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Interim Report - Report No 354, June 2009

Case No 2672 (Tunisia) - Complaint date: 04-JUN-08 - Closed

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  1. 1117. La plainte figure dans des communications du comité de liaison de la Confédération générale tunisienne du travail (CGTT) en date des 4 juin et 4 décembre 2008.
  2. 1118. Le gouvernement a envoyé ses observations dans des communications en date du 26 novembre 2008 et du 28 janvier 2009.
  3. 1119. La Tunisie a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (nº 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 1120. Dans une communication en date du 4 juin 2008, le comité de liaison et fondateur de la Confédération générale tunisienne du travail (CGTT) dresse, dans un premier temps, un bilan du mouvement syndical en Tunisie. Selon l’organisation plaignante, la pratique du syndicalisme, notamment au sein de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), relève d’un modèle de gouvernance et de fonctionnement caractérisé par le centralisme, une concentration de l’autorité, une personnalisation du pouvoir, un bureau tentaculaire et une crainte des opinions, des positions et des pratiques divergentes. L’organisation plaignante indique que ces conceptions reflètent en outre une culture nationaliste qui n’a pas rompu avec les conceptions en cours durant la période coloniale et démontrent une incapacité d’adaptation dès lors qu’il était nécessaire d’évoluer dans une situation politique, économique et sociale nouvelle d’un Etat indépendant. Aussi le mouvement syndical, n’ayant pu développer la démocratie en son sein, s’est trouvé incapable d’influer l’évolution politique du pays vers une démocratisation de la société civile et politique.
  2. 1121. L’organisation plaignante indique que la création d’une nouvelle organisation syndicale démocratique, progressiste et autonome offre une alternative dynamique au blocage ressenti et a pu susciter ainsi l’intérêt des syndicalistes et des médias du pays. La CGTT ne se réclame d’aucun parti politique, au pouvoir ou dans l’opposition. Le syndicalisme souhaité s’appuierait sur les piliers suivants: la défense des droits sociaux et économiques fondamentaux des travailleurs; l’implication du syndicalisme en tant qu’acteur efficient dans la transformation sociale; la sauvegarde de l’autonomie du mouvement syndical par rapport aux différentes entités du pouvoir, politiques, idéologiques ou économiques. Ainsi, la CGTT précise son ambition de refondre le mouvement syndical tunisien en bouleversant ses concepts, ses méthodes de travail et son fonctionnement. A cet égard, la CGTT aspire à moderniser les mécanismes de l’action syndicale et à former ses dirigeants pour constituer une force de revendication et de proposition dans la lutte contre l’exploitation au travail et la précarité dans l’emploi. L’organisation plaignante entend tirer profit de l’expérience syndicale dans le pays tout en tenant compte des expériences belge, espagnole et scandinave du pluralisme syndical – qu’elle qualifie de réussies.
  3. 1122. L’organisation plaignante indique qu’un comité de liaison a été constitué et que ce dernier a pour fonction d’assurer le suivi de la constitution de syndicats aux niveaux des entreprises, des fédérations, des unions locales et régionales, ceci en préparation d’un congrès national constitutif de la CGTT. Les syndicalistes, l’opinion publique et les médias en Tunisie comme dans le monde devaient être informés de cette constitution. La constitution du congrès confédéral était prévue les 2, 3 et 4 décembre 2007, or l’organisation plaignante indique que celle-ci a été impossible à matérialiser.
  4. 1123. L’organisation plaignante rappelle les dispositions constitutionnelles et législatives qui garantissent la liberté syndicale et le droit de constituer des syndicats sans autorisation administrative préalable. Ainsi, si certaines obligations formelles doivent être remplies dans la constitution d’une organisation syndicale, elles se bornent à l’information des autorités. Or l’organisation plaignante déclare faire face à des obstacles qui s’accumulent depuis l’annonce de sa création, ceux-ci ayant pour objectif d’empêcher son existence et son fonctionnement normal. Une conférence de presse, prévue le jeudi 1er février 2007 pour annoncer officiellement cette constitution, a été interdite par les autorités. Le 13 février 2007, certains membres du comité de liaison, MM. Habib Guiza et Mohamed Chakroun, ont voulu déposer les statuts de l’organisation nouvellement constituée conformément aux dispositions de l’article 250 du Code du travail. Ces derniers se sont vus opposer une fin de non-recevoir au siège du gouvernorat de Tunis. Une seconde conférence de presse pour informer l’opinion publique et les médias de la création de l’organisation, prévue le 7 décembre 2007, a également été arbitrairement interdite par les autorités.
  5. 1124. L’organisation plaignante décrit ensuite le processus de constitution des syndicats au niveau des entreprises qui devaient former les syndicats de base de la CGTT. A cet égard, elle indique que les premières notifications de constitution ont été adressées au gouverneur de Gafsa, une région minière. Ces notifications comprenaient, comme l’exigent les articles 242, 250 et 252 du Code du travail, les statuts du syndicat, la liste complète des dirigeants, incluant les nom et prénom, la nationalité, la filiation, les date et lieu de naissance, la profession et le domicile de chacun. Les dirigeants syndicaux ont ensuite informé la direction de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) de la constitution de leurs syndicats dans une communication du 4 septembre 2007, restée sans réponse. Ce silence a amené les dirigeants syndicaux à porter plainte contre la CPG, le 5 mai 2008, devant la Direction régionale des affaires sociales et de la solidarité nationale pour violation des articles précités du Code du travail et de la convention no 87 de l’OIT. Devant le silence des autorités, les syndicats en question ont organisé le 15 mai 2008 un rassemblement au siège de l’entreprise minière et à la Direction régionale des affaires sociales à Gafsa. Les exigences étaient la reconnaissance des syndicats constitués ainsi que le démarrage de la négociation collective pour tenter de trouver des solutions aux difficultés rencontrées par les travailleurs de l’entreprise, et plus généralement par les citoyens du bassin minier.
  6. 1125. L’organisation plaignante ajoute que, au cours de la mobilisation dans la région de Gafsa, M. Habib Guiza, coordinateur du comité de liaison de la CGTT, a été convoqué au commissariat de police de Tunis centre pour y être interrogé deux heures durant sur la légalité de l’organisation syndicale et des actions entreprises par les syndicats de la région de Gafsa. Il a été demandé à M. Guiza de cesser ses activités syndicales qualifiées d’illégales, ce qu’il a refusé en invoquant la législation nationale ainsi que les conventions internationales. En représailles, la police a interdit l’accès au local du centre de formation à Tunis de l’Association Mohamed Ali, présidée par M. Guiza.
  7. 1126. Dans sa communication en date du 4 décembre 2008, l’organisation plaignante indique que, dans le cadre de la commémoration du 84e anniversaire de la constitution de la première organisation syndicale tunisienne, la Confédération générale des travailleurs tunisiens créée le 3 décembre 1924, une réunion des cadres de la Confédération générale tunisienne du travail était prévue à Tunis le 30 novembre 2008. Or les syndicalistes ont été surpris par l’encerclement du lieu de la réunion par une imposante présence des forces de l’ordre qui leur ont indiqué que la réunion était annulée et ont bloqué l’accès au local où la réunion devait se tenir. L’organisation plaignante dénonce cette situation comme une mesure arbitraire supplémentaire destinée à l’empêcher d’exercer ses activités. Elle rappelle une nouvelle fois que l’exercice du droit syndical est une liberté publique fondamentale consacrée dans les conventions internationales ratifiées par la Tunisie, dans la législation nationale et la Constitution.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 1127. Dans ses communications en date du 26 novembre 2008 et du 28 janvier 2009, le gouvernement rappelle que le droit syndical est garanti en vertu de l’article 8 de la Constitution tunisienne. En conséquence, la législation consacre la liberté de constitution des organisations syndicales sans autorisation préalable des pouvoirs publics (art. 242 du Code du travail). Seules quelques formalités destinées à l’information au public de la constitution d’un syndicat sont exigées. Ainsi, les fondateurs d’un syndicat doivent simplement effectuer auprès du gouvernorat ou de la délégation dans laquelle se trouve le syndicat le dépôt de ses statuts et de la liste des personnes qui composent sa direction (art. 250 du Code du travail). Les autorités publiques ne peuvent donc pas entraver la constitution de la CGTT. Le gouvernement déclare que les vérifications faites auprès des autorités révèlent que la CGTT n’a pas accompli les formalités légales requises pour la constitution d’une organisation syndicale.
  2. 1128. Par ailleurs, s’agissant de la création de syndicats dans la région de Gafsa, le gouvernement indique qu’aucun texte n’oblige un employeur public ou privé à répondre à un syndicat qui lui enverrait des informations sur sa constitution. Au mieux, l’employeur peut en prendre acte.
  3. 1129. S’agissant des négociations sérieuses exigées dans le bassin minier pour répondre aux difficultés des travailleurs, le gouvernement apporte les précisions suivantes: La CPG est une entreprise publique créée en 1896 qui emploie 6 000 salariés et qui fait travailler indirectement 10 000 personnes. A ce titre, l’entreprise est régie par le statut général des agents des entreprises publiques. En même temps, la CPG dispose d’un statut particulier qui régit ses relations avec ses salariés. Depuis 1990, la CPG engage tous les trois ans, à l’instar de toutes les entreprises publiques, des négociations en vue de l’amélioration des conditions de travail de ses salariés. Depuis 2008 et dans le cadre du septième round des négociations sociales, la CPG négocie avec l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) qui, selon le gouvernement, est la seule organisation syndicale légalement constituée à ce jour. Le gouvernement ajoute que la représentativité syndicale, régie selon les dispositions de l’article 39 du Code du travail, permet de déterminer le syndicat le plus représentatif pour les négociations collectives.
  4. 1130. Le gouvernement attire l’attention sur le fait que demander des négociations pour résoudre les problèmes des citoyens du bassin minier, comme le réclame la CGTT, ne rentre pas dans les prérogatives syndicales dans la mesure où, aux termes de l’article 243 du Code du travail, les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des intérêts économiques et sociaux de leurs adhérents. Le gouvernement ajoute que la région de Gafsa a connu un développement constant au cours des vingt dernières années avec des investissements atteignant plus de 1,8 milliard de dollars des Etats-Unis et ayant ainsi un impact sur tous les aspects de la vie des citoyens de la région, en particulier leur confort social. La région de Gafsa a bénéficié en 2008 d’un ensemble de mesures d’investissements supplémentaires dans tous les secteurs de la vie économique (projets agricoles et création de complexes industriels et technologiques, fonds de reconversion du bassin, projet de création d’une cimenterie et d’une usine de production de triacide de phosphate supérieur, développement de sites touristiques). Le gouvernement indique que les pouvoirs publics ont toujours réglé les problèmes des citoyens du bassin minier de Gafsa avec la diligence et la sollicitude requises afin d’améliorer leur conditions de travail.
  5. 1131. En ce qui concerne les allégations de l’organisation plaignante relatives à l’interrogatoire dont aurait fait l’objet le coordinateur du comité de liaison de la CGTT et à l’interdiction d’accès au centre de formation de Tunis de l’Association Mohamed Ali, le gouvernement indique avoir fait les vérifications nécessaires et les déclare infondées. Le gouvernement observe qu’aucune preuve n’a été fournie par l’intéressé.
  6. 1132. Enfin, s’agissant des allégations relatives à l’encerclement par les forces de l’ordre du lieu où devait se tenir une réunion pour la commémoration du 84e anniversaire de la Confédération générale des travailleurs tunisiens créée le 3 décembre 1924, le gouvernement indique avoir effectué les vérifications nécessaires pour déclarer qu’elles sont infondées. Le rassemblement n’ayant jamais été signalé, aucune autorité n’était au courant pour l’autoriser ou l’interdire. Le gouvernement précise que la législation nationale garantit aux organisations syndicales la liberté d’exercer leurs activités, y compris la tenue de réunions, à condition de respecter certaines formalités administratives exigées pour toutes réunions publiques, syndicales, politiques ou autres. S’agissant de la commémoration de certains événements, une déclaration préalable auprès des autorités compétentes est requise conformément à la loi no 69-4 du 24 janvier 1969 relative aux réunions publiques, cortèges, défilés, manifestations et attroupements. Le gouvernement ajoute que la présence des forces de l’ordre en cas de rassemblement est toujours dictée par la volonté d’éviter les troubles à l’ordre public.
  7. 1133. Le gouvernement conclut en indiquant que la récente ratification de la convention (nº 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971, témoigne de sa volonté de renforcer les droits syndicaux et les facilités accordées aux représentants syndicaux. Il confirme que les allégations de l’organisation plaignante sont non fondées.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 1134. Le comité observe que, dans le présent cas, les allégations de l’organisation plaignante ont trait au refus des autorités de reconnaître la constitution de la Confédération générale tunisienne du travail (CGTT) et d’autoriser la tenue de conférences de presse par ladite organisation syndicale pour informer l’opinion publique de sa constitution, à l’interrogatoire subi par le coordinateur du comité de liaison de la CGTT au poste de police de Tunis centre, à l’interdiction par les autorités de l’accès au local de formation de Tunis de l’Association Mohamed Ali présidé par le coordinateur du comité de liaison de la CGTT, aux silences des autorités et d’une entreprise minière publique de la région de Gafsa face aux revendications de syndicats nouvellement constitués et à l’encerclement par des forces de l’ordre du local où était prévue une réunion de commémoration du 84e anniversaire de la création de la première organisation syndicale tunisienne, la Confédération générale des travailleurs tunisiens.
  2. 1135. S’agissant de la constitution de la Confédération générale tunisienne du travail (CGTT), le comité note que l’organisation plaignante dénonce des obstacles à cette constitution et à ses activités depuis l’annonce de sa création. L’organisation plaignante déclare que l’initiative de sa création fait suite à la signature par 500 syndicalistes d’une «plate-forme pour une refondation du mouvement syndical tunisien» en décembre 2006. Le comité note l’indication selon laquelle la plate-forme faisait un bilan du syndicalisme national et proposait une alternative pour l’avenir, en particulier la consécration du pluralisme syndical par la constitution de la CGTT comme alternative à l’union syndicale existante. Cependant, l’organisation plaignante fait état notamment de l’interdiction par les autorités d’une conférence de presse prévue le jeudi 1er février 2007 pour annoncer officiellement sa constitution, du refus d’enregistrer le dépôt des statuts au gouvernorat de Tunis, opposé aux membres du comité de liaison, MM. Habib Guiza et Mohamed Chakroun, le 13 février 2007, ainsi que d’une nouvelle interdiction par les autorités de la tenue d’une seconde conférence de presse prévue le 7 décembre 2007. Le comité note que, selon l’organisation plaignante, ces actes des pouvoirs publics violent non seulement les conventions internationales ratifiées par la Tunisie, notamment la convention no 87, mais aussi les dispositions constitutionnelles (art. 8) ainsi que les dispositions pertinentes du Code du travail qui consacrent la liberté syndicale et la liberté de constitution des organisations syndicales sans autorisation administrative préalable (art. 242 et 250). Le comité relève qu’aux termes de l’article 242 du Code du travail «des syndicats ou associations professionnels de personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes concourant à l’établissement de produits déterminés ou la même profession libérale peuvent se constituer librement». Le comité relève en outre qu’aux termes de l’article 250 du Code du travail: «Les fondateurs de tout syndicat professionnel doivent, dès sa constitution, déposer ou adresser, par pli recommandé avec accusé de réception, en cinq exemplaires, au siège du gouvernorat ou de la délégation dans laquelle se trouve son siège: 1) ses statuts; 2) la liste complète des personnes chargés à un titre quelconque de son administration ou de sa direction. Cette liste indique les nom, prénom, nationalité, filiation, date et lieu de naissance, profession et domicile des intéressés. Un exemplaire de tous ces documents est conservé au siège du gouvernorat ou de la délégation où a lieu le dépôt. Le gouverneur fait parvenir un exemplaire au secrétaire d’Etat à l’intérieur, un autre au secrétaire d’Etat à la jeunesse, aux sports et aux affaires sociales, et un troisième au Procureur de la République près le tribunal de première instance du ressort du siège du syndicat. Le dernier exemplaire revêtu de la date du dépôt par l’autorité qui l’a reçu est immédiatement remis ou adressé aux déposants. Enfin, toute modification aux statuts ou à la composition de ladite liste donne immédiatement lieu à un nouveau dépôt de ces documents, selon les mêmes modalités.»
  3. 1136. Le comité relève que les dispositions législatives, telles que rédigées, semblent aller dans le sens des principes qu’il rappelle toujours concernant la constitution d’une organisation syndicale, à savoir que le droit à une reconnaissance par un enregistrement officiel est un aspect essentiel du droit syndical en ce sens que c’est la première mesure que les organisations de travailleurs ou d’employeurs doivent prendre pour pouvoir fonctionner efficacement et représenter leurs membres convenablement. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 295.] Aussi, les législations nationales qui prévoient le dépôt des statuts des organisations sont compatibles avec l’article 2 de la convention no 87 s’il s’agit d’une simple formalité ayant pour but d’assurer leur publicité.
  4. 1137. Le comité note l’allégation selon laquelle les démarches exigées par la législation nationale ont été engagées dès février 2007 sans que les autorités y donnent suite. Le comité note par ailleurs que, dans ses réponses, le gouvernement se borne à indiquer que des vérifications effectuées auprès des services compétents ont révélé que la CGTT n’a pas accompli les formalités légales requises pour la constitution d’un syndicat. Le comité relève que plus de deux années se sont écoulées depuis l’initiative prise par les fondateurs de la CGTT de déposer les statuts de l’organisation, ceci sans résultat, et souhaite rappeler que les formalités prescrites par la loi pour créer un syndicat ne doivent pas être appliquées de manière à retarder ou à empêcher la formation des organisations syndicales, et tout retard provoqué par les autorités dans l’enregistrement d’un syndicat constitue une violation de l’article 2 de la convention no 87. Le comité rappelle qu’une longue procédure d’enregistrement constitue un obstacle sérieux à la création d’organisations et équivaut à un déni du droit des travailleurs de créer des organisations sans autorisation préalable. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 279 et 307.] En conséquence, le comité veut croire que, dans la mesure où la CGTT se conforme aux formalités prescrites dans le Code du travail relatives à la constitution d’un syndicat professionnel, les autorités ne manqueront pas de reconnaître rapidement à cette dernière la personnalité juridique. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de tout fait nouveau à cet égard et, le cas échéant, d’indiquer tout élément éventuellement retenu par le gouvernorat de Tunis pour refuser l’enregistrement de la CGTT. Le comité prie également le gouvernement de préciser les dispositions législatives qui prévoient le recours contre tout obstacle au dépôt des statuts des syndicats, y compris le refus éventuel d’enregistrement.
  5. 1138. Le comité note l’indication de l’organisation plaignante selon laquelle des conférences de presse prévues le 1er février et le 7 décembre 2007 pour informer l’opinion publique et les médias de la constitution de la CGTT ont été interdites par les autorités. Le comité note que le gouvernement ne fournit pas de commentaire sur ce point. Le comité demande au gouvernement d’indiquer les motifs de l’interdiction par les autorités de la tenue de deux conférences de presse de la CGTT relatives à sa constitution.
  6. 1139. Le comité note également que, selon l’organisation plaignante, dans le cadre de la commémoration du 84e anniversaire de la constitution de la première organisation syndicale tunisienne, la Confédération générale des travailleurs tunisiens créée le 3 décembre 1924, une réunion des cadres de la CGTT était prévue à Tunis le 30 novembre 2008. Cependant, le lieu de la réunion aurait été encerclé par des forces de l’ordre en nombre imposant qui leur auraient indiqué que la réunion était annulée et auraient bloqué l’accès au local où la réunion devait se tenir. A cet égard, le comité note la réponse du gouvernement selon laquelle des vérifications ont été effectuées avec les autorités compétentes et ont révélé que, le rassemblement n’ayant jamais été signalé, aucune autorité n’était au courant pour l’autoriser ou l’interdire. Selon le gouvernement, la législation nationale garantit aux organisations syndicales la liberté d’exercer leurs activités, y compris la tenue de réunions, à condition de respecter certaines formalités administratives exigées pour toutes réunions publiques, syndicales, politiques ou autres. S’agissant de la commémoration de certains événements, une déclaration préalable auprès des autorités compétentes est requise conformément à la loi no 69-4 du 24 janvier 1969 relative aux réunions publiques, cortèges, défilés, manifestations et attroupements. Le gouvernement ajoute que la présence des forces de l’ordre en cas de rassemblement est toujours dictée par la volonté d’éviter les troubles à l’ordre public.
  7. 1140. Le comité exprime sa préoccupation devant des allégations relatives à des violations répétées à l’exercice du droit de réunion et de la liberté d’expression. Le comité note l’indication du gouvernement selon laquelle ces allégations seraient infondées. A cet égard, le comité rappelle tout d’abord que les droits syndicaux comprennent le droit de tenir des manifestations publiques et que le droit de tenir des réunions syndicales est un élément essentiel de la liberté syndicale. Si une autorisation administrative de tenir des réunions et manifestations publiques n’est pas en soi une exigence abusive du point de vue des principes de la liberté syndicale, il faut veiller à garantir que cette autorisation ne soit pas arbitrairement refusée. Aussi, et d’une manière générale, le recours à la force publique dans les manifestations syndicales devrait être limité aux cas réellement nécessaires. Par ailleurs, le comité rappelle que le droit d’exprimer des opinions par la voie de la presse ou autrement est l’un des éléments essentiels des droits syndicaux. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 150 et 155.] Ainsi, le comité demande au gouvernement de garantir pleinement à toutes les organisations de travailleurs, y compris au comité de liaison de la CGTT, le droit d’organiser des réunions publiques rentrant dans l’exercice d’un droit syndical dans la mesure où elles respectent les dispositions générales relatives aux réunions publiques applicables à tous, et de ne recourir à la force publique que dans des situations où l’ordre public serait sérieusement menacé.
  8. 1141. Le comité souhaite également exprimer sa préoccupation en ce qui concerne les allégations relatives à la convocation de M. Habib Guiza, coordinateur du comité de liaison de la CGTT, au commissariat de police de Tunis centre et à l’interrogatoire qu’il aurait subi deux heures durant sur la légalité de l’organisation syndicale et des actions entreprises par les syndicats de la région de Gafsa. Le comité note l’indication selon laquelle il a été demandé à M. Guiza de cesser ses activités syndicales, qualifiées d’illégales, mais que ce dernier a refusé en invoquant la législation nationale ainsi que les conventions internationales. En représailles, la police aurait interdit l’accès au local du centre de formation à Tunis de l’Association Mohamed Ali présidé par M. Guiza. Le comité note la réponse du gouvernement qui fait état de vérifications faites auprès des services compétents et déclare que les allégations de l’organisation plaignante sont dénuées de tout fondement en relevant qu’aucune preuve n’est apportée sur l’interrogatoire subi par M. Guiza ni sur l’interdiction d’accès au centre de formation de Tunis de l’Association Mohamed Ali.
  9. 1142. Notant les informations contradictoires présentées par l’organisation plaignante et le gouvernement, le comité souhaite rappeler l’importance qu’il attache au principe selon lequel la détention de dirigeants syndicaux ou de syndicalistes pour des motifs liés à leurs activités syndicales, même s’il ne s’agit que de simples interpellations de courte durée, constituent un obstacle à l’exercice des droits syndicaux [voir Recueil, op. cit., paragr. 63], et demande au gouvernement de veiller au respect de ce principe.
  10. 1143. Le comité prend note de la description faite par l’organisation plaignante du processus de constitution des syndicats dans les entreprises de la région minière de Gafsa. Il relève que ces syndicats devaient former les syndicats de base de la CGTT et que les premières notifications de constitution comprenant, comme l’exige le Code du travail, les statuts du syndicat, la liste complète des dirigeants incluant les nom et prénom, la nationalité, la filiation, les date et lieu de naissance, la profession et le domicile de chacun ont été adressées au gouverneur de Gafsa. Les dirigeants syndicaux auraient ensuite informé la direction de la Compagnie de phosphate de Gafsa (CPG), une entreprise publique, de la constitution de leurs syndicats dans une communication du 4 septembre 2007, mais que celle-ci serait restée sans réponse. Ce silence aurait amené les dirigeants syndicaux à porter plainte contre la CPG, le 5 mai 2008, devant la Direction régionale des affaires sociales et de la solidarité nationale pour violation des articles précités du Code du travail et de la convention no 87 de l’OIT. Enfin, le comité note que, selon l’organisation plaignante, le silence des autorités aurait amené les syndicats en question à organiser le 15 mai 2008 un rassemblement au siège de l’entreprise minière et à la Direction régionale des affaires sociales à Gafsa pour exiger la reconnaissance des syndicats constitués ainsi que le démarrage de la négociation collective pour tenter de trouver des solutions aux difficultés rencontrées par les travailleurs de l’entreprise, et plus généralement par les citoyens du bassin minier.
  11. 1144. Le comité observe que, dans sa réponse, le gouvernement indique d’abord qu’aucun texte n’oblige un employeur public ou privé à répondre à un syndicat qui lui enverrait des informations sur sa constitution. Au mieux, l’employeur pourrait en prendre acte. Ensuite, s’agissant de la requête des organisations syndicales nouvellement constituées d’engager des négociations sérieuses dans le bassin minier pour répondre aux difficultés des travailleurs, le comité prend note des informations détaillées fournies par le gouvernement concernant la CPG, qui est une entreprise publique employant 6 000 salariés régie par le statut général des agents des entreprises publiques. En même temps, la CPG disposerait d’un statut particulier qui régit ses relations avec ses salariés. Le comité note les précisions données par le gouvernement sur les négociations entreprises par la CPG tous les trois ans, à l’instar de toutes les entreprises publiques, pour l’amélioration des conditions de travail de ses salariés. Le comité note que la CPG négocie avec l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) qui, selon le gouvernement, serait la seule organisation syndicale légalement constituée à ce jour.
  12. 1145. Le comité note que, selon le gouvernement, demander des négociations pour résoudre les problèmes des citoyens du bassin minier, comme le réclame la CGTT, ne rentre pas dans les prérogatives syndicales dans la mesure où, aux termes de l’article 243 du Code du travail, les syndicats professionnels ont exclusivement pour objet l’étude et la défense des intérêts économiques et sociaux de leurs adhérents. Le gouvernement déclare en outre avoir investi durant les vingt dernières années pour le développement de la région de Gafsa (pour plus de 1,8 milliard de dollars des Etats-Unis) et décrit l’impact sur tous les aspects de la vie des citoyens de la région, en particulier leur confort social. Le comité, rappelant que l’article 4 de la convention no 98 encourage et promeut le développement et l’utilisation des mécanismes de négociation collective sur les conditions d’emploi, note que l’objectif de la constitution des syndicats dans le bassin minier est, selon les déclarations de la CGTT, la solution des problèmes rencontrés par les salariés dans l’entreprise du bassin, ce qui de l’avis du comité rentre dans le champ des négociations collectives prévues par la convention.
  13. 1146. Le comité rappelle qu’aucune disposition de l’article 4 de la convention no 98 n’impose à aucun gouvernement l’obligation de recourir à des mesures de contrainte pour obliger les parties à négocier avec une organisation déterminée, mesures qui auraient clairement pour effet de transformer le caractère de telles négociations. Cependant, le comité a eu à préciser qu’il n’est pas non plus contraire à cet article d’obliger les partenaires sociaux, en vue d’encourager et de promouvoir le développement et l’utilisation des mécanismes de négociation collective, à entrer en négociation sur les termes et les conditions d’emploi. Les autorités publiques devraient toutefois s’abstenir de toute ingérence indue dans le processus de négociation. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 927 et 928.] S’agissant de la détermination du ou des syndicat(s) habilité(s) à négocier, le comité note que le gouvernement se réfère aux dispositions de l’article 39 du Code du travail qui permettraient de déterminer le syndicat le plus représentatif pour les négociations collectives. Le comité note que, selon cet article, au cas où un différend s’élèverait au sujet du caractère de la plus grande représentativité d’une ou plusieurs organisations syndicales, un arrêté du secrétaire d’Etat à la jeunesse, aux sports et aux affaires sociales, pris après avis de la Commission nationale du dialogue social, déterminera celles de ces organisations qui, dans le cadre de la branche d’activité et dans le territoire considéré, seront appelées à conclure la convention collective. Le comité note également l’indication selon laquelle les négociations sont menées entre la CPG et l’UGTT, que le gouvernement considère comme la seule organisation syndicale légalement constituée.
  14. 1147. Compte tenu d’une telle déclaration, le comité prie instamment le gouvernement de préciser le statut reconnu aux organisations syndicales constituées dans les entreprises de la région de Gafsa et qui, selon l’organisation plaignante, ont adressé leurs statuts et la composition de leur direction par pli recommandé au gouverneur de Gafsa le 26 juillet 2007. Le cas échéant, le comité demande au gouvernement d’indiquer les motifs pour lesquels ces organisations ne seraient pas considérées comme légalement constituées.
  15. 1148. Le comité note qu’il a déjà eu à rappeler au gouvernement dans un cas antérieur les principes auxquels il attache de l’importance s’agissant de la détermination de la représentativité syndicale dans un secteur donné (voir cas no 2592, 350e rapport du comité, paragr. 1540-1588). Dans le présent cas, le comité considère qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur la représentativité d’une quelconque structure syndicale dans le secteur minier ou dans toute entreprise du secteur. Néanmoins, le comité rappelle qu’il importe que la détermination de la représentativité des syndicats aux fins de négociation collective soit fondée sur des critères objectifs et préétablis afin d’éviter toute possibilité de partialité ou d’abus. A cet égard, et compte tenu de la référence faite par le gouvernement à l’article 39 du Code du travail, le comité le prie de préciser les critères objectifs et préétablis qui ont été fixés pour déterminer la représentativité des partenaires sociaux en application de cet article dans l’entreprise CPG ou dans le secteur minier de la région de Gafsa. Dans l’éventualité où de tels critères n’auraient pas encore été fixés, le comité espère que le gouvernement prendra toutes les mesures nécessaires pour les fixer en consultation avec les partenaires sociaux et qu’il l’en tiendra informé.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 1149. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité demande au Conseil d’administration d’approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité veut croire que, dans la mesure où la Confédération générale tunisienne du travail (CGTT) se conforme aux formalités prescrites dans le Code du travail relatives à la constitution d’un syndicat professionnel, les autorités ne manqueront pas de reconnaître rapidement à cette dernière la personnalité juridique. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé de tout fait nouveau à cet égard et, le cas échéant, d’indiquer tout élément éventuellement retenu par le gouvernorat de Tunis pour refuser l’enregistrement de la CGTT.
    • b) Le comité prie le gouvernement de préciser les dispositions législatives qui prévoient le recours contre tout obstacle au dépôt des statuts des syndicats, y compris le refus éventuel d’enregistrement.
    • c) Le comité demande au gouvernement de garantir pleinement à toutes les organisations de travailleurs, y compris au comité de liaison de la CGTT, le droit d’organiser des réunions publiques rentrant dans l’exercice d’un droit syndical dans la mesure où elles respectent les dispositions générales relatives aux réunions publiques applicables à tous, et de ne recourir à la force publique que dans des situations où l’ordre public serait sérieusement menacé.
    • d) Le comité demande au gouvernement d’indiquer les motifs de l’interdiction par les autorités de la tenue de deux conférences de presse de la CGTT relatives à sa constitution.
    • e) Compte tenu de la déclaration du gouvernement concernant l’UGTT qu’il considère comme la seule organisation syndicale légalement constituée, le comité le prie instamment de préciser le statut reconnu aux organisations syndicales constituées dans les entreprises de la région de Gafsa qui, selon l’organisation plaignante, ont adressé leurs statuts et la composition de leur direction par pli recommandé au gouverneur de Gafsa le 26 juillet 2007. Le cas échéant, le comité demande au gouvernement d’indiquer les motifs pour lesquels ces organisations ne seraient pas considérées comme légalement constituées.
    • f) Le comité prie le gouvernement de préciser les critères objectifs et préétablis qui ont été fixés pour déterminer la représentativité des partenaires sociaux en application de l’article 39 du Code du travail dans l’entreprise CPG ou dans le secteur minier de la région de Gafsa. Dans l’éventualité où de tels critères n’auraient pas encore été fixés, le comité espère que le gouvernement prendra toutes les mesures nécessaires pour les fixer en consultation avec les partenaires sociaux et qu’il l’en tiendra informé.
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