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- 1147. La plainte figure dans une communication de la Fédération nationale des professeurs de l’enseignement secondaire et de l’Association des enseignants du secondaire – branche de Montevideo (ADES) datée du 16 juin 2006. Les organisations plaignantes ont envoyé des informations complémentaires par une communication d’août 2006. Le gouvernement a envoyé ses observations par une communication datée du 28 février 2007.
- 1148. L’Uruguay a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des plaignants
A. Allégations des plaignants- 1149. Dans ses communications datées du 16 juin et d’août 2006, la Fédération nationale
- des professeurs de l’enseignement secondaire et l’Association des enseignants du secondaire – branche de Montevideo (ADES) font savoir que le droit collectif au travail en Uruguay constitue une véritable construction tant doctrinaire que jurisprudentielle. Cette construction s’appuie sur certaines pièces juridiques très concrètes et spécifiques qui font office de soutien normatif, programmatique et de principe. A cet égard, les normes les plus importantes sont l’article 57 de la Constitution de la République, qui prévoit que la loi assure la promotion de l’organisation des syndicats professionnels, en accordant des franchises et en promulguant des normes relatives à la reconnaissance de leur personnalité juridique, ainsi que les conventions de l’OIT nos 87, 98, 151 et 154, relatives à la liberté syndicale et au droit syndical et de négociation collective.
- 1150. Les plaignants ajoutent qu’au niveau national le Parlement de la République vient d’approuver la loi dite de protection de la liberté syndicale no 17940 de 2006, par laquelle les actions ou les omissions en violation de ce qui est prévu dans la norme susmentionnée sont déclarées nulles, et qui prévoit des procédures concrètes afin de veiller au bon exercice de la liberté syndicale. Les plaignants allèguent que ces normes sont précisément celles qui ont été violées par le biais d’actes de nature antisyndicale et discriminatoire à l’égard de certains fonctionnaires enseignants du Conseil de l’enseignement secondaire, organisme décentralisé, dépendant du Conseil exécutif central de l’administration nationale de l’éducation publique, entité publique régissant l’école publique secondaire en Uruguay. Ces fonctionnaires ont été discriminés en matière d’emploi, en raison de l’exercice normal d’activités syndicales.
- 1151. Les plaignants expliquent que tout débuta au mois d’août 2004, dans le lycée no 4 de Montevideo, établissement éducatif qui dispense l’enseignement de niveau secondaire. Dans cet établissement, le directeur avait coordonné, avec l’aide des forces de police, l’arrestation de plusieurs adolescents afin de traiter le problème de la consommation de drogues. Après ces arrestations, Mme Dinorah Siniscalchi, enseignante, qui connaissait les faits et était préoccupée par leur gravité, a convoqué les parents pour les informer du fait que leurs enfants avaient été arrêtés et interrogés par la brigade des stupéfiants. Il faut souligner que cette fonctionnaire était alors une militante syndicale connue dans l’établissement et qu’elle venait de la Commission exécutive de l’Association des enseignants de Montevideo. Cette situation a provoqué préoccupation et inquiétude au cœur de la communauté éducative, notamment au sein de l’établissement; la fonctionnaire en question s’est faite mal voir du directeur, qui a pris une sanction à son encontre, laquelle a été ensuite homologuée par les autorités du Conseil de l’enseignement secondaire.
- 1152. Les plaignants ajoutent que cette situation a provoqué l’indignation du reste des fonctionnaires; elle a catalysé tout naturellement un processus de résistance et de protestation du syndicat et sa branche au niveau de l’établissement. A partir de là, d’autres enseignants ont été mal vus du directeur car ils étaient connus comme représentants syndicaux et représentaient le syndicat au niveau du lycée. Dans ce contexte, quatre enseignants, M. Fernando Moreno, M. Winston Mombrú, M. Pedro Balbi ainsi que l’enseignante susmentionnée, ont subi des préjudices professionnels, en raison d’une notation grossièrement en baisse et totalement injustifiée de leurs évaluations annuelles.
- 1153. Les plaignants indiquent que le directeur de l’établissement dispose d’un instrument très important pour la vie professionnelle de l’enseignant, à savoir: la qualification ou l’évaluation annuelle des tâches. Cette évaluation est particulièrement importante pour la promotion de l’enseignant et, par conséquent, pour l’obtention de meilleures conditions de travail, et notamment d’un meilleur salaire. La qualification de l’enseignant détermine fondamentalement ce que l’on appelle «aptitude à enseigner». L’aptitude à enseigner est la clé de voûte du système de promotion dans la profession et de par son incidence elle est le facteur fondamental de la promotion de l’enseignant dans le système ANEP. Plus encore, le Statut du fonctionnaire enseignant en Uruguay prévoit (art. 40) comme condition expresse de la promotion un minimum de 51 points d’aptitude à enseigner. Un enseignant qui ne réunit pas ces points peut être déclaré inapte par un comité spécial d’inspecteurs.
- 1154. Les plaignants allèguent que le directeur du lycée no 4 de Montevideo n’a pas innové en matière de discrimination antisyndicale. A partir des événements provoqués par l’arrestation des jeunes, auxquels il a été fait référence, et de l’action syndicale menée à cet égard, il a commencé d’utiliser les rapports annuels (qualification de l’aptitude à enseigner) pour sanctionner ceux qui avaient agi comme représentants syndicaux. Ces affiliés avaient auparavant des qualifications qui les plaçaient au niveau «excellent» et leur pourcentage de classes dispensées était de presque 100 pour cent sur l’année. Or leur qualification a été abaissée de quelque 20 à 30 points. Mais le plus frappant est l’audace avec laquelle le directeur introduit des considérations antisyndicales dans les rapports, réclamant même dans certains cas une répression pénale. Selon les plaignants, le fait que les élèves soient au fait des actions syndicales semble beaucoup l’irriter. Au cours de l’année 2005, le directeur a utilisé le rapport annuel de l’année 2004 pour remettre en question l’éthique des syndicalistes, au motif qu’ils avaient accompli des activités de propagande et qu’ils avaient convoqué des assemblées concernant les événements relatifs à l’enseignante Mme Dinorah Siniscalchi.
- 1155. Les plaignants indiquent que la situation est devenue de plus en plus insoutenable, puisque la répression antisyndicale n’a cessé d’augmenter jusqu’à ce jour. Ils ajoutent qu’avec l’aval des autorités du plus haut niveau la situation est très préoccupante. Les qualifications susmentionnées n’ont pas été modifiées par l’organisme responsable en matière de qualification: le Comité de qualification, dans le cas de la physique (matière qu’enseignent les syndicalistes mentionnés), n’a pas fait la plus petite référence à l’impertinence de l’introduction d’éléments de discrimination antisyndicale dans une qualification d’enseignant. Il s’est contenté de faire une moyenne des trois dernières années à l’heure de qualifier les syndicalistes, ce qui a permis à ces derniers de se maintenir au niveau «excellent», grâce à leurs qualifications précédentes, mais le comité a maintenu la qualification octroyée par la direction. Autrement dit, il n’a pas pris fait et cause contre une action manifestement antisyndicale.
- 1156. La répression, loin de cesser, s’est aggravée au fil du temps. Pire encore, les autorités du Conseil de l’enseignement secondaire ont donné leur aval aux pratiques du directeur du lycée no 4. Le directeur a porté plainte contre l’un des enseignants concernés, le professeur Pedro Balbi, et une enquête administrative (procédure disciplinaire visant à appliquer des sanctions et pouvant se terminer par la destitution ou le licenciement du fonctionnaire) a été ouverte sur la base d’aucune preuve digne de foi. La manière dont cette enquête est menée est insolite. Une grossière manipulation de la preuve a finalement permis d’appliquer une suspension de quinze jours à cet enseignant. Pire encore, les déclarations du directeur lui-même démontraient clairement la persécution et la discrimination antisyndicale. Dans une déclaration de plus de 20 pages, le directeur fait référence à toute l’activité syndicale qui a été menée, aux assemblées qui ont été convoquées, aux activités de propagande qui ont été menées à bien et il explique clairement que la situation conflictuelle entre l’enseignant faisant l’objet de l’enquête administrative et la direction du lycée relève précisément de questions syndicales.
- 1157. Les plaignants ont fait savoir que la Division juridique de l’enseignement secondaire n’a jamais fait, dans ses divers rapports, une seule référence à la composante antisyndicale de l’enquête effectuée à l’encontre de l’enseignant Pedro Balbi. En outre, les autorités du conseil se sont cantonnées au silence sur ces sujets et, en dépit du désordre qui a caractérisé la présentation et l’analyse de la preuve, il a été résolu de sanctionner l’enseignant. Pire encore, compte tenu de la situation, les autorités de l’Association des enseignants de l’enseignement secondaire ont demandé l’ouverture d’une enquête administrative contre le directeur du lycée no 4 (dossier no 3/82/06); cependant, aucune de ces demandes n’a fait l’objet d’une réponse ou d’une suite donnée par le Conseil de l’enseignement secondaire. Les plaignants ajoutent que le directeur du lycée no 4 est toujours aussi hostile. Il persiste dans son comportement antisyndical au motif d’une activité de propagande effectuée par le biais de la distribution de matériel d’information à l’extérieur de l’enceinte du lycée no 4 et relative à l’assemblée des enseignants et des étudiants à laquelle participent les dirigeants de l’ADES dans le cadre d’une grève prévue par le PIT-CNT pour défendre la loi de protection de la liberté syndicale.
- 1158. Les plaignants allèguent qu’une enseignante de plus fait désormais partie du groupe des travailleurs victimes de discrimination syndicale au motif des activités susmentionnées; cette enseignante, la professeur Adriana Romano, avait également participé à l’événement susmentionné. En outre, le directeur du lycée a redoublé ses attaques, diminuant plus encore les notes des travailleurs mentionnés et utilisant désormais le rapport annuel pour les accuser de fautes disciplinaires très graves, dont «la violation du principe de laïcité», ou de «la violation de l’indépendance morale et civique de l’enseignant», etc., qui sont autant de motifs de révocation; il a également demandé l’ouverture d’enquêtes administratives contre ces personnes. Sa résolution de continuer à réduire le nombre des points des enseignants (pour l’année 2005) ne semble pas fléchir et, de toute évidence, s’il persiste, il arrivera à ses fins puisque la moyenne des trois dernières années qui est prise en compte pour la qualification finale sera issue de rapports dans lesquels les qualifications de niveau «excellent» se rapprochent désormais dangereusement du niveau «inapte». Si rien n’est fait pour mettre un terme à cette discrimination, la stabilité professionnelle des représentants syndicaux du lycée no 4 qui font actuellement partie des organes exécutifs de divers niveaux syndicaux sera mise en danger. Par ailleurs, la représentation syndicale de l’Association des enseignants de l’enseignement secondaire (branche de Montevideo) sera également remise en question dans cet établissement.
- B. Réponse du gouvernement
- 1159. Dans sa communication du 28 février 2007, le gouvernement fait savoir que, à ce jour, des mesures sont en train d’être prises par le ministère de l’Education et de la Culture et par l’Inspection générale du travail et de la sécurité sociale du ministère du Travail et que, une fois qu’elles seront appliquées, le gouvernement sera en mesure de présenter des observations. Quant aux mesures prises auprès de l’Inspection générale du travail du ministère du Travail et de la Sécurité sociale, il convient de signaler que:
- – lorsqu’il a pris connaissance de la plainte déposée conjointement par la Fédération nationale des professeurs de l’enseignement secondaire et l’Association des enseignants du secondaire (branche de Montevideo), le gouvernement a entrepris des actions administratives tendant à démontrer l’existence ou la non-existence de violations de la convention (nº 151) sur les relations de travail dans la fonction publique, 1978, eu égard aux faits exposés dans la plainte. A cet égard, une résolution administrative accorde une audience au syndicat et à la partie défenderesse, la FENAPES-ADES ayant été convoquée pour le 2 août 2006 et l’ANEP-CES pour le 15 août 2006;
- – suite à la notification de la résolution administrative, les parties se sont rendues à l’audience et, conformément à ce qui est prévu par le décret no 500/991, qui fait référence à la procédure administrative, le dépôt de preuve a été requis par une résolution du 11 septembre de la même année;
- – les deux parties ont apporté une preuve documentaire ainsi qu’une preuve testimoniale et ont demandé une preuve par voie de dossier et de rapports;
- – la résolution du 10 octobre 2006 a ordonné la présentation de la preuve apportée, et les audiences ont été fixées pour la réception des témoignages, la première d’entre elles au 15 novembre 2006;
- – à cet égard, le 26 février de l’année en cours, le dernier des témoignages apportés a été entendu, ce qui a mis un terme au dépôt de preuve;
- – le 27 février 2007, avant que la résolution administrative ne soit prise, les parties ont été autorisées à prendre connaissance des procédures menées à bien.
- 1160. Le gouvernement ajoute que, conformément à ce qui vient d’être exposé, il faut souligner que l’Inspection générale du travail et de la sécurité sociale du ministère du Travail a pris des mesures le plus rapidement possible dès qu’elle a pris connaissance des faits faisant l’objet de la plainte, dans les délais établis par le décret no 500/991, qui réglemente les procédures administratives. Il convient aussi de souligner que le syndicat n’a pas présenté sa plainte au ministère du Travail car il a choisi de la présenter directement à l’OIT, ce qui explique le retard des mesures administratives par rapport au moment où se sont produits les faits faisant l’objet de la plainte.
- 1161. Enfin, le gouvernement réitère que d’autres mesures sont prises par le ministère de l’Education et de la Culture et que l’organisation défenderesse ANEP-CES a agi immédiatement et pris des mesures administratives qui tendent à clarifier les faits faisant objet de la plainte. Par conséquent, le gouvernement affirme qu’il ne s’est pas désintéressé du problème posé par l’organisation plaignante; au contraire, dès que les faits se sont produits, il a pris des mesures immédiates là où il était tenu de les prendre, et il a entamé les procédures correspondantes en s’appuyant sur la garantie de la légalité.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 1162. Le comité observe que, dans le cas présent, les organisations plaignantes allèguent qu’à partir d’août 2004, lorsqu’une enseignante syndicaliste affiliée à l’Association des enseignants de Montevideo a convoqué les parents d’élèves du lycée no 4 de Montevideo, pour les informer que leurs enfants avaient été arrêtés par la brigade des stupéfiants, les autorités de l’établissement ont sanctionné cette syndicaliste (Mme Dinorah Siniscalchi). Suite à une protestation du syndicat à cet égard, ces autorités ont commencé de prendre des mesures antisyndicales (octroi de mauvaises qualifications dans les rapports annuels, suspension de poste et ouverture d’enquêtes qui peuvent déboucher sur un licenciement) à l’encontre d’autres enseignants affiliés à ce même syndicat et qui en étaient les représentants (M. Fernando Moreno, M. Winston Mombrú, M. Pedro Balbi et Mme Adriana Romano).
- 1163. Le comité note que le gouvernement déclare que: 1) en ce qui concerne les allégations relatives à ce cas, des mesures (enquêtes) sont actuellement en cours, qui ont été diligentées par le ministère de l’Education et de la Culture et par l’Inspection générale du travail du ministère du Travail et de la Sécurité sociale; 2) en ce qui concerne l’enquête ouverte par l’Inspection générale du travail, le 27 février 2007, une audience a été accordée aux parties avant que la résolution administrative ne soit prise; et 3) lorsque l’Inspection générale du travail a pris connaissance des faits (le syndicat n’a pas porté plainte auprès du ministère du Travail, mais directement auprès de l’OIT, et ceci explique le retard des actions administratives par rapport au moment où les faits se sont produits), elle a agi avec la plus grande célérité possible.
- 1164. Dans ces conditions, le comité espère que les enquêtes en cours permettront de déterminer les motifs pour lesquels des sanctions et certaines mesures ont été prises à l’encontre des affiliés de l’Association des enseignants de Montevideo mentionnés dans la plainte, et il demande au gouvernement, au cas où ce dernier constaterait la nature antisyndicale de ces mesures et sanctions, de prendre les mesures nécessaires pour qu’elles soient immédiatement levées. En outre, le comité espère que toutes ces procédures aboutiront dans un futur proche et il demande au gouvernement de le tenir informé du résultat des enquêtes en cours et de tout recours éventuel les concernant.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 1165. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
- Le comité espère que les enquêtes en cours permettront de déterminer les motifs pour lesquels les autorités du lycée no 4 de Montevideo ont imposé des sanctions et pris diverses mesures à l’encontre des affiliés de l’Association des enseignants de Montevideo mentionnés dans la plainte, et il demande au gouvernement, au cas où il constaterait la nature antisyndicale de ces mesures et sanctions, de prendre les mesures nécessaires pour qu’elles soient immédiatement levées. En outre, le comité espère que les procédures aboutiront dans un futur très proche et demande au gouvernement de le tenir informé du résultat des enquêtes en cours et de tout recours éventuel les concernant.