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Interim Report - Report No 377, March 2016

Case No 3104 (Algeria) - Complaint date: 27-AUG-14 - Follow-up

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Allégations: L’organisation plaignante dénonce le licenciement antisyndical de deux de ses dirigeants, dont son président, par Algérie Poste

  1. 70. La plainte figure dans des communications du Syndicat national autonome des postiers (SNAP) en date des 27 août et 18 septembre 2014, du 7 mars 2015 et du 2 janvier 2016.
  2. 71. Le gouvernement n’ayant pas répondu, le comité a dû ajourner l’examen du cas à plusieurs reprises. Lors de sa réunion de novembre 2015 [voir 376e rapport du comité, paragr. 7], le comité a lancé un appel pressant au gouvernement indiquant que, conformément à la règle de procédure établie au paragraphe 17 de son 127e rapport, approuvé par le Conseil d’administration, il pourrait présenter un rapport sur le fond de l’affaire à sa prochaine réunion, même si les informations ou observations demandées n’étaient pas reçues à temps. A ce jour, le gouvernement n’a envoyé aucune information.
  3. 72. L’Algérie a ratifié la convention (nº 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, la convention (nº 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949, ainsi que la convention (nº 135) concernant les représentants des travailleurs, 1971.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 73. Dans des communications en date des 27 août et 18 septembre 2014, du 7 mars 2015 et du 2 janvier 2016, le Syndicat national autonome des postiers (SNAP) indique être un syndicat légalement constitué qui a déposé son dossier de constitution auprès du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale dès le 2 juillet 2012. A cet égard, le SNAP rappelle qu’il a précédemment présenté une plainte devant le Comité de la liberté syndicale contre le gouvernement pour refus des autorités de l’enregistrer (cas no 2944). Le SNAP indique toutefois avoir un réel ancrage sur le terrain comme en témoignent les centaines d’articles parus dans la presse nationale à son égard.
  2. 74. Le SNAP dénonce le licenciement de deux de ses dirigeants par Algérie Poste, un établissement public à caractère industriel et commercial, ainsi que le licenciement d’un employé ayant manifesté sa solidarité à leur encontre. S’agissant du licenciement de ses deux dirigeants, M. Tarek Ammar Khodja, chargé de la communication du syndicat, et M. Mourad Nekache, président du syndicat, le SNAP indique les faits suivants.
  3. 75. M. Tarek Ammar Khodja était employé au bureau de poste de Dar El-Beida (Alger) en qualité de chargé de clientèle depuis 1998. Par ailleurs, il est l’un des chargés de communication du SNAP et, à ce titre, il intervient auprès des médias (presse écrite et télévision). Selon l’organisation plaignante, suite au refus du directeur de l’unité postale de la wilaya (UPW) Alger-Est de recevoir leur délégation, un collectif de travailleurs du bureau de poste de Dar El-Beida (Alger), composé de 28 postiers, a décidé d’observer une pause de deux heures (de 8 h à 10 h), le 7 juillet 2014, et a demandé à rencontrer le directeur pour protester contre la suspension d’un collègue, prononcée en violation du règlement intérieur. Le directeur de l’audit au niveau de la direction générale d’Algérie Poste, le directeur de l’UPW Alger-Est, le chef du personnel au niveau de l’UPW Alger Est et un vérificateur de la même UPW se sont déplacés au bureau de poste en question.
  4. 76. Selon l’organisation plaignante, M. Tarek Ammar Khodja a alors été appelé au bureau de son chef. En présence du directeur de l’UPW Alger-Est, du chef du personnel au niveau de l’UPW Alger-Est et du chef d’établissent, le directeur de l’audit a violemment pris à partie M. Tarek Ammar Khodja et l’a menacé au motif qu’il aurait fait des déclarations à la presse. Le lendemain, M. Ammar Khodja a été convoqué au siège de l’UPW Alger-Est. Le directeur de l’UPW lui reprochait d’être l’instigateur de l’arrêt de travail de deux heures la veille, ce qu’il a nié. Le directeur de l’UPW lui reprochait également certaines déclarations à la presse, ce qu’il a aussi nié tout en ajoutant qu’il n’a jamais fait de déclaration pendant l’exercice de son travail ni sur son lieu de travail.
  5. 77. Le SNAP indique que, le 9 juillet 2014, M. Ammar Khodja a été convoqué au siège de l’UPW où il a fait l’objet d’intimidation et a été sommé de répondre à une série de 20 questions portant essentiellement sur son appartenance syndicale et aux déclarations faites à la presse. Le même jour, une décision de suspension de ses fonctions – fondée sur neuf motifs – a été envoyée par fac-similé à son bureau de poste. M. Ammar Khodja en prendra connaissance le soir même, dans la mesure où le bureau de poste était ouvert en soirée pendant la période du ramadan.
  6. 78. Le 13 juillet 2014, M. Ammar Khodja a reçu une lettre de convocation devant la commission de discipline de l’UPW Alger-Est. Selon le SNAP, la lettre ne comportait aucune mention du motif de la convocation prévue le 17 juillet, cela en violation de l’article 113 du règlement intérieur d’Algérie Poste. Suite à sa comparution le 17 juillet 2014, M. Ammar Khodja a reçu la notification de son licenciement le 23 juillet 2014 (copie jointe).
  7. 79. M. Ammar Khodja a relevé les irrégularités suivantes durant la procédure disciplinaire: i) la lettre de convocation devant la commission de discipline est datée du 13 juillet 2014, soit seulement cinq jours avant la commission de discipline au lieu des huit jours ouvrables avant la date de la réunion, comme le prévoit le règlement intérieur de l’entreprise. De plus, la lettre ne comportait aucun motif de la comparution; ii) lors de la procédure disciplinaire, M. Ammar Khodja n’a pas pu consulter son dossier personnel dans les formes qu’il souhaitait compte tenu de son handicap visuel, et il s’est vu refuser la possibilité de présenter des preuves à l’appui de sa défense; iii) il n’y aucune preuve matérielle des motifs retenus pour sanctionner M. Ammar Khodja. Par ailleurs, la commission de discipline a refusé d’examiner les neuf motifs de la décision de suspension arguant qu’il revenait à M. Ammar Khodja d’apporter la preuve qu’ils étaient infondés; et iv) les travailleurs ayant débrayé pendant deux heures le 7 juillet n’ont reçu qu’un simple avertissement.
  8. 80. Le 12 août 2014, M. Ammar Khodja a déposé un recours auprès de la direction générale d’Algérie Poste pour l’annulation de la décision de licenciement. L’entreprise n’a donné aucune suite au recours déposé, ce qui constitue une violation de l’article 119 de son règlement intérieur qui prévoit que la commission de recours doit se prononcer par écrit dans un délai maximal de trois mois. Le 16 novembre 2014, une plainte pour licenciement abusif a été déposée au niveau de l’inspection du travail territorialement compétente (Bab Ezzouar (Alger)). Or l’inspection de travail s’est contentée d’organiser une séance de conciliation entre les deux parties le 22 décembre 2014. En l’absence de l’entreprise qui ne s’est pas présentée, une deuxième séance a été programmée pour le 29 décembre 2014. Lors de la deuxième séance de conciliation, l’entreprise a refusé la réintégration de M. Ammar Khodja et a indiqué, de plus, avoir déposé plainte à son encontre au niveau du tribunal d’El-Harrach (Alger) au motif de ses activités syndicales. Le 15 avril 2015, M. Ammar Khodja reçoit une convocation pour comparaître devant la commission de recours plus de huit mois après le dépôt de son recours le 12 août 2014. Le 29 avril 2015, il reçoit une décision confirmant son licenciement.
  9. 81. Le 25 mai 2015, M. Ammar Khodja porte l’affaire devant le tribunal d’El-Harrach (Alger). Après plus de trois mois de procédure, un jugement définitif a été rendu en faveur de l’intéressé. La justice a clairement ordonné sa réintégration dans son poste de travail avec tous les avantages acquis (grosse du jugement jointe à la plainte). Le 7 octobre 2015, le jugement a été notifié à la direction générale d’Algérie Poste par un huissier de justice. Aucune suite n’ayant été donnée par l’entreprise dans le délai légal de quinze jours, le 19 novembre 2015, l’huissier de justice a dressé un procès-verbal de non-exécution du jugement ordonnant la réintégration de M. Ammar Khodja.
  10. 82. A ce jour, M. Ammar Khodja, chef de famille et père de trois enfants, demeure privé de rémunération depuis le 9 juillet 2014, alors qu’une décision de justice d’août 2015 ordonne sa réintégration et le paiement de tous les avantages acquis.
  11. 83. S’agissant de la situation de M. Nekache, président du SNAP, l’organisation plaignante indique qu’il était employé au bureau de poste de Boudouaou Benterquia (Boumerdès) en qualité de chargé de clientèle depuis son recrutement en août 2000. De par sa fonction syndicale, M. Nekache est amené à intervenir devant les médias (presse écrite et télévision).
  12. 84. Le 22 juillet 2014, le SNAP a ainsi organisé une conférence de presse à la Maison des syndicats à Alger. La conférence de presse a été animée par le président du SNAP, M. Nekache, et un chargé de communication, M. Ammar Khodja. Selon l’organisation plaignante, le 23 juillet 2014, une équipe de trois vérificateurs de l’unité postale de la wilaya (UPW) de Boumerdès s’est présentée au bureau de poste de Boudouaou Benterquia. Les vérificateurs ont d’abord voulu savoir les raisons de son absence la veille. M. Nekache a indiqué avoir fourni des explications à ce sujet et qu’un procès-verbal avait été établi par son chef. Les vérificateurs ont ensuite interrogé M. Nekache sur la teneur de ses propos rapportés par la presse, en précisant qu’ils agissaient sous les instructions directes du directeur de l’audit de la direction générale. M. Nekache a alors indiqué avoir fait ses déclarations à la presse en sa qualité de président d’un syndicat et à la faveur de la liberté d’expression que lui accorde la Constitution du pays. Le 27 juillet, M. Nekache a une nouvelle fois été interrogé par une équipe de vérificateurs sur ses déclarations à la presse. Ce dernier a de nouveau répondu que les déclarations faites à la presse en sa qualité de président d’un syndicat relèvent du plein exercice de la liberté d’expression qui est un droit fondamental reconnu par la Constitution. Il a en outre ajouté que l’interrogatoire représentait une grave ingérence de la part de l’entreprise dans le fonctionnement du syndicat. Le même jour, M. Nekache a dénoncé le harcèlement dont il est l’objet auprès du directeur de l’UPW de Boumerdès via un fac-similé.
  13. 85. L’organisation plaignante indique que, le 31 juillet, M. Nekache a reçu une lettre de suspension sur son lieu de travail lui notifiant sa suspension à partir du 2 août 2014. Le 11 août 2014, M. Nekache reçoit une lettre de convocation devant la commission de discipline pour le 21 août 2014. La lettre ne précise pas le motif de la convocation en violation de l’article 113 du règlement intérieur de l’entreprise. Le lendemain, M. Nekache se rend au secrétariat de la direction de l’UPW de Boumerdès pour consulter son dossier personnel, mais se verra opposer l’obligation de faire une demande écrite préalable pour une telle consultation. Par ailleurs, l’organisation plaignante dénonce le fait que, le 21 août 2014, M. Nekache s’est vu refuser le droit de se défendre devant la commission de discipline, et ses protestations lui ont même valu d’être exclu de la réunion par le président de la commission. Le 27 août 2014, M. Nekache a reçu par courrier la décision de son licenciement.
  14. 86. M. Nekache a formé un recours demandant l’annulation de la décision de licenciement devant la commission de discipline au niveau du siège national d’Algérie Poste le 17 septembre 2014. Aucune suite n’ayant été donnée à ce recours par la direction de l’entreprise, en violation de son règlement intérieur, M. Nekache a déposé, le 18 décembre 2014, une plainte pour licenciement abusif auprès de l’inspection du travail territorialement compétente. Selon l’organisation plaignante, l’inspection de travail s’est contentée d’organiser une première séance de conciliation entre les deux parties en janvier 2015, qu’elle a reportée à la demande de l’entreprise. Lors de la deuxième séance de conciliation, l’entreprise a fait état de son refus de réintégrer M. Nekache. L’inspection a donc dressé un procès-verbal de non-conciliation.
  15. 87. Par la suite, en mars 2015, M. Nekache a été convoqué par la gendarmerie parce qu’il a fait l’objet d’une plainte pour activités syndicales de la part de son entreprise. Six mois après le dépôt de son recours, l’entreprise l’a convoqué devant la commission de recours, cela alors que le règlement intérieur de l’entreprise prévoit que ladite commission doit se prononcer dans un délai de trois mois après chaque recours. Finalement, le 31 mars 2015, M. Nekache a reçu une notification confirmant son licenciement sans délai-congé, aggravant ainsi la sanction. Cependant, la décision de la commission ne lui a pas été transmise.
  16. 88. Le 25 mai 2015, M. Nekache porte l’affaire devant le tribunal d’El-Harrach (Alger). Après plus de trois mois de procédure, un jugement définitif a été rendu en sa faveur. La justice a clairement ordonné sa réintégration dans son poste de travail avec tous les avantages acquis (grosse du jugement jointe à la plainte). Or, malgré le fait que le jugement a été notifié à l’entreprise par un huissier de justice le 7 octobre 2015, l’entreprise n’y a donné aucune suite. Le délai légal de quinze jours après notification du jugement ayant été largement dépassé, l’huissier de justice a dressé un procès-verbal de non-exécution du jugement en novembre 2015. Selon l’organisation plaignante, à ce jour, M. Nekache, chef de famille et père de deux enfants, est toujours privé de revenus depuis le 2 août 2014, malgré une décision de justice en sa faveur.
  17. 89. En conclusion, concernant la situation de ses deux dirigeants, le SNAP déclare que leur licenciement est directement lié à leurs activités syndicales, et les déclarations faites à la presse ont servi de prétexte pour leur licenciement. Cela avait pour objectif d’affaiblir le syndicat en question et d’entraver sa liberté d’action.
  18. 90. Par ailleurs, l’organisation plaignante a transmis des informations additionnelles dans une communication en date du 18 septembre 2014 faisant état du licenciement abusif d’un troisième salarié d’Algérie Poste que le SNAP déclare être directement lié au licenciement antisyndical de M. Nekache. A cet égard, l’organisation plaignante fait état des faits suivants.
  19. 91. M. Bilal Benyacoub était employé au bureau de poste de Naciria (Boumerdès) en tant qu’opérateur assistant. Ayant exercé durant deux ans sous le dispositif d’aide à l’insertion professionnelle, il avait finalement été recruté en avril 2014 via un contrat de travail aidé. Le jeudi 21 août 2014 dans l’après-midi, un groupe de sept travailleurs était venu soutenir le président du SNAP, M. Nekache, à sa sortie de la commission de discipline au siège de l’unité postale de la wilaya (UPW) de Boumerdès. M. Benyacoub, qui avait terminé son service, s’était joint au groupe qui attendait le président du SNAP sur la voie publique. Or, selon l’organisation plaignante, le dimanche 24 août, M. Benyacoub a été convoqué par le directeur de l’UPW de Boumerdès qui lui reprochait sa présence sur la voie publique en face du siège de l’UPW le jeudi 21 août. Après avoir répondu aux questions sous pression, M. Benyacoub a dû apposer son empreinte sur le procès-verbal, ce qui est inédit dans une procédure disciplinaire au sein de l’entreprise. M. Benyacoub a reçu la décision de sa suspension dans la journée sur son lieu de travail (l’organisation plaignante précise que les vendredi et samedi sont les jours de repos hebdomadaire).
  20. 92. Par la suite, M. Benyacoub a reçu le 27 août 2014 une convocation devant la commission de discipline de l’UPW de Boumerdès. La lettre, comme celles envoyées aux deux dirigeants du SNAP, ne comporte pas le motif de la convocation, cela en violation de l’article 113 du règlement intérieur de l’entreprise. Suite à sa comparution le 2 septembre 2014, M. Benyacoub a reçu la notification de son licenciement le 7 septembre 2014.
  21. 93. Selon l’organisation plaignante, M. Benyacoub a reçu la convocation pour comparaître devant la commission de discipline seulement cinq jours – au lieu de huit jours ouvrables – avant la date de la réunion. De plus, la lettre ne précisait pas le motif de la convocation, en violation du règlement intérieur de l’entreprise. Par ailleurs, M. Benyacoub n’a pas eu accès à son dossier disciplinaire contrairement à ce qui est prévu dans le règlement intérieur. Enfin, les faits reprochés à M. Benyacoub se sont déroulés alors que ce dernier n’était plus en service, était sur la voie publique hors de tout lieu de travail et qu’il n’y a pas eu d’attroupement.
  22. 94. M. Benyacoub a formé un recours auprès de la direction générale d’Algérie Poste le 17 septembre 2014 pour demander l’annulation de la décision de licenciement. La direction de l’entreprise n’a donné aucune suite au recours déposé en violation de l’article 119 du règlement intérieur qui prévoit que la commission de recours doit se prononcer par écrit dans un délai maximal de trois mois. Entre-temps, M. Benyacoub a été appelé pour passer son service militaire fin septembre 2014. Cependant, dès la fin de son service militaire en septembre 2015, ce dernier a relancé la procédure de recours qui a abouti à une convocation devant la commission de recours le 30 novembre 2015. Selon l’organisation plaignante, suite à sa comparution, aucune suite n’a encore été donnée à l’affaire par l’entreprise.
  23. 95. De l’avis de l’organisation plaignante, le licenciement de M. Benyacoub est directement lié au cas du licenciement du président du SNAP. Il vise ainsi à instaurer un climat ouvertement hostile à toute solidarité syndicale dans le corps des postiers. La célérité avec laquelle l’affaire de M. Benyacoub a été traitée, en violation des règlements en vigueur, illustre la vigueur avec laquelle la direction de l’entreprise a décidé de mettre fin aux activités du SNAP.
  24. 96. En conclusion, l’organisation plaignante dénonce des licenciements abusifs et antisyndicaux, qui n’ont pour seuls objectifs que d’entraver l’exercice de la liberté syndicale et d’affecter le fonctionnement d’une organisation syndicale. Le SNAP demande au Comité de la liberté syndicale de réclamer la réintégration immédiate des trois travailleurs cités.

B. Conclusions du comité

B. Conclusions du comité
  1. 97. Le comité regrette que, malgré le temps écoulé depuis la présentation de la plainte en août 2014, le gouvernement n’ait pas répondu, bien qu’il ait été invité à le faire à plusieurs reprises, y compris par un appel pressant. Le comité prie instamment le gouvernement de faire preuve de plus de coopération à l’avenir.
  2. 98. Dans ces conditions, et conformément à la règle de procédure applicable [voir 127e rapport du comité, paragr. 17, approuvé par le Conseil d’administration à sa 184e session], le comité se voit dans l’obligation de présenter un rapport sur le fond de l’affaire sans pouvoir tenir compte des informations qu’il espérait recevoir du gouvernement.
  3. 99. Le comité rappelle à nouveau au gouvernement que l’ensemble de la procédure instituée par l’Organisation internationale du Travail pour l’examen d’allégations faisant état de violations de la liberté syndicale vise à assurer le respect de cette liberté en droit comme en fait. Le comité demeure convaincu que, si la procédure protège les gouvernements contre des accusations déraisonnables, ceux-ci voudront bien reconnaître à leur tour l’importance de présenter, en vue d’un examen objectif, des réponses détaillées aux allégations formulées à leur encontre. [Voir premier rapport du comité, paragr. 31.]
  4. 100. Le comité observe que le présent cas porte sur des allégations faisant état du licenciement antisyndical de deux dirigeants du SNAP par l’établissement public Algérie Poste, ainsi que du licenciement d’un troisième employé de l’entreprise au motif qu’il a soutenu un des dirigeants en question lors de la procédure disciplinaire qui le visait.
  5. 101. De manière liminaire, le comité note que le SNAP est actif dans le secteur de la poste depuis 2012, date de sa constitution. Le comité observe que le gouvernement a fourni en janvier 2016, dans le cadre du suivi du cas no 2944 présenté par plusieurs syndicats algériens dont le SNAP, des informations faisant état de l’enregistrement du SNAP par les autorités en décembre 2015.
  6. 102. Selon les informations fournies par l’organisation plaignante, le comité observe que la situation décrite se résume comme suit: le président du SNAP, M. Mourad Nekache, employé au bureau de poste de Boudouaou Benterquia (Boumerdès), et le chargé de communication du SNAP, M. Tarek Ammar Khodja, employé au bureau de poste de Dar El-Beida (Alger), ont tous deux fait l’objet de procédures disciplinaires par Algérie Poste en juillet 2014 aux motifs de leurs interventions auprès des médias et de l’organisation d’un arrêt de travail de deux heures le 7 juillet 2014 pour M. Ammar Khodja. De manière individuelle, chacun des deux dirigeants en question a fait l’objet d’interrogatoires sous la menace concernant leurs activités syndicales et la teneur de leurs propos rapportés par les médias.
  7. 103. Le comité note que, selon le SNAP, les deux dirigeants ont ensuite été suspendus et convoqués devant une commission de discipline, selon des procédures qui violaient le règlement intérieur de l’entreprise (refus du droit à la défense pour les deux dirigeants syndicaux et non-respect du délai minimum de convocation pour M. Ammar Khodja), suite à laquelle ils ont été notifiés d’une décision de licenciement.
  8. 104. S’agissant de M. Ammar Khodja, le comité note que par décision no 39/2014, la direction de l’unité postale de la wilaya Alger-Est a ordonné sa suspension aux motifs, entre autres, de «manœuvre et tentative de compromission, d’intimidation, de provocation ou de diffamation; d’entrave à la liberté de travail; de porter atteinte aux intérêts moraux et matériels de l’établissement; et de menaces et injures à travers un communiqué et la presse écrite». Il est convoqué devant la commission de discipline par lettre du 10 juillet 2014, mais la convocation ne mentionne pas le motif de la comparution comme l’exigerait le règlement intérieur de l’entreprise. Enfin, par lettre no 41/2014 du 20 juillet 2014, la direction de l’unité postale de la wilaya Alger-Est a décidé de son licenciement à compter du 9 juillet 2014, sans qu’aucun motif de ce licenciement ne soit évoqué.
  9. 105. S’agissant de M. Mourad Nekache, le comité note que, par décision no 592/2014 en date du 31 juillet 2014, la direction de l’unité postale de la wilaya de Boumerdès a ordonné sa suspension aux motifs «d’insubordination envers la hiérarchie, de refus sans motif valable d’exécuter les instructions liées aux obligations professionnelles et de porter atteinte aux intérêts moraux et matériels de l’établissement». Il est convoqué devant la commission de discipline par lettre du 10 août 2014, mais la convocation ne mentionne pas le motif de la comparution comme l’exigerait le règlement intérieur de l’entreprise. Enfin, par décision no 600/2014 du 24 août 2014, la direction de l’unité postale de la wilaya de Boumerdès a ordonné son licenciement à compter du 21 août 2014.
  10. 106. Le comité note que MM. Ammar Khodja et Nekache ont tous deux formé un recours demandant l’annulation de la décision de licenciement les affectant devant la commission de discipline au niveau du siège national d’Algérie Poste, respectivement en août et septembre 2014, mais qu’aucune suite n’a été donnée aux recours en question, cela encore une fois, selon le SNAP, en violation du règlement intérieur de l’entreprise qui prévoit une réponse écrite de la commission dans un délai de trois mois. Les deux dirigeants ont par la suite déposé, respectivement en novembre et décembre 2014, une plainte pour licenciement abusif auprès de l’inspection du travail territorialement compétente. Selon l’organisation plaignante, l’inspection du travail s’est contentée d’organiser des séances de conciliation entre les parties. Dans les deux cas, lors de la deuxième séance de conciliation, l’entreprise a fait état de son refus de procéder à la réintégration, ce qui a amené l’inspection à dresser un procès-verbal de non-conciliation.
  11. 107. Le comité note que, selon les allégations du SNAP, les deux dirigeants ont par la suite été informés de plaintes de l’entreprise à leur encontre pour leurs activités syndicales. Par ailleurs, l’entreprise les a convoqués, hors des délais prévus dans le règlement intérieur, devant la commission de recours au niveau de la direction centrale. Suite à leur comparution, respectivement en mars 2015 (M. Nekache) et en avril 2015 (M. Ammar Khodja), ces derniers ont reçu confirmation de leur licenciement par courrier. A cet égard, le SNAP précise que M. Nekache a reçu une notification confirmant son licenciement sans délai-congé, aggravant ainsi la première décision de licenciement.
  12. 108. Le comité note l’indication selon laquelle, le 25 mai 2015, MM. Nekache et Ammar Khodja ont porté l’affaire devant le tribunal d’El-Harrach (Alger) et que, après trois mois de procédure, des jugements définitifs ont été rendus en leur faveur. Selon l’organisation plaignante, la justice a clairement ordonné leur réintégration avec tous les avantages acquis et le versement d’une indemnité de compensation. Cependant, l’organisation plaignante dénonce le fait que, malgré la notification des décisions de justice par huissier de justice le 7 octobre 2015 à sa direction générale, l’entreprise n’a donné aucune suite, ce qui a amené l’huissier de justice à dresser un procès-verbal de non-exécution des jugements en novembre 2015.
  13. 109. Le comité note que la situation est inchangée à ce jour et que MM. Nekache et Ammar Khodja demeurent licenciés et sans revenus malgré des décisions de justice ordonnant leur réintégration dûment notifiées à l’employeur.
  14. 110. Le comité souhaite tout d’abord rappeler que nul ne doit être licencié ou faire l’objet d’autres mesures préjudiciables en matière d’emploi en raison de son affiliation syndicale ou de l’exercice d’activités syndicales légitimes, et il importe que tous les actes de discrimination en matière d’emploi soient interdits et sanctionnés dans la pratique. Ensuite, le comité a précisé que l’une des manières d’assurer la protection des délégués syndicaux est de prévoir que ces délégués ne peuvent être licenciés ni dans l’exercice de leurs fonctions ni pendant un certain laps de temps suivant la fin de leur mandat, sauf évidemment en cas de faute grave. [Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 771 et 804.] Enfin, en relation avec les allégations, le comité rappelle que le plein exercice des droits syndicaux exige la libre circulation des informations, des opinions et des idées, de sorte que les travailleurs et les employeurs, tout comme leurs organisations, devraient jouir de la liberté d’opinion et d’expression dans leurs réunions, publications et autres activités syndicales. Néanmoins, dans l’expression de leurs opinions, les organisations syndicales ne devraient pas dépasser les limites convenables de la polémique et devraient s’abstenir d’excès de langage. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 154.]
  15. 111. En l’espèce, le comité ne peut que constater la célérité avec laquelle la procédure disciplinaire a abouti au licenciement de M. Nekache et de M. Ammar Khodja. Il note avec préoccupation les allégations de violation des textes réglementaires, notamment le fait que les dirigeants syndicaux n’auraient pas pu présenter leur défense adéquatement tout au long de la procédure et que le recours au niveau du siège national ait été enclenché de la part de l’employeur au-delà des trois mois prescrits (six mois pour M. Nekache et huit mois pour M. Ammar Khodja). Enfin, le comité est particulièrement préoccupé par le fait que, malgré des décisions de justice prononcées par le tribunal d’El-Harrach (Alger) ordonnant la réintégration des deux dirigeants syndicaux, l’entreprise en question refuse d’appliquer les décisions de justice en toute impunité depuis sa notification par voie d’huissier de justice en octobre 2015. Le comité s’étonne de la possibilité d’un établissement public de ne pas mettre à exécution les injonctions d’une autorité judiciaire sans subir de sanction. Le comité observe avec une profonde préoccupation que cette atteinte à la liberté syndicale porte lourdement préjudice à deux dirigeants syndicaux en les maintenant sans ressources depuis juillet et août 2014, respectivement.
  16. 112. Compte tenu de ce qui précède, le comité prie instamment le gouvernement de prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour mettre à exécution les décisions du tribunal d’El-Harrach (Alger) ordonnant la réintégration des deux dirigeants syndicaux du SNAP, nommément M. Mourad Nekache et M. Tarek Ammar Khodja, et le versement de tous les arriérés de salaires et des indemnités de compensation conformément aux décisions de justice en question, et de le tenir informé à cet égard. Le comité veut croire que l’enregistrement du SNAP par les autorités en décembre 2015 contribuera à la résolution rapide de ces affaires et à instaurer des relations professionnelles apaisées entre l’entreprise et le SNAP.
  17. 113. S’agissant des allégations concernant le licenciement d’un employé de l’entreprise, nommément M. Bilal Benyacoub, pour avoir manifesté sa solidarité avec le président du SNAP lors de la procédure disciplinaire le visant, le comité note que, selon les allégations, le 21 août 2014, M. Benyacoub s’est rendu sur la voie publique opposée à celle du siège de l’unité postale de la wilaya (UPW) de Boumerdès pour attendre, avec six autres travailleurs, la sortie du président du SNAP après sa comparution devant une commission de discipline. M. Benyacoub avait alors terminé son service. Or, selon les allégations du SNAP, l’entreprise a suspendu (le 24 août 2014) puis licencié (le 7 septembre 2014) M. Benyacoub sur l’unique motif de sa présence sur la voie publique en face du siège de l’UPW le jeudi 21 août. A cet égard, le comité note que M. Benyacoub a reçu la décision no 599/2014 en date du 24 août 2014 de la direction de l’UPW de Boumerdès, lui signifiant sa suspension au motif de rassemblement hormis le cas d’activité syndicale régulière dans les locaux professionnels, aires avoisinantes et autres lieux de travail ainsi que pour atteinte aux intérêts moraux et matériels de l’établissement. Il est convoqué devant la commission de discipline par lettre du 25 août 2014 sans qu’aucun motif ne soit évoqué dans ladite lettre. Enfin, par lettre no 606/2014 du 3 septembre 2014, la direction de l’UPW de Boumerdès a décidé de son licenciement à compter du 2 septembre 2014.
  18. 114. Le comité note que, selon l’organisation plaignante, la procédure disciplinaire contre M. Benyacoub est entachée des irrégularités suivantes: ce dernier a reçu la convocation pour comparaître devant la commission de discipline seulement cinq jours – au lieu de huit jours ouvrables – avant la date de la réunion. De plus, la lettre ne précisait pas le motif de la convocation, en violation du règlement intérieur de l’entreprise. Par ailleurs, M. Benyacoub n’a pas eu accès à son dossier disciplinaire contrairement à ce qui est prévu dans le règlement intérieur. Enfin, les faits reprochés à M. Benyacoub se sont déroulés alors que ce dernier n’était plus en service, était sur la voie publique hors de tout lieu de travail et qu’il n’y a pas eu d’attroupement.
  19. 115. Le comité note que M. Benyacoub a formé un recours auprès de la direction générale de l’entreprise le 17 septembre 2014 pour demander l’annulation de la décision de licenciement, mais que la direction de l’entreprise n’a donné aucune suite au recours. Entre-temps, M. Benyacoub a été appelé pour passer son service militaire fin septembre 2014. Cependant, dès la fin de son service militaire en septembre 2015, ce dernier a relancé la procédure de recours qui a abouti à une convocation devant la commission de recours le 30 novembre 2015. Selon l’organisation plaignante, suite à sa comparution, aucune suite n’a encore été donnée à l’affaire par l’entreprise.
  20. 116. En l’espèce, le comité constate qu’il ne ressort pas des informations fournies par l’organisation plaignante ni des documents à sa disposition que M. Benyacoub est syndicaliste. Cependant, le comité observe que M. Benyacoub fait face à une situation à l’initiative de son employeur qui est directement liée à une procédure disciplinaire visant un dirigeant syndical de l’entreprise. En conséquence, le comité considère qu’il lui appartient d’examiner la situation de M. Benyacoub. A cet égard, le comité exprime son interrogation et sa préoccupation devant le fait qu’une entreprise engage une procédure disciplinaire au motif de «rassemblement hormis le cas d’activité syndicale régulière dans les locaux professionnels, aires avoisinantes et autres lieux de travail» envers un employé qui, selon les allégations, n’était pas en service et se trouvait sur la voie publique sans qu’il n’y ait eu d’attroupement, de violation d’une loi quelconque ni de menace à l’ordre public.
  21. 117. Notant l’allégation selon laquelle le licenciement de M. Benyacoub, comme ceux des dirigeants du SNAP, a pour effet d’intimider les postiers désireux de s’engager dans l’action syndicale et entrave l’exercice de la liberté syndicale en affectant le fonctionnement d’une organisation syndicale, le comité prie instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour qu’une enquête soit diligentée par les services compétents au sujet du licenciement de M. Benyacoub, et d’en indiquer les résultats et les suites données. Par ailleurs, le comité s’attend à ce que le gouvernement transmette sans délai des informations sur la situation professionnelle de M. Benyacoub.

Recommandations du comité

Recommandations du comité
  1. 118. Au vu des conclusions intérimaires qui précèdent, le comité demande au Conseil d’administration d’approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité regrette que, malgré le temps écoulé depuis la présentation de la plainte en août 2014, le gouvernement n’ait pas répondu, bien qu’il ait été invité à le faire à plusieurs reprises, y compris par un appel pressant. Le comité prie instamment le gouvernement de faire preuve de plus de coopération à l’avenir.
    • b) Le comité prie instamment le gouvernement de prendre immédiatement toutes les mesures nécessaires pour mettre à exécution les décisions du tribunal d’El-Harrach (Alger) ordonnant la réintégration des deux dirigeants syndicaux du SNAP, nommément M. Mourad Nekache et M. Tarek Ammar Khodja, et le versement de tous les arriérés de salaires et des indemnités de compensation conformément aux décisions de justice en question, et de le tenir informé à cet égard.
    • c) Le comité prie instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour qu’une enquête soit diligentée par les services compétents au sujet du licenciement de M. Bilal Benyacoub, et d’en indiquer les résultats et les suites données. Par ailleurs, le comité s’attend à ce que le gouvernement transmette sans délai des informations sur la situation professionnelle de M. Benyacoub.
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