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Report in which the committee requests to be kept informed of development - Report No 327, March 2002

Case No 2126 (Türkiye) - Complaint date: 17-APR-01 - Closed

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  1. 805. Dans une communication datée du 17 avril 2001, la Fédération internationale des organisations de travailleurs de la métallurgie (FIOM) et Dok Gemi-Is ont présenté une plainte pour violations de la liberté syndicale et des droits de négociation collective contre le gouvernement de la Turquie.
  2. 806. Le gouvernement a adressé ses observations dans une communication datée du 26 octobre 2001.
  3. 807. La Turquie a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, et la convention (nº 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978.

A. Allégations des plaignants

A. Allégations des plaignants
  1. 808. Dans une communication datée du 17 avril 2001, la Fédération internationale des organisations de travailleurs de la métallurgie (FIOM) et Dok Gemi-Is ont présenté conjointement une plainte pour déni de droits syndicaux fondamentaux en Turquie. Les plaignants déclarent que le séisme qui a dévasté une grande partie de la Turquie septentrionale en août 1999 a causé d’importants dommages au principal chantier naval de Golcuk. De ce fait, les travaux auparavant entrepris au chantier naval de Golcuk, pour la maintenance et le service des navires de guerre, ont été partiellement transférés au chantier naval de Pendik, le reste étant transféré au chantier naval d’Alaybey, dont les activités s’exerçaient auparavant dans le secteur commercial. Ainsi, une partie de la main-d’oeuvre du chantier naval de Golcuk, qui comprenait beaucoup de membres du syndicat Harb-Is (qui, en vertu de la législation turque en vigueur, avait des droits de représentation exclusive dans les chantiers navals), a été ensuite transférée au chantier naval de Pendik.
  2. 809. La direction des chantiers navals de Pendik et d’Alaybey, sous la pression du ministère de la Défense nationale, a contesté le droit de Dok Gemi-Is (syndicat auquel avaient adhéré la quasi-totalité de la main-d’oeuvre pour les opérations commerciales au chantier naval d’Alaybey et plus des deux tiers de la main-d’oeuvre au chantier naval de Pendik) de continuer de représenter leurs membres dans ces deux chantiers navals. Entre-temps, la direction de ces deux chantiers navals et les cadres du syndicat Harb-Is ont exercé des pressions sur les membres de Dok Gemi-Is pour qu’ils adhèrent à Harb-Is.
  3. 810. Dok Gemi-Is a fait appel auprès du ministre du Travail en novembre 1999 pour qu’il confirme son droit de représenter ses membres aux chantiers navals de Pendik et d’Alaybey. Le ministre a tout d’abord accepté que Dok Gemi-Is continue de représenter les intérêts de ses membres à ces deux chantiers navals, au moins jusqu’à l’expiration, le 31 décembre 2000, de la convention collective en vigueur. Cependant, les plaignants allèguent que la direction des deux chantiers navals et le ministre de la Défense nationale ont refusé d’accepter cette décision et qu’ils se sont entendus avec Harb-Is pour continuer de pousser les membres de Dok Gemi-Is à quitter leur syndicat et à rejoindre Harb-Is. Par ailleurs, ils ont conjointement incité le gouvernement à prendre un arrêté spécial pour transférer les deux chantiers navals au secteur du ministère de la Défense nationale, ce qui, en vertu de la législation turque, empêcherait Dok Gemi-Is d’y représenter les travailleurs.
  4. 811. Les plaignants allèguent par ailleurs que le Haut Comité de la privatisation a ensuite menacé Dok Gemi-Is d’un éventuel transfert des chantiers navals d’Haliç et de Camialti au secteur du ministère de la Défense nationale. On a laissé entendre qu’il s’agirait d’une mesure de rétorsion suite à l’opposition de Dok Gemi-Is à la tentative de contrôler les chantiers navals de Pendik et d’Alaybey.
  5. 812. Le gouvernement turc a ensuite pris un arrêté spécial en octobre 1999, portant transfert des chantiers navals de Pendik et d’Alaybey au secteur du ministère de la Défense nationale. De surcroît, la direction des deux chantiers navals et les autorités navales ont persisté à refuser de reconnaître les cadres syndicaux de Dok Gemi-Is, aussi bien permanents que locaux, bien qu’ils soient demeurés les porte-parole, démocratiquement élus et légalement nommés, des travailleurs à ces deux chantiers navals.
  6. 813. Face à cette contestation de son droit de représenter ses membres, en novembre 1999, Dok Gemi-Is a fait appel auprès du premier tribunal du travail d’Ankara, alléguant ce qui suit:
    • a) la convention conclue entre les parties demeurait valable jusqu’à sa date d’expiration en décembre 2000;
    • b) il n’y avait eu aucun changement dans le type d’activités exécutées dans les chantiers navals après la prise de contrôle, et le secteur devrait toujours être considéré comme faisant partie du secteur de la construction navale, ainsi qu’il était répertorié par le ministère du Travail.
  7. 814. A la première audience en mai 2000, le droit du syndicat de continuer de représenter ses membres a été confirmé jusqu’à ce qu’une décision finale soit prise. Il a été décidé qu’une deuxième audience aurait lieu le 30 mai 2000, à laquelle une mission d’experts composée d’universitaires ayant suivi une formation appropriée serait établie pour conseiller le tribunal.
  8. 815. Entre la première et la deuxième audience, le gouvernement turc, sans préavis ni consultation des travailleurs ou de leur syndicat, a soudainement annoncé la fermeture des chantiers navals d’Haliç et de Camialti, ce qui a entraîné le licenciement imminent de quelque 1 100 travailleurs, presque tous membres de Dok Gemi-Is. Hormis les chantiers navals de Pendik et d’Alaybey, ceux d’Haliç et de Camialti étaient les seuls chantiers restants où Dok Gemi-Is avait des adhérents. Par conséquent, la fermeture des chantiers navals d’Haliç et de Camialti, après le transfert de ceux de Pendik et d’Alaybey vers le secteur du ministère de la Défense nationale, si elle était confirmée, entraînerait la dissolution de Dok Gemi-Is car le syndicat perdrait quasiment tous ses adhérents.
  9. 816. En outre, dans l’intervalle, les membres de Dok Gemi-Is qui avaient refusé leur transfert à Harb-Is ont fait continuellement l’objet de harcèlement et de manoeuvres d’intimidation, la direction licenciant le nombre maximum de travailleurs (neuf par mois) qu’autorisait la législation turque. Entre-temps, Harb-Is a été encouragé par les employeurs et les autorités navales à continuer de débaucher en toute liberté les membres de Dok Gemi-Is.
  10. 817. A la deuxième audience, le 30 mai 2000, le juge, contrairement à ce qui était prévu, n’a pas établi de mission d’experts, mais a simplement rejeté l’allégation de Dok Gemi-Is sans motiver ni expliquer cette décision à l’époque. Il a été indiqué que l’argumentation serait communiquée ultérieurement, et on a par la suite laissé entendre que sa décision était le fruit de pressions politiques intenses de la part du gouvernement et des autorités militaires. Il convient de noter à cet égard que le ministre de la Défense du gouvernement actuel est membre du Parti du mouvement nationaliste (PMN), deuxième groupe par ordre d’importance de la coalition gouvernementale, et qu’Harb-Is soutient résolument le PMN, avec lequel il a des liens étroits.
  11. 818. Selon le motif du rejet de l’affaire, tel qu’il a été rendu public, l’arrêté spécial avait transféré les deux chantiers navals au secteur des armées et, de ce fait, Dok Gemi-Is ne pouvait plus représenter les travailleurs aux chantiers navals de Pendik et d’Alaybey.
  12. 819. En juillet 2000, Dok Gemi-Is a fait appel auprès du Tribunal suprême de Turquie pour contester la légalité de cette décision, sollicitant notamment avec insistance la tenue de véritables débats pour garantir que tous les éléments de preuve nécessaires soient portés à la connaissance de la cour d’appel. Dans cette communication, il a été soutenu que, pour déterminer la classification sectorielle, au lieu de considérer le nom ou le titre des usines comme le critère décisif, il fallait tenir compte du type d’activités menées dans l’usine en question, comme énoncé dans la loi sur la main-d’oeuvre (loi no 2821). Consciente des conséquences internationales de la présente affaire, la Fédération internationale des organisations de travailleurs de la métallurgie a soumis une communication distincte au Tribunal suprême d’appel.
  13. 820. Le Tribunal suprême d’appel a siégé pour examiner la demande de Dok Gemi-Is. Bien que ce dernier et la FIOM aient présenté des raisons solides de faire en sorte que tous les éléments de preuve nécessaires soient communiqués, les cinq juges ont rejeté la requête. Au lieu de cela, l’appel a été limité à l’examen des éléments de preuve présentés au tribunal de première instance et de la décision qu’il avait rendue. Les cinq juges se sont ensuite prononcés, par trois voix contre deux, en faveur d’une confirmation de la décision antérieure. Les deux juges qui avaient voté contre ont toutefois expliqué que la décision prise à la majorité était contraire à la législation turque et qu’elle ne tenait pas compte de l’obligation de prendre connaissance des normes internationales acceptées pour établir divers secteurs économiques ou industriels.
  14. 821. Les plaignants soulignent que la séparation artificielle et inutile des chantiers navals militaires et commerciaux en Turquie est sans précédent dans les pays démocratiques, quels qu’ils soient, et se traduit par un déni délibéré de la liberté syndicale aux travailleurs de la construction navale. De plus, le refus de reconnaître les cadres de Dok Gemi-Is comme représentants légitimes des travailleurs des chantiers navals de Pendik et d’Alaybey constitue un déni du droit aux négociations collectives. Les atteintes portées à la liberté syndicale en Turquie ont eu et continueront d’avoir des conséquences importantes et durables sur les relations industrielles dans le pays, tandis que les actions du gouvernement et des autorités militaires turcs entraîneront probablement, s’il leur est permis de procéder à leur guise, la dissolution de Dok Gemi-Is.
  15. 822. Le refus du gouvernement turc d’intervenir lorsque Dok Gemi-Is le lui a demandé, à la suite du licenciement de quelque 200 travailleurs sur le site de dépeçage des navires d’Aliaga, le lendemain du jour où ils ont accepté d’adhérer à Dok Gemi-Is, constitue une preuve supplémentaire du fait qu’il ne respecte pas la liberté syndicale et ne prend pas les dispositions nécessaires pour que les citoyens puissent jouir de ce droit. Lorsque Dok Gemi-Is a demandé l’aide du gouvernement pour garantir que le droit d’adhérer à un syndicat ne soit pas refusé aux travailleurs à Aliaga, celui-ci a rejeté la demande, au motif qu’il ne pouvait pas intervenir car les activités de dépeçage des navires faisaient partie du secteur privé. Actuellement, aucun travailleur du site n’est membre d’un syndicat.
  16. 823. Le plaignant ajoute qu’avant de pouvoir obtenir des droits de représentation officielle en vertu de la législation turque un syndicat doit pouvoir prouver qu’il a organisé une majorité de la main-d’oeuvre dans chaque usine ou lieu de travail, à savoir 50 pour cent plus un individu, et qu’il représente 10 pour cent de toute la main-d’oeuvre dans ce secteur particulier. Par ailleurs, un syndicat n’est pas autorisé à recevoir de cotisations de ses membres tant qu’il n’a pas négocié de convention collective en leur nom. De telles sévères restrictions limitent gravement le droit à la liberté syndicale.
  17. 824. Comme on l’a noté plus haut, l’économie turque est divisée en plusieurs secteurs industriels ou économiques, et il est interdit aux syndicats de recruter ou d’accepter des membres provenant de secteurs autres que ceux pour lesquels il leur a été accordé des droits de représentation spécifiques. Par conséquent, compte tenu de la perte de membres et donc de revenus à venir, Doc Gemi-Is a été forcé de remettre des avis de licenciement à ses employés en juin 2000, afin de respecter la période de préavis requise. Enfin, le plaignant affirme qu’une difficulté supplémentaire provient du fait que les syndicats qui ont des membres dans le secteur du ministère de la Défense nationale doivent s’en remettre, pour le règlement des conflits, à un service d’arbitrage fourni par le gouvernement.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 825. Dans une communication datée du 26 octobre 2001, le gouvernement fait observer que le violent séisme avait provoqué des dégâts si importants au chantier naval de Golcuk , qui appartient à la marine turque, que son bon fonctionnement ne pouvait plus être assuré. La reconstruction étant jugée très difficile et coûteuse, la décision a été prise de transférer les chantiers navals de Pendik et d’Alaybey, appartenant tous deux à la Turkish Ship Industry A.S., au ministère de la Défense nationale, ce qui a donné lieu à la signature d’un protocole entre les parties contractantes en octobre 1999.
  2. 826. Dans le cadre des activités de restructuration des unités nouvellement transférées, de nombreux travailleurs d’autres unités du ministère de la Défense nationale ont été mutés à ces chantiers navals afin d’accroître l’efficience des lieux de travail en fonction des besoins du nouvel employeur. Ni le transfert des deux chantiers navals, ni la mutation des travailleurs n’avaient de rapport avec les affaires syndicales. Il s’agit uniquement de mesures dictées par les conditions actuelles, dont la marine turque a absolument besoin à la suite des dégâts causés par le séisme.
  3. 827. En ce qui concerne les allégations relatives aux pressions exercées sur les membres de Dok Gemi-Is pour qu’ils adhèrent à un autre syndicat, auparavant organisé dans le secteur de la défense nationale, il est possible, selon le gouvernement, qu’au moment du transfert des chantiers navals certains travailleurs aient adhéré à un autre syndicat, mais il ajoute que cela ne fait que témoigner de l’exercice d’un libre choix de la part des travailleurs. Le gouvernement affirme qu’il n’est pas intervenu et qu’il n’intervient pas dans le libre choix des travailleurs. Les lois et règlements en vigueur disposent que les travailleurs ont le droit d’adhérer aux organisations de leur choix conformément aux conventions nos 87 et 98.
  4. 828. Pour ce qui est des allégations relatives à la procédure administrative suivie pendant et après le transfert, le gouvernement affirme qu’il existait, avant le transfert, une convention collective conclue entre l’Association des employeurs du secteur de l’industrie lourde et des services (TÜHIS) et Dok Gemi-Is, dont la période de validité allait du 1er janvier 1999 au 31 janvier 2000. A la date du transfert, cette convention demeurait valable. Le ministère de la Défense nationale s’est adressé au ministère du Travail et de la Protection sociale en novembre 1999 pour savoir s’il estimait que la convention collective, conclue antérieurement dans les chantiers navals transférés, était applicable lorsque la modification de l’activité du secteur a été considérée. Dans sa réponse, le ministère du Travail et de la Protection sociale a informé le demandeur que la convention collective devrait demeurer en vigueur jusqu’au 31 décembre 2000, date de son expiration. Ayant examiné la demande de Dok Gemi-Is, le premier tribunal du travail d’Ankara a également décidé que la convention collective devrait conserver sa validité jusqu’à la fin de sa date d’expiration.
  5. 829. Dok Gemi-Is a ultérieurement fait appel auprès du ministère du Travail et de la Protection sociale, demandant que le secteur d’activité soit déterminé pour les deux lieux de travail nouvellement transférés, conformément à l’article 4 de la loi no 2821 sur les syndicats. Après examen de la situation, le ministère a décidé que les activités conduites dans les deux chantiers navals relevaient du secteur de la défense nationale, et une décision formelle du ministère du Travail et de la Protection sociale a été publiée au Journal officiel daté du 25 février 2000.
  6. 830. Dok Gemi-Is a fait appel de la décision auprès du premier tribunal du travail d’Ankara, lequel a rejeté la demande du plaignant et approuvé la décision du ministère. La décision a été confirmée par la cour d’appel en juillet 2000.
  7. 831. Une fois que le transfert des chantiers navals d’Alaybey et de Pendik a pris effet, Dok Gemi-Is a fait appel auprès du ministère du Travail et de la Protection sociale aux fins de la détermination du secteur d’activité couvrant neuf chantiers navals dans le secteur no 26 (défense nationale), dans lequel le syndicat Harb-Is était habilité à conclure des conventions collectives. Après examen du dossier, le ministère du Travail et de la Protection sociale a décidé que les lieux de travail militaires (y compris les deux en cause), répertoriés au paragraphe 26 de l’article 60 de la loi sur les syndicats, relevaient du secteur de la défense nationale. Dok Gemi-Is s’est de nouveau opposé à cette décision et a fait appel auprès du quatrième tribunal du travail d’Ankara, lequel a rejeté la demande du requérant et approuvé la décision du ministère. Cette décision a également été approuvée par la cour d’appel en novembre 2000.
  8. 832. S’agissant du secteur d’activité, l’article 3 de la loi no 2821 est ainsi libellé: «Les syndicats de travailleurs sont constitués sur une base industrielle par les travailleurs employés dans des établissements appartenant au même secteur d’activité aux fins de l’élargissement de leurs activités sur tout le territoire national turc. (...) Il est possible d’établir plusieurs syndicats dans le même secteur d’activité.» Sur la question en cause, l’article 4 de ladite loi est libellé comme suit: «le secteur d’activité dont relève un établissement est déterminé par le ministère du Travail et de la Protection sociale. Cette décision du ministère est publiée au Journal officiel. Les parties concernées peuvent, dans un délai de quinze jours à compter de la date de publication, faire appel de cette décision auprès du tribunal local compétent pour connaître des questions de travail. Le tribunal rend une décision au sujet de l’appel dans un délai de deux mois. Lorsque cette décision fait l’objet d’un appel, la cour d’appel rend une décision finale dans un délai de deux mois.» Ainsi, toutes les procédures administratives susmentionnées pendant et après le transfert des deux chantiers navals étaient conformes aux dispositions de la loi no 2821 sur les syndicats et de la loi no 2822 sur les conventions collectives, la grève et le lock-out, et ont été encore appuyées par les décisions judiciaires.
  9. 833. En ce qui concerne l’allégation concernant les chantiers navals d’Haliç et de Camialti, il n’a pas été possible de trouver des éléments de preuve à l’appui des allégations des plaignants. Au contraire, Dok Gemi-Is a été jugé compétent pour conclure des conventions collectives sur les lieux de travail qui appartiennent à la Direction générale de Turkish Ship Industry A.S. (y compris les chantiers navals d’Haliç et de Camialti). La décision du ministère du Travail et de la Protection sociale relative à la compétence a été communiquée à Dok Gemi-Is en février 2001. Un autre syndicat, Limter-Is, organisé dans le même secteur d’activité, a contesté la décision du ministère, faisant appel auprès du deuxième tribunal du travail d’Istanbul. Le tribunal a rejeté la demande de Limter-Is, et le certificat de compétence visant Dok Gemi-Is a été délivré par le ministère du Travail et de la Protection sociale en juillet 2001 et communiqué à Dok Gemi-Is. Selon les registres du ministère, le nombre total de travailleurs employés sur ces lieux de travail est de 803 (et non pas 1 100 comme l’allègue Dok Gemi-Is), dont 467 sont membres de Dok Gemi-Is. Le ministère du Travail et de la Protection sociale n’a pas connaissance d’informations quelconques concernant la fermeture des lieux de travail. En revanche, le fait est que certains lieux de travail pourront être fermés en raison de la situation économique du pays, ce qui mettra les travailleurs au chômage et entraînera des licenciements à grande échelle. Il n’est pas raisonnable d’attribuer tous ces événements aux activités des syndicats. En outre, il n’existe pas d’informations ou de documents établissant que des pressions sont exercées sur les travailleurs ou les syndicats. Au contraire, la décision du ministère du Travail et de la Protection sociale et celle du tribunal sont en faveur du plaignant, et Dok Gemi-Is continue de représenter ses membres sur ces deux lieux de travail. Ce fait en soi atteste la primauté du pouvoir judiciaire en Turquie.
  10. 834. En ce qui concerne les allégations de pressions exercées sur le tribunal, il convient de souligner que la Constitution turque, comme l’a de nouveau confirmé le fait susmentionné, reconnaît la primauté du pouvoir judiciaire, l’indépendance des tribunaux et la séparation des pouvoirs. L’indépendance et l’impartialité des tribunaux et des juges sont garanties par la loi, de sorte que toutes les allégations concernant les décisions des tribunaux sont sans fondement. Il convient aussi d’ajouter que les décisions des tribunaux ne sont pas contraires aux objectifs et aux dispositions des conventions nos 11, 87, 98, 100, 105, 111 et 135 que la Turquie a ratifiées. Par ailleurs, il est courant dans la pratique des tribunaux que des opinions minoritaires soient exprimées lorsqu’ils rendent leurs décisions, ce qui devrait être considéré comme la preuve concrète de l’indépendance des juges et non pas comme une indication de pressions exercées sur eux, comme l’a allégué le plaignant.
  11. 835. S’agissant de l’allégation concernant le licenciement de 200 travailleurs lorsqu’ils ont adhéré à Dok Gemi-Is, le gouvernement déclare qu’aucune plainte de ce type n’a été déposée auprès du ministère du Travail et de la Protection sociale. Le plaignant formule des allégations sans aucune preuve. Toutefois, si une plainte parvient au ministère au sujet de cette question, elle sera examinée en détail par les institutions compétentes, conformément à la procédure législative et administrative.
  12. 836. Pour ce qui est de la question du double critère pour déterminer le statut représentatif des syndicats à des fins de négociation collective, le gouvernement a proposé aux partenaires sociaux, dans le cadre de deux projets de loi, la levée de l’obligation pour un syndicat de représenter 10 pour cent des travailleurs du secteur considéré. Les travaux relatifs aux deux projets de loi proposant des modifications principalement de la loi sur les syndicats et de la loi sur les conventions collectives, la grève et le lock-out n’ont pas encore été parachevés car les consultations avec les partenaires sociaux se poursuivent en vue de parvenir à un consensus sur la question du double critère en particulier. Si les partenaires sociaux acceptent la proposition, un syndicat regroupant la majorité des travailleurs d’un lieu de travail aura le statut représentatif en tant qu’agent négociateur. Il est possible d’obtenir des informations supplémentaires en consultant les rapports du gouvernement concernant les conventions nos 87 et 98.
  13. 837. En conséquence, le gouvernement considère que les allégations ne sont pas fondées et qu’elles sont dépourvues d’éléments de preuve. A l’évidence, il existe un conflit et une concurrence entre deux syndicats. Le gouvernement demeure impartial et souhaite souligner de nouveau qu’aucun effort ne sera épargné pour s’aligner sur les normes établies dans les conventions de l’OIT auxquelles la Turquie est partie.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 838. Le comité note que les allégations dans le présent cas concernent la classification de certains chantiers navals comme relevant du secteur du ministère de la Défense nationale, ce qui fait perdre au syndicat Dok Gemi-Is ses droits de représentation des travailleurs qui exécutent des opérations auparavant considérées comme commerciales dans ces divers chantiers navals. Les plaignants allèguent, d’autre part, des menaces et manoeuvres de harcèlement et d’intimidation visant les membres de Dok Gemi-Is, ainsi que de nombreux licenciements antisyndicaux dans plusieurs chantiers navals.
  2. 839. Le comité note que les faits exposés par les plaignants et le gouvernement en ce qui concerne le transfert des opérations du chantier naval de Golcuk à ceux de Pendik et d’Alaybey et les droits de représentation correspondants à cette époque pour les syndicats Harb-Is et Dok Gemi-Is ne présentent aucune contradiction. La principale affirmation avancée par le gouvernement concerne le fait que celui-ci, à la suite du transfert des opérations du chantier naval de Golcuk, a fait usage des pouvoirs que lui confère la législation nationale pertinente pour modifier la classification des chantiers navals de Pendik et d’Alaybey, les faisant passer du secteur de la «construction navale» à celui de la «défense nationale». Cette décision a été ultérieurement confirmée par les cours d’appel compétentes et a entraîné la perte des droits de représentation pour Dok Gemi-Is, lequel affirme qu’il avait comme adhérents près de 100 pour cent de la main-d’oeuvre dans le secteur commercial au chantier naval d’Alaybey et plus des deux tiers de la main-d’oeuvre à celui de Pendik.
  3. 840. Le comité note que le gouvernement a indiqué que la décision de classer ces deux chantiers navals dans le secteur de la défense nationale n’était pas dictée par des préoccupations concernant les syndicats, mais par la nécessité de restructurer les chantiers navals en raison des dommages causés par un séisme au chantier naval de Golcuk. En particulier, le gouvernement affirme que, dans le cadre des activités de restructuration, un grand nombre de travailleurs d’autres unités du ministère de la Défense nationale ont été transférés aux chantiers navals de Pendik et d’Alaybey afin d’accroître l’efficience des lieux de travail en fonction des besoins du nouvel employeur. Compte tenu de ces circonstances, le ministère du Travail et de la Protection sociale a décidé que les activités des deux chantiers navals relevaient du secteur de la défense nationale et a publié à cet effet une décision formelle au Journal officiel en février 2000.
  4. 841. La loi no 2821 sur les syndicats (ci-après la loi sur les syndicats) vise les questions de formation des syndicats et de classification des secteurs d’activité. L’article 3 de ladite loi prévoit que les syndicats peuvent être formés au niveau industriel par les travailleurs employés dans des établissements relevant du même secteur. Le secteur couvrant un établissement doit être déterminé par le ministère du Travail et de la Protection sociale, et les parties concernées peuvent faire appel de la décision auprès des tribunaux compétents (article 4 de la loi sur les syndicats). L’article 60 de la loi énonce les divers secteurs d’activité dans le cadre desquels les travailleurs et les employeurs peuvent s’organiser.
  5. 842. La législation autorise l’existence de plusieurs syndicats dans un secteur d’activité donné, mais un syndicat ne peut apparemment représenter les travailleurs que par rapport à un seul secteur. Harb-Is est le syndicat qui avait les droits de représentation exclusive dans les chantiers navals classés comme relevant du secteur de la défense nationale, et Dok Gemi-Is a toujours représenté les travailleurs dans les chantiers navals à caractère commercial, établissements qui avaient été classés comme relevant du secteur de la construction navale. La modification de la classification des chantiers navals de Pendik et d’Alaybey a pour résultat que la main-d’oeuvre dans son ensemble est à présent considérée comme relevant du secteur de la défense nationale, alors que le type d’opérations exécutées n’a apparemment pas changé; ainsi, les travailleurs qui étaient membres de Dok Gemi-Is ne peuvent plus être représentés par ce syndicat.
  6. 843. Le comité rappelle tout d’abord que le droit des travailleurs d’établir les organisations de leur choix et d’y adhérer est l’un des éléments fondamentaux de la liberté syndicale. Le fait que les syndicats au niveau industriel ne peuvent avoir pour membres que des personnes relevant d’un seul secteur d’activité donné est peut-être une question purement formelle, compte tenu notamment du fait que ces organisations de premier niveau ont apparemment la latitude d’établir des fédérations et confédérations et d’y adhérer, mais le comité note que, dans le présent cas, la modification soudaine de la classification sectorielle des chantiers navals de Pendik et d’Alaybey a eu pour conséquence, pour un nombre significatif de travailleurs, la perte immédiate de leur droit d’être représentés par l’organisation qu’ils avaient librement choisie. Sans remettre en question l’établissement de grands domaines de classification liés aux secteurs d’activité aux fins de préciser la nature et les compétences des syndicats au niveau industriel, le comité considère que la distinction subtile faite entre la construction navale dans le secteur commercial et celle qui répond à des objectifs militaires est presque dépourvue de toute logique, en particulier si l’on tient compte du fait que les fonctions accomplies par les travailleurs sont identiques et que leur statut d’«employés» relevant de la loi sur les syndicats ne fait l’objet d’aucun traitement distinct. Les conséquences extrêmes de cette décision pour le syndicat Dok Gemi-Is et ses membres constituent une violation manifeste du droit des travailleurs de former les organisations de leur choix et d’y adhérer. A cet égard, le comité insiste sur le fait que le droit pour les travailleurs de constituer et de s’affilier aux organisations de leur choix implique également le droit de choisir la structure de ces organisations.
  7. 844. En conclusion, le comité considère que la classification des chantiers navals de Pendik et d’Alaybey comme faisant partie du secteur de la défense nationale avec la perte des adhérents et de la représentation qui en a résulté pour le syndicat constituent une violation des droits d’organisation et de représentation des travailleurs membres de Dok Gemi-Is, contraire à la convention no 87 (ratifiée par la Turquie). Le comité demande donc au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour garantir le droit de Dok Gemi-Is d’organiser et de représenter ses membres dans les chantiers navals de Pendik et d’Alaybey et de faire en sorte que tous les effectifs perdus par le syndicat Dok Gemi-Is soient immédiatement réintégrés.
  8. 845. En ce qui concerne les allégations relatives à la menace de modification de la classification des chantiers navals d’Haliç et de Camialti, le comité prend note de ce que, selon le gouvernement, aucun élément de preuve n’a pu être trouvé à cet égard. Comme Dok Gemi-Is demeure le syndicat représentant les travailleurs dans ces chantiers navals, et compte tenu des conclusions précitées concernant la classification des opérations commerciales exécutées dans les chantiers navals, le comité considère que ce point n’appelle pas d’autre examen. En revanche, le comité regrette que le gouvernement n’ait pas communiqué de renseignements spécifiques concernant le licenciement imminent de 1 100 travailleurs (dont presque tous, selon le plaignant, étaient membres de Dok Gemi-Is) en raison des menaces de fermeture de ces deux chantiers navals. Le comité demande donc au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour mettre en place une enquête indépendante sur ces allégations et, si des licenciements ont eu lieu suite à une discrimination antisyndicale, de prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que ces personnes soient réintégrées dans leurs postes avec une compensation pour les salaires non perçus ou bien qu’on leur garantisse une compensation adéquate pour les préjudices subis. De même, le comité demande au gouvernement d’ouvrir des enquêtes indépendantes sur les allégations de harcèlement et de manoeuvres d’intimidation des membres de Dok Gemi-Is de la part de la direction par le licenciement du nombre maximum de licenciements prévu par la loi (9 par mois), et sur le licenciement de quelque 200 travailleurs sur le site de dépeçage de navires d’Aliaga le lendemain du jour où ils avaient accepté d’adhérer au syndicat. Il est de nouveau demandé au gouvernement de prendre les mesures correctives nécessaires si ces allégations sont avérées et de tenir le comité informé à cet égard.
  9. 846. Enfin, les plaignants mentionnent la lourde charge que fait peser le double critère -- représentation d’au moins 10 pour cent des travailleurs dans un secteur d’activité donné et de plus de la moitié des travailleurs dans l’établissement ou dans chacun des établissements visés par la convention collective -- nécessaire pour obtenir les droits de reconnaissance (art. 12 de la loi sur les conventions collectives no 2822). Le comité rappelle qu’il a déjà formulé des observations sur cette disposition et qu’il a demandé au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour la modifier de façon qu’elle ne constitue pas un obstacle au droit des organisations de travailleurs de représenter les travailleurs. [Voir 303e rapport, paragr. 57.] Tout en notant avec intérêt que le gouvernement a indiqué avoir proposé des projets de loi qui supprimeraient l’obligation pour un syndicat de représenter 10 pour cent des travailleurs dans le secteur considéré, le comité note également que la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, dans sa plus récente observation de 2002 sur l’application de la convention no 98 par la Turquie, a noté l’indication du gouvernement selon laquelle le projet de loi visant à modifier la loi no 2822 n’a pu être achevé en raison des consultations avec les partenaires sociaux visant à obtenir un consensus sur la question du double critère pour déterminer la représentativité et que ces modifications, tel qu’indiqué dans le Programme national, ont une priorité à moyen terme. Le comité exprime donc le ferme espoir que les mesures nécessaires seront prises pour modifier prochainement cette disposition pour la mettre en conformité avec les conventions nos 87 et 98 et attire l’attention de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations sur cet aspect de l’affaire.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 847. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires afin de garantir le droit du syndicat Dok Gemi-Is d’organiser et de représenter ses membres dans les chantiers navals de Pendik et d’Alaybey et de faire en sorte que les effectifs perdus par le syndicat Dok Gemi-Is en raison de la classification de ces chantiers navals comme relevant du secteur de la défense nationale soient immédiatement réintégrés.
    • b) Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour ouvrir une enquête indépendante au sujet des allégations de licenciement antisyndical imminent de 1 100 travailleurs (dont presque tous, selon le plaignant, étaient membres de Dok Gemi-Is) aux chantiers navals d’Haliç et de Camialti en raison des menaces de fermeture et, si des licenciements ont eu lieu suite à une discrimination antisyndicale, de prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que ces personnes soient réintégrées dans leurs emplois avec une compensation pour la perte de salaire ou bien qu’il leur soit garanti une compensation adéquate pour les préjudices subis. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.
    • c) Le comité demande aussi au gouvernement d’ouvrir des enquêtes indépendantes au sujet des allégations de harcèlement et de manoeuvres d’intimidation des membres de Dok Gemi-Is de la part de la direction et au sujet du licenciement de quelque 200 travailleurs au site de dépeçage des navires d’Aliaga le lendemain du jour où ils avaient accepté d’adhérer au syndicat, et de prendre les mesures correctives nécessaires si ces allégations sont avérées, y compris la réintégration dans leurs emplois ou une compensation adéquate pour les préjudices subis par les personnes licenciées. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.
    • d) Le comité exprime le ferme espoir que les mesures nécessaires seront prises dans un avenir proche pour modifier le double critère concernant les droits de représentation énoncé à l’article 12 de la loi no 2822 afin de le mettre en conformité avec les conventions nos 87 et 98, et attire l’attention de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations sur cet aspect de l’affaire.
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