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- 600. La Confédération lituanienne des syndicats a déposé une plainte en violation de la liberté syndicale contre le gouvernement de la Lituanie dans une communication en date du 14 mai 2003.
- 601. Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans des communications en date des 12 août 2003 et 14 janvier 2004.
- 602. La Lituanie a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante - 603. Dans sa communication en date du 14 mai 2003, l’organisation plaignante déclare qu’après que le pays a recouvré l’indépendance le Soviet suprême de la République de Lituanie a officiellement reconnu que les anciens syndicats ne représentaient pas les travailleurs, mais faisaient partie du système politique existant, que les biens acquis par ces organisations appartenaient à l’ensemble du peuple lituanien, et que certains d’entre eux devraient être distribués aux organisations syndicales les plus représentatives (Résolution du 30 juillet 1990).
- 604. Ces biens ont été identifiés dans la loi du 25 mai 1993 sur les biens appartenant aux anciens syndicats publics, ainsi que dans la Résolution du 1er juin 1993 du Parlement de la République de Lituanie mettant en oeuvre ladite loi. L’article 3, alinéa 2, de cette loi prévoit aussi la création d’un Fonds spécial dont l’objectif était de soutenir les syndicats existants et en voie de constitution, en répertoriant, acquérant et distribuant les biens syndicaux. Le Fonds spécial devait être géré par un conseil composé des syndicats les plus représentatifs.
- 605. L’article 3 de la Résolution du 1er juin 1993 du Parlement recense les biens (principalement des immeubles) devant être transférés au Fonds spécial pour être ultérieurement attribués. L’article 5 de la loi du 25 mai 1993 stipule en outre que: «le transfert des foyers et centres de convalescence lituaniens sera régi par une loi distincte». Cette loi, adoptée en 1994, prévoyait que les immeubles administratifs seraient transférés aux syndicats les plus représentatifs en fonction du nombre de membres; néanmoins, le problème de la distribution des foyers et centres de convalescence (qui représentent un patrimoine considérable de biens immobiliers) a persisté.
- 606. Selon l’organisation plaignante, il n’existait pas de moyen équitable de distribuer ces biens immobiliers, et des consultations ont eu lieu entre le gouvernement et les organisations syndicales les plus représentatives. Les syndicats ont finalement conclu entre eux un accord portant sur la distribution desdits biens. Le Parlement a pour sa part adopté le 20 juillet 2000 une loi sur la distribution des biens syndicaux. Cette loi prévoit la répartition des biens entre les organisations syndicales à différents niveaux et la création d’un Fonds de soutien syndical dont les fondateurs étaient plusieurs organisations de travailleurs (y compris l’organisation plaignante, après fusion). Le Fonds de soutien syndical a été créé dans les délais requis par la loi, et les quatre centrales syndicales nationales sont convenues de vendre les biens en question et d’en transférer le produit au Fonds de soutien syndical. L’un des fondateurs, le Syndicat des travailleurs lituaniens (renommé par la suite «Solidarité»), a rompu l’accord à la fin de 2002 et s’est adressé aux tribunaux pour faire cesser la vente de ces biens syndicaux.
- 607. Le Bureau du Procureur général, au nom des centrales syndicales, a demandé au tribunal de statuer sur la propriété des foyers et centres de convalescence et d’annuler la décision enregistrant ces biens comme propriété du Fonds spécial. Selon l’organisation plaignante, si cette demande est acceptée, ceci reviendrait à transférer ces biens à l’Etat. Des plaintes pour les mêmes motifs ont été déposées auprès des tribunaux des comtés de Vilnius et de Klaipeda, ce qui a stoppé la vente des centres de convalescence. Les biens en question occasionnent actuellement une perte d’environ 10 000 euros par mois en raison des taxes foncières, ce qui porte préjudice aux intérêts des syndicats.
- 608. L’organisation plaignante fait valoir que, par ses actions, le Bureau du Procureur général s’immisce dans l’organisation des activités syndicales et empêche l’exercice légal de distribution des anciens biens syndicaux sur la base de l’accord conclu entre les centrales syndicales, ce qui viole l’article 3 de la convention nº 87, puisque les autorités imposent ainsi leur volonté aux syndicats et exercent des pressions en se servant du système judiciaire. L’organisation plaignante exige qu’il soit demandé au gouvernement de faire cesser immédiatement l’ingérence du Bureau du Procureur général dans les activités des syndicats.
B. Réponses du gouvernement
B. Réponses du gouvernement - 609. Dans sa communication en date du 12 août 2003, le gouvernement déclare que la Constitution et la loi sur les poursuites font obligation au Procureur général de défendre l’intérêt public et les droits des personnes et de la société, dans le cadre du respect de la loi.
- 610. En mars 2002, le président du syndicat lituanien Solidarité avait écrit à diverses personnalités (y compris le Président de la République, le Président du Parlement, le Procureur général, l’Ombudsman de l’Etat et les médias) en demandant de faire cesser la vente des biens syndicaux pour éviter que des dommages irréparables soient causés aux syndiqués. Le Bureau du Procureur général a reçu une vingtaine de lettres similaires envoyées par des sections locales de Solidarité. La Commission parlementaire de lutte contre la corruption a également envoyé un message (sur la légitimité des actions du Fonds spécial) au Bureau du Procureur général, dont les fonctionnaires sont tenus par la loi d’ouvrir une enquête; à cette fin, ils devaient définir le statut des biens censés être donnés aux syndicats.
- 611. La Résolution nº I-437 adoptée par le Soviet suprême le 30 juillet 1990 stipule que «... les anciens syndicats étaient des organisations gouvernementales et non pas des organisations publiques; il en résulte que les biens acquis au nom des syndicats avec les cotisations accumulées et les subventions de l’Etat appartiennent à l’ensemble du peuple de la Lituanie». Cette résolution autorisait également le gouvernement à répertorier les biens détenus par les anciens syndicats. Il en résulte que l’Etat a pris le contrôle de tous ces biens; seul le gouvernement était compétent pour décider de leur situation au regard de la loi et d’en disposer. La Résolution nº I-166 du 1er juin 1993 du Parlement définit quels sont les biens qui seraient reconnus comme transférables au Fonds. La loi nº I-160 du 25 mai 1993 disposait que le transfert et l’exploitation des institutions de santé et des maisons de repos seraient réglés par un statut distinct (loi nº I-934 du 8 juin 1995) qui stipule que certaines institutions de réadaptation sont considérées comme la propriété des syndicats lituaniens. L’analyse de la législation amène à la conclusion que le Fonds n’est pas devenu propriétaire à part entière des biens, car la loi le limitait à s’occuper temporairement de la distribution et du transfert de ces biens aux syndicats; en dépit de ce mandat restreint, certaines branches des anciennes entités d’Etat (Klaipeda et Alytus) ont enregistré certains de ces biens en tant que propriété du Fonds. L’enquête a également révélé que le conseil du Fonds avait violé d’autres lois réglementant ses activités: certaines décisions ont été adoptées illégalement, par exemple celle de vendre des biens devant être transférés aux syndicats, sans suivre la procédure légalement approuvée. Tous ces actes violaient les principes constitutionnels et les droits de propriété des syndicats et de leurs membres, et constituaient également des violations de l’intérêt public.
- 612. Disposant, après enquête, de motifs suffisants pour estimer que le conseil du Fonds avait violé la législation réglementant ses devoirs de gestion des biens des anciens syndicats, et soucieux de défendre les intérêts des syndicats et de leurs membres, le Procureur général a intenté deux procédures civiles auprès des tribunaux de Vilnius et de Klaipeda afin de faire invalider l’enregistrement des foyers de convalescence et centres de repos comme propriété du Fonds.
- 613. Dans sa communication du 14 janvier 2004, le gouvernement indique que, le 26 août 2003, le Tribunal de district de Klaipeda a fermé le dossier concernant la demande d’annulation de l’enregistrement du titre du Fonds, décision confirmée le 23 octobre par la Cour d’appel. S’agissant de la demande présentée devant le Tribunal de Vilnius, ce dernier a fait droit, le 16 décembre 2003, à la demande du Procureur public et a annulé l’enregistrement des droits du Fonds sur les immeubles faisant l’objet du litige. Le gouvernement ajoute que la Cour constitutionnelle a statué le 30 septembre 2002 que la loi régissant les droits de propriété des sanatoriums et maisons de convalescence (aux termes de laquelle ces établissements avaient été remis aux syndicats et transférés au Fonds) était inconstitutionnelle. La Cour a également décidé que le mandat du Fonds était expiré depuis le 1er juillet 2001.
- 614. Les allégations de l’organisation plaignante, selon lesquelles «il n’y avait pas de moyen équitable de distribuer ces biens», «la propriété de ces biens serait transférée à l’Etat» et le Procureur général «cherche à distribuer les biens des anciens syndicats sans tenir compte de l’avis des syndicats», constituent des tentatives visant à tromper les institutions enquêtant sur les litiges relatifs aux biens syndicaux ainsi que le Comité de la liberté syndicale. Les procédures intentées n’ont pas pour but de distribuer les biens à certains syndicats, comme il est allégué dans la plainte, mais plutôt de rétablir la justice et d’invalider certaines décisions illégales du conseil du Fonds concernant l’aliénation des biens syndicaux.
- 615. Les allégations de l’organisation plaignante, selon lesquelles «les biens saisis donnent lieu à des pertes mensuelles de 10 000 euros par mois et les actions du Procureur général sont néfastes aux intérêts des syndicats», sont également non fondées. En fait, le conseil du Fonds, ayant eu connaissance de l’enquête ouverte par le Bureau du Procureur général sur ses activités, a décidé à la hâte, sans planification adéquate, de vendre les biens qui devaient être donnés aux syndicats. Il a signé un contrat avec un courtier immobilier qui a conclu 12 transactions de vente le 28 octobre 2002; en l’espace d’un mois, ce courtier a revendu la plus grande partie de ces biens immobiliers à des tiers pour un prix bien supérieur, sans rendre de compte au Fonds. Ces transactions ont été en partie rendues possibles en raison de la décision tardive d’intenter des poursuites, de telle sorte que l’ordonnance judiciaire visant à bloquer la vente n’a été émise qu’une fois les biens déjà vendus. C’est pourquoi les tribunaux de Vilnius et de Klaipeda avaient décidé de prendre des mesures conservatoires temporaires aussitôt après avoir reçu les demandes de poursuites ultérieures.
- 616. Les poursuites intentées par le Procureur général ne sont en aucun cas liées à des violations ou à des restrictions illégales des libertés et droits prévues par l’article 3 de la convention no 87, comme allégué par l’organisation plaignante. Bien au contraire, elles visent à protéger les intérêts des syndicats, ainsi que ceux de la Confédération lituanienne des syndicats. Ces poursuites visent le Fonds spécial, un organe spécial créé par le Parlement pour gérer les biens des anciens syndicats avant de transférer leur propriété aux syndicats existants et en voie de constitution. Les activités du Fonds sont réglementées par la législation et non par les arrangements syndicaux. Le contrôle des activités du Fonds a été délégué par le Parlement à l’Autorité de contrôle de l’Etat qui a découvert après enquête que le Fonds et son conseil avaient commis une série de graves violations dans l’aliénation des biens syndicaux. Le gouvernement conclut que la plainte n’est absolument pas fondée et devrait être rejetée.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité - 617. Le comité note que, dans la présente plainte, il est allégué une ingérence du gouvernement dans les activités des syndicats, plus précisément dans la distribution des biens syndicaux, dans un contexte de transition d’un régime de monopole syndical à une situation de pluralisme syndical. Selon l’organisation plaignante, les actions du Bureau du Procureur général ont violé l’article 3 de la convention nº 87.
- 618. Le comité note que, lorsque le pays a recouvré son indépendance, les autorités ont officiellement reconnu que les biens acquis par les syndicats dans le cadre du régime de monopole syndical appartenaient à l’ensemble du peuple de la Lituanie, et ont institué un régime transitoire dans le cadre duquel les biens syndicaux seraient inventoriés, gardés sous contrôle dans le cadre d’une structure légale de conservation, et gérés de telle sorte qu’ils puissent être plus tard distribués aux syndicats existants et en voie de constitution. Le gouvernement a confié ces tâches à un Fonds spécial qui, de l’avis du comité, en était essentiellement l’exécuteur provisoire; sur la base de la législation et des résolutions de mise en oeuvre annexées à la plainte, il apparaît au comité que le Fonds n’a jamais acquis la propriété des biens. En tout état de cause, il n’appartient pas au comité de décider si l’inscription de certains biens au nom du Fonds a été obtenue légalement ou non, ni de statuer sur le sort ou la distribution desdits biens: ces tâches sont de la compétence des institutions judiciaires lituaniennes.
- 619. S’agissant plus précisément de la violation alléguée de l’article 3 de la convention nº 87, le comité note en premier lieu que les actes dont se plaint la Confédération lituanienne des syndicats, à savoir les poursuites engagées par le Procureur général, n’étaient ni dirigés contre l’organisation plaignante ni contre d’autres organisations de travailleurs. Au contraire, agissant sur la foi des informations obtenues durant une enquête de l’organe officiel chargé des audits gouvernementaux, le Bureau du Procureur général s’est adressé aux tribunaux, au nom de l’ensemble des syndicats et travailleurs, afin qu’un organe judiciaire indépendant puisse décider si les actions du conseil du Fonds étaient dans l’intérêt de l’ensemble des syndicats et travailleurs. Dans ce contexte, le Fonds n’était pas une «organisation de travailleurs» au sens de l’article 3 de la convention nº 87, qui n’a donc pas de pertinence ici.
- 620. Le comité note également que l’information recueillie par le gouvernement, durant l’enquête sur la vente de 12 immeubles suivie de leur revente à un prix bien supérieur en l’espace d’un mois, fournissait des motifs raisonnables au Bureau du Procureur général pour engager des poursuites conservatoires, avant que d’autres conséquences négatives n’en résultent pour les syndicats et les travailleurs. Le comité note que les autorités ont pris des mesures en dressant un inventaire et en établissant un système de distribution, au motif que les intérêts des syndicats et des travailleurs étaient en jeu.
- 621. Par ailleurs, le comité constate qu’il existe manifestement de sérieuses divergences entre les diverses organisations de travailleurs au sujet des décisions prises par le Fonds dans l’administration et l’aliénation des biens syndicaux. Le comité demande donc au gouvernement de tenir de nouvelles discussions avec toutes les parties concernées afin de trouver une solution satisfaisante pour tous les intéressés et de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 622. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
- Le comité demande au gouvernement de tenir de nouvelles discussions avec toutes les parties concernées afin de trouver une solution satisfaisante pour tous les intéressés, et de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.