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Interim Report - Report No 364, June 2012

Case No 2907 (Lithuania) - Complaint date: 21-OCT-11 - Closed

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Allégations: L’organisation plaignante allègue des violations du droit de grève, en droit et en pratique, au sein de l’entreprise «Svyturys-Utenos Alus» UAB

  1. 650. La plainte figure dans des communications du Syndicat des producteurs de denrées alimentaires lituaniens en date du 21 octobre 2011 et du 24 avril 2012. Dans des communications en date des 8 novembre et 14 novembre 2011, respectivement, l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture, de l’hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes (UITA) et la Confédération syndicale internationale (CSI) ont appuyé la plainte.
  2. 651. Le gouvernement a fait parvenir ses observations dans une communication en date du 14 février 2012.
  3. 652. La Lituanie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, et la convention (no 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 653. Dans ses communications en date du 21 octobre 2011 et du 24 avril 2012, l’organisation plaignante indique que, le 20 octobre 2008, l’entreprise «Svyturys-Utenos Alus» UAB, appartenant au groupe Carlsberg, a conclu une convention collective avec la représentation conjointe des syndicats internes. Les conditions et la procédure de la négociation portant sur la révision des salaires ont été énoncées dans les dispositions de la convention collective. En vertu des dispositions susmentionnées, la négociation portant sur la révision annuelle des salaires est supposée commencer la première semaine de février et les salaires révisés sont déterminés à compter du 1er avril. En d’autres termes, les salaires révisés sont déterminés dans le cadre d’une négociation durant laquelle les parties peuvent présenter leurs revendications salariales et non pas selon une formule prédéterminée ou des chiffres précis.
  2. 654. Dans le procès-verbal de la réunion du 25 janvier tenue entre l’employeur et la représentation conjointe des syndicats, il est indiqué que «les représentants de l’employeur ont fait savoir à leurs interlocuteurs que la révision des salaires n’était pas à l’ordre du jour de l’employeur». Le procès-verbal de la réunion entre l’employeur et la représentation conjointe des syndicats qui s’est déroulée le 23 février 2011 indique que «eu égard aux informations obtenues de l’extérieur et aux chiffres financiers de l’entreprise, qui étaient moins bons que pour l’année 2009, les représentants de l’employeur ont fait savoir aux syndicats, à nouveau, que la révision des salaires n’avait pas été prévue par l’employeur». Ce dernier a même répété par deux fois que les négociations portant sur les salaires en 2011 n’auraient pas lieu. C’est ainsi que, à l’issue du processus de négociation, durant lequel les parties ne sont pas parvenues à un accord, une procédure de conflit collectif a été lancée. Le 21 mars 2011, la représentation conjointe des syndicats a fait parvenir ses revendications salariales à l’employeur. Ce n’est qu’une fois le conflit ouvert que l’employeur a commencé à avancer des propositions. Le 15 avril 2011, lors de la réunion entre la représentation conjointe des syndicats et l’administration de l’employeur, seule une proposition a été formulée, à savoir celle de rétablir le programme sportif pour une année. L’employeur a rappelé à nouveau que le niveau des salaires ne serait pas révisé. A l’initiative de la représentation conjointe des syndicats, le règlement du conflit collectif a été porté devant la Commission de conciliation.
  3. 655. Le 17 mai 2011, lors d’une réunion de la Commission de conciliation, l’employeur a avancé la proposition d’augmenter les salaires de 0,5 pour cent ou de faire interpréter la disposition de la convention collective concernant «l’indexation des salaires» par les tribunaux. Le 31 mai 2011, lors de la réunion de la Commission de conciliation, l’employeur a avancé deux propositions: soit offrir une assurance santé au personnel; soit augmenter les salaires de 1,8 pour cent. Les syndicats n’ont proposé que d’augmenter les salaires de 7,3 pour cent. La Commission de conciliation a terminé ses travaux par la rédaction d’un protocole de désaccord.
  4. 656. Les 9 et 10 juin 2011, un vote à bulletin secret sur la grève s’est tenu dans les villes d’Utena et de Klaipeda. Les résultats du vote ont montré que 58 pour cent des travailleurs de l’unité de production étaient favorables à la grève. Le 15 juin 2011, l’employeur a donc reçu un préavis de grève indiquant que la grève commencerait le 23 juin 2011.
  5. 657. Après avoir reçu le préavis de grève, l’employeur s’est adressé au Tribunal du comté de Klaipeda pour faire reconnaître l’illégalité de la grève et obtenir une injonction contre la déclaration, l’organisation et la conduite de la grève prévue par la représentation conjointe des syndicats jusqu’à ce qu’un tribunal se prononce sur sa légalité. Le 20 juin 2011, le tribunal a décidé de suspendre la grève déclarée pour une durée de trente jours. La représentation conjointe des syndicats a recouru devant le Tribunal régional de Klaipeda contre la décision de suspendre la grève. Le 22 juillet 2011, le Tribunal régional de Klaipeda a confirmé la décision de suspendre la grève prise par le Tribunal du comté de Klaipeda. Etant donné que le délai pour la suspension de la grève expirait ce jour même (22 juillet 2011), le Tribunal régional de Klaipeda a adopté une nouvelle décision tendant à prolonger la suspension de la grève jusqu’à ce que la question de la légalité de la grève puisse être examinée par un tribunal. Les deux décisions des tribunaux sont valides et ne peuvent faire l’objet d’un recours. En d’autres termes, le Tribunal régional de Klaipeda a créé un précédent en Lituanie sur la question de la restriction ou de la suspension d’une grève, et a estimé que les tribunaux ont le droit de suspendre une grève déclarée dans une entreprise pour une période illimitée ou, si la grève a déjà commencé, d’ordonner sa cessation.
  6. 658. L’organisation plaignante indique par ailleurs que l’article 81(4) du Code du travail de la République de Lituanie prévoit effectivement la possibilité pour un tribunal de suspendre le début d’une grève prévue pendant une durée de trente jours, ou de retarder une grève en cours pour la durée susmentionnée, mais uniquement «s’il y a un risque direct que la grève prévue porte atteinte aux conditions (de service) minimales nécessaires pour répondre aux besoins essentiels (et vitaux) de la société et que cela puisse mettre en péril la vie humaine, la santé et la sécurité des personnes». Ainsi, selon l’organisation plaignante, en suspendant la grève déclarée par la représentation conjointe des syndicats pour une durée de trente jours sur la base de cette disposition, les tribunaux ont admis que la production de bière était d’une importance vitale pour la société et que le mouvement de grève pouvait porter atteinte à la satisfaction de ce besoin essentiel. L’organisation plaignante indique par ailleurs que le tribunal de première instance a omis de prendre en considération le fait que l’article 77(5) du Code du travail, qui prévoit que, une fois prise la décision de lancer une grève (y compris une grève d’avertissement) dans les entreprises de transports ferroviaires et publics, de l’aviation civile, des communications et de l’énergie, les institutions de soins de santé et pharmaceutiques, les entreprises alimentaires, chargées de la distribution de l’eau, des égouts et de l’évacuation des déchets, les raffineries pétrolières, les entreprises ayant des cycles de production continus et les autres entreprises pour laquelle la cessation du travail risquerait d’aboutir à des conséquences graves et dangereuses pour la société ou la vie humaine et la santé, l’employeur doit recevoir un préavis de grève d’au moins quatorze jours; et que l’article 80(2) du Code du travail prévoit que durant une grève dans les entreprises, institutions et organisations énumérées dans l’article 77(5) du code, les conditions minimales nécessaires pour répondre aux besoins immédiats (vitaux) de la société doivent être assurées. En d’autres termes, dans l’article 77(5) du code, le législateur donne une liste des entreprises qui assurent les services essentiels répondant aux besoins de la société. Les brasseries et les producteurs de denrées alimentaires ne sont pas considérés par le législateur comme faisant partie de ces fournisseurs de services. En conséquence, en adoptant la décision de suspendre la grève déclarée par la partie défenderesse dans la brasserie, les tribunaux ont ouvertement violé les dispositions de l’article 81(4) du Code du travail et restreint de façon perverse le droit légitime de faire grève inscrit dans la Constitution.
  7. 659. Le différend portant sur les augmentations salariales et la procédure de conciliation a duré quatre mois. Selon l’organisation plaignante, l’employeur a ouvertement, et sans cacher ses réelles intentions en s’adressant au tribunal, cherché à faire suspendre la grève jusqu’à l’automne, période où la «haute saison» de la bière serait terminée. La longue durée des négociations et de la procédure de conciliation portant sur les salaires et la suspension de la grève faisaient partie du plan de l’employeur de rendre la grève inefficace voire impossible. L’organisation plaignante ajoute que, selon la jurisprudence lituanienne, les brasseries sont reconnues comme fournissant des services essentiels/vitaux à la société. En conséquence, un autre argument des tribunaux lituaniens pour restreindre la grève visant l’employeur et suspendre la grève des salariés avant qu’elle ne démarre était que l’entreprise fournissait des services essentiels.
  8. 660. Par la suite, le 5 août 2011, le Tribunal régional de Klaipeda a rendu une décision sur la légalité de la grève (la décision est annexée à la plainte). La décision rendue a considéré la grève illégale et indiqué qu’il est interdit de déclarer une grève pendant la période de validité de la convention collective dans la mesure où la convention a été respectée. L’organisation plaignante a fait appel devant la Cour suprême qui a déclaré la grève illégale le 6 mars 2012 (la décision de la cour est annexée à la plainte). La Cour suprême a indiqué que le fait qu’aucun accord mutuel n’avait été trouvé entre les parties à l’issue des négociations n’était pas de nature à rendre la convention collective invalide ni ne constituait une violation ou un défaut d’application de ladite convention. En conséquence, conformément à l’article 78(3) du Code du travail, la grève était illégale (il est interdit de déclarer une grève pendant la période de validité de la convention collective tant que cette dernière est respectée).
  9. 661. Cependant, selon l’organisation plaignante, des différends collectifs de travail (conflits d’intérêts) sont apparus non pas à cause de la mise en œuvre subjective/individuelle des droits, mais plutôt à cause d’intérêts différents des parties aux relations collectives de travail. Ainsi, en prenant part aux négociations sur l’examen des salaires et des procédures de conciliation des différends collectifs de travail, l’employeur a reconnu par son action que les salariés avaient le droit de négocier annuellement les niveaux de salaire (cela a été confirmé par les deux instances judiciaires) et, à défaut d’accord, de rentrer en conflit de travail qui pouvait conduire à une grève. Mis à part le raisonnement avancé dans les précédentes décisions, l’organisation plaignante indique que la Cour suprême a en outre indiqué dans sa décision que l’employeur avait mené des négociations de bonne foi – à savoir sans retard irraisonnable et en cherchant à parvenir à un accord (dans le présent cas, l’employeur a offert de donner suite à 10 pour cent des revendications des travailleurs) – et que, en l’absence d’un accord, les salariés ne disposaient pas du droit de faire grève. Selon l’organisation plaignante, avec une telle interprétation de la convention no 154 par la Cour suprême, le fait que des négociations aient eu lieu de bonne foi dénie aux travailleurs le droit de grève alors qu’aucun accord n’a été trouvé à l’issue des négociations.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 662. Dans une communication en date du 17 février 2012, le gouvernement indique que, en application de l’article 51 de la Constitution, dans la défense de leurs intérêts économiques et sociaux, les travailleurs jouissent du droit de grève. Les restrictions à ce droit constitutionnel, de même que les conditions et procédures de sa mise en œuvre, sont établies dans le chapitre 10 du Règlement sur les conflits collectifs du travail du Code du travail. En vertu de l’article 76 du Code du travail, on entend par grève une cessation temporaire du travail par les travailleurs ou un groupe de travailleurs d’une ou de plusieurs entreprises lorsqu’un conflit collectif du travail n’est pas réglé ou qu’une décision adoptée par la Commission de conciliation, l’instance d’arbitrage du travail ou un tiers, acceptable pour les travailleurs, n’est pas exécutée ou incorrectement exécutée; lorsqu’il n’est pas possible de régler un conflit collectif du travail via un médiateur, ou lorsque l’accord conclu par la médiation n’est pas respecté.
  2. 663. Le gouvernement indique par ailleurs que l’article 78 du Code du travail prévoit qu’il sera interdit de déclarer une grève pendant la durée de validité de la convention collective si celle-ci est respectée. Dans le jugement du 5 août 2011, le Tribunal régional de Klaipeda a indiqué que la convention collective du 20 octobre 2008, qui a été conclue pour une durée de trois ans, à savoir jusqu’au 20 octobre 2011, demeure valide et sera respectée (convention collective, paragr. 1.5, t.1, b.I.16). L’impossibilité par les parties de parvenir à un accord collectif sur les salaires n’invalide pas la convention collective, pas plus qu’elle n’implique sa violation ou un non-respect de celle-ci. Sur cette base, les juges ont décidé que la grève déclarée par les syndicats le 15 juin 2011 était illégale.
  3. 664. Le gouvernement ajoute que, en application des articles 109 et 114 de la Constitution et des articles 2 et 3 de la loi sur les tribunaux, dans l’administration de la justice, le juge et les tribunaux seront indépendants. Compte tenu de ce qui précède, le ministère de la Sécurité sociale et du Travail n’a le droit ni de formuler des commentaires ni d’essayer de peser sur les décisions de justice.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 665. Le comité rappelle que, dans le présent cas, l’organisation plaignante allègue des violations du droit de grève, en droit et en pratique, au sein de l’industrie brassicole.
  2. 666. Le comité note que, selon l’organisation plaignante, le 20 octobre 2008, l’organisation plaignante et l’entreprise «Svyturys-Utenos Alus» UAB ont conclu une convention collective pour une période de trois ans (2008-2011). Les conditions, de même que la procédure de négociation portant sur la révision des salaires, ont été énoncées dans les dispositions de la convention collective. Aux termes desdites dispositions, la négociation portant sur la révision annuelle des salaires est censée démarrer la première semaine de février et les salaires révisés sont fixés à compter du 1er avril. Une fois le processus de négociation terminé, les parties n’ayant pu parvenir à un accord, une procédure de règlement d’un conflit du travail a été lancée. A l’initiative de la représentation conjointe des syndicats, le règlement du différend du travail a été porté devant la Commission de conciliation. Après quatre mois de négociations, la Commission de conciliation a terminé ses travaux par la rédaction d’un protocole de désaccord. Le 15 juin 2011, l’employeur a reçu un préavis de grève pour un mouvement censé démarrer le 23 juin 2011. Une fois le préavis de grève reçu, l’employeur s’est adressé au Tribunal du comté de Klaipeda pour essayer de faire connaître la grève comme illégale et d’obtenir une injonction contre la déclaration, l’organisation et la réalisation d’une grève prévue par la représentation conjointe des syndicats jusqu’à ce qu’un tribunal se prononce sur sa légalité. Le 20 juin 2011, le tribunal a décidé de suspendre la grève déclarée pour une durée de trente jours. La représentation conjointe des syndicats a recouru devant le Tribunal régional de Klaipeda contre la décision de suspendre la grève. Le 22 juillet 2011, le Tribunal régional de Klaipeda a confirmé la décision de suspendre la grève prononcée par le Tribunal du comté de Klaipeda. Etant donné que le délai pour la suspension de la grève expirait ce même jour (22 juillet 2011), le Tribunal régional de Klaipeda a adopté une nouvelle décision tendant à prolonger la suspension de la grève jusqu’à ce que la question de la légalité de la grève soit pleinement examinée par un tribunal.
  3. 667. Le comité note que, selon l’organisation plaignante, la décision finale du Tribunal régional de Klaipeda, tendant à prolonger la suspension légale de la grève, et la décision définitive du Tribunal régional de Klaipeda de confirmer la première décision du Tribunal du comté de Klaipeda, tendant à suspendre la grève chez l’employeur pour une durée déraisonnable (cette décision a été fournie par l’organisation plaignante), constituent un précédent ainsi qu’une violation des conventions de l’OIT. Selon l’organisation plaignante, il en découle que les tribunaux disposent désormais du droit de suspendre une grève déclarée dans toute entreprise pour une durée illimitée ou, si la grève est déjà en cours, d’ordonner sa cessation. De plus, le tribunal a de facto reconnu le secteur brassicole comme un service essentiel.
  4. 668. Le comité note en outre que, selon l’organisation plaignante, la suspension de la grève pour une durée de trente jours repose essentiellement sur l’assertion du gouvernement selon laquelle la production de bière est un service essentiel et qu’une grève pourrait porter atteinte à un tel besoin essentiel (article 81(4), lu conjointement avec les articles 77(5) et 80(2) du Code du travail). Le Code du travail de la Lituanie donne déjà la liste des entreprises fournissant des services essentiels pour répondre aux besoins de la société et ne mentionne pas les brasseries. L’organisation plaignante ajoute que, en vertu de la jurisprudence lituanienne, les brasseries ont été reconnues comme fournissant des services essentiels/vitaux à la société. En conséquence, un autre argument donné par les tribunaux lituaniens pour appliquer des restrictions à la grève dans l’entreprise et suspendre la grève des salariés avant qu’elle n’ait commencé était que l’entreprise fournissait des services essentiels. Ce faisant, en adoptant la décision de suspendre la grève déclarée par l’organisation défenderesse dans la brasserie, les tribunaux ont manifestement violé les dispositions du Code du travail du pays et considérablement restreint le droit légitime à la grève inscrit dans la Constitution lituanienne. L’organisation plaignante allègue en outre que l’employeur, sans même cacher ses réelles intentions en s’adressant au tribunal, a cherché à faire suspendre la grève jusqu’à l’automne lorsque, comme l’employeur l’aurait lui-même affirmé, la «haute saison» de la bière serait terminée.
  5. 669. Le comité note que, selon le gouvernement, le 5 août 2011, le Tribunal régional de Klaipeda a déclaré la grève illégale du fait que la convention collective du 20 octobre 2008, qui a été conclue pour une période de trois ans, à savoir jusqu’à octobre 2011, demeurait valide et devait être respectée (convention collective, paragr. 1.5, t.1, b.I.16). L’impossibilité pour les parties de parvenir à un accord collectif concernant les salaires n’invalide pas la convention collective, pas plus qu’elle n’implique sa violation ou le non-respect de celle-ci. Compte tenu de cela, les juges ont décidé que la grève annoncée par les syndicats le 15 juin 2011 était illégale en vertu de l’article 78(3) du Code du travail qui prévoit qu’il est interdit de déclarer une grève durant la période de validité d’une convention collective si celle-ci est respectée. Le comité note que l’organisation plaignante a fait appel de la décision du Tribunal régional de Klaipeda devant la Cour suprême. Le 6 mars 2012, la Cour suprême a confirmé le jugement du Tribunal régional de Klaipeda et indiqué que la grève dans l’entreprise était illégale (la décision est annexée à la plainte).
  6. 670. Le comité doit rappeler qu’il ne considère pas la production de bière comme un service essentiel au sens strict du terme. Pour déterminer les cas dans lesquels une grève pourrait être interdite, le critère à retenir est l’existence d’une menace évidente et imminente pour la vie, la sécurité et la santé dans tout ou partie de la population. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 581.] Constatant que l’organisation plaignante indique que les tribunaux ont, par le passé, considéré les brasseries comme un service essentiel, le comité prie le gouvernement d’indiquer si cela a bien été le cas et, si oui, de garantir le respect du principe susmentionné.
  7. 671. Le comité note cependant que, selon la traduction de la décision du Tribunal régional de Klaipeda (jointe à la plainte), la grève déclarée par l’organisation plaignante était illégale pour les raisons suivantes:
    • La grève est l’ultime argument pouvant être utilisé en situations extrêmes lorsque les parties ne parviennent pas à régler un conflit collectif de manière pacifique. Le droit des salariés de faire grève est inscrit dans la Constitution de la République de Lituanie. Néanmoins, en vertu de la Constitution, ce droit des salariés n’est pas absolu – ses restrictions et les procédures de mise en œuvre sont prévues par la législation. Le Code du travail en fait partie, les articles 76-85 du chapitre X du Règlement sur les conflits collectifs du travail réglementent directement la grève, sa base juridique et la déclaration de grève, les restrictions à la grève, l’ensemble de conditions conduisant à une grève et le déroulement de celle-ci, la légalité de la grève et les autres rapports juridiques en lien avec le droit de grève. En vertu de l’article 76 du Code du travail, une grève signifiera une suspension temporaire du travail par les salariés, ou un groupe de salariés, d’une ou de plusieurs entreprises, ou d’un secteur donné en cas de conflit collectif non réglé ou en cas de non-application ou de mauvaise application d’une décision adoptée par la Commission de conciliation, l’instance d’arbitrage du travail ou un tiers accepté par les salariés ou, en cas de non-respect de la mise en œuvre, d’un accord conclu durant un processus de médiation. C’est pourquoi la grève en tant que moyen de trouver une solution à des conflits collectifs du travail ne peut être utilisée que si les conditions prévues par la loi sont réunies et que d’autres possibilités de règlement des différends prévues par la loi sont utilisées. La convention collective du travail du 20 octobre 2008 est conclue pour trois ans, à savoir jusqu’au 20 octobre 2011; elle est effective et doit être respectée (art. 1.5 de la convention collective, vol. 1, p. 16). L’impossibilité de parvenir à un accord collectif sur les salaires entre les parties au moyen de la négociation ne rendra pas la convention collective ineffective et n’impliquera pas une violation ou le non-respect de celle-ci. En vertu de l’article 78, paragraphe 3, du Code du travail, il est interdit d’appeler à une grève durant la période de validité de la convention collective si cette convention est respectée. En raison des conditions précisées ci-dessus, le banc a conclu que la grève déclarée par le syndicat le 15 juin 2011 est illégale (art. 78, paragr. 3, du Code du travail).
  8. 672. Le comité note que le même raisonnement a été suivi par la Cour suprême. Dans ces considérants, la cour a indiqué que:
    • Compte tenu de ces circonstances, la chambre juridictionnelle de la Cour de cassation [Tribunal régional de Klaipeda] soutient qu’il n’y a aucun motif pour conclure que les stipulations de la convention collective signée par les parties ont été violées dans la mesure où l’employeur n’a pas violé son obligation assumée de réviser les salaires des travailleurs une fois par an et d’entrer en négociation de bonne foi à cette fin. L’instance d’appel a établi de manière juste que la convention collective a bien été respectée. (…) les arguments de la partie ayant interjeté appel relatifs à la violation de la convention collective sont fondés sur une mauvaise interprétation des stipulations de la convention collective, par exemple par l’argument selon lequel aux termes de la clause 3.3.4 du règlement concernant les salaires, l’employeur s’est lui-même engagé à augmenter les salaires tous les ans en tenant compte au minimum du taux d’inflation. Suite à la bonne interprétation des stipulations de la convention collective conclue par les parties par la Cour de cassation qui a établi qu’il n’y a d’obligation sans réserve de l’employeur à augmenter les salaires chaque année selon la convention, et sans preuve de la mauvaise foi de la partie plaignante au cours des négociations sur la révision des salaires, il n’y a pas de motif permettant de conclure que la convention collective a été violée.
  9. 673. Compte tenu de la décision de la Cour suprême du 6 mars 2012, le comité observe que la cour a conclu que la grève était illégale parce qu’il est interdit de lancer une grève durant la période de validité d’une convention collective si celle-ci est respectée en vertu de l’article 78(2) du Code du travail. Selon les juges, le conflit entre les parties porte sur l’interprétation de la convention collective, pas sur son application. A cet égard, le comité souhaite rappeler que si les grèves sont interdites tant que les conventions sont en vigueur, cette restriction doit être compensée par le droit de recourir à des mécanismes impartiaux et rapides, autorisant à examiner des plaintes individuelles ou collectives concernant l’interprétation ou l’application des conventions collectives; ce type de mécanisme non seulement permet de régler pendant la période de validité des conventions les difficultés d’application et d’interprétation qui apparaissent immanquablement, mais présente en outre l’avantage de préparer le terrain pour de futures séries de négociations dans la mesure où cette procédure permet de déterminer les problèmes qui se sont posés pendant la période de validité de la convention collective en question. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 533.] Etant donné que la convention collective n’a pas été mise à la disposition du comité, ce dernier ne s’estime pas en mesure de juger si la question évoquée constitue un conflit de droit (tel qu’indiqué par la cour) ou d’intérêts (comme le soutient l’organisation plaignante) ni si un mécanisme spécifique a été prévu dans la convention en cas de conflit de ce type, et si ce mécanisme a été utilisé. Le comité prie donc l’organisation plaignante de fournir un exemplaire, en anglais si possible, de la convention collective pertinente.
  10. 674. Notant que, selon le tribunal, la période de validité de la convention collective allait du 20 octobre 2008 au 20 octobre 2011, le comité veut croire que le syndicat et l’employeur se sont depuis engagés dans des négociations de bonne foi, en pleine conformité avec la législation nationale et les principes de la liberté syndicale, et prie le gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 675. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Notant que l’organisation plaignante indique que les tribunaux ont, dans ce cas et par le passé, considéré les brasseries comme un service essentiel, le comité prie le gouvernement d’indiquer si cela a bien été le cas et, si oui, de garantir le respect des principes mentionnés dans ses conclusions.
    • b) Le comité prie l’organisation plaignante de fournir un exemplaire, en anglais si possible, de la convention collective pertinente.
    • c) Notant que, selon le tribunal, la période de validité de la convention collective allait du 20 octobre 2008 au 20 octobre 2011, le comité veut croire que le syndicat et l’employeur se sont depuis engagés dans des négociations de bonne foi, en pleine conformité avec la législation nationale et les principes de la liberté syndicale, et prie le gouvernement de le tenir informé de l’évolution de la situation à cet égard.
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