ILO-en-strap
NORMLEX
Information System on International Labour Standards

Definitive Report - Report No 308, November 1997

Case No 1919 (Spain) - Complaint date: 31-JAN-97 - Closed

Display in: English - Spanish

273. La plainte dans le présent cas figure dans une communication datée du 31 janvier 1997 de la Fédération des services publics de l'Union générale des travailleurs (FSP-UGT), de la Fédération nationale des travailleurs de l'enseignement (FET-UGT) et des Fédérations de la fonction publique de la Confédération syndicale des commissions ouvrières (CC.OO.).

  1. 273. La plainte dans le présent cas figure dans une communication datée du 31 janvier 1997 de la Fédération des services publics de l'Union générale des travailleurs (FSP-UGT), de la Fédération nationale des travailleurs de l'enseignement (FET-UGT) et des Fédérations de la fonction publique de la Confédération syndicale des commissions ouvrières (CC.OO.).
  2. 274. Le gouvernement a répondu par une communication du 5 juin 1997.
  3. 275. L'Espagne a ratifié la convention no 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention no 98 sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, la convention no 151 sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, et la convention no 154 sur la négociation collective, 1981.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 276. Dans leur communication du 31 janvier 1997, la Fédération des services publics de l'Union générale des travailleurs (FSP-UGT), la Fédération nationale des travailleurs de l'enseignement (FET-UGT) et les Fédérations de la fonction publique de la Confédération syndicale des commissions ouvrières (CC.OO.) allèguent que le gouvernement a pris unilatéralement la décision de ne pas augmenter les salaires des agents de l'Etat pour l'exercice 1997, et de les maintenir à leur niveau de 1996. Ces décisions ont été communiquées de manière précise le 19 septembre 1996 à la table de négociations, et elles ont été incorporées dans les mêmes termes et d'une manière définitive au projet de budget pour 1997. Cette décision autoritaire et sans appel suppose l'annulation de fait du droit de négociation collective reconnu par le système espagnol et par les normes de l'OIT, et celle d'un accord antérieur, de caractère pluriannuel, signé le 15 septembre 1994 entre le gouvernement précédent et tous les syndicats d'agents publics représentés à la table de négociations. Cet accord prévoyait une augmentation des salaires des fonctionnaires en 1997, en fonction de l'évolution de certaines données économiques, dont la portée doit être limitée par la négociation collective. Le gouvernement ne nie pas la validité de cet accord, mais - avec un mépris notoire à son encontre - il a déjà inscrit dans le projet de loi budgétaire une croissance nulle du salaire des agents publics et une disposition d'inapplicabilité de tout autre accord contraire à cette mesure.
  2. 277. Cette décision unilatérale est à la fois illégale et injuste car elle constitue une discrimination dont sont victimes les agents publics par rapport aux autres travailleurs, et elle suppose une augmentation déraisonnable des sacrifices qu'assumait déjà le groupe concerné en matière de salaires et qui lui a valu un sérieux déclin de niveau de vie au cours des dernières années.
  3. 278. Selon les plaignants, le gouvernement justifie sa décision en invoquant un plan d'austérité qui serait indispensable dans le cadre de la convergence communautaire des économies de l'Union européenne vers la monnaie unique. Cependant, il ne s'agit là que d'un prétexte puisque cet accord pluriannuel, qui n'est donc plus respecté désormais, prévoyait déjà une modération sensible en matière de salaires, compte tenu de la circonstance conjoncturelle: selon l'accord, en effet, "les salaires sont liés à l'évolution des principales données économiques, et à la concrétisation des objectifs énoncés dans le programme de convergence et inscrits dans le budget général de l'Etat. Cela permet d'instaurer une stabilité aux termes de laquelle les salaires sont fonction des capacités réelles de l'économie, tandis que l'amélioration de la situation du secteur public, l'obtention de meilleurs résultats dans les divers programmes et l'accroissement général de la productivité doivent à leur tour entraîner de nouvelles mesures incitatives et des augmentations de salaires."
  4. 279. Les plaignants expliquent qu'au terme d'un processus de négociation entre l'administration de l'Etat espagnol et les organisations syndicales les plus représentatives du secteur public, qui s'était déroulé en 1994 conformément aux procédures établies par la loi sur la négociation et la participation à la détermination des conditions de travail du personnel des services des administrations publiques, no 7/1990 du 19 juillet, un accord avait été conclu entre l'administration et les syndicats pour la période de 1995-1997, qui portait sur les conditions de travail dans la fonction publique; il avait été signé le 15 septembre 1994. Ses objectifs, partagés alors par tous les groupes parlementaires du Congrès, comportaient notamment la modernisation de la profession et son adaptation au nouveau cadre juridique de l'Etat des régions autonomes, la planification d'un cadre d'évolution des salaires pour la période 1995-1997 équilibré et adapté à la situation économique dans son ensemble et, enfin, le rattachement de toutes ces initiatives au programme de convergence de l'Union européenne.
  5. 280. L'Accord entre l'administration et les syndicats pour la période 1995-1997 était le résultat de contre-prestations des deux parties (administration et syndicats); il devait être perçu comme un contrat bilatéral, aux termes duquel des concessions mutuelles étaient faites et le développement de nouveaux thèmes était programmé - sur le principe de la bonne foi - pour toute sa durée, précisée dans le paragraphe 4 de son titre I (chapitre I): "Le présent accord entrera en vigueur le jour suivant sa publication et le restera au cours des années 1995, 1996 et 1997."
  6. 281. Parmi les thèmes allant dans ce sens, les plaignants citent l'augmentation des salaires pour l'année 1997, évoquée dans le titre II (chapitre VI), dont le paragraphe 2 prévoit expressément que les augmentations de salaires doivent faire l'objet d'une négociation entre l'administration et les syndicats: "Augmentation des salaires pour 1996 et 1997. 1) En 1996 et 1997, le salaire des agents publics augmentera en fonction des prévisions budgétaires relatives à la croissance de l'indice des prix à la consommation au cours de ces exercices. Il sera, en outre, tenu compte du degré de réalisation des prévisions et des engagements sur lesquels était fondée l'augmentation des salaires de l'exercice antérieur, des prévisions relatives à la croissance économique, et de la capacité de financement du budget général de l'Etat, déterminée en fonction des prévisions relatives au déficit budgétaire de l'ensemble des administrations publiques, des estimations relatives à l'augmentation de la productivité de l'emploi public découlant de l'application des mesures ou programmes spécifiques, et de l'évolution des salaires et de l'emploi dans l'ensemble du pays. 2) L'application des augmentations de salaires fera l'objet d'une négociation entre l'administration et les syndicats. 3) Pour chaque exercice, on prévoira la constitution d'un fonds conçu pour maintenir le pouvoir d'achat en fonction des caractéristiques prévues au chapitre III de l'accord, et compte tenu des conditions de l'évolution du produit intérieur brut et du déficit budgétaire au cours de chaque exercice."
  7. 282. Cet accord revêt une importance capitale. Non seulement il a été appliqué jusqu'à ce jour dans le champ prévu à cet effet sur les plans géographique et personnel, mais encore, par le truchement des mécanismes de l'adhésion et de l'extension, il a été appliqué à de nombreux groupes et structures d'agents publics, dont la majorité des institutions de l'administration locale, provinciale et de la santé. C'est pourquoi sa non-exécution ne manquera pas d'exercer des effets dommageables de caractère général sur l'ensemble du secteur public et d'instaurer un climat, également généralisé, de méfiance et de frustration en ce qui concerne les mécanismes de négociation collective et de solution pacifique des conflits du travail.
  8. 283. La légitimité et la validité de l'accord conclu entre l'administration et les syndicats pour la période de 1995 à 1997 ne font aucun doute, non plus d'ailleurs que le fait qu'il contraint l'administration à négocier avec les syndicats l'augmentation des salaires pour 1997. Par conséquent, le gouvernement ne l'a pas respecté, puisqu'il a failli à son engagement de négocier et qu'il a déterminé unilatéralement une croissance zéro pour les salaires des agents publics.
  9. 284. Dans le chapitre VI reproduit ci-après l'obligation relative à l'augmentation des salaires pour 1997 n'est pas quantifiée. Cependant, l'administration était convenue avec les syndicats de mener des négociations dans le cadre desquelles il était prévu: d'accroître, dans une certaine mesure, les salaires des agents publics pour 1997 en fonction de l'indice des prix à la consommation (alinéa 1, paragraphe 1); de lier cette augmentation à l'évolution de certaines données économiques (alinéa 1, paragraphe 1); et de concrétiser l'augmentation des salaires applicable par le truchement de la négociation collective (alinéa 2). Le gouvernement a fait fi de ce projet de négociation puisqu'il a décidé de ne pas augmenter les salaires des agents publics pour 1997, négligeant ainsi ses engagements, et ce bien que toutes les données économiques liées à l'éventuelle augmentation des salaires ont évolué favorablement. Cette évolution favorable se manifeste ainsi:
    • - en ce qui concerne "le degré de réalisation des prévisions et des engagements sur lesquels était fondée l'augmentation des salaires de l'exercice antérieur", cette réalisation est complète puisque l'augmentation a été de 3,5 pour cent, et les prévisions relatives à l'indice des prix à la consommation pour cette même année était de 3,5 pour cent;
    • - pour ce qui est "des prévisions relatives à la croissance économique et à la capacité de financement du budget général de l'Etat déterminée en fonction des prévisions relatives au déficit budgétaire de l'ensemble des administrations publiques": les prévisions de croissance pour 1996 et 1997 (respectivement 2,6 pour cent et 3,1 pour cent du produit intérieur brut) confirment la tendance à la croissance de 1995, signe manifeste d'un redressement;
    • - "à propos des estimations relatives à l'augmentation de la productivité de l'emploi découlant de l'application des mesures ou programmes spécifiques", l'augmentation de la productivité se monte, pour 1996, à 1,34 pour cent grâce à la modération de la politique salariale et la diminution nette de l'emploi public, qui sont des conséquences de l'application de l'accord;
    • - en ce qui concerne l'"évolution des salaires et de l'emploi dans l'ensemble du pays", la dynamique de modération assumée par le secteur public en matière de salaires a entraîné, ces dernières années, une perte de pouvoir d'achat des agents publics par rapport aux travailleurs du secteur privé (en 1996, la croissance moyenne du secteur privé a été de 3,7 pour cent (août 1995 - août 1996) comparé à 3,5 pour cent seulement dans le secteur public).
  10. 285. Les plaignants ajoutent que les négociations, qui ont été bloquées et paralysées par le gouvernement, et qui se sont soldées par un grave conflit du travail et une journée de grève générale du secteur public le 11 décembre 1996, avaient pourtant commencé par une première déclaration d'intention aux accents positifs et pleins de promesses. En effet, le 19 juillet 1996, la table des négociations avait siégé, et les représentants des autorités et des syndicats avaient fait une déclaration écrite selon laquelle l'accord conclu entre l'administration et les syndicats pour la période 1995-1997 demeurait le cadre reconnu du dialogue et de la concertation dans ce secteur. En foi de quoi, il avait été décidé de "négocier à la table de négociations au mois de septembre l'augmentation des salaires devant être incluse dans le projet de loi du budget général de l'Etat pour 1997"; il avait également été décidé de connaître et de débattre des contenus normatifs touchant à la fonction publique et de les inclure dans les lois pertinentes.
  11. 286. Après cette première réunion, une deuxième réunion a été convoquée, le 24 juillet 1996, et les travaux préparatoires de la négociation ont été menés à bien. Cependant, contre toute attente, le jour suivant - 25 juillet 1996 - les responsables de tous les syndicats de la fonction publique ont été convoqués pour apprendre de la voix des secrétaires d'Etat (à la Fonction publique et au Budget) que le gouvernement avait décidé de ne pas augmenter les salaires des agents publics pour 1997. Cette information, concernant ce que l'on a appelé le "gel des salaires" des agents publics en 1997, relevait bel et bien d'une décision prise unilatéralement et ne laissant place à aucune objection, aucune réserve, aucune alternative dans le cadre de la négociation. Face à cette situation, tous les syndicats du secteur public se sont mobilisés et ont déclenché une grève générale le 11 décembre 1996 - comme cela est mentionné plus haut - réclamant la reprise des négociations et le respect de l'accord pluriannuel en vigueur. En outre, les syndicats ont introduit un recours contentieux administratif pour exiger que l'accord cité soit respecté par le gouvernement.
  12. 287. Les organisations plaignantes font état des opinions critiques manifestées à l'égard du comportement du gouvernement par trois groupes parlementaires, ainsi qu'une demande de négociation émanant d'un autre groupe.
  13. 288. Précisément parce qu'il n'a aucune intention politique de négocier ni au sein du Parlement ni ailleurs - en dépit des demandes explicites des syndicats et des groupes parlementaires -, le gouvernement est resté inébranlable dans sa position concernant le projet de loi budgétaire pour 1997, qui prévoit que: "à dater du 1er janvier 1997, l'intégralité de la rémunération du personnel des services publics demeurera inchangée par rapport à celle de 1996, et ce en fonction des deux périodes objet de la comparaison, tant pour ce qui est des effectifs que pour ce qui est de l'ancienneté. Les accords ou les conventions impliquant une augmentation de salaire devront être ajustés comme il se doit, et, dans le cas contraire, les dispositions s'opposant au présent article deviendront inapplicables."
  14. 289. Par ailleurs, pour étayer leur plainte, les plaignants expliquent en détail la législation et la jurisprudence espagnoles en matière de négociation collective.
  15. 290. Ils signalent que le gouvernement se contredit en reconnaissant la validité de l'accord préexistant et en se disant prêt à négocier dans le cadre de cet accord, alors qu'il inscrit dans le projet de budget une augmentation nulle pour l'exercice 1997 et qu'il déclare inapplicable toute convention ou tout accord venant à l'encontre de cette décision. Ce comportement fait fi tant du droit positif du travail que des normes du droit administratif et civil. L'accord qui n'est pas respecté n'a pas été conclu par le gouvernement actuel mais par le précédent dont la tendance politique était différente; cependant, cela ne saurait en aucun cas amenuiser sa validité ou ses effets. Il ne paraît pas discutable que la partie obligée devant les syndicats est bien l'administration, c'est-à-dire l'Etat, dont le gouvernement signataire n'était alors que le porte-plume et le représentant. Les accords issus de la négociation collective - dont celui qui porte sur les augmentations de salaires des agents publics en 1997 - méritent le même respect qu'un quelconque contrat civil administratif ou professionnel. Les plaignants estiment que le gouvernement a privé les agents publics de leur droit à la négociation collective en interdisant toute négociation relative à l'augmentation de leur salaire pour 1997. Il s'est contenté de faire savoir aux responsables politiques des syndicats qu'en 1997 l'augmentation de salaire serait nulle et que cette décision n'admettait pas de discussion.
  16. 291. Selon les plaignants, le gouvernement n'a pas respecté l'accord conclu entre l'administration et les syndicats pour la période 1995-1997, dont il avait pourtant reconnu la validité et, partant, il n'a pas respecté les conventions nos 98, 151 et 154 de l'OIT.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 292. Dans sa communication du 5 juin 1997, le gouvernement déclare que la plainte établit une confusion indue entre la non-exécution alléguée des engagements internationaux auxquels a souscrit l'Espagne en ratifiant les conventions nos 98, 151 et 154 de l'OIT - qu'il convient de dénoncer auprès du Comité de la liberté syndicale - et des violations présumées de la législation interne du pays, élaborée à partir de ces mêmes principes internationaux, et qui applique de manière généreuse les conventions citées dans les limites maximales possibles de la Constitution et de la rationalité de l'organisation de l'administration du pays. Par conséquent, la réponse à cette plainte est rédigée en deux parties: en premier lieu, le gouvernement souhaite s'attacher à démontrer l'inexistence d'atteintes aux principes généraux de l'Organisation internationale du Travail, pour ce qui est de la détermination des conditions de travail des agents publics, cette partie étant la seule pertinente pour ce qui est de l'analyse de fond de la plainte. En deuxième lieu, il souhaite s'attacher à démontrer l'absence de violation de l'ordre juridique espagnol élaboré en application de ces principes, bien que ce soit là un aspect non pertinent quant à l'objet de la discussion; la démonstration s'impose pourtant, car l'administration espagnole souhaite démontrer clairement qu'elle respecte strictement la législation en vigueur dans le pays.
  2. 293. Le gouvernement ajoute que, pour analyser la question de savoir s'il y a eu violation des principes de l'OIT concernant la négociation collective, il est indispensable d'établir au préalable quels sont ces principes, compte tenu de toutes les conventions de l'Organisation en matière de liberté syndicale qui ont été ratifiées par l'Espagne. Le gouvernement rappelle ci-après les principes fondamentaux des conventions nos 87, 98, 135, 151 et 154. Il indique que l'analyse de ces conventions, et notamment celle de la convention no 98 pour ce qui est des travailleurs au service de l'administration, et celle de la convention no 151 pour ce qui est des agents publics, montre bien que la liberté de négociation n'est pas un principe absolu et qu'il faut tenir compte de certaines limitations dues au caractère public de l'employeur. Ainsi, l'article 7 de la convention no 151 qui est applicable à la table des négociations qui fixe les conditions de travail des agents publics, énonce que: "des mesures appropriées aux conditions nationales doivent, si nécessaire, être prises pour encourager et promouvoir le développement et l'utilisation les plus larges de procédures permettant la négociation des conditions d'emploi entre les autorités publiques intéressées et les organisations d'agents publics ou de toute autre méthode permettant aux représentants des agents publics de participer à la détermination desdites conditions".
  3. 294. Pour préciser le contenu et la portée de ce précepte, il convient d'adopter le critère de classification claire et didactique formulé dans le traité de M. Saint Jours, un auteur français, qui permet de distinguer les divers degrés de la participation des agents publics: le premier degré est celui de la simple "consultation" ou concession d'audience, à caractère obligatoire mais non contraignant. Le degré suivant est celui de la "concertation" ou de la conclusion d'un accord entre les parties dont le contenu est obligatoire ou fait office de "Gentlemen's agreement", et aux termes duquel l'administration s'engage à refléter ce qui a été convenu par une norme réglementaire. Le degré le plus élevé de participation consiste en une négociation proprement dite, aux termes de laquelle ce qui a été convenu entre les parties acquiert une valeur normative et est applicable directement sur le plan juridique et sans qu'un contreseing officiel soit nécessaire.
  4. 295. L'étude attentive du texte de l'article 7 de la convention no 151 cité ci-dessus montre bien, au vu de ces critères de classification que les engagements internationaux contractés par l'Etat espagnol ne l'obligent pas à négocier les conditions de travail de ses fonctionnaires, étant donné que, mis à part la négociation au sens strict, d'autres méthodes de participation sont prévues parmi lesquelles on peut citer les consultations ou les concertations définies précédemment.
  5. 296. Une fois bien établis les principes fondamentaux de l'Organisation internationale du Travail, pour ce qui est des systèmes de détermination des conditions de travail des agents publics, il convient de vérifier si l'Espagne les respecte en étudiant le degré d'exécution de ces exigences internationales, tant dans la politique générale adoptée par le gouvernement en matière de relations professionnelles avec ses employés que dans les mesures concrètes qui ont été prises en ce qui concerne le gel des salaires pour 1997.
  6. 297. En ce qui concerne l'adéquation générale de la politique espagnole des relations professionnelles dans la fonction publique aux principes de l'OIT, il convient de signaler que, si en vertu de ses engagements internationaux, l'Etat espagnol est simplement tenu d'appliquer une méthode prévoyant un certain degré de participation des agents publics à la détermination de leurs conditions de travail, il a instauré des relations professionnelles dont le niveau est beaucoup plus avancé que le minimum requis, puisqu'il a mis en place, tant dans le cadre théorique et législatif que dans la pratique quotidienne, un système de "dialogue social" qui est l'un des plus évolués d'Europe et du monde. A cet égard, et pour ce qui est de la réglementation légale, le législateur espagnol a opté pour un comportement plus avancé que celui qui est exigé des engagements internationaux pris par le pays; le chapitre III de la loi no 9/1987 du 12 juin (notamment après sa modification, effectuée par la loi no 7/1990) établit le principe d'une véritable négociation à caractère réglementaire de presque tous les points qui pourraient affecter les conditions de travail des agents publics. Ainsi, la nouvelle rédaction de l'article 32 de la loi citée ci-dessus a instauré une véritable "universalisation des thèmes négociables" dans le cadre de laquelle les questions relatives aux relations professionnelles qui ne sont pas du ressort de la loi sont soumises à une véritable négociation, à de très rares et très précises exceptions près, qui sont énoncées à l'article 34, alinéa 1, de la loi citée; ainsi, la réglementation espagnole sur ce thème peut être décrite de la manière suivante: la réglementation actuelle du chapitre III de la loi no 9/1987 du 12 juin, non seulement respecte les exigences minimales relatives à l'autonomie de négociation exigée par les articles 7 et 28 de la Constitution espagnole et par les conventions nos 151 et 154 de l'OIT, mais encore elle dépasse ces exigences et instaure une liberté absolue de négociation collective - comparable à celle du secteur privé, tant par l'universalité déjà citée et pratiquement absolue des thèmes négociables puisque l'article 2 de ce chapitre, qui énumère ces thèmes, évoque dans son alinéa K une rubrique ouverte à tous les thèmes que par la force contraignante des dispositions prévues dans l'article 35 de la loi no 9/1987, étant bien entendu que ces accords, négociés non pas avec l'autorité de tutelle mais avec un représentant de cette autorité n'ayant pas de pouvoir de décision - seront expressément et formellement ratifiés par cette même autorité.
  7. 298. Par ailleurs, la réglementation en vigueur en la matière concède la limite maximale que peut octroyer cet organe du gouvernement compte tenu de ses disponibilités, par exemple la négociation du contenu d'un projet de loi. En effet, pour ce qui est des questions relevant de la législation, le libellé actuel de la loi no 9/1987 concède - sans dépassement - la quote-part maximum que la partie sociale des tables de négociations peut aspirer à négocier avec l'administration, comme le contenu d'un projet de loi sur ces mêmes thèmes, que l'administration - par le truchement de l'exécutif qui exerce sa direction politique - a compétence pour présenter aux Cortes, en vertu de l'article 10, alinéa 2, de la loi sur le système juridique de l'administration de l'Etat. A cet égard, la partie sociale ne devrait pas outrepasser cette limite ni tenter de négocier avec l'administration un élément qui ne relève pas de son pouvoir de décision - en vertu du principe évident et traditionnel selon lequel "nemo dat quod no habet" (personne ne peut donner ce qu'il n'a pas) - par exemple le contenu définitif d'une loi, puisque ce dernier est de la compétence du pouvoir souverain du Parlement.
  8. 299. En ce qui concerne la pratique des négociations dans la fonction publique au cours des dix dernières années, c'est-à-dire depuis la publication de la loi no 9/1987, la politique du personnel dans ce secteur a été le théâtre d'une véritable révolution copernicienne. En effet, avant la promulgation de cette loi, le régime en vigueur était rigide et statutaire et l'administration déterminait unilatéralement les conditions de travail de ses employés, en l'absence de tout système de consultation, même non contraignant, auprès des représentants de ses employés; or, à la suite de cette réforme juridique, un véritable "dialogue social" s'est instauré entre l'administration et le personnel.
  9. 300. Ainsi, au cours de la dernière décennie, non seulement presque tous les éléments directement relatifs aux conditions de travail des agents publics (augmentation de salaire, carrière administrative, formation continue, durée et horaires de travail, santé au travail, etc.) ont fait l'objet de négociations, mais aussi toutes les questions d'organisation ayant une incidence indirecte sur ces conditions de travail (offres d'emploi public, listes hiérarchiques des postes de travail, situations administratives, octroi de postes de travail, plan d'emploi, etc.). Ainsi s'est établi un régime avancé de relations collectives qui parvient même dans certains cas à mettre en place une "démocratie participative" à la gestion des services publics ou, ce qui revient au même, une véritable "cogestion" de l'administration.
  10. 301. On prend toute la mesure de l'intensité et de la profondeur de cette activité de négociation lorsqu'on sait que, dans les seuls services centraux de l'administration de l'Etat, à partir de la signature de l'accord du 16 novembre 1991 - qui contenait des dispositions prévoyant l'articulation et l'encouragement de la négociation collective -, 331 réunions ont eu lieu, dont celles des tables de négociations (générales et sectorielles), ou celles de diverses commissions et groupes de travail. Depuis cette même date, 5 ans et demi, ces négociations ont abouti à la signature de 20 accords très importants d'application nationale et de valeur normative; 38 réunions ont été convoquées pour informer les intéressés des projets de dispositions administratives (décrets royaux, ordonnances ministérielles, circulaires, etc.), ainsi que 16 réunions traitant spécifiquement des plans d'emploi des organismes publics, etc.
  11. 302. Cette intense activité de négociations se poursuit actuellement; ainsi, dans le cadre de la compétence de la Direction générale de la fonction publique (c'est-à-dire compte non tenu des tables de négociations sectorielles), 16 instances de négociations sont ouvertes et fonctionnent à plein rendement, à savoir: la table générale des négociations; la table de l'administration centrale; la Commission générale de la formation continue; la table des salaires et de l'emploi; la Commission paritaire de l'accord-cadre pour le personnel non fonctionnaire; la Commission paritaire de la santé au travail et de l'action sociale; le Groupe de travail concernant les concours; le Groupe de travail pour la consolidation; le Groupe de travail concernant le statut de la fonction publique; le Groupe de travail sur les salaires et l'emploi; le Groupe de travail sur la titularisation; le Groupe de travail sur la durée du travail et les horaires; le Groupe de travail concernant le personnel non fonctionnaire à l'extérieur; le Groupe de travail sur la promotion; le Groupe de travail chargé de la solution extrajudiciaire des conflits, et le Groupe de travail sur les transferts.
  12. 303. En bref, il apparaît que, de par sa politique générale, non seulement l'administration espagnole respecte les principes de l'OIT en matière de liberté syndicale et de négociation collective, mais encore qu'elle a établi un véritable "dialogue social", qui a changé radicalement le système des relations professionnelles avec ses agents, comme l'indiquait très clairement le jugement du Tribunal national du 11 décembre 1990:
    • La loi n 9/1987 citée ci-dessus instaure les tables de négociations, générales et sectorielles, ainsi que l'éventail des thèmes qu'elles peuvent traiter; on assiste à une "socialisation" de cette relation statutaire; il s'ensuit une série de conséquences plus importantes, ne serait-ce que le fait que la convention fait partie des sources du droit des agents publics. Par conséquent, il ne s'agit plus simplement d'une relation statutaire, mais bien d'une relation conventionnelle; sans aucun doute, l'histoire de la fonction publique a compté et comptera de nombreuses négociations entre l'administration et ses corps de fonctionnaires, mais désormais la situation a changé: ces conventions étaient naguère cristallisées en une norme; à présent, elles s'inscrivent dans les sources du droit, et elles sont contraignantes par elles-mêmes; auparavant, on négociait avec des corps isolés, désormais les négociations ont lieu avec des représentants de tous les fonctionnaires, qui sont élus démocratiquement.
  13. 304. En ce qui concerne la conformité particulière des décisions relatives au gel salarial pour 1997 avec les principes de l'OIT, dans le cas qui fait l'objet de la présente plainte, l'administration espagnole ne s'est pas contentée d'une simple consultation ou d'une concertation - qui seraient les plus petits dénominateurs communs exigés par l'OIT -, mais elle a organisé une véritable négociation en deux phases:
    • - l'établissement de critères d'orientation concernant les augmentations de salaires, par le truchement d'un accord pluriannuel pour 1995, 1996 et 1997, figurant dans le chapitre VI du texte convenu le 15 septembre 1994, qui indiquait que ces augmentations devaient être fondées sur les prévisions relatives à l'indice des prix à la consommation, corrigé à la hausse ou à la baisse compte tenu de certaines données économiques;
    • - la détermination annuelle, par la négociation, d'une augmentation concrète pour chacun des trois exercices - en application de ces critères d'orientation -, laquelle a eu lieu pour 1995 et 1996, mais n'a pas été possible pour le présent exercice (1997), en dépit des négociations menées à cette fin.
  14. 305. En effet, il y a bien eu négociation afin de déterminer l'augmentation de salaire pour 1997, au cours de laquelle, cependant, l'administration a cru devoir se tenir à une interprétation strictement restrictive des critères d'orientation convenus précédemment en 1994. Ainsi, elle a conclu que, compte tenu de l'évolution des données économiques dont dépendait la détermination définitive de cette augmentation annuelle, un sacrifice - douloureux, mais nécessaire - devait être consenti par les agents publics dans le but d'atteindre les critères minimums de convergence économique avec l'Union européenne. Il faut bien comprendre, par conséquent, que cette décision n'a pas été un caprice de l'administration; elle se justifiait par l'indispensable politique d'ajustement du déficit public semblable à celle qu'ont dû adopter d'autres pays membres de l'Union, à la poursuite des mêmes objectifs.
  15. 306. Ce processus de détermination concerté des conditions de travail des agents publics a débuté par la réunion de la table générale des négociations du 19 juillet 1996, au cours de laquelle un calendrier de négociations a été établi, ainsi qu'une première prise de contacts sur ce thème; la discussion a repris le 19 septembre 1996 afin d'approfondir la question, et les secrétaires d'Etat chargés de l'administration publique et du budget ont expliqué les motifs de la position adoptée par l'administration; un débat a été ouvert, auquel ont participé tous les représentants syndicaux. Ce processus de négociation s'est terminé par la réunion de cette même instance le 3 décembre 1996, au cours de laquelle l'administration a proposé une solution de rechange concernant les salaires, afin de sortir la négociation de l'impasse, mais cette solution n'a pas été acceptée par les syndicats.
  16. 307. Compte tenu de ce qui précède, il apparaît que, dans le cas concret, l'administration espagnole a non seulement rempli les exigences de l'article 7 de la convention no 151 de l'OIT, qui dispose qu'une méthode peut être prise "permettant aux représentants des agents publics de participer à la détermination desdites conditions", mais encore elle a mené à bien une véritable négociation, convaincue qu'elle est de la nécessité d'un "dialogue social" authentique, sans renoncer pour autant, bien sûr, à l'obligation de veiller aux intérêts généraux prioritaires, lesquels exigent une diminution du déficit public.
  17. 308. A cet égard, on peut affirmer que l'action de l'administration espagnole n'a pas porté atteinte aux principes de liberté syndicale défendus par l'OIT et assumés par l'Espagne. En effet, le gouvernement n'a pas failli au respect d'un accord définitif conclu avec les représentants de son personnel, car la disposition de caractère pluriannuel du chapitre VI du texte convenu le 15 septembre 1994 ne mentionnait pas de quantification concrète des augmentations de salaires prévues sur une base annuelle pendant toute la durée de sa validité et notamment en 1997; elle énonçait simplement des critères d'orientation permettant de déterminer ces augmentations. Ces critères, fondés sur un paramètre de référence (l'indice des prix à la consommation prévu pour l'exercice), mais par ailleurs soumis à des indices correcteurs à la hausse ou à la baisse de ce calcul initial, en fonction du comportement de certains facteurs économiques expressément mentionnés, ont été interprétés par l'administration d'une manière restrictive, ce qui n'a pas été admis par l'autre partie aux négociations qui se déroulaient pour tenter de parvenir à un accord sur la question. Par ailleurs, même si dans un souci de dialectique on part de l'hypothèse que l'accord cité au chapitre VI du texte convenu le 15 septembre 1994 présentait un caractère définitif et ferme, les termes convenus doivent céder le pas à l'incidence de facteurs prioritaires présentant un intérêt général, telle la nécessité de satisfaire aux exigences de la convergence européenne, en fonction de l'appréciation du gouvernement.
  18. 309. En effet, il faut partir de l'hypothèse selon laquelle, même si les administrations publiques sont des employeurs en ce qui concerne leur rapport juridique et statutaire avec leurs fonctionnaires ou leur lien contractuel avec leurs travailleurs dépendants, ce sont des employeurs "sui generis", qui ne jouissent pas de la même liberté d'embauche que celle dont disposent les chefs d'entreprises privées gérant leurs fonds propres, parce qu'elles doivent associer à leur rôle d'employeurs celui de représentants légitimes de vastes intérêts, qui sont prioritaires sur ceux de leurs agents, tels les intérêts généraux de tous les citoyens.
  19. 310. Il faut donc en déduire qu'un accord conclu avec les agents publics amendé et doté de toutes les conditions nécessaires à son application - ce qui n'est pas le cas ici - peut pourtant, pour des raisons conjoncturelles, demeurer inapplicable sans perdre sa légitimité, parce qu'il va à l'encontre des intérêts généraux mentionnés ci-dessus. A cet égard, on peut donc établir un principe préalable indiscutable et évident, selon lequel les engagements pris par l'administration à l'endroit des agents publics (et reflétant des intérêts légitimes, mais limités et de nature corporative) doivent céder le pas devant des exigences plus élevées de l'Etat (tel l'intérêt général de tous les citoyens) même si ces exigences se manifestent après la négociation).
  20. 311. Une autre question hypothétique qui pourrait se poser, bien qu'elle n'ait pas d'incidence dans la présente analyse, serait la question de savoir si une décision de l'exécutif de ne pas appliquer ce qui a été convenu au préalable avec le personnel - laquelle constituerait un acte discrétionnaire et non pas arbitraire - devait revêtir la forme d'acte administratif motivé par les dispositions contraignantes de l'article 89, alinéa 3, et de l'article 54, alinéa 1 f), qui figurent tous deux dans la loi no 30/1992 du 26 novembre, sur le régime juridique des administrations publiques et des procédures administratives courantes, et donc pourrait faire l'objet d'un recours devant les tribunaux dans le cas où ces derniers se déclareraient compétents pour connaître d'un "acte politique".
  21. 312. Par ailleurs, il convient d'indiquer clairement que le gouvernement ne peut, du fait d'engagements pris précédemment, renoncer à son droit inaliénable d'exercer les compétences de l'Etat dans la détermination de "la planification générale de l'activité économique" qui lui sont conférées par l'article 149.1.13 de la Constitution espagnole.
  22. 313. Les principes exposés dans ce paragraphe ont été clairement et expressément reconnus par la jurisprudence du Tribunal constitutionnel, laquelle, dans le troisième considérant juridique du jugement no 96/1990, signalait les limitations aux principes de la liberté de recrutement affectant les agents publics, qui n'entraînent pas - comme c'est le cas pour les travailleurs du secteur privé - une atteinte au principe d'égalité; ainsi:
    • ... les différences de régime en matière de salaires et de négociation qui prévalent entre certains travailleurs et d'autres se justifient par les différences évidentes qui existent entre l'administration ou une entreprise publique et les entreprises privées, et dans ce cas cette justification permet de moduler le droit à la négociation collective qui caractérise l'entreprise privée, et d'assujettir les travailleurs à la pression plus importante qu'exercent les intérêts publics, c'est-à-dire les exigences générales auxquelles la politique économique est soumise; de sorte que ces différences de régime, découlant de la loi budgétaire, ne vont pas à l'encontre du principe de l'égalité, puisqu'elles s'expliquent par des situations qui ne sont pas identiques.
  23. 314. Cette position est également étayée par un jugement du Tribunal constitutionnel du 8 avril 1981, selon lequel, en ce qui concerne les conventions collectives - et ce principe peut s'appliquer, par analogie, aux accords concernant les agents publics -, la non-exécution ne constitue pas une atteinte au droit constitutionnel à la liberté de négociation collective, ni au respect de la force contraignante des conventions consacrées dans l'article 37 de la Constitution, si cette non-exécution est motivée notamment par la priorité qu'il convient d'accorder aux intérêts supérieurs de l'Etat. Ainsi:
    • La thèse selon laquelle cet article (l'article 37 de la Constitution) consacre le droit à la négociation collective dans des termes tels qu'aucun autre instrument ne puisse s'y substituer s'agissant de respecter les normes du travail (...) ne saurait être retenue, car il serait paradoxal de prétendre qu'il existe un cadre d'autonomie totale et absolue dans une organisation comme l'Etat qui, par définition, constitue pour les citoyens un facteur de réglementation non conventionnelle. Il semble plutôt que la situation s'assimile à celle dudit principe d'autonomie qui prévaut dans le domaine du droit privé. C'est un principe du droit qui régit la vie juridique, mais rien ne s'oppose à ce que dans certains cas il y ait des exceptions, pour autant que la limitation de la liberté individuelle que supposent ces exceptions soit justifiée. Cette justification découle éventuellement des dommages que le jeu pur et simple des intérêts particuliers et ses conséquences pourraient causer aux intérêts généraux.
    • Par ailleurs, nombre de jugements émis par les tribunaux ordinaires établissent que des règles de droit nécessaires, dictées dans l'intérêt général, comme le jugement du Tribunal suprême du 9 juin 1991, et nombre de jugements prononcés par les tribunaux supérieurs de justice peuvent déroger aux accords et amendements y afférents conclus dans le domaine du travail et par extension dans la fonction publique.
  24. 315. Enfin, et également dans un souci dialectique, il faut préciser que même si on estime que les principes de l'OIT exigent une véritable négociation collective (interprétation inexacte au regard de l'article 7 de la convention no 151 déjà citée), l'administration espagnole a satisfait à cette exigence, car elle a mis en place un processus de négociation authentique, même si ce dernier n'est pas parvenu à un accord.
  25. 316. En effet, compte tenu des faits rapportés, l'administration a fait un effort pour arriver à la conclusion d'un accord - puisqu'elle a même proposé des solutions de rechange - adoptant ainsi la position qui s'appelle, dans le droit anglo-saxon, "Duty to Bargain", c'est-à-dire l'adoption d'un comportement actif favorisant la négociation, même si elle n'est pas arrivée à la conclusion d'un accord définitif. A cet égard, il faut signaler que le devoir de négocier - qui n'existe pas dans les principes de l'OIT mais qui existe dans le système juridique espagnol - ne signifie pas nécessairement le devoir de parvenir à un accord puisque, dans le cas contraire, la liberté des parties de négocier collectivement serait faussée.
  26. 317. Il faut partir de la base que le Comité de la liberté syndicale de l'OIT peut et doit connaître des atteintes alléguées aux principes généraux relatifs à la liberté syndicale consacrés sur le plan international, bien qu'en principe il n'ait pas compétence pour juger d'éventuelles atteintes au droit positif émanant de l'application de ces principes par les pays qui ont signé les instruments internationaux pertinents, notamment lorsque - comme dans le cas de l'Espagne - ces principes ont été appliqués dans un esprit maximaliste, dans des conditions beaucoup plus favorables que celles qui sont requises par l'OIT en la matière. On pourrait donc considérer que les paragraphes qui précèdent apportent une réponse suffisante à la plainte formulée par les syndicats plaignants. Cependant, l'administration espagnole tient à établir clairement (même si ce n'est pas indispensable compte tenu du fond de la plainte) qu'il n'y a pas eu non plus d'atteinte au système juridique espagnol établi pour appliquer les conventions internationales qui réglementent la question. A cet égard, après récapitulation de certains arguments et allégations exprimés précédemment, il convient de préciser ce qui suit de manière sommaire et synthétique:
    • Nulle atteinte n'a été portée aux dispositions de l'article 35, paragraphe 3, de la loi no 9/1987 du 12 juin quant à la valeur normative des accords, qui serait imputable à une éventuelle non-exécution de ce qui avait été convenu dans le chapitre VI de l'accord conclu entre l'administration et les syndicats pour la période 1995-1997, sur les conditions de travail dans la fonction publique, daté du 15 septembre 1994, approuvé expressément et officiellement par le Conseil des ministres le 16 septembre 1994, et publié au Bulletin officiel de l'Etat le 20 du même mois et de la même année, et ce pour les raisons suivantes: a) une telle non-exécution n'a pas eu lieu, que ce soit à l'égard du paragraphe 1 de ce chapitre, qui ne constituait pas un engagement concret et ferme, puisqu'il n'énonçait pas de quantification stricte et définitive de l'obligation d'augmenter les salaires en 1997, comme le reconnaissent d'ailleurs les plaignants, ou que ce soit en ce qui concerne le paragraphe 2, selon lequel la détermination annuelle des augmentations de salaires doit faire l'objet d'une négociation entre l'administration et les syndicats; en fait, il y a eu négociation, même si elle n'a pas abouti à la conclusion d'un accord, et on ne saurait confondre le devoir de négocier avec celui de conclure un accord, notamment lorsque l'administration adopte une attitude ferme, puisqu'elle est gardienne des intérêts généraux de l'Etat, prioritaires par rapport aux intérêts particuliers des agents publics; b) dans tous les cas, cet accord - pour employer les termes du droit du travail - n'avait pas "force obligatoire", mais il n'avait qu'une simple "valeur d'engagement", puisqu'il portait sur une question réservée au domaine de la loi. Par conséquent, même à supposer qu'il y ait eu violation de l'accord, son application ne saurait être exigée en justice - comme cela a été fait indûment dans le cas d'autres plaintes; on ne pourrait que réclamer une indemnisation pour les dommages moraux qui se seraient produits. En effet, même en admettant que ce texte ait contenu une quantification concrète et négociée de l'augmentation de salaire, il ne revêt, pour l'administration, qu'un caractère d'engagement aux termes duquel elle est tenue d'inclure le contenu de cet accord dans le projet de loi du budget général de l'Etat; cependant, il ne pourra jamais acquérir le caractère de force obligatoire d'une norme directement applicable sur le plan juridique, car en dernière analyse la détermination des augmentations de salaires dans la fonction publique est une question réservée au domaine de la loi et, par conséquent, qui relève en dernier ressort de la compétence des Cortes et échappe de ce fait aux attributions du Conseil des ministres.
      • - Nulle atteinte n'a été portée aux dispositions de l'article 32, alinéa a), de la loi no 9/1987 du 12 juin, qui prévoit que: "Les thèmes suivants feront l'objet d'une négociation dans leur domaine respectif, et compte tenu des compétences de chaque administration publique: l'augmentation des salaires des fonctionnaires et du personnel statutaire des administrations publiques qu'il convient d'inclure dans le projet de budget général annuel de l'Etat, ainsi que l'augmentation des autres rémunérations qui doit être déterminée pour les personnels correspondants dans le cadre des projets normatifs élaborés sur le plan des autonomies et sur le plan local." En effet, ce type de violation juridique n'a pas eu lieu car - contrairement aux antécédents de fait que les plaignants prétendent réels - il y a eu une négociation authentique, même si, au cours de cette dernière, le gouvernement s'est senti tenu d'adopter une position ferme pour accomplir son devoir de garant des intérêts du plus grand nombre, dans le cadre de l'exercice des compétences de l'Etat pour déterminer la planification générale de l'activité économique, compétences qui lui sont conférées par l'article 149.1.13 de la Constitution espagnole.
    • 318. C'est ainsi que l'administration espagnole s'est vue obligée, de par sa responsabilité politique, d'opposer à l'idée de l'augmentation de salaire applicable pour 1997 - dans la négociation dont il est question - l'idée d'un gel des salaires, compte tenu de l'évolution des données économiques influant sur les critères de convergence du Traité de Maastricht; apparemment, cette solution n'était pas si erronée, ni dépourvue de bonnes raisons politiques, si l'on en croit les événements survenus par la suite, telles les dernières déclarations des responsables politiques de l'Union européenne relatives à l'amélioration de la situation en Espagne, pour ce qui est de la convergence, puisqu'en pratique le pays satisfait aux conditions requises; sans aucun doute, la prise de cette mesure a été déterminante, notamment en ce qui concerne la diminution du déficit public, sans parler du soutien du Parlement espagnol, titulaire du pouvoir législatif, expression de la volonté générale et instance unique, doté du pouvoir décisionnel en la matière.
  27. 319. Le gouvernement conclut en insistant sur le fait que l'administration espagnole n'a failli à l'exécution d'aucun accord relatif à une augmentation de salaire définie et quantifiée pour 1997 - pour la simple raison qu'un tel accord n'existe pas; cependant, au cours des négociations visant à concrétiser une augmentation de salaire au cours du présent exercice, elle s'est vue obligée de s'en tenir à une interprétation restrictive des critères d'orientation à caractère pluriannuel convenus par un accord le 15 septembre 1994, concernant la rémunération des agents publics; en outre, cette interprétation a dû être exprimée avec force et fermeté compte tenu du fait que les intérêts du plus grand nombre (dont le gouvernement est le représentant légitime et l'interprète en vertu des principes fondamentaux de la démocratie) ont priorité sur les intérêts des agents publics (légitimes mais plus restreints et de caractère corporatif). Compte tenu de tout ce qui précède, l'administration espagnole estime qu'elle a respecté, non sans faire preuve de générosité, les engagements internationaux qui sont les siens par la signature des conventions nos 98, 151 et 154 de l'OIT, et qu'elle n'a porté atteinte à la liberté syndicale ou à la négociation collective ni dans le présent cas ni dans d'autres, puisqu'elle s'est obligée librement à respecter ces principes; elle considère par conséquent que la plainte n'est pas pertinente.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 320. Le comité observe que, dans la présente plainte, les organisations plaignantes allèguent que le gouvernement a failli à l'exécution de la disposition relative à l'augmentation des salaires pour 1997 de l'accord conclu entre l'administration et les syndicats 1995-1997 sur les conditions de travail dans la fonction publique, signé le 15 septembre 1994. Les plaignants soulignent que cet accord oblige l'administration à négocier avec les syndicats l'augmentation de salaire pour 1997, dont la quantité doit être définie dans le cadre d'une négociation bilatérale, et en fonction de certains paramètres économiques. Cependant, les plaignants indiquent que le gouvernement s'est opposé à toute négociation à cet égard et qu'il s'est contenté de faire savoir que l'augmentation de salaire serait nulle et que cette décision n'admet pas de discussion.
  2. 321. Le comité observe que le gouvernement affirme, en revanche, qu'il y a eu négociation avec les syndicats, et il se réfère à cet égard à un processus et un calendrier de négociations, à plusieurs réunions, à l'ouverture d'un débat au cours duquel il a fait connaître les motivations de sa position ainsi qu'une proposition de caractère alternatif concernant les salaires, émise le 3 décembre 1996. Le gouvernement nie avoir failli à l'exécution de l'accord conclu entre l'administration et les syndicats (aux termes duquel il était tenu de négocier, mais qui ne contenait pas de quantification concrète et négociée de l'augmentation de salaire); cependant, il précise qu'au cours de la négociation il a donné une interprétation strictement restrictive des critères d'orientation prévus par l'accord pour déterminer les augmentations annuelles, qu'il s'est prononcé en faveur du gel des salaires pour 1997 et que son interprétation de ces critères n'a pas été acceptée par l'autre partie. Il nie avoir violé la négociation collective, la législation nationale et les conventions de l'OIT qu'il a ratifiées, et il souligne la différence qui existe entre le devoir de négocier (c'est-à-dire d'adopter un comportement actif favorisant la négociation) et le devoir de conclure un accord; il explique les raisons de sa position en faveur du gel des salaires par: 1) les exigences découlant du Traité de Maastricht (en particulier l'ajustement du déficit public qu'il est nécessaire de réaliser); 2) la priorité des intérêts généraux de tous les citoyens (qui n'existaient pas au moment de la négociation de l'accord conclu entre l'administration et les syndicats mais qui sont apparus ensuite) sur les intérêts des agents publics; 3) les compétences de l'Etat s'agissant de la planification générale de l'activité économique, prévues par la Constitution. Enfin, le gouvernement rappelle que la convention (no 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, prévoit d'autres méthodes que la négociation pour la détermination des conditions d'emploi des agents publics, et il indique que la législation espagnole a opté pour la négociation, a multiplié le nombre des points négociables et a prévu la force obligatoire des accords conclus, se situant ainsi à un niveau élevé par rapport à la convention mentionnée, et parmi les systèmes les plus avancés du monde.
  3. 322. Avant d'examiner les questions concrètes soulevées par les plaignants, le comité souhaite signaler qu'effectivement l'article 7 de la convention no 151 autorise les Etats à "promouvoir le développement et l'utilisation les plus larges de la procédure permettant la négociation des conditions d'emploi entre les autorités publiques intéressées et les organisations d'agents publics, ou de toute autre méthode permettant aux représentants des agents publics de participer à la détermination desdites conditions". Cependant, le comité souligne que lorsque la législation nationale opte pour les procédures de négociation, comme c'est le cas en Espagne, c'est à l'Etat qu'il revient de veiller à ce que ces procédures soient bien appliquées, et aux organes de contrôle de l'OIT de surveiller cette application.
  4. 323. Plus précisément, en ce qui concerne les allégations relatives à la non-exécution par le gouvernement des dispositions de l'accord conclu entre l'administration et les syndicats sur l'augmentation des salaires pour 1997, le texte des parties pertinentes de l'accord est le suivant:
    • Introduction
    • Les salaires sont liés à l'évolution des facteurs économiques et à la réalisation des objectifs exprimés dans le programme de convergence ainsi que dans le budget général de l'Etat. Il se crée ainsi un cadre de stabilité au sein duquel le salaire est lié aux capacités réelles de l'économie; parallèlement, l'amélioration de la situation du secteur public, l'obtention de meilleurs résultats dans les divers programmes et l'accroissement général de la productivité doivent aller de pair avec des incitations et des augmentations de salaires additionnelles.
    • Chapitre VI
    • Augmentation des salaires pour 1996 et 1997
  5. 1. Les salaires des agents publics pour 1996 et 1997 seront augmentés en fonction des prévisions budgétaires de la croissance de l'indice des prix à la consommation pour ces mêmes exercices. Il sera tenu compte en outre: du degré d'accomplissement des prévisions et des engagements en fonction desquels a été déterminée l'augmentation de salaire de l'exercice antérieur; des prévisions relatives à la croissance économique et à la capacité du financement du budget général de l'Etat déterminées en fonction de la prévision du déficit budgétaire de l'ensemble des administrations publiques, de l'estimation relative à l'augmentation de la productivité de la fonction publique découlant de l'application de mesures et de programmes spécifiques; de l'évolution des salaires et de l'emploi dans l'ensemble du pays.
  6. 2. L'application des augmentations de salaires fera l'objet d'une négociation entre l'administration et les syndicats.
  7. 3. Pour chaque exercice, on prévoira la constitution d'un fonds de garantie du pouvoir d'achat doté des caractéristiques prévues dans le chapitre III du présent accord en fonction de l'évolution du PIB et du déficit budgétaire de chaque année.
  8. 324. A cet égard, le comité a pris note du fait que le gouvernement a indiqué qu'il a donné une interprétation strictement restrictive des critères d'orientation convenus dans l'accord conclu entre l'administration et les syndicats, et qu'au cours de la négociation en question il s'est prononcé en faveur d'un gel des salaires (et, en définitive, c'est cette position qui a été reflétée dans le projet de loi du budget général de l'Etat pour 1997, puis dans la loi). Le comité ne peut que constater cependant que l'accord conclu entre l'administration et les syndicats fait expressément mention d'augmentations de salaires pour 1995, 1996 et 1997 sans toutefois qu'il contienne une quantification stricte et définitive de l'obligation en matière de salaires pour 1997. Ceci explique que les syndicats aient estimé que l'accord pluriannuel pour 1995-1997 n'a pas été respecté pour 1997. Dans ces conditions, le comité regrette qu'aucune augmentation de salaire n'ait été accordée aux agents publics pour 1997, pas même pour ceux qui perçoivent les rémunérations les plus basses.
  9. 325. Dans ce contexte, le comité rappelle que le droit de négociation collective est l'une des procédures évoquées par la convention no 151, ratifiée par l'Espagne, et qu'elle a été retenue par la législation espagnole pour régir les relations de travail dans la fonction publique. Le comité exprime le ferme espoir que le gouvernement aura, conformément à sa propre législation nationale, recours à la négociation collective pour régler les conditions d'emploi des agents publics. Le comité doit en outre souligner que le respect mutuel des engagements pris dans les accords collectifs est un élément important du droit de négociation collective et doit être sauvegardé pour fonder les relations professionnelles sur des bases solides et stables.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 326. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité regrette qu'aucune augmentation de salaire n'ait été accordée aux agents publics pour 1997, pas même pour ceux qui perçoivent les rémunérations les plus basses.
    • b) Le comité exprime le ferme espoir que le gouvernement aura, conformément à sa propre législation nationale, recours à la négociation collective pour régler les conditions d'emploi des agents publics. Le comité doit en outre souligner que le respect mutuel des engagements pris dans les accords collectifs est un élément important du droit de négociation collective et doit être sauvegardé pour fonder les relations professionnelles sur des bases solides et stables.
© Copyright and permissions 1996-2024 International Labour Organization (ILO) | Privacy policy | Disclaimer