Display in: English - Spanish
- 551. Les plaintes figurent dans des communications de la Fédération américaine du travail et Congrès des organisations industrielles (AFL-CIO) et de la Confédération des travailleurs du Mexique (CTM) en date des 18 et 30 octobre 2002, respectivement.
- 552. Le gouvernement a fait parvenir sa réponse dans une communication en date du 9 mai 2003.
- 553. Les Etats-Unis n’ont ratifié ni la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ni la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes - 554. Dans une communication en date du 18 octobre 2002, la Fédération américaine du travail et Congrès des organisations industrielles (AFL-CIO), fédération qui regroupe 66 syndicats nationaux et internationaux aux Etats-Unis et qui représente environ 13 millions de travailleuses et de travailleurs, a déposé une plainte portant sur des mesures adoptées par le gouvernement des Etats-Unis qui affectent directement et indirectement ces travailleurs. La Confédération des travailleurs du Mexique (CTM) a présenté une plainte sur la même question dans une communication en date du 30 octobre 2002 au nom de ses 5,5 millions de membres qui entretiennent des liens familiaux et professionnels étroits avec les travailleurs mexicains travaillant à l’étranger et dont les droits sont directement et indirectement remis en question par les mesures adoptées par le gouvernement des Etats-Unis dénoncées ci-après.
- 555. Les organisations plaignantes se réfèrent à un jugement de la Cour suprême des Etats-Unis de mars 2002 relatif au cas Hoffman Plastic Compounds, Inc. contre le Conseil national des relations professionnelles en vertu duquel un travailleur en situation irrégulière, du fait de sa situation au regard des lois sur l’immigration, n’a pas obtenu le droit de percevoir rétroactivement le salaire qui lui était dû, après avoir été illégalement licencié pour avoir exercé des droits protégés par la Loi nationale sur les relations de travail (NLRA). Les organisations plaignantes estiment que, du fait de cette décision, des millions de travailleurs aux Etats-Unis ont perdu leur seule protection du droit à la liberté syndicale, du droit d’organisation, et du droit à la négociation collective. La Cour suprême a annulé une décision du Conseil national des relations professionnelles (NLRB) ainsi qu’une décision de la Cour d’appel fédérale accordant la rémunération rétroactive au travailleur en question. L’arrêt Hoffman et le refus continu de l’administration et du Congrès des Etats-Unis d’adopter une législation remédiant à cette discrimination placent les Etats-Unis dans une situation de violation patente de ses obligations au titre des conventions nos 87 et 98 de l’OIT ainsi que de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail de 1998. Du point de vue des droits de l’homme et des droits au travail, la situation des travailleurs au regard des lois sur l’immigration ne diminue pas et ne conditionne pas leur statut de travailleurs jouissant des droits fondamentaux.
- 556. L’historique du cas concerne la société Hoffman Plastic Compounds, qui a embauché M. José Castro en mai 1988. En décembre 1988, M. Castro et ses collaborateurs ont lancé une campagne de constitution d’un syndicat. En janvier 1989, la direction de l’entreprise a licencié M. Castro et trois autres travailleurs en raison de leurs activités visant à créer un syndicat et à s’y affilier. En janvier 1992, le NLRB a ordonné à Hoffman de proposer aux quatre travailleurs une réintégration et de leur verser rétroactivement leur rémunération. En juin 1993, lors d’une audience visant à déterminer le montant dû à chaque travailleur, José Castro a reconnu qu’il ne possédait pas de permis de travail en règle; du fait de cette défaillance, sa réintégration n’était plus possible. Les décisions antérieures du NLRB et des tribunaux laissaient néanmoins la possibilité de se pourvoir devant le NLRB pour un versement rétroactif de rémunération, ce que Hoffman a refusé.
- 557. En septembre 1998, le NLRB a décidé que Hoffman devrait accorder à M. Castro une rémunération rétroactive pour la période écoulée entre la date de son congédiement et la date à laquelle il a reconnu ne pas avoir de permis de travail en règle. Tout en adoptant cette décision, le NLRB a déclaré que «le moyen le plus efficace de répondre aux besoins des politiques en matière d’immigration et de les faire avancer [des Etats-Unis] ... est d’accorder les protections et les voies de recours de la NLRA aux travailleurs en situation irrégulière comme aux autres travailleurs». Le NLRB a ordonné à Hoffman de verser 66 951 dollars de rémunération rétroactive à José Castro.
- 558. L’entreprise Hoffman a refusé de payer M. Castro et s’est portée en appel. En 2001, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du NLRB. L’entreprise Hoffman a formé un recours devant la Cour suprême. Dans sa décision de mars 2002, la Cour suprême a annulé les décisions de la Cour d’appel et du NLRB par cinq voix contre quatre et refusé toute rémunération rétroactive à José Castro pour son licenciement illégal. La Cour suprême a fait valoir que, s’agissant des travailleurs en situation irrégulière victimes de représailles du fait de leurs activités visant à constituer un syndicat, l’interdiction d’employer des personnels non autorisés édictée par les lois sur l’immigration l’emporte sur la protection des droits de constituer un syndicat et d’y adhérer prévue par la loi sur le travail. Cette décision et son impact sur le droit à la liberté syndicale de tous les travailleurs sont l’objet de cette plainte.
- 559. La convention nº 87 de l’OIT protège le droit des travailleurs «sans distinction d’aucune sorte» de constituer des organisations de leur choix et de s’affilier. L’arrêt Hoffman, y compris le refus de l’administration et du Congrès des Etats-Unis d’adopter une législation remédiant à cette injustice, crée une distinction fondée sur la situation au regard des lois sur l’immigration – une violation claire de la convention nº 87. Les droits contenus dans la convention no 87 sont des droits humains fondamentaux dont jouissent tous les travailleurs indépendamment de leur situation au regard des lois sur l’immigration. En se prononçant de la sorte, la décision Hoffman crée une sous-catégorie de travailleurs privés des recours dont disposent les autres travailleurs en cas de violation de leurs droits. Une majorité de ces travailleurs aux Etats-Unis sont des Mexicains, ce qui fait d’eux le plus grand groupe individuel national touché par la décision.
- 560. On dénombre 8 millions de travailleurs en situation irrégulière aux Etats-Unis, dont près de 60 pour cent sont des travailleurs migrants en provenance du Mexique. Déjà soumis à une large exploitation et à des abus en matière de salaire et de conditions de travail, ils sont maintenant laissés sans protection d’aucune sorte s’ils exercent leurs droits syndicaux, d’organisation et de négociation pour se défendre. La discrimination créée par l’arrêt Hoffman empêche ces travailleurs d’exercer leur droit de constituer des organisations de leur choix et de s’y affilier.
- 561. La convention no 98 de l’OIT exige «une protection adéquate contre tous actes de discrimination tendant à porter atteinte à la liberté syndicale». La décision Hoffman annule cette protection pour des millions de travailleurs sur la base de leur situation au regard des lois sur l’immigration. Le versement rétroactif des rémunérations est nécessaire et fait partie intégrante d’un système de protection contre les actes de discrimination antisyndicale. Ceci est particulièrement vrai aux Etats-Unis, où la NLRA n’autorise ni les amendes ni d’autres pénalités contre les employeurs qui violent les droits syndicaux des travailleurs.
- 562. Les organisations plaignantes font valoir que les Etats-Unis sont loin de se conformer au principe du Comité de la liberté syndicale selon lequel «il est nécessaire d’assurer par des dispositions spécifiques assorties de sanctions pénales et civiles la protection des travailleurs contre les actes de discrimination antisyndicale de la part des employeurs». La législation des Etats-Unis ne prévoit que des sanctions civiles comme, par exemple, la réintégration et la rémunération rétroactive.
- 563. La Cour suprême avait décidé antérieurement que les travailleurs en situation irrégulière illégalement licenciés en raison de leurs activités syndicales n’avaient pas le droit d’être réintégrés dans leur emploi. La rémunération rétroactive restait la seule voie de recours à la disposition de ces travailleurs et le seul coût économique supporté par l’employeur qui licencie illégalement des travailleurs pour organisation d’activités syndicales – jusqu’à ce que l’arrêt Hoffman supprime ce dernier moyen de défense.
- 564. La rémunération rétroactive ne sert pas uniquement à compenser les victimes. Elle a aussi un effet dissuasif. La rémunération rétroactive dissuade les employeurs de violer les droits des travailleurs car ils savent qu’ils devront faire face au coût économique des violations. Parmi les autres mesures de redressement prévues par la NLRA, on peut citer les ordonnances de «cessation» de la conduite illégale et les ordonnances obligeant l’entreprise à faire paraître sur le tableau d’affichage de l’entreprise un bulletin dans lequel elle s’engage à ne pas recommencer sa conduite illégale. La pratique montre que ces mesures ne sont pas prises au sérieux par les employeurs et qu’elles n’ont aucun effet dissuasif notable pour empêcher la répétition des violations.
- 565. Les organisations plaignantes insistent sur le fait qu’elles ne considèrent pas la rémunération rétroactive comme un remède satisfaisant pour lutter contre les violations des droits des travailleurs, mais c’est le seul remède doté d’un impact économique prévu par la législation du travail des Etats-Unis. Dans le cas des travailleurs migrants en situation irrégulière, la rémunération rétroactive constitue le seul moyen potentiel de décourager la discrimination illégale, car la réintégration n’est pas possible. Eliminer le remède de la rémunération rétroactive revient à accorder carte blanche aux employeurs qui violent impunément les droits des travailleurs en situation irrégulière et à décourager les travailleurs d’exercer leurs droits. Comme l’ont déclaré les juges minoritaires dans l’arrêt Hoffman: «lorsque l’arme de la rémunération rétroactive n’existe plus, les employeurs peuvent en conclure qu’ils peuvent violer les droits du travail au moins une fois en toute impunité ... Le remède de la rémunération rétroactive est nécessaire; il aide à rendre l’application de la législation du travail plus crédible; il permet de faire savoir clairement que violer les lois du travail ne paie pas.»
- 566. Dans une plainte portant sur les droits d’organisation des travailleurs aux Etats-Unis adressée en 1992 au Comité de la liberté syndicale, le gouvernement des Etats-Unis avait cité la rémunération rétroactive comme l’un des «recours juridiques prévus par la NLRA qui permettent de remédier efficacement aux violations du droit d’association» et avait en outre indiqué que le NLRB jouit de vastes pouvoirs de redressement qui lui permettent de prendre toutes les mesures nécessaires pour donner effet aux principes établis par la NLRA. [Voir 284e rapport, cas nº 1523, paragr. 159.]
- 567. En annulant le droit à la rémunération rétroactive pour les travailleurs en situation irrégulière, l’arrêt Hoffman annule la protection de leur droit d’organisation et autorise les employeurs à violer impunément la liberté syndicale des travailleurs. Ces derniers n’ont plus aucun recours ni moyen d’action en cas de violation de leurs droits. Le fait qu’une décision judiciaire plutôt qu’une disposition légale ait provoqué la perte des droits des travailleurs immigrés à une rémunération rétroactive importe peu. Le Congrès n’ayant pas adopté de mesure pour annuler les conséquences de l’arrêt Hoffman, ce dernier modifie la NLRA, et l’ensemble des travailleurs concernés n’est plus en mesure de faire valoir la disposition concernant le paiement rétroactif. Le résultat est le même que si le Congrès avait amendé la NLRA de manière à subordonner la rémunération rétroactive à la situation au regard des lois sur l’immigration. En fait, un récent rapport du Government Accounting Office, l’organisme d’enquête du Congrès des Etats-Unis, a conclu que «… la rémunération rétroactive constituant l’un des principaux remèdes dont disposent les travailleurs en cas de violation de leurs droits, la décision de la Cour [dans le cas Hoffman] porte effectivement atteinte aux droits de négociation conférés par la NLRA à ces travailleurs».
- 568. Au lieu de respecter, de promouvoir et de mettre en œuvre les principes et droits fondamentaux au travail, en particulier les principes de la liberté syndicale et de la négociation collective, l’arrêt Hoffman les méprise, leur fait obstacle et les nie. L’arrêt Hoffman affecte profondément les travailleurs dans leur ensemble, et pas uniquement les travailleurs en situation irrégulière directement concernés. La plupart de ces travailleurs travaillent aux côtés de travailleurs migrants en situation régulière et de citoyens des Etats-Unis. Avant l’arrêt Hoffman, les représentants syndicaux qui aidaient les travailleurs à organiser une campagne pouvaient leur dire «nous défendrons vos droits devant la Commission nationale des relations professionnelles et réclamerons rétroactivement vos salaires impayés si vous êtes illégalement licenciés». Désormais, ils devront ajouter «sauf en ce qui concerne les travailleurs en situation irrégulière car vous êtes sans protection». La peur et la division qui en résultent lorsqu’un groupe de travailleurs se voit privé de la protection des droits d’organisation ont des répercussions négatives sur l’ensemble des droits des travailleurs à la liberté syndicale et sur leur droit d’organisation et de négociation collective.
- 569. L’arrêt Hoffman favorise également des formes nouvelles et perverses de discrimination. Plutôt que d’embaucher des travailleurs ou des citoyens en règle, les employeurs préféreront embaucher des travailleurs en situation irrégulière en raison de leur nouvelle vulnérabilité pour ce qui a trait aux activités syndicales. Comme c’est souvent le cas, l’employeur n’a qu’à se référer aux faux papiers pour être protégé contre les sanctions pour embauche «en connaissance de cause» d’un travailleur non autorisé. La discrimination qui en résulte est double: discrimination contre les travailleurs en règle et les citoyens à l’embauche, et discrimination contre les travailleurs en situation irrégulière. Pour faire cesser le lancement d’une campagne de constitution d’un syndicat, l’employeur peut menacer ces travailleurs de licenciement en leur expliquant qu’ils ne sont pas protégés par la NLRA. Et, dans l’hypothèse où les travailleurs poursuivraient effectivement leur campagne, l’employeur peut alors mettre à exécution la menace de licenciement sans crainte de sanction.
- 570. Plutôt que d’appliquer les principes de la liberté syndicale, l’arrêt Hoffman les détruit. Il s’agit d’une attaque vindicative contre les droits fondamentaux des travailleurs. Au lieu de protéger les droits des travailleurs, la décision de la Cour suprême pénalise les travailleurs qui exercent leurs droits fondamentaux. Cette décision récompense les violateurs et punit les victimes.
- 571. Les organisations plaignantes expliquent que le NLRB et la Cour suprême ont tous deux abordé le cas Hoffman comme un cas réclamant un équilibre entre la législation du travail et les lois sur l’immigration. Le NLRB et les quatre juges minoritaires de la Cour suprême ont accordé la priorité à la législation du travail. Les cinq membres de la Cour suprême qui ont débouté les travailleurs ont privilégié les lois sur l’immigration, et ce bien que (comme l’ont fait remarquer les quatre juges dissidents) «tous les organismes concernés (y compris le ministère de la Justice) nous ont déclaré que l’ordonnance limitée de rémunération rétroactive du NLRB n’entrera pas en conflit avec la mise en œuvre de la politique d’immigration».
- 572. Selon les organisations plaignantes, la recherche d’un «équilibre» constitue une approche fondamentalement erronée du cas. Tant le NLRB que la Cour suprême ont omis de prendre en considération la législation internationale sur les droits de l’homme et les normes internationales sur les droits au travail. De même, ils n’ont pas tenu compte des obligations des Etats-Unis en tant que Membre de l’OIT. La décision du NLRB et le point de vue des quatre juges minoritaires sont néanmoins compatibles avec les principes de la liberté syndicale de l’OIT, même s’ils ne s’appuient pas sur ces principes.
- 573. Les organisations plaignantes insistent sur le fait qu’elles ne demandent pas au Comité de la liberté syndicale de s’immiscer dans les lois américaines sur l’immigration ni de les interpréter. Le droit de chaque pays d’établir des règles en la matière n’est pas en question ici. Il s’agit de dire si des pays peuvent édicter en matière d’immigration des règles qui violent les droits de l’homme. Les droits fondamentaux ne sauraient faire l’objet de compromis d’ordre politique. Les droits de l’homme ne sauraient être abrogés pour parvenir à des objectifs politiques, mais doivent toujours l’emporter sur ces objectifs. C’est aux options politiques d’être en conformité avec les normes fondamentales des droits de l’homme. A cet égard, les organisations plaignantes renvoient aux conclusions du comité dans le cas no 2121 où des travailleurs étrangers en situation irrégulière se sont vu refuser le droit à la liberté syndicale en Espagne [voir 327e rapport, paragr. 561] et à d’autres cas concernant des travailleurs étrangers précédemment examinés par le comité.
- 574. L’arrêt Hoffman a des répercussions directes sur l’exercice des droits syndicaux, car il touche les travailleurs dans le libre choix de leur syndicat, aboutit au licenciement de certains travailleurs et crée d’autres préjudices liés à l’affiliation à un syndicat. La décision met en œuvre les lois sur l’immigration d’une manière qui gêne le libre exercice des droits syndicaux. L’arrêt Hoffman constitue de la sorte une violation des droits des travailleurs de constituer des syndicats de leur choix et d’y adhérer, ainsi que de leurs droits à une protection adéquate contre les actes de discrimination antisyndicale.
- 575. En outre, l’arrêt Hoffman a eu des effets dévastateurs depuis les quelques mois où il a été rendu. Des employeurs ont directement menacé des travailleurs en portant la décision à leur connaissance et en soulignant le fait qu’ils pouvaient être licenciés pour leurs activités syndicales sans droit à réintégration ou à une rémunération rétroactive. Des travailleurs ont abandonné de nombreuses campagnes d’organisation syndicale par peur des conséquences de la décision. Des employeurs ont également menacé des travailleurs de licenciement s’ils se plaignaient de violations relatives à leur niveau de salaire, aux heures supplémentaires, aux règlements en matière de sécurité et de santé ou en cas d’autres réclamations auprès d’un organisme gouvernemental d’application de la législation du travail.
- 576. Bien que, suite à l’arrêt Hoffman, des organismes de protection des travailleurs tels que le ministère du Travail et la Commission de l’égalité de chances dans l’emploi ont réaffirmé leur engagement à mettre en œuvre les lois relevant de leurs compétences sans considération de la situation au regard des lois sur l’immigration, ces organismes ont néanmoins reconnu que la logique de l’arrêt Hoffman ne leur permet pas de réclamer une rémunération rétroactive pour les travailleurs en situation irrégulière pour un travail non accompli. En outre, le sort des recours statutaires et en vertu de la common law, tels que les indemnités pour tort et souffrance en cas de harcèlement sexuel, la compensation des pertes de salaire liées au refus de promouvoir un employé en raison de sa nationalité, et d’autres recours, est maintenant incertain. Les employeurs tenteront d’étendre la logique de l’arrêt Hoffman à tous les recours efficaces en faveur des victimes de discrimination qui ne possèdent pas d’autorisation de travail valable ou qui craignent que leur situation au regard des lois sur l’immigration ne devienne un problème.
- 577. Les organisations plaignantes font valoir qu’il incombe maintenant aux pouvoirs exécutif et législatif de prendre des mesures pour annuler l’arrêt Hoffman, même si l’administration n’a pas pris des mesures législatives en ce sens, et si le Congrès n’a encore rien fait à ce jour. Les organisations plaignantes en concluent que les Etats-Unis continuent à violer ses obligations en tant que Membre de l’OIT. Elles demandent en conséquence au comité d’appeler le gouvernement des Etats-Unis à prendre les mesures nécessaires pour s’acquitter de ses obligations concernant la liberté syndicale et la protection des droits d’organisation et de négociation collective pour tous les travailleurs, sans distinction d’aucune sorte, et de lui suggérer de tirer parti des formes pertinentes de coopération tripartite disponibles en rapport avec les questions soulevées par la plainte.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement - 578. Dans sa communication en date du 9 mai 2003, le gouvernement remarque que, selon les plaintes à l’origine de ce cas, la décision de la Cour suprême des Etats-Unis dans Hoffman Plastic Compounds, Inc. contre Conseil national des relations professionnelles viole les droits fondamentaux, à savoir la liberté d’association et la protection du droit d’organisation et de négociation collective, des travailleurs migrants aux Etats-Unis. Plus particulièrement, les plaignants allèguent que le cas Hoffman établit une distinction en fonction de la situation au regard des lois sur l’immigration qui enfreint les obligations des Etats-Unis au titre des conventions nos 87 et 98 ainsi que de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail de 1998. A cet égard, le gouvernement rappelle d’abord que les Etats-Unis n’ont pas ratifié les conventions nos 87 et 98, qu’ils n’ont de ce fait aucune obligation juridique internationale au titre de ces instruments et ne sont donc pas tenus de donner effet à leurs dispositions dans leur législation nationale. Néanmoins, le gouvernement affirme qu’en de multiples occasions il a montré que sa législation et sa pratique en matière de travail sont conformes aux dispositions des conventions nos 87 et 98 et ajoute que les organes de contrôle de l’OIT ont d’une manière générale appuyé cet avis.
- 579. De même, le gouvernement explique que la Déclaration de l’OIT est une déclaration de principes non contraignante, qu’il ne s’agit pas d’un traité et qu’elle ne donne naissance à aucune obligation juridique. Le gouvernement des Etats-Unis a présenté des rapports annuels dans le cadre des procédures de suivi établies par la Déclaration, rapports montrant qu’il respecte, encourage et met en œuvre les principes et droits fondamentaux au travail inscrits dans la Constitution de l’OIT.
- 580. Dans le cas présent, la position du gouvernement est que l’arrêt Hoffman ne viole pas les principes de la liberté syndicale en créant une distinction basée sur la situation au regard de la Loi sur l’immigration. L’arrêt Hoffman a été rédigé de manière très restreinte, à savoir que la Cour suprême a limité une voie de recours prévue par la législation du travail des Etats-Unis au motif que les immigrants illégaux ne peuvent bénéficier d’une rémunération rétroactive pour un travail non accompli et pour un travail obtenu en premier lieu de manière délictueuse. Le gouvernement des Etats-Unis a clairement indiqué que la décision ne s’appliquerait pas plus largement, et c’est ainsi que les tribunaux des Etats-Unis l’ont interprétée.
- 581. Le gouvernement explique que l’entreprise Hoffman Plastic Compounds, Inc., qui prépare des composés chimiques à la demande pour les entreprises de produits pharmaceutiques, de matériaux de construction et de biens ménagers, a recruté José Castro en mai 1988 pour assurer le fonctionnement de différentes machines mélangeuses. Avant d’être embauché, M. Castro a fourni des papiers attestant apparemment qu’il était autorisé à travailler aux Etats-Unis. En décembre 1988, la United Rubber, Cork, Linoleum and Plactic Workers of America (Syndicat des travailleurs du caoutchouc, du bouchon, du linoléum et du plastique d’Amérique) a lancé une campagne de syndicalisation dans l’usine de production Hoffman. Plusieurs salariés, dont M. Castro, ont appuyé cette campagne et distribué des cartes syndicales à des collègues. En janvier 1989, l’employeur a licencié M. Castro et les autres salariés ayant participé à ces activités.
- 582. En janvier 1992, le Conseil national des relations professionnelles (NLRB) a estimé que l’employeur avait illégalement visé quatre salariés, dont M. Castro, qui avaient été licenciés afin d’éliminer des sympathisants syndicaux connus, en violation de l’article 8 (a) (3) de la Loi nationale sur les relations de travail (NLRA) qui interdit la discrimination en matière d’embauche ou d’emploi ou toute autre condition d’emploi tendant à encourager ou à décourager l’appartenance à une organisation syndicale quelle qu’elle soit. Face à cette violation de la loi, le NLRB a ordonné que l’employeur: 1) mette fin et renonce à toute autre violation de la NLRA; 2) affiche un avis détaillé sur l’ordonnance corrective à l’intention de ses salariés; et 3) propose de réintégrer et de verser une rémunération rétroactive aux quatre personnes concernées. L’employeur est convenu d’appliquer cette ordonnance.
- 583. Les parties se sont rendues à une audience au cours de laquelle un juge administratif était chargé de statuer sur la conformité et de fixer le montant de la rémunération rétroactive due à chacun des salariés. Le dernier jour de l’audience, M. Castro a révélé qu’il était né au Mexique et n’avait jamais été légalement autorisé à résider aux Etats-Unis ni à y travailler. Il a reconnu avoir été embauché en présentant un certificat de naissance appartenant à un ami né au Texas. Il a également reconnu avoir utilisé ce certificat de naissance pour obtenir de manière frauduleuse un permis de conduire en Californie et une carte de sécurité sociale, et se faire embaucher illégalement après avoir été licencié par Hoffman. Ni M. Castro ni l’avocat général du NLRB n’ont fourni de preuves selon lesquelles M. Castro avait demandé ou cherchait à obtenir un permis de travail aux Etats-Unis. En se basant sur ce témoignage, le juge administratif a estimé que le NLRB était dans l’impossibilité d’accorder à M. Castro une rémunération rétroactive ou une réintégration du fait que ces mesures d’indemnisation seraient contraires au précédent établi par la Cour suprême et incompatibles avec la Loi sur le contrôle et la réforme de l’immigration de 1986 (IRCA), (8 U.S.C., art. 1324a), selon laquelle un employeur n’a pas le droit d’embaucher en connaissance de cause un travailleur en situation irrégulière, et les travailleurs n’ont pas le droit d’utiliser des documents frauduleux pour obtenir un emploi. Cette décision n’affectait pas la décision de réintégration et/ou de rémunération rétroactive des trois autres salariés abusivement licenciés, décision que l’employeur a respectée.
- 584. Par la suite, le NLRB a annulé la décision du juge en matière de rémunération rétroactive (la question de l’impossibilité de la réintégration n’a pas été soulevée). Le NLRB a estimé que M. Castro avait droit à une rémunération rétroactive de 66 951 dollars, plus intérêts. Cette rémunération rétroactive portait sur la période allant de la date de licenciement de M. Castro jusqu’à la date à laquelle Hoffman avait pris connaissance pour la première fois de son statut de sans-papiers, soit une période de quatre ans et demi. La Cour d’appel a réfuté les demandes en révision de l’employeur.
- 585. Le gouvernement précise que, dès 1984, la Cour suprême a confirmé que la NLRA s’applique aux pratiques de travail déloyales à l’encontre de travailleurs en situation irrégulière (Sure-Tan, 467 U.S. 883). La Cour a statué que la définition du mot «salarié» dans la NLRA comprend «tout salarié», y compris les travailleurs étrangers en situation irrégulière. Dans le cas Sure-Tan, il a été estimé que l’employeur était l’auteur d’une pratique de travail déloyale car il avait dénoncé des travailleurs en situation irrégulière au service d’immigration et de naturalisation comme mesure de rétorsion pour leur activité syndicale. Toutefois, la Cour a estimé que l’éventail des recours à la disposition du NLRB était limité par la politique fédérale en matière d’immigration. Elle a ainsi estimé que, dans le calcul de la rémunération rétroactive, les salariés doivent être considérés comme «indisponibles» pour le travail pendant toute la période pendant laquelle ils ne sont pas légalement autorisés à être présents et employés sur le territoire des Etats-Unis.
- 586. En 1986, le Congrès a promulgué la Loi sur le contrôle et la réforme de l’immigration (IRCA), avec un mécanisme de grande portée interdisant l’emploi d’étrangers en situation irrégulière aux Etats-Unis qui est l’élément central de la politique fédérale en matière d’immigration. Pour ce faire, il a établi un système de vérification destiné à interdire l’emploi aux étrangers qui: a) ne sont pas légalement autorisés à être sur le territoire des Etats-Unis; ou b) ne sont pas légalement autorisés à travailler aux Etats-Unis. L’IRCA prévoit que l’employeur doit vérifier l’identité et le droit à l’emploi de toutes les personnes nouvellement recrutées en examinant certains documents précis avant qu’elles ne commencent à travailler. Si un candidat étranger n’est pas en mesure de présenter les documents requis, il ne peut être embauché. Un étranger en situation irrégulière qui présente des papiers d’identité frauduleux est en infraction. La législation fédérale en matière d’immigration interdit aux étrangers d’utiliser ou de tenter d’utiliser des faux papiers ou des papiers contrefaits, altérés ou falsifiés, de même que des papiers délivrés légalement à une autre personne pour obtenir un emploi aux Etats-Unis. Les étrangers qui utilisent ou tentent d’utiliser des papiers de ce type s’exposent à une amende et à des poursuites pénales. De même, les employeurs qui violent l’IRCA, soit en recrutant en connaissance de cause un étranger en situation irrégulière ou en ne licenciant pas le travailleur au moment de la découverte de sa situation, risquent une amende et une poursuite pénale.
- 587. Dans le cas Hoffman en mars 2002, la Cour a réaffirmé la position qu’elle avait prise dans le cas Sure-Tan dans le contexte de la nouvelle législation fédérale en matière d’immigration. La Cour suprême a exprimé l’avis que la décision du NLRB de versement d’une rémunération rétroactive est contraire à la politique fédérale en matière d’immigration, telle qu’exprimée dans l’IRCA, encourage les personnes concernées à se soustraire aux services d’immigration, légitime les violations antérieures des lois sur l’immigration et encourage de nouvelles violations. Sur cette base, la Cour a estimé qu’un travailleur en situation irrégulière ne peut recevoir une rémunération rétroactive s’il n’a jamais été légalement autorisé à travailler aux Etats-Unis. La Cour a conclu que la rémunération rétroactive ne devrait pas être accordée «pour des années de travail non effectué, pour des salaires qui n’ont pu être acquis légalement ni pour un emploi obtenu en premier lieu de manière délictueuse».
- 588. Il est particulièrement important de noter que la décision Hoffman ne représente pas une évolution importante dans le point de vue de la Cour suprême quant à l’équilibre entre la politique d’immigration et la législation du travail des Etats-Unis. Depuis la création du NLRB, la Cour a invariablement cassé les décisions de réintégration ou de rémunération rétroactive de salariés jugés coupables de conduite illégale en rapport avec leur emploi. Comme indiqué plus haut, dans le cas Sure-Tan, la Cour a estimé que, lorsque les salariés ne sont pas légalement autorisés à être présents ni à être employés sur le territoire des Etats-Unis, le pouvoir du NLRB, s’agissant de rémunération rétroactive, est limité par la politique fédérale en matière d’immigration. En vertu de l’IRCA, un étranger cherchant à obtenir un emploi à l’aide de faux papiers commet un délit. La décision Hoffman va donc dans le sens de l’interprétation de la législation du travail dans le cas Sure-Tan et de la politique fédérale en matière d’immigration telle qu’elle est exprimée dans l’IRCA.
- 589. Le gouvernement affirme toutefois que la décision ne limite pas la liberté syndicale sur la base de la situation au regard des lois sur l’immigration. Le premier amendement à la Constitution des Etats-Unis prévoit que «le Congrès ne fera aucune loi qui touche l’établissement ou interdise le libre exercice d’une religion, ni qui restreigne la liberté de la parole ou de la presse, ou le droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour la réparation des torts dont il a à se plaindre». Le libellé du premier amendement en matière de liberté syndicale assure aux travailleurs, sans distinction, le droit protégé par la Constitution d’établir un syndicat, de s’y affilier et de participer à ses activités. Ce droit s’applique à toutes les personnes présentes sur le territoire des Etats-Unis, quelle que soit leur situation au regard des lois sur l’immigration.
- 590. La NLRA régit la relation entre la majorité des employeurs privés et de leurs salariés non cadres. Selon la NLRA, les Etats-Unis ont pour politique de protéger l’exercice par les travailleurs de la pleine liberté d’association, d’organisation et de désignation des représentants de leur choix. La NLRA touche au droit d’organisation tout comme à la protection contre la discrimination antisyndicale. Comme indiqué plus haut, la Cour suprême des Etats-Unis a confirmé que la NLRA s’applique aux travailleurs en situation irrégulière.
- 591. La décision Hoffman n’a pas modifié ni remis en question, mais plutôt confirmé, le principe selon lequel les travailleurs en situation irrégulière aux Etats-Unis ont le droit de constituer des syndicats et d’y adhérer. La Cour s’est référée de manière spécifique à sa décision antérieure dans le cas Sure-Tan quant à l’applicabilité de la NLRA aux travailleurs en situation irrégulière. Contrairement au cas no 2121 soumis au Comité de la liberté syndicale, la décision ne justifie donc pas de nouvelle procédure d’autorisation ayant un effet discriminatoire sur le droit des travailleurs en situation irrégulière à constituer des syndicats, à s’y affilier ou à participer aux activités d’organisation de leur choix.
- 592. En fait, en réponse à la décision Hoffman, le conseil général du NLRB a réaffirmé précisément ce qui suit:
- n Tous les travailleurs ayant le statut de salariés, y compris les travailleurs en situation irrégulière, bénéficient d’une protection contre des pratiques de travail déloyales et du droit de vote dans les élections au NLRB, quelle que soit leur situation au regard des lois sur l’immigration.
- n La situation d’un salarié en matière de permis de travail est sans effet sur la responsabilité d’un employeur au titre de la loi, et toute question concernant cette situation devrait être réglée au stade de l’application des décisions.
- n La situation d’un salarié au regard des lois sur l’immigration est sans effet sur la reconnaissance d’une unité ou le droit de vote.
- 593. Dans le cas Hoffman, la seule question était de savoir si le NLRB pouvait attribuer une rémunération rétroactive à des travailleurs en situation irrégulière dans une circonstance donnée, c’est-à-dire dans le cas d’une période postérieure au licenciement pour un travail non effectué lorsque le travailleur étranger n’était pas autorisé à être présent ni être employé aux Etats-Unis. La Cour a estimé que l’attribution de cette rémunération va à l’encontre des politiques à la base de l’IRCA que le NLRB n’a pas le pouvoir de faire appliquer. L’octroi de cette rémunération dépasse donc les possibilités du NLRB en matière de compensation. La Cour a été très claire sur le fait que les limites en matière de rémunération rétroactive n’affectent cependant pas les autres voies de recours à la disposition du NLRB et des tribunaux en matière d’application de la NLRA:
- L’absence de pouvoir d’attribution d’une rémunération rétroactive ne signifie pas que l’employeur s’en sort sans obligations. Le NLRB a déjà imposé de lourdes sanctions à Hoffman – sanctions que Hoffman ne remet pas en cause. Il ordonne notamment à Hoffman de mettre fin et de renoncer à toute violation de la NLRA et d’afficher visiblement un avis à l’intention des salariés détaillant leurs droits au titre de la NLRA et présentant ses pratiques antérieures déloyales. Hoffman fera l’objet de poursuites s’il ne satisfait pas à ces demandes. Nous avons considéré que ces «voies de recours traditionnelles» sont suffisantes pour appliquer la politique nationale du travail sans la stimulation que pourrait donner la rémunération rétroactive.
- 594. Le NLRB a également confirmé la portée limitée de la décision Hoffman. Dans un mémorandum de juillet 2002, l’avocat général a rappelé aux bureaux régionaux du NLRB que la décision de la Cour dans le cas Hoffman n’affectait pas d’autres voies de recours à sa disposition. De même, l’arrêt Hoffman n’a pas influé sur l’application d’autres lois régissant les relations d’emploi (sauf dans les cas de rémunérations rétroactives pour un travail non accompli). En juin 2002, le département du Travail a publié une note d’information soulignant clairement que, dans le cas Hoffman, la décision de la Cour n’affecte pas des textes de loi que le département applique comme le Fair Labor Standards Act (FLSA) (Loi sur les normes équitables du travail) et le Migrant and Seasonal Agricultural Worker Protection Act (MSPA) (Loi sur la protection des travailleurs agricoles migrants et saisonniers) qui assurent une protection sociale fondamentale aux travailleurs vulnérables. Le département continuera à appliquer la FLSA et la MSPA, qu’un salarié soit en possession de papiers ou non, de manière à garantir que les salariés sont rémunérés comme nécessaire pour les heures véritablement œuvrées.
- 595. La Commission des Etats-Unis pour l’égalité des chances dans l’emploi (EEOC) a également publié en juin 2002 une déclaration soulignant que la décision Hoffman n’affecte pas la possibilité du gouvernement de lutter contre la discrimination dont font l’objet les travailleurs en situation irrégulière. La décision de la Cour suprême dans le cas Hoffman ne remet en aucun cas en cause le principe établi selon lequel ces travailleurs sont couverts par les mêmes statuts fédéraux en matière de discrimination dans l’emploi. Si la décision prise dans le cas Hoffman peut influer sur le droit d’une personne à recevoir certaines formes de compensation lorsqu’une violation est établie, la situation au regard des lois sur l’immigration ne joue aucun rôle lorsque la Commission des Etats-Unis pour l’égalité des chances dans l’emploi examine le bien-fondé d’un chef d’accusation.
- 596. Le gouvernement souligne que les tribunaux fédéraux de district des Etats-Unis ont également confirmé la portée limitée de la décision Hoffman, et il fournit à titre d’exemple différents cas établissant l’inapplicabilité de Hoffman à l’espèce et soutenant le versement de salaires non payés à des travailleurs en situation irrégulière pour un travail véritablement effectué.
- 597. En conclusion, le gouvernement déclare qu’il n’a aucune obligation juridique de donner effet aux instruments mentionnés dans la plainte de la Fédération américaine du travail et Congrès des organisations industrielles (AFL-CIO). En outre, il souligne que la décision Hoffman n’a pas une large portée du fait qu’elle ne touche que l’une des voies de recours disponibles pour l’application de la NLRA. La discrimination à l’encontre de salariés en situation irrégulière pour activité syndicale reste illégale après la décision Hoffman, et rien ne prouve que cette décision a érodé ou érodera de manière importante la protection fondamentale des travailleurs. En fait, le gouvernement des Etats-Unis a pris des mesures pour répondre aux craintes que la décision Hoffman ne soit interprétée de manière plus large que prévu.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité - 598. Le comité note que les allégations formulées dans ce cas concernent les conséquences d’une décision de la Cour suprême des Etats-Unis sur les droits en matière de liberté syndicale de millions de travailleurs aux Etats-Unis; selon cette décision, du fait de sa situation au regard de la Loi sur l’immigration, un travailleur en situation irrégulière n’est pas autorisé à recevoir une rémunération rétroactive pour les salaires perdus après avoir été illégalement licencié pour exercice des droits syndicaux protégés par la Loi nationale sur les relations de travail (NLRA).
- 599. Le comité prend dûment note, en premier lieu, de la réponse du gouvernement aux allégations des plaignants concernant les obligations des Etats-Unis au titre des conventions nos 87 et 98, de même que de la Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail. Le gouvernement indique à juste titre que, n’ayant ratifié aucun de ces deux instruments, il n’a pas d’obligation juridique internationale directement liée aux conventions nos 87 et 98. Il ajoute que la Déclaration de l’OIT de 1998 relative aux principes et droits fondamentaux au travail est une déclaration de principes non contraignante qui n’entraîne aucune obligation juridique.
- 600. Le comité rappelle toutefois que, depuis sa création en 1951, il a été chargé d’examiner les plaintes alléguant des violations de la liberté syndicale indépendamment du fait que le pays ait ou non ratifié les conventions pertinentes de l’OIT. Son mandat n’est pas lié à la Déclaration de l’OIT de 1998 – qui a ses propres mécanismes de suivi – mais découle directement des buts et objectifs fondamentaux tels qu’ils sont énoncés dans la Constitution de l’OIT. Le comité a souligné à cet égard que la fonction de l’Organisation internationale du Travail en matière de liberté syndicale et de protection de l’individu est de contribuer à la mise en œuvre effective des principes généraux de la liberté syndicale qui est l’une des garanties primordiales de la paix et de la justice sociale. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, quatrième édition, 1996, paragr. 1, et annexe I, paragr. 23.] C’est dans cet esprit que le comité a l’intention de procéder à l’examen de la présente plainte.
- 601. Cette plainte fait suite à une décision de la Cour suprême des Etats-Unis dans le cas Hoffman Plastic Compounds, Inc. contre National Labor Relations Board (Conseil national des relations professionnelles). En résumé, le cas concerne un travailleur en situation irrégulière, José Castro, qui a été licencié de l’entreprise Hoffman Plastic pour avoir appuyé une campagne de syndicalisation et distribué des cartes syndicales à des collègues. Le fait que ce licenciement ait eu lieu en violation de l’article 8 (a) (3) de la NLRA qui interdit la discrimination antisyndicale n’est pas contesté. A la lumière de ce licenciement illégal, le Conseil national des relations professionnelles (NLRB) a ordonné à l’entreprise Hoffman de prendre les mesures suivantes: 1) mettre fin et renoncer à toute violation de la NLRA; 2) afficher un avis à l’intention des salariés détaillant les mesures de dédommagement prises; et 3) offrir une réintégration et une rémunération rétroactive aux salariés concernés. Lors de l’audience organisée par le juge administratif (ALJ), José Castro a admis qu’il n’avait jamais eu légalement le droit d’être présent ou de travailler sur le territoire des Etats-Unis et qu’il avait obtenu son emploi en présentant des documents falsifiés. En se basant sur ce témoignage, le juge a estimé que le NLRB était dans l’impossibilité d’accorder à M. Castro une rémunération rétroactive ou une réintégration dans l’emploi du fait que, selon lui, ces mesures seraient contraires au précédent établi par la Cour suprême et incompatibles avec la Loi sur le contrôle et la réforme de l’immigration selon laquelle un employeur n’a pas le droit d’embaucher, en connaissance de cause, un travailleur en situation irrégulière et les travailleurs n’ont pas le droit d’utiliser des documents frauduleux pour être embauchés.
- 602. Le NLRB a ensuite annulé la décision du juge en matière de rémunération rétroactive (l’impossibilité de la réintégration n’a pas été mise en cause) et a calculé le montant de la rémunération à partir de la date du licenciement de M. Castro jusqu’à la date à laquelle Hoffman a pris connaissance pour la première fois de son statut de travailleur en situation irrégulière, soit une période de quatre ans et demi. A la suite du rejet des demandes de révision par la Cour d’appel présentées par l’employeur, Hoffman a finalement fait appel des mesures du NLRB auprès de la Cour suprême. La Cour suprême s’est prononcée en faveur de Hoffman en statuant qu’autoriser le NLRB à octroyer une rémunération rétroactive à des étrangers en situation irrégulière irait sans raison à l’encontre des interdictions statutaires explicites au centre de la politique fédérale en matière d’immigration, telle qu’exprimée dans l’IRCA.
- 603. Le comité note que la plainte met en cause non seulement la conformité de la décision de la Cour suprême dans le cas Hoffman avec les principes de la liberté syndicale mais également le fait que ni le pouvoir exécutif ni le pouvoir législatif du gouvernement n’aient pris de mesures pour remédier à cette violation. Le comité souligne qu’il n’est pas invité à examiner les mesures précises de Hoffman Plastic Compounds, Inc., ni à modifier les conséquences de la décision de la Cour suprême en ce qui concerne l’entreprise Hoffman. En outre, il souhaite souligner que sa tâche ne consiste pas à juger de la validité de la décision majoritaire de la Cour dans le cas Hoffman, décision qui se fonde sur des questions et des précédents juridiques internes complexes, mais plutôt à examiner si cette décision a pour effet de supprimer le droit fondamental des travailleurs en matière de liberté syndicale. Le comité note également à cet égard que le gouvernement ne conteste pas le fait que des travailleurs en situation irrégulière doivent bénéficier de ce droit fondamental, au contraire. Il y a là une différence importante par rapport au cas no 2121 récemment examiné par le comité (et avancé par le plaignant) concernant la législation adoptée par le gouvernement espagnol qui interdit aux travailleurs étrangers en situation irrégulière (sans permis de travail) d’exercer le droit d’organisation. [Voir 327e rapport, paragr. 548-562.] Contrairement au cas no 2121, le gouvernement souligne, dans sa réponse, que tous les travailleurs, quel que soit leur statut au regard des lois sur l’immigration, bénéficient du droit protégé par la Constitution d’établir un syndicat, de s’y affilier et de participer à ses activités (premier amendement à la Constitution des Etats-Unis) et ajoute que la NLRA, dont le but est de protéger l’exercice par les travailleurs de la pleine liberté d’association, d’organisation et de désignation des représentants de leur choix, s’applique également aux travailleurs en situation irrégulière.
- 604. Dans le cas présent, la question est de savoir si les voies de recours restant à la disposition des travailleurs en situation irrégulière pour les protéger dans l’exercice de leur liberté d’association après le cas Hoffman peuvent être considérées comme suffisantes pour garantir que ces droits ont une signification véritable. Le gouvernement a indiqué dans sa réponse que la décision Hoffman est rédigée de manière très restrictive et que la Cour suprême n’interdit qu’une seule mesure, celle de la rémunération rétroactive pour un travail non accompli et pour un emploi obtenu en premier lieu de manière délictueuse. Le comité note également, d’après le mémorandum de l’avocat général du NLRB relatif aux conséquences du cas Hoffman sur les futures procédures et voies de recours du NLRB (attaché à la réponse du gouvernement) que, même si dans le cas Hoffman l’employeur n’était pas au courant du fait que le travailleur faisant l’objet de la discrimination était en situation irrégulière lorsqu’il a été recruté (ce qui pourrait de ce fait autoriser une rémunération rétroactive dans les cas où l’employeur auteur de la discrimination connaît le statut du travailleur au regard des lois sur l’immigration), l’opinion majoritaire est clairement opposée à la rémunération rétroactive de tous les travailleurs en situation irrégulière illégalement licenciés quelles que soient les circonstances de leur recrutement. Selon l’avocat général, la Cour ayant pris sa décision en s’appuyant sur la situation illégale du travailleur, le fait que l’employeur ait eu ou non connaissance de cette situation ne doit pas entrer en ligne de compte et aucune rémunération rétroactive ne doit être demandée.
- 605. Dans la pratique, l’impact de la décision Hoffman aux Etats-Unis n’est donc pas limité aux employeurs qui ont été trompés quant à la situation du travailleur recruté mais vise également les travailleurs en situation irrégulière recrutés par des employeurs en pleine connaissance de leur situation et qui peuvent par la suite être licenciés pour exercice de leur droit fondamental d’organisation alors qu’ils s’efforçaient de faire respecter leurs droits fondamentaux de travailleurs. Les conséquences pour l’employeur du licenciement illégal de ces travailleurs sont maintenant limitées à un ordre de cessation de violation de la NLRA et à l’affichage en évidence d’un avis détaillant les droits des salariés au titre de la NLRA et présentant ses pratiques déloyales antérieures. L’employeur risque dans certaines circonstances de faire l’objet de poursuites s’il ne respecte pas cette décision.
- 606. Le plaignant avance que ces voies de recours sont insuffisantes pour protéger les droits des travailleurs étrangers en matière de liberté syndicale et décrivent un environnement de travail consécutif à la décision Hoffman dans lequel soit les employeurs intimident les travailleurs étrangers au point qu’ils n’exercent pas ces droits, soit ces travailleurs ont simplement trop peur, ne serait-ce que pour tenter d’exercer ce droit fondamental. D’après le plaignant, l’impact sur les droits en matière de liberté syndicale est particulièrement grave du fait qu’il existe environ 8 millions de travailleurs en situation irrégulière aux Etats-Unis. Alors que, d’un autre côté, la Cour suprême déclare qu’elle a considéré ces mesures comme suffisantes pour appliquer la politique nationale de l’emploi, elle ajoute que, à la lumière de l’application pratique des lois sur l’immigration, toute lacune perçue dans les différentes voies de recours prévues par la NLRA doit faire l’objet d’une action du Congrès.
- 607. Dans sa réponse, le gouvernement présente toute une gamme de mesures qu’il a prises pour garantir que la décision Hoffman n’est pas appliquée au-delà de la portée prévue, y compris la rédaction par le département du Travail de notes d’information montrant que la décision n’affecte pas l’application de la Loi sur les normes équitables du travail ni de la Loi sur la protection des travailleurs agricoles migrants et saisonniers concernant, notamment, les salaires minima et la rémunération des heures supplémentaires. Le gouvernement ajoute que la Commission des Etats-Unis pour l’égalité des chances dans l’emploi (EEOC) a publié une déclaration soulignant que, si la décision peut influer sur le droit d’une personne à bénéficier de certaines formes de compensation lorsque la violation est établie, la situation au regard des lois sur l’immigration ne concerne pas cette commission lorsqu’elle examine le bien-fondé d’un chef d’accusation.
- 608. Le comité insiste sur le fait que les questions en rapport avec les principaux buts et objectifs de la loi sur la réforme et le contrôle de l’immigration ne sont pas remises en cause dans ce cas. Il n’a jamais été affirmé que les travailleurs en situation irrégulière, illégalement licenciés pour exercice du droit d’association, devraient être exemptés de la loi sur la réforme et le contrôle de l’immigration pour d’éventuelles violations de la Loi sur l’immigration. Le comité est simplement chargé d’examiner si les voies de recours qui restent disponibles au titre de la NLRA sont suffisantes pour protéger efficacement les droits syndicaux fondamentaux que la loi doit garantir à tous les travailleurs, y compris les travailleurs en situation irrégulière. Le comité rappelle à cet égard l’importance qu’il attache au principe selon lequel nul ne doit être licencié ou faire l’objet de mesures préjudiciables en matière d’emploi en raison de son affiliation syndicale ou de l’exercice d’activités syndicales légitimes, et il importe que tous les actes de discrimination en matière d’emploi soient interdits et sanctionnés dans la pratique. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 748.] Les règles de fond existant dans la législation nationale qui interdisent les actes de discrimination antisyndicale ne sont pas suffisantes si elles ne sont pas accompagnées de procédures efficaces assurant une protection adéquate contre de tels actes. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 739.]
- 609. Le comité rappelle que les voies de recours dont peuvent maintenant bénéficier les travailleurs en situation irrégulière licenciés pour avoir tenté d’exercer leurs droits syndicaux sont notamment les suivantes: 1) ordre de cesser toute violation de la NLRA; et 2) affichage en évidence d’un avis à l’intention des salariés énumérant leurs droits au titre de la NLRA et présentant de manière détaillée les pratiques déloyales antérieures. Les sanctions pour non-application n’existent que dans le cas de violations de décisions du NLRB appliquées par les tribunaux en cas de contentieux ou de règlement officiel (mémorandum de l’avocat général du NLRB sur les procédures et voies de recours après la décision Hoffman). Le comité considère que ces mesures ne sanctionnent en aucune manière les actes de discrimination antisyndicale déjà commis mais ne peuvent que décourager des actes futurs. Cette approche risque d’offrir peu de protection aux travailleurs en situation irrégulière qui peuvent être licenciés sans discernement pour exercice des droits syndicaux sans sanction dissuasive directe.
- 610. Compte tenu de ce qui précède, le comité conclut que les voies de recours restant à la disposition du NLRB en cas de licenciement illégal de travailleurs en situation irrégulière ne sont pas suffisantes pour garantir une protection efficace contre les actes de discrimination antisyndicale.
- 611. Le comité ne va toutefois pas jusqu’à indiquer quelles voies de recours ou réparations précises devraient être disponibles et estime que, à la lumière de la décision Hoffman, cette lacune devrait faire l’objet d’une mesure du pouvoir exécutif ou du Congrès en vue d’éviter des abus possibles et des mesures d’intimidation de ces travailleurs ainsi que toute restriction à l’exercice effectif de leurs droits fondamentaux en matière de liberté syndicale. Le comité prend note à cet égard de la bonne volonté dont a témoigné le gouvernement dans la déclaration ministérielle conjointe Etats-Unis-Mexique concernant les droits sociaux des travailleurs immigrants (annexée à la réponse du gouvernement) dans laquelle les ministres du Travail des deux gouvernements réaffirment leur volonté d’appliquer pleinement les législations du travail existantes dont l’application relève de leur ministère pour protéger tous les travailleurs (il convient de noter toutefois que l’application de la NLRA ne relève pas du département du Travail) et invite les autorités à examiner les répercussions de la décision Hoffman pour les droits sociaux des travailleurs immigrants aux Etats-Unis et à explorer les domaines de collaboration bilatérale.
- 612. Le comité invite donc le gouvernement à examiner toutes les solutions possibles, y compris la modification de la législation en vue de la mettre en conformité avec les principes de la liberté syndicale, en pleine consultation avec les partenaires sociaux concernés, en vue de garantir la protection effective de tous les travailleurs contre les actes de discrimination antisyndicale à la suite de la décision Hoffman. Le gouvernement est invité à tenir le comité informé des mesures prises à cet égard.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 613. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
- Le comité invite le gouvernement à examiner toutes les solutions possibles, y compris la modification de la législation en vue de la mettre en conformité avec les principes de la liberté syndicale, en consultation avec les partenaires sociaux concernés, en vue de garantir la protection effective de tous les travailleurs contre les actes de discrimination antisyndicale à la suite de la décision Hoffman. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé des mesures prises à cet égard.