Allégations: L’organisation plaignante affirme que le ministère des Relations professionnelles entrave le droit des travailleurs et de leurs organisations de présenter des réclamations collectives par diverses décisions (refus de donner suite aux cahiers de revendications, mouvements de grève déclarés illégaux par l’administration et autorisation en conséquence de licencier les grévistes)
- 295. La plainte figure dans une communication du 29 novembre 2011 présentée par l’Union générale des travailleurs de l’Equateur (UGTE).
- 296. Le gouvernement a adressé ses observations dans une communication datée du 5 août 2013.
- 297. L’Equateur a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 298. Dans sa communication du 29 novembre 2011, l’organisation plaignante affirme que le ministère des Relations professionnelles, qui est l’entité chargée de mener et de coordonner la politique publique du travail, entrave continuellement le droit des travailleurs et de leurs organisations de présenter des réclamations collectives et s’attribue des compétences qui reviennent exclusivement aux tribunaux de conciliation et d’arbitrage. A ce sujet, l’organisation plaignante indique que les inspecteurs du travail, qui sont des fonctionnaires nommés par le ministère, ont décidé de ne pas donner suite, à cinq reprises, à autant de cahiers de revendications présentés par les travailleurs de Sacos Durán Reysac S.A., au motif de l’inobservation des conditions prévues dans la procédure civile, dont la vérification appartient aux seuls tribunaux de conciliation et d’arbitrage. Or, en vertu du Code du travail, les inspecteurs auraient dû ordonner de constituer un tribunal de conciliation et d’arbitrage pour résoudre les différends collectifs correspondants. Les travailleurs concernés ont porté plusieurs plaintes au pénal contre les inspecteurs du travail qui avaient décidé de ne pas donner suite aux cahiers de revendications.
- 299. L’organisation ajoute que, après le refus de donner suite aux cahiers de revendications, le directeur régional du travail du littoral a qualifié d’illégale la grève entamée par les travailleurs de l’entreprise susmentionnée. Pourtant, c’est exclusivement au tribunal de conciliation et d’arbitrage qu’il revient de se prononcer sur le caractère licite de la grève. Enfin, selon l’organisation plaignante, cette direction générale du travail a autorisé illégalement le licenciement de 73 travailleurs de l’entreprise, soit près de la moitié des effectifs, en raison de leur participation à ce mouvement de grève.
- 300. L’organisation plaignante indique par ailleurs que les travailleurs de deux autres entreprises, Maxigraf S.A. et Acromax (laboratoire de chimie pharmaceutique), attendent depuis plus d’un an que, les cahiers de revendications ayant été présentés, les inspecteurs du travail ordonnent la constitution des tribunaux de conciliation et d’arbitrage.
- 301. Enfin, l’organisation plaignante affirme que saisir la justice ne permet pas de résoudre les problèmes causés par l’action du ministère, en raison du contrôle que le pouvoir exécutif exerce sur l’appareil judiciaire. Ce contrôle se traduit par le rejet des actions intentées, au motif de prétendus vices de forme, lesquels sont irrecevables en matière de droits fondamentaux au travail.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 302. Dans sa réponse du 5 août 2013, le gouvernement indique que les inspecteurs du travail, à plusieurs reprises, n’ont pas donné suite aux cahiers de revendications présentés par le comité spécial des travailleurs de Sacos Durán Reysac S.A. au motif que les cahiers de revendications ne satisfaisaient pas aux dispositions légales qui prévoient que l’assemblée des travailleurs, au moment de constituer un comité d’entreprise, doit réunir plus de la moitié des effectifs et jamais moins de 30 travailleurs. Par conséquent, le ministère des Relations professionnelles n’était pas en mesure de notifier la demande en question.
- 303. En ce qui concerne la grève des travailleurs de l’entreprise susmentionnée, le gouvernement indique s’être borné à demander une inspection pour constater la paralysie des activités des travailleurs. L’inspection a pu constater que la principale porte d’accès de l’entreprise était fermée et bloquée et que les travailleurs filtraient les entrées. Les travailleurs ont déclaré à l’inspection qu’ils paralysaient les activités depuis le 16 octobre 2011 et que leur avocat fournirait, d’un moment à l’autre, la déclaration de grève. Le gouvernement ajoute que les agents de sécurité de l’entreprise ont déclaré que, très tôt le matin, des personnes étrangères à l’entreprise sont entrées. Elles étaient cagoulées et armées de bâtons, si bien que les inspecteurs ont conclu que la paralysie des activités enfreignait les articles 467 et 497 du Code du travail. Quant à l’autorisation donnée par l’inspection du travail de licencier 73 travailleurs de l’entreprise, elle a été motivée, conformément aux articles 172 et 183 du Code du travail, par l’occupation violente des locaux de l’entreprise puisqu’il a été constaté que les gens présents qui se sont présentés au nom des travailleurs de l’entreprise n’étaient pas leurs représentants. En outre, ils ont occupé par la force, de manière illégale et arbitraire, les locaux de l’entreprise.
- 304. Finalement, le gouvernement indique que le ministère des Relations professionnelles garantit le plein exercice du droit des travailleurs de former des organisations professionnelles et de s’y affilier et que, dans le cas susmentionné, il a permis que les travailleurs forment le Syndicat des travailleurs de Reysac S.A. De plus, il s’est assuré que les personnes s’exprimant en leur nom sont des représentants des travailleurs dûment autorisés.
- 305. A propos des allégations relatives aux entreprises Acromax (laboratoire de chimie pharmaceutique) et Maxigraf S.A., le gouvernement indique que, dans ces deux cas, les fonctionnaires du ministère des Relations professionnelles ont traité en temps opportun les cahiers de revendications. Dans le premier cas, avant que ne soit constitué le tribunal de conciliation et d’arbitrage, les parties avaient présenté un accord mutuel qui règle chacun des points du cahier de revendications présenté au début de la procédure et qui met un terme au différend. Dans le second, le dossier a été transmis à la Direction de la médiation. Au cours de l’audience de médiation du 8 février 2013, les parties ont signé un accord transactionnel et se sont entendues sur tous les points du cahier de revendications.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 306. Le comité rappelle que le présent cas fait état d’allégations selon lesquelles le ministère des Relations professionnelles entrave le droit des travailleurs et de leurs organisations de présenter des réclamations collectives. Ainsi, dans plusieurs cas et de manière injustifiée, des cahiers de revendications n’ont pas été traités. Par ailleurs, dans le cas de l’un des différends collectifs et de plusieurs cahiers de revendications afférents auxquels le ministère n’avait pas donné suite, celui-ci a déclaré illégal un mouvement de grève qui a eu lieu ultérieurement et autorisé par conséquent le licenciement de 73 travailleurs. En outre, le comité note que l’organisation plaignante estime que saisir la justice ne permettrait pas de résoudre les problèmes causés par l’action du ministère en raison du contrôle que le pouvoir exécutif exercerait sur l’appareil judiciaire.
- 307. Le comité prend note des observations du gouvernement dans lesquelles il indique que, dans le premier cas mentionné dans la plainte, l’inspection du travail a dû classer sans suite plusieurs cahiers de revendications au motif qu’ils ne remplissaient pas les conditions légales qui prévoient que le comité d’entreprise doit être constitué par plus de la moitié des effectifs et jamais par moins de 30 travailleurs. S’agissant de la grève mentionnée dans la plainte, les inspecteurs du travail ont noté que les locaux de l’entreprise avaient été occupés par la force et que l’arrêt de travail ne s’est pas déroulé conformément aux dispositions du Code du travail, ce qui a justifié l’autorisation de licencier 73 travailleurs. Dans ce différend collectif, les gens qui se sont présentés au nom des travailleurs n’y étaient pas dûment autorisés par ces derniers; dans les deux autres cas mentionnés par l’organisation plaignante, l’inspection du travail a traité en temps opportun les cahiers de revendications, et les différends collectifs correspondants ont été résolus au moyen d’accords transactionnels.
- 308. En ce qui concerne le classement sans suite de cinq cahiers de revendications présentés par des travailleurs de l’entreprise Reysac S.A., le comité note que, selon le gouvernement, le motif de la décision de l’administration du travail indiqué par le gouvernement est l’inobservation des dispositions légales qui prévoient que les comités d’entreprise et les comités spéciaux de travailleurs, qui sont les seules entités de travailleurs autorisées à présenter des cahiers de revendications, doivent être constitués par plus de la moitié des effectifs et jamais par moins de 30 travailleurs.
- 309. A ce sujet, le comité rappelle le principe selon lequel un nombre minimum de membres requis au niveau de l’entreprise n’est pas en soi incompatible avec la convention no 87 mais que le seuil devrait être fixé à un niveau raisonnable, de façon à ne pas entraver la constitution des organisations, ce chiffre pouvant varier selon les conditions particulières dans lesquelles la restriction a été imposée. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 287.] Ainsi, le comité a déjà eu l’occasion d’indiquer, y compris dans des cas concernant l’Equateur (voir le cas no 2138, rapport no 327, mars 2002, paragr. 547), que le nombre minimum requis par le Code du travail (30 travailleurs) pour constituer un syndicat doit être réduit afin de ne pas faire obstacle à la création de syndicats d’entreprise, compte tenu en particulier du grand nombre de petites entreprises dans le pays considéré. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 286.]
- 310. Compte tenu de ce qui précède, et rappelant également les nombreuses observations dans ce sens de la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations, le comité demande à nouveau au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour abroger ou modifier les dispositions du Code du travail qui prévoient la nécessité de compter au moins 30 travailleurs pour constituer des associations ou des assemblées visant à constituer des comités d’entreprise. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé à cet égard.
- 311. Par ailleurs, le comité note que, en ce qui concerne le cas de l’entreprise mentionnée, le gouvernement indique que les personnes qui ont représenté les travailleurs dans ce différend collectif n’y étaient pas dûment autorisées par ces derniers, condition qui en revanche aurait été observée lors de la constitution du syndicat des travailleurs de Reysac. En outre, le comité constate que l’un des cahiers de revendications présentés par le comité spécial des travailleurs de l’entreprise, et dont copie est jointe en annexe à la plainte, dit que ce comité a eu le soutien de 126 travailleurs de l’entreprise qui ont signé en sa faveur, nombre qui permettrait de s’acquitter des exigences prévues par la loi pour constituer un comité et présenter un cahier de revendications.
- 312. Rappelant le principe selon lequel les travailleurs et leurs organisations doivent avoir le droit d’élire leurs représentants en toute liberté et ces représentants le droit d’exprimer les revendications des travailleurs [voir Recueil, op. cit., paragr. 389], le comité prie le gouvernement de fournir des éclaircissements au sujet de son indication selon laquelle les personnes qui ont représenté les travailleurs lors du différend collectif en question n’y étaient pas autorisées et d’indiquer dans quelle mesure cet aspect a été pris en compte dans le classement sans suite des cahiers de revendications et dans les décisions ultérieures de l’administration du travail dans ce cas.
- 313. S’agissant de la déclaration d’illégalité de la grève dans ladite entreprise par un directeur régional du travail, tout en notant que, selon l’organisation plaignante, la compétence de qualifier de la légalité d’une grève appartient exclusivement au tribunal de conciliation et d’arbitrage, le comité rappelle le principe selon lequel la décision de déclarer la grève illégale ne devrait pas appartenir au gouvernement mais à un organe indépendant des parties et jouissant de leur confiance. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 628.] Le comité prie le gouvernement de prendre les mesures nécessaires, y compris celles de nature législative si nécessaire, pour qu’en toutes circonstances la décision de déclarer la grève légale ou illégale n’appartienne pas au gouvernement mais à un organe indépendant et jouissant de la confiance des parties. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet égard.
- 314. En ce qui concerne l’autorisation donnée à l’inspection du travail de licencier 73 travailleurs au motif de leur participation au mouvement de grève et sur la base du constat de l’occupation violente de l’entreprise par des personnes étrangères à celle-ci, le comité souhaite d’abord rappeler que les principes de la liberté syndicale ne protègent pas les abus dans l’exercice du droit de grève qui constituent des actions de caractère délictueux. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 667.] Le comité rappelle également que des arrestations et des licenciements massifs de grévistes comportent de graves risques d’abus et de sérieux dangers pour la liberté syndicale. Les autorités compétentes devraient recevoir des instructions appropriées afin de prévenir les risques que ces arrestations ou ces licenciements peuvent avoir pour la liberté syndicale. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 674.] Le comité prie gouvernement et les organisations plaignantes de fournir des informations sur les recours judiciaires éventuels intentés contre les décisions de l’administration du travail dans le présent cas et s’attend à ce qu’un organe indépendant se soit prononcé non seulement sur la nature légale ou illégale de la grève, mais aussi sur le fait que les actes de violence éventuellement commis pendant la grève ont justifié le licenciement de 73 travailleurs dont les contrats de travail ont été résiliés suite à leur participation au mouvement de grève.
- 315. Enfin, quant aux cahiers de revendications présentés dans les entreprises Acromax (laboratoire de chimie pharmaceutique) et Maxigraf S.A., le comité prend note des informations fournies par le gouvernement qui indiquent que, dans les deux cas, les cahiers de revendications ont été traités et que les différends collectifs ont été résolus au moyen d’accords transactionnels. Par conséquent, le comité ne poursuivra pas l’examen des allégations relatives aux deux entreprises mentionnées.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 316. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) Le comité demande à nouveau au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour abroger ou modifier les dispositions du Code du travail qui prévoient la nécessité de compter au moins 30 travailleurs pour constituer des associations ou des assemblées visant à constituer des comités d’entreprise. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé à cet égard.
- b) Le comité prie le gouvernement de fournir des éclaircissements au sujet de son indication selon laquelle les personnes qui ont représenté les travailleurs lors du différend collectif en question n’y étaient pas autorisées et d’indiquer dans quelle mesure cet aspect a été pris en compte dans le classement sans suite des cahiers de revendications et dans les décisions ultérieures de l’administration du travail dans ce cas.
- c) Le comité demande au gouvernement de prendre les mesures voulues, y compris législatives si nécessaire, pour qu’en toutes circonstances la décision de déclarer la grève illégale ou non n’appartienne pas au gouvernement, mais à un organe indépendant et jouissant de la confiance des parties. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé à ce sujet.
- d) Le comité prie le gouvernement et les organisations plaignantes de fournir des informations sur les recours judiciaires éventuels intentés contre les décisions de l’administration du travail dans le présent cas et s’attend à ce qu’un organe indépendant se soit prononcé non seulement sur la nature légale ou illégale de la grève, mais aussi sur le fait que les actes de violence éventuellement commis pendant la grève ont justifié le licenciement de 73 travailleurs dont les contrats de travail ont été résiliés suite à leur participation au mouvement de grève.