D'après la CNEH, la répression n'avait jamais été aussi grave.
    • - Le gouvernement militaire avait mis sur pied un nouveau "syndicat" de travailleurs sous le nom d'ASTRE à Teleco, la compagnie de téléphone, pour remplacer le syndicat légitime existant. Des dirigeants et syndicalistes du syndicat démocratique SOETEL avaient été licenciés.
    • - Le gouvernement militaire avait également remplacé de force les dirigeants du Syndicat des journalistes, l'AJH. Le syndicat avait été mis à pied par des actes de harcèlement et d'intimidation à l'encontre de ses dirigeants, et les nouveaux dirigeants promilitaires avaient condamné les dirigeants légitimes dans des discours prononcés à la radio.
    • - Le Syndicat des travailleurs de l'électricité (FESTREDH) avait été particulièrement visé par les militaires. Ses membres avaient été harcelés, menacés et licenciés. Un des membres avait été assassiné. Jean Delince Josma, membre du FESTREDH, avait été assassiné par des militaires au mois d'octobre. Peu après le coup d'Etat survenu au mois de septembre, des militaires avaient pénétré dans les immeubles de la Société nationale d'électricité en menaçant et harcelant les membres du FESTREDH. Le directeur de la société, qui venait d'être nommé, avait refusé de donner suite aux ordres des militaires de licencier les dirigeants syndicaux et avait été licencié lui-même. Par la suite, 23 membres du FESTREDH avaient été licenciés à la mi-décembre 1991. Le 14 décembre 1991, deux dirigeants du FESTREDH, Abel Pointdujour et Evans Saintune, avaient été arrêtés lorsqu'ils tentaient de négocier une indemnité pour les travailleurs de la société qui avaient été licenciés après le coup d'Etat. Ils n'avaient été libérés que trois jours plus tard, après avoir été interrogés sur leurs prétendues relations politiques et avoir été avisés qu'ils feraient mieux, dans l'intérêt de leur sécurité, de quitter le pays. Pendant ces trois jours, leurs maisons avaient également été fouillées. Deux mois plus tard, ils avaient pu se réfugier au Canada où ils avaient demandé l'asile politique. Le secrétaire général était passé dans la clandestinité après avoir découvert que son nom figurait dans une liste de dirigeants syndicaux et de dirigeants des organisations de base recherchés par les militaires. Une jeep appartenant au syndicat et utilisée par les dirigeants syndicaux pour rester en contact avec leurs membres de la campagne avait été détruite par les militaires.
    • - En janvier, deux autres dirigeants du FESTREDH avaient été arrêtés et harcelés par les militaires. Delamain Ambroise et Raynald Garnier avaient été enlevés par des policiers non identifiés et battus lors de leur détention. Ils avaient été libérés par la suite et licenciés. Le 1er avril 1992, plusieurs membres du bureau exécutif et deux représentants syndicaux, Patrice Cantave et Jonas Desinor, avaient été sévèrement battus par des militaires. Depuis le mois de septembre, tous les membres du bureau exécutif du FESTREDH avaient été licenciés en raison de leurs activités syndicales.
    • - Des syndicats d'agriculteurs avaient également fait l'objet d'intimidation et de harcèlement de la part des militaires. Le 5 mai 1992, Jacques Joseph, président du CLAM, syndicat d'agriculteurs affilié à l'OGITH, et sa femme avaient été arrêtés et gravement battus. Ils avaient été accusés de mener une manifestation pour le retour du Président Aristide. Ils avaient été libérés par la suite.
    • - Au début du mois de mai, Daniel Pierre, président de l'UDTL, syndicat d'agriculteurs de Boukan Michel et affilié à l'OGITH, avait été détenu par le chef de section, Yvon Verdieu. M. Pierre avait été menacé et il lui avait été interdit de tenir, jusqu'à nouvel ordre, des réunions syndicales en l'absence du chef de section.
    • - Le 5 mai, Thermilien Pierre, membre d'une organisation de travailleurs agricoles affilée à l'OGITH, avait été arrêté et battu pour avoir crié: "Oui à l'embargo!"
    • - L'Association des travailleurs agricoles d'Artibonite, affiliée à la Fédération des travailleurs haïtiens (FTH), avait été avertie qu'elle n'était plus autorisée, jusqu'à nouvel ordre de la police, à tenir des réunions syndicales. Craignant pour leur sécurité, les dirigeants syndicaux ne s'étaient plus réunis.
    • - Le harcèlement des syndicats s'était répandu dans un certain nombre d'entreprises du secteur privé qui se trouvaient sous la protection de l'armée. Les 11 et 12 mai, 15 dirigeants syndicaux avaient été licenciés par "Home of Champions", une entreprise américaine, fabricante de ballons de base-ball, située à Cité Soleil. Un mois plus tôt, quatre autres dirigeants syndicaux avaient également été licenciés par l'entreprise. Lorsque le directeur de l'entreprise avait appelé les dirigeants dans son bureau pour leur communiquer leur licenciement, il leur avait déclaré que "ce n'était pas un moment opportun pour les syndicats".
    • - Des dirigeants syndicaux employés par trois autres entreprises américaines avaient également été licenciés. Eux aussi faisaient état de déclarations antisyndicales de la part de la direction. Neuf syndicalistes avaient été licenciés par l'entreprise "Michico", fabricante de produits de textile, et huit par "Chancerelles Manufacturing", fabricante de lingerie féminine.
    • - La direction de l'entreprise américaine "Automatic Accusonic" avait suivi une approche différente mais aussi efficace pour détruire le syndicat de l'entreprise. L'usine avait été temporairement fermée et, lors de sa réouverture, elle avait été déclarée "libre de syndicat". Aucun des dirigeants syndicaux et syndicalistes n'avait été réembauché. Lorsqu'il avait tenté de demander à être réintégré, le président du syndicat avait été sévèrement battu et son bras avait été cassé.
  3. 163. Par la suite, la CISL avait fait parvenir des compléments d'information sur ce cas, obtenus au cours d'une mission en Haïti du 26 au 29 janvier 1993, d'où il ressortait que les syndicalistes Cajuste Lexinste, secrétaire général de la Confédération générale des travailleurs, Phabonord Saint Vil, secrétaire de l'organisation, et Sauveur Orélus, secrétaire général de la CGT à Gros Morne, avaient été arrêtés le 23 avril 1993 et transférés au service antigang principal où ils avaient été torturés alors qu'ils voulaient faire diffuser un communiqué de presse pour protester contre l'arrestation de plusieurs membres de la CGT à Gros Morne.
  4. 164. Par ailleurs, toujours d'après la CISL, le 15 février 1993, plus de 21 travailleurs de la Centrale métropolitaine d'eau potable (CAMEP) avaient été licenciés alors qu'ils suivaient des cours de formation syndicale organisés par le Syndicat des ouvriers, employés et travailleurs temporaires de la Centrale métropolitaine d'eau potable (SOETRATEC); or, le 15 novembre 1991, les membres du bureau exécutif de ce même syndicat avaient déjà été licenciés. Enfin, le 17 mars 1993, Joseph Michelet, membre du syndicat des travailleurs de Larco Frères SA, affilié à l'OGITH, avait été interpellé et soumis à un interrogatoire intensif sur la crise haïtienne puis relâché.
  5. 165. La plainte de la CMT dans le cas no 1711, datée du 24 mars 1993, portait, elle, sur le fait que la Confédération des travailleurs haïtiens (CTH), organisation qui lui est affiliée, était l'objet depuis de longs mois de tracasseries de toutes sortes. Ses organisations professionnelles, et particulièrement la Fédération nationale des travailleurs agricoles et des paysans haïtiens (FENATAPA), la Fédération des travailleurs artisans et professionnels, la Fédération nationale des travailleurs de l'industrie et de la sous-traitance (FENATIS), l'Association des travailleurs de la presse (ATPGA), subissaient régulièrement des entraves dans l'exercice de leurs activités syndicales. Plusieurs de leurs membres avaient été arrêtés, torturés ou avaient disparu. Il s'agissait notamment des cas suivants:
    • - Le 23 octobre 1992, Pierre André Mertyl avait été torturé. La plainte adressée par les avocats de la CTH (Confédération des travailleurs haïtiens) était toujours sans réponse.
    • - Le 20 décembre 1992, Webert Mars, travailleur de la porcherie de la FENETAPA à Jérémie, avait été torturé sans aucun motif par Joseph Jean-François, caporal des forces armées, et par Kesnel Guerrier.
    • - Le 6 janvier 1993, Baselet Derival, membre de la Fédération des travailleurs artisans et professionnels, avait été arrêté, emprisonné et torturé. Il avait été incarcéré à la caserne Faustin Soulouque de Petit-Goave.
    • - Pierre Trechelet, frère d'un membre du comité exécutif de la CTH, était porté disparu.
    • - Le 18 janvier 1993, Raynold Belizaire, membre de la FENATIS, avait reçu deux balles alors qu'il se trouvait dans sa résidence privée.
    • - Le 22 janvier 1993, Estimable Jean-Emile, correspondant de Radio Cacique et membre du Mouvement démocratique des jeunes (affilié à l'Association des jeunes paysans de Pélagie-AJPL, qui dépend de la FENATAPA), avait été arrêté, emprisonné et torturé par M. Gélès, chef de la troisième section de Marchand Dessalines.
  6. 166. La CMT poursuivait en expliquant que la possibilité de tenir des réunions syndicales sans autorisation préalable, qui est un droit fondamental des travailleurs et de leurs organisations, était à l'époque bafouée en Haïti. En effet, en date du 24 janvier 1993, le chef de la cinquième section communale de St. Marc (Tibordet - région d'Artibonite) avait interdit une réunion de la FENATAPA devant être présidée par Arsène Lebrun, son secrétaire général. L'autorisation demandée avait été rejetée par les autorités.
  7. 167. Par ailleurs, toujours selon la CMT, la liberté d'opinion, le droit à l'information et à la formation, qui sont des droits reconnus comme faisant partie du libre exercice des droits syndicaux, étaient également violés en Haïti. En effet, en date du 26 janvier 1993, Jean Elder Almeus, membre de l'ATPGA (Association des travailleurs de la presse de la Grand'Anse), avait été arrêté durant sa participation à l'émission "Vérité sur tambour" diffusée sur Radio Vision.
  8. 168. Enfin, le 3 décembre 1992, lors de l'arrestation de trois personnes membres actifs de la Fédération nationale des travailleurs agricoles et des paysans haïtiens "FENATAPA" (relâchés depuis), du matériel audiovisuel - appareils, documents, etc. -, outils de formation auprès de la population rurale, avait été saisi par le sous-lieutenant Jean-Baptiste Ravix.
  9. 169. Quant à la plainte de la commission de l'Organisation générale indépendante des travailleurs et des travailleuses d'Haïti (OGITH) transmise dans des communications datées des 29 avril 1993 et 25 mai 1994 (cas no 1716), elle confirmait le licenciement illégal de 21 travailleurs nommément désignés de la Centrale métropolitaine d'eau potable (CAMEP) le 15 février 1993 par le directeur de l'entreprise pour avoir été des sympathisants du SOETRATEC au prétexte de manque d'argent. Cette organisation syndicale nationale réitérait également les indications selon lesquelles ce licenciement faisait suite au licenciement de 22 membres nommément désignés du SOETRATEC, y compris les membres du comité directeur de ce syndicat, licenciement qui était intervenu le 13 novembre 1991 déjà au prétexte que la Centrale métropolitaine d'eau potable CAMEP n'avait plus d'argent pour les payer. Or, expliquait l'organisation syndicale plaignante, auparavant sous le Président Aristide, le SOETRATEC tenait des réunions syndicales régulières pour traiter des problèmes ouvriers et des affaires du syndicat, et les membres de ce syndicat avaient suivi des cours de formation syndicale. L'organisation plaignante précisait que, le 31 mars 1993, le SOETRATEC avait adressé une lettre au directeur du travail du ministère des Affaires sociales, mais qu'aucune suite n'y avait été donnée.
  10. 170. La CLAT, quant à elle, dénonçait l'attaque à la grenade dont avait été victime Serge Paul, haut dirigeant de la Confédération des travailleurs haïtiens (CTH), de Jérémie, le 29 juin 1994. Cet attentat avait provoqué la mort de ses deux enfants et les blessures graves d'un troisième. La CLAT ajoutait que ce dirigeant et six de ses collaborateurs avaient été arrêtés alors qu'ils organisaient un séminaire à Jérémie. Par ailleurs, le secrétaire général adjoint de la CTH, Louis Octave Dorvilier, avait été séquestré par quatre individus armés; les yeux bandés, il avait été enlevé par une camionnette, frappé à coups de pied, torturé, puis abandonné; le secrétaire général, Jean-Claude Lebrun, avait, lui, fait l'objet de menaces. Enfin, trois membres d'une organisation de Marceline (Cap Perin Sud), à savoir Berthin Augustin, Gabriel Louine et Romain Castra, avaient été enlevés dans une camionnette immatriculée 8513 dans la rue Pétion Ville et leur sort demeurerait inconnu.

B. Conclusions du comité

B. Conclusions du comité
  1. 171. Le comité observe que ces cas portent sur des allégations extrêmement graves de violations de la liberté syndicale imputables aux autorités militaires qui exerçaient un pouvoir de fait en Haïti. Même en l'absence de réponse sur le fond de la part du présent gouvernement démocratique qui ne peut être tenu pour responsable de ces agissements, le comité doit relever les principes de la liberté syndicale mis en cause dans ces affaires afin de permettre au gouvernement qui a retrouvé ses prérogatives et fonctions sur place en Haïti de redresser ces violations. Compte tenu de l'étendue des problèmes en cause, le comité rappelle au gouvernement que l'assistance technique du BIT est à sa disposition.
  2. 172. Le comité relève que les violations de la liberté syndicale dans les présents cas portaient sur l'absence totale de libertés publiques démocratiques, caractérisée par des mesures d'intimidation et de harcèlements antisyndicaux qui avaient conduit des syndicalistes à s'exiler, des assassinats, des arrestations, des tortures, des enlèvements, des licenciements, des mutations de syndicalistes, des incendies de leurs locaux de travail ou de leurs lieux d'habitation, des répressions brutales de manifestations ou de réunions syndicales, la création de nouveaux syndicats par les autorités militaires ainsi que des atteintes graves aux droits des syndicalistes à la liberté d'opinion, d'information et de formation.
  3. 173. Le comité rappelle qu'un mouvement syndical réellement libre et indépendant ne peut se développer que dans un climat exempt de violences, de pressions ou de menaces de toutes sortes à l'encontre des syndicalistes et dans le respect des droits fondamentaux de l'homme. (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, troisième édition, 1985, paragr. 68 et 70.) Le comité veut croire que le gouvernement pourra assurer le respect de ces principes.
  4. 174. Le comité prend note avec une profonde préoccupation des allégations selon lesquelles le syndicaliste du Syndicat des travailleurs de l'électricité (FESTREDH), Jean Delince Josma, aurait été assassiné par des militaires au mois d'octobre 1991, le syndicaliste de la Confédération nationale des enseignants d'Haïti Jean-Claude Museau aurait été enlevé par des militaires et torturé à mort le 6 janvier 1992, le syndicaliste Camille Chalmers du Syndicat des travailleurs de l'électricité aurait été battu, arrêté et interrogé pendant trois heures, les syndicalistes de ce même syndicat, Ambroise Delamain et Raynald Garnier, Patrice Cantave et Jonas Desinor auraient été enlevés par des policiers non identifiés et battus lors de leur détention, les syndicalistes du Syndicat de l'agriculture affilié à l'OGITH Jacques Joseph et sa femme, ainsi que Thermilien Pierre auraient été arrêtés et gravement battus, les syndicalistes de la Confédération générale des travailleurs Cajuste Lexinste, Phabonord Saint Vil et Sauveur Orelus auraient été arrêtés le 23 avril 1993 et torturés dans le service antigang, les syndicalistes Pierre André Mertyl de la Confédération des travailleurs haïtiens, Webert Mars, travailleur de la porcherie de la FENETAPA, Baselet Derival de la Fédération des travailleurs et artisans professionnels et Estimable Jean-Emile de l'Association des jeunes paysans auraient été arrêtés et torturés, respectivement, les 23 octobre 1992, 20 décembre 1992, 6 janvier 1993 et 22 janvier 1993. Le syndicaliste Serge Paul aurait été victime d'un attentat à la grenade le 29 juin 1994; le dirigeant syndical Louis Octave Dorvilier aurait été séquestré et torturé, puis abandonné; et les militants syndicaux Berthin Augustin, Gabriel Louine et Romain Castra auraient été enlevés, leur sort restant encore inconnu.
  5. 175. Le comité a indiqué à maintes reprises que les cas d'assassinat et autres actes de violence impliquant des syndicalistes sont suffisamment graves pour appeler de la part des autorités des mesures sévères destinées à rétablir une situation normale, et que les allégations relatives aux mauvais traitements subis par les syndicalistes au cours de leur détention devraient faire l'objet d'enquêtes judiciaires indépendantes pour éclaircir pleinement les faits, déterminer les responsabilités, sanctionner les coupables et prévenir la répétition de telles actions. En effet, des instructions devraient être données pour qu'aucun détenu ne fasse l'objet de mauvais traitement et que des sanctions efficaces soient infligées dans les cas où des mauvais traitements ont été démontrés. (Voir Recueil, op. cit., paragr. 80 et 84.) Le comité exprime donc le ferme espoir que le gouvernement pourra prendre des mesures pour sanctionner efficacement les auteurs de ces assassinats et de ces mauvais traitements, et le prie de le tenir informé de l'issue des enquêtes et des mesures prises à cet égard.
  6. 176. Pour ce qui est du climat d'intimidation qui a conduit un nombre important de militants et de dirigeants syndicaux à s'exiler, le comité rappelle que l'exil forcé de syndicalistes constitue une violation grave de la liberté syndicale. Il demande instamment au gouvernement de permettre aux syndicalistes qui s'étaient exilés de rentrer dans le pays et de reprendre leurs activités syndicales en pleine liberté.
  7. 177. S'agissant de la création par les autorités militaires d'organisations pour remplacer les syndicats légitimes existants, le comité réprouve de tels agissements qui portent gravement atteinte au droit des travailleurs de créer des organisations de leur choix et de s'y affilier, et il rappelle que les autorités publiques doivent s'abstenir de toute intervention de nature à limiter les droits consentis par la convention no 87 ratifiée par Haïti ou à en entraver l'exercice légal.
  8. 178. Le comité rappelle également que le droit d'organiser des réunions syndicales et de suivre des cours de formation syndicale sont des éléments essentiels du droit syndical.
  9. 179. Enfin, le comité relève le nombre important de licenciements pour activités syndicales qui ont été opérés dans plusieurs entreprises: la Centrale métropolitaine d'eau potable (CAMEP) parce que ces travailleurs étaient affiliés ou sympathisants du Syndicat des ouvriers, des employés et des travailleurs temporaires de la Centrale métropolitaine d'eau potable (SOETRATEC). Ces licenciements ont été prononcés parce que les intéressés avaient exercé des activités syndicales légitimes ou suivi des cours de formation syndicale, ou pour avoir été membres du comité exécutif du syndicat, la Société nationale d'électricité, la Compagnie de téléphone Teleco, l'entreprise "Home of champions", l'entreprise Michico, l'entreprise "Chamarelles Manufacturing". A cet égard, le comité doit insister sur la nécessité de garantir le respect du principe selon lequel les travailleurs doivent bénéficier d'une protection adéquate contre tous actes de discrimination pouvant porter atteinte à la liberté syndicale. Le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour permettre aux travailleurs qui ont été licenciés en raison de leurs activités syndicales légitimes d'obtenir leur réintégration dans leurs postes de travail.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 180. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité recommande au Conseil d'administration d'approuver les recommandations suivantes:
    • a) Condamnant fermement les graves violations de la liberté syndicale imputables aux autorités militaires qui exerçaient un pouvoir de fait en Haïti, qui concernaient des assassinats, des arrestations, des tortures, des enlèvements et des licenciements de syndicalistes, ainsi que la création d'organisations par les autorités militaires, pour remplacer les syndicats légitimes existants, et des violations de la liberté de réunion, de manifestation, d'information et de formation de syndicalistes, le comité veut croire que le présent gouvernement assurera le respect des principes de la liberté syndicale qui ont été violés, et il exprime l'espoir que ce gouvernement prendra les mesures nécessaires pour remédier aux conséquences des faits sur lesquels portent les plaintes.
    • b) Le comité, étant donné l'étendue des questions en cause, rappelle au gouvernement que l'assistance technique du BIT est à sa disposition.
    • c) Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l'issue des enquêtes concernant les morts violentes, les arrestations et les tortures de syndicalistes, et en particulier des mesures prises pour infliger des sanctions efficaces au cas où ces allégations ont été démontrées.
    • d) Le comité demande également au gouvernement de le tenir informé des mesures qu'il prendra pour permettre aux travailleurs qui ont été licenciés en raison de leurs activités syndicales légitimes d'obtenir leur réintégration dans leurs postes de travail et pour garantir aux travailleurs le droit de créer des organisations de leur choix et de s'y affilier sans entraves de la part des pouvoirs publics.
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