Allégations: Les organisations plaignantes allèguent les exécutions
extrajudiciaires de trois dirigeants syndicaux et dénoncent le fait que le gouvernement n’a
pas conduit d’enquête convenable sur ces affaires ni traduit les coupables en justice. Les
plaignants allèguent également des menaces et des tentatives d’assassinat visant un autre
dirigeant syndical et sa famille, lesquels ont été contraints de se cacher, et dénoncent le
fait que le gouvernement n’a pas conduit d’enquête convenable sur ces affaires ni protégé
les victimes. Dans ces affaires, l’absence d’enquêtes et de poursuites est susceptible de
renforcer le climat d’impunité, de violence et d’insécurité, nuisant à l’exercice des droits
syndicaux
- 811. La plainte figure dans une communication présentée le 5 février 2016
par la Confédération nationale des syndicats de travailleurs des transports des
Philippines (NCTU), le Centre des travailleurs unis et progressistes des Philippines
(SENTRO) et la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF).
- 812. Le gouvernement a fait parvenir ses observations sur ces allégations
dans des communications en date du 28 octobre 2015 (communication concernant les mêmes
questions adressée à la Commission d’experts pour l’application des conventions et
recommandations et ensuite évoquée par le gouvernement) et des 31 mai, 29 juin et
17 octobre 2016.
- 813. Les Philippines ont ratifié la convention (nº 87) sur la liberté
syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (nº 98) sur le
droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations des organisations plaignantes
A. Allégations des organisations plaignantes- 814. Dans leur communication du 5 février 2016, les plaignants allèguent
que le gouvernement n’a pas conduit d’enquête convenable sur les assassinats et les
tentatives d’assassinat de plusieurs syndicalistes, parmi lesquels des dirigeants de la
NCTU, Antonio Petalcorin et Kagi Alimudin Lucman, et n’en a pas identifié, poursuivi ni
condamné les coupables. Ces actes et omissions constituent des violations de la
convention no 87, ratifiée par le gouvernement en 1953, et des principes de la liberté
syndicale protégés par la Constitution de l’OIT, que le gouvernement s’est engagé à
respecter en vertu de son appartenance à l’Organisation.
- 815. La NCTU a été fondée en 2003 sous le sigle NTU. Elle est affiliée au
SENTRO, un centre syndical national, et à l’ITF. Le Comité de franchisage et de
réglementation des transports terrestres de Davao (LTFRB) est un organisme public qui
relève directement du Département des transports.
- 816. Le 28 novembre 2012, Antonio Petalcorin, alors président du Réseau
d’organisations de transport (NETO) affilié à la NCTU, Emilio Rivera, à l’époque
président de la Coopérative de transport de Matina Aplaya, et Carlos Cirilo, président
de l’Alliance des organisations de transport de Mindanao, ont déposé plainte auprès du
bureau du procureur contre le directeur du LTFRB, alléguant des actes de corruption. Les
requérants affirmaient, entre autres, que le directeur avait reçu des pots-de-vin en
échange de l’octroi de contrats de franchise. Les trois requérants étaient des
dirigeants et militants du secteur des transports à Davao.
- 817. Le 25 janvier 2013, M. Rivera a été tué par des agresseurs inconnus
près du bureau du LTFRB. La police a annoncé qu’un suspect avait été appréhendé, mais
celui-ci a ensuite été remis en liberté. A ce jour, aucune enquête policière convenable
n’a été menée, et les agresseurs n’ont pas été identifiés.
- 818. Le 21 avril 2013, une grenade à main a été découverte près de
l’entrée principale du domicile familial de M. Cirilo par le gendre de celui-ci.
L’enquête policière menée par la suite a révélé que la première goupille de sécurité de
la grenade avait été retirée. Le 21 mai 2013, l’épouse de M. Cirilo a découvert une
autre grenade à main sur sa propriété. L’enquête policière a permis de déterminer que la
grenade n’avait pas explosé car la deuxième goupille de sécurité était défectueuse.
Entre novembre 2012 et mai 2013, M. Cirilo a également reçu plusieurs messages menaçants
sur son téléphone portable, et des excréments animaux ont été lancés sur son lieu de
travail. Son épouse a par ailleurs reçu des menaces verbales de la part du directeur du
LTFRB. Malgré ces incidents, la police de Davao a refusé de placer M. Cirilo sous
escorte policière. Il a par la suite été contraint de se cacher avec son épouse.
- 819. Le 2 juillet 2013, M. Petalcorin a été abattu de trois balles dans
la poitrine alors qu’il quittait son domicile à environ 8 heures du matin pour se rendre
au bureau du LTFRB. L’enquête policière a permis d’identifier l’assassin, un tueur
professionnel connu des forces de l’ordre, mais celui-ci n’a pas été traduit en justice.
Avant son assassinat, M. Petalcorin avait reçu plusieurs menaces de mort.
- 820. A ce jour, le bureau du procureur n’a pas examiné la plainte déposée
contre le directeur. Les plaignants estiment que les assassinats de MM. Rivera et
Petalcorin ainsi que les menaces, pressions et violences visant M. Cirilo et sa famille
ont un lien avec la procédure engagée contre le directeur, un fonctionnaire, et avec
leur statut de dirigeants syndicaux. Les plaignants considèrent que ces assassinats
relèvent d’exécutions politiques extrajudiciaires. Une enquête policière sur
l’éventuelle participation du directeur et/ou du LTFRB à l’assassinat de M. Petalcorin a
été ouverte mais n’a jamais été menée à terme. Les plaignants rejettent les conclusions
présentées par le gouvernement par l’intermédiaire de la Commission des droits de
l’homme (CDH) de Davao, selon lesquelles l’assassinat de M. Petalcorin n’était pas un
crime politique et n’avait pas de lien avec la campagne qu’il menait pour lutter contre
la corruption, et jugent l’enquête insuffisante.
- 821. Le 18 juillet 2013, Kagi Alimudin Lucman, alors dirigeant du bureau
de la NCTU à Cotabato, a été abattu par deux individus armés circulant à moto, après
avoir déposé ses enfants à l’école. A ce jour, les auteurs de ce crime n’ont pas été
identifiés. Les plaignants estiment que M. Lucman a été assassiné en raison de ses
activités syndicales.
- 822. Les plaignants dénoncent l’incapacité du gouvernement à assurer un
climat social propice à l’exercice effectif des droits syndicaux tels qu’énoncés dans la
convention no 87 et des principes de la liberté syndicale. Plus spécifiquement, les
plaignants dénoncent: i) l’absence d’enquêtes policières, de poursuites et d’enquêtes
judiciaires indépendantes appropriées dans les affaires d’assassinats d’Emilio Rivera,
Antonio Petalcorin et Kagi Alimudin Lucman; ii) l’absence d’enquête appropriée sur les
menaces de nature physique et non physique dont ont été victimes M. Cirilo et sa
famille; et iii) le refus de placer M. Cirilo sous escorte policière malgré les deux
tentatives d’assassinat à son égard et malgré les assassinats d’Emilio Rivera et
d’Antonio Petalcorin à Davao.
- 823. Les plaignants soulignent qu’il est communément admis que la liberté
d’association est globalement inefficace sans la protection des libertés publiques
fondamentales des syndicalistes. Ils estiment évident que les dirigeants ont été pris
pour cible en raison de leurs activités syndicales, parmi lesquelles leurs efforts pour
lutter contre la corruption au sein du LTFRB.
- 824. Les plaignants font remarquer que les faits susmentionnés ne
constituent en aucun cas des actes isolés. Les organes de contrôle de l’OIT (notamment
la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations et la
Commission de l’application des normes de la Conférence internationale du Travail)
dénoncent l’incapacité du gouvernement à protéger les libertés publiques des
syndicalistes depuis de nombreuses années.
- 825. En 2007, compte tenu du nombre considérable de cas d’exécutions
extrajudiciaires et de harcèlement visant des syndicalistes, la Commission d’experts
pour l’application des conventions et recommandations a invité le gouvernement à
accepter l’envoi d’une mission de haut niveau du BIT. Malgré la création de la
Commission Melo, instituée par le gouvernement pour enquêter sur le nombre croissant
d’exécutions extrajudiciaires, la Commission d’experts pour l’application des
conventions et recommandations a appris en 2009 que 87 syndicalistes avaient été tués
aux Philippines entre 2001 et 2008, dont 5 au cours de l’année précédente. Le
gouvernement n’a accepté l’envoi de la mission de haut niveau qu’en 2009. Celle-ci a
conclu, entre autres, que la création dans les plus brefs délais d’un organe de
surveillance interinstitutionnel tripartite de haut niveau chargé d’enquêter sur les
exécutions extrajudiciaires et les violences visant des syndicalistes constituerait un
premier pas important en vue de réunir les parties prenantes intéressées pour parvenir à
une meilleure appréciation commune de ces questions.
- 826. En janvier 2010, le gouvernement a annoncé l’établissement du
Conseil national tripartite pour la paix au travail (NTIPC), faisant office d’organe de
surveillance de haut niveau pour l’application des normes internationales du travail et
en particulier de la convention no 87. Des organes régionaux de surveillance ont
également été institués, notamment pour enquêter sur les allégations d’exécutions
extrajudiciaires. En outre, un Comité interinstitutions sur les exécutions
extrajudiciaires, disparitions forcées, tortures et autres graves violations du droit
des personnes à la vie, à la liberté et à la sécurité (IAC) a été institué en vertu de
l’ordonnance administrative no 35 (AO 35). En 2012, le gouvernement a également annoncé
qu’un mécanisme national de contrôle, placé sous l’égide de la CDH, serait mis en place
afin de suivre les progrès réalisés par le pays dans l’élucidation des affaires
d’exécutions extrajudiciaires.
- 827. Malgré les efforts louables consentis par le gouvernement pour
lutter contre les violences perpétrées à l’égard des syndicalistes, les plaignants
regrettent qu’aucune procédure judiciaire ou non judiciaire n’ait été entamée à la suite
des assassinats de MM. Rivera, Petalcorin et Lucman, ainsi que des tentatives
d’assassinat et des menaces visant M. Cirilo. En octobre 2015, dans ses dernières
observations sur le cas no 2528, le gouvernement a déclaré que le comité
interinstitutions avait déjà terminé l’évaluation de tous les cas signalés d’exécutions
extrajudiciaires de dirigeants et de membres syndicaux. Il est difficile de déterminer
si ces observations font exclusivement référence aux exécutions extrajudiciaires
mentionnées dans le cas à l’étude.
- 828. En conclusion, les plaignants estiment que le fait que le
gouvernement n’ait pas mené d’enquêtes judiciaires indépendantes sur les assassinats de
MM. Rivera, Petalcorin et Lucman, ainsi que sur les tentatives d’assassinat et des
menaces visant M. Cirilo, a instauré une culture d’impunité qui renforce le climat de
violence et d’insécurité et nuit à l’exercice des droits syndicaux.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 829. Dans ses communications du 28 octobre 2015 et des 31 mai, 29 juin et
17 octobre 2016, le gouvernement mentionne en premier lieu les efforts accomplis pour
garantir que les enquêtes et les poursuites judiciaires relatives aux cas en suspens
concernant le harcèlement et l’assassinat allégués de dirigeants et d’activistes
syndicaux sont menées à terme sans délai. L’organe de surveillance du NTIPC (NTIPC-MB) a
dressé un inventaire complet de 65 affaires d’exécutions extrajudiciaires et de
tentatives d’assassinat de dirigeants et de membres syndicaux et a déterminé les mesures
à prendre pour garantir qu’il sera procédé aux enquêtes, aux poursuites et à la
condamnation des coupables. Le NTIPC-MB a édicté des résolutions visant à faciliter la
progression des affaires d’exécutions extrajudiciaires, de harcèlement et d’enlèvement
visant des dirigeants ou membres syndicaux. Cinquante de ces 65 affaires ont eu lieu
entre 2001 et juin 2010 sous l’administration Arroyo et 15 sous l’administration Aquino
(parmi lesquelles les affaires Emilio Rivera, Antonio Petalcorin et Kagi Alimudin
Lucman).
- 830. Selon l’évaluation initiale du NTIPC-MB, 28 affaires sont
potentiellement liées à la question syndicale et 29 n’y sont potentiellement pas liées.
Le NTIPC-MB a recommandé que 18 des 65 affaires soient closes ou classées. Afin
d’accélérer leur résolution, le NTIPC-MB a saisi la Cour suprême de 4 affaires, qui ont
été jugées par les tribunaux et ont abouti, pour deux d’entre elles, à une condamnation.
Le NTIPC-MB a transmis 9 affaires au Département de la justice (DOJ) pour l’éventuelle
réouverture des enquêtes et a recommandé la clôture de 2 de ces affaires ayant été
classées de façon définitive par les tribunaux. Le DOJ a ordonné la réouverture des
enquêtes et leur résolution dans le cadre de 7 affaires déposées devant le bureau du
procureur, mais aucun élément ni fait nouveau n’a été rapporté à ce jour.
- 831. Afin d’accélérer les enquêtes et les poursuites dans les affaires
d’exécutions extrajudiciaires présumées, le gouvernement a rétabli et renforcé la
coopération interinstitutionnelle au moyen de deux initiatives majeures: i) la création
du comité interinstitutions; et ii) la coordination et la coopération des procureurs et
des enquêteurs des forces de l’ordre.
- 832. S’agissant tout d’abord du comité interinstitutions, celui-ci a été
établi le 22 novembre 2014 en vertu de l’ordonnance administrative no 35 (AO 35), avec
pour mandat d’enquêter sur les cas nouveaux ou anciens d’exécutions extrajudiciaires, de
disparitions forcées, de torture et d’autres graves violations des droits de l’homme. Le
comité interinstitutions est, entre autres, chargé de dresser l’inventaire de tous les
cas d’exécutions judiciaires, de disparitions forcées, de torture et d’autres graves
violations du droit des personnes à la vie, à la liberté et à la sécurité, commises par
des forces étatiques ou non étatiques, émanant de toutes les sources (gouvernementales
ou non gouvernementales); de traiter en priorité les affaires non résolues; et de
constituer des équipes d’enquête spéciales pour procéder à des enquêtes complémentaires
afin d’identifier les coupables.
- 833. Les directives opérationnelles de l’AO 35 étendent la définition
classique des exécutions extrajudiciaires. En vertu de ces directives, le comité
interinstitutions ne traite pas uniquement les assassinats de porte-parole politiques
mais étend le cadre de protection aux militants ou aux personnes considérées comme
engagées dans le militantisme. L’AO 35 établit des mesures à mettre en œuvre dans les
affaires d’assassinats de dirigeants ou de militants syndicaux (et ceux qui pourraient
être pris pour ces personnes) au moyen d’enquêtes mobilisant des équipes d’enquête
mixtes, ainsi que des processus de supervision et de suivi des différentes équipes de
surveillance spéciales, et définit l’étendue des pouvoirs du comité interinstitutions.
Le NTIPC-MB, de même que ses équivalents régionaux, est une source d’information
reconnue sur les faits et les circonstances entourant les assassinats de dirigeants ou
de membres syndicaux. En conséquence, les partenaires sociaux, en particulier les
organisations syndicales, ont été invités à faire appel aux mécanismes du comité
interinstitutions et à participer activement aux enquêtes. Ils ont pu assister aux
réunions du comité interinstitutions en qualité d’observateurs et de sources
d’information éventuelles dans les affaires liées à la question syndicale. Le bureau du
procureur et la CDH participent aux réunions du comité interinstitutions en tant
qu’observateurs indépendants.
- 834. Le NTIPC-MB a saisi le comité interinstitutions des 65 affaires
d’exécutions extrajudiciaires, des 11 affaires d’enlèvement et des 12 affaires de
harcèlement. Le comité interinstitutions s’est centré sur les 65 affaires d’exécutions
extrajudiciaires, dont 11 ont été reconnues comme telles sur la base des critères de
l’AO 35 susmentionnés. Ces affaires ont été confiées à différentes structures du comité
interinstitutions (à savoir des équipes d’enquête spéciales, une équipe d’enquête
spéciale chargée des affaires non résolues et une équipe de surveillance spéciale) qui,
à ce jour, a recommandé la clôture de 3 d’entre elles en raison d’un manque de preuves
ou de pistes suffisantes pour entamer une procédure auprès des tribunaux. Les
11 affaires visées par l’AO 35 progressent peu en raison de l’absence de témoins directs
ou de la non-coopération des familles et des proches des victimes.
- 835. Les 54 affaires non visées par l’AO 35 sont traitées et instruites
selon la procédure ordinaire de l’enquête et des poursuites pénales. Selon le DOJ, ces
affaires ne sont pas visées par l’AO 35 en raison, entre autres: i) d’un manque de
preuves permettant de renvoyer l’affaire à des organismes comme la Police nationale des
Philippines (PNP), le Bureau national d’enquêtes (NBI) et la CDH afin de mener des
enquêtes supplémentaires, sous réserve d’un deuxième examen par le groupe de travail
technique; et ii) de l’absence de tous les éléments permettant de reconnaître une
exécution extrajudiciaire au titre des directives opérationnelles de l’AO 35. Parmi les
affaires non visées par l’AO 35 figurent les affaires Antonio «Dodong» Petalcorin,
Emilio Rivera et Kagi Alimudin Lucman.
- 836. Concernant la coordination et la coopération renforcées des
procureurs et des enquêteurs des forces de l’ordre, l’arrêté ministériel conjoint
no 003-2012 (Directives opérationnelles pour les procureurs et les enquêteurs des forces
de l’ordre en matière de collecte des preuves, d’enquête policière et de constitution
des dossiers, d’enquête judiciaire et préliminaire et de jugement des affaires
d’assassinat de militants politiques et de professionnels des médias) a été signé par le
DOJ et par le Département de l’intérieur et des collectivités locales (DILG) le
5 novembre 2012 pour garantir la coopération entre les procureurs et les enquêteurs des
forces de l’ordre dans les processus d’enquête policière, de constitution des dossiers,
d’enquête préliminaire et de jugement des affaires. En vertu des directives précitées,
les procureurs et les enquêteurs des forces de l’ordre doivent travailler de concert dès
la phase de constitution des dossiers et de collecte des preuves lorsqu’il est évalué
que les faits concernent l’assassinat probable d’un militant politique ou d’un
professionnel des médias. Un groupe de procureurs et d’enquêteurs des forces de l’ordre
doit être convoqué pour identifier les témoins, leur apporter l’aide dont ils pourraient
avoir besoin pour préparer leurs déclarations et évaluer les rapports des constatations
criminelles ou tout autre preuve physique ou élément de preuve nécessaire à entamer une
procédure. Une fois l’enquête menée à terme, ce même groupe est chargé de présenter
l’affaire ou la plainte devant le bureau du procureur concerné. Par la suite, le groupe
doit continuer de se réunir afin d’évaluer et de réunir des preuves complémentaires
nécessaires pour étayer le dossier. Les directives conjointes s’inscrivent dans la ligne
de l’AO 35 afin non seulement d’élaborer une liste des violations des droits de l’homme,
mais aussi de garantir l’aboutissement des poursuites engagées dans de tels cas.
- 837. Outre le rétablissement et le renforcement de la coordination
interinstitutionnelle, le gouvernement œuvre également à renforcer les capacités
opérationnelles de la police nationale et des Forces armées des philippines (AFP) afin
de créer un environnement propice à la jouissance des libertés publiques et des droits
syndicaux garantis par la Constitution. Dans cette optique, le gouvernement a mis en
place des mesures telles que l’élaboration et la révision de lignes directrices ou de
manuels (dont les lignes directrices communes DOLE-PNP-PEZA relatives à la conduite du
personnel de la police nationale, des agents de police et de sécurité des zones
économiques et des personnels similaires lors des conflits du travail du 23 mai 2011; et
les lignes directrices relatives à la conduite du DOLE, du DILG, du DND, du DOJ, des AFP
et de la PNP s’agissant de l’exercice des droits et des activités des travailleurs du
7 mai 2012), la réalisation d’activités de renforcement des capacités, le développement
des infrastructures et la diffusion de documents de sensibilisation. Parmi ces mesures,
il convient de noter le programme de coopération technique UE-Philippines pour la
protection et la promotion des droits de l’homme, qui a constitué une avancée importante
dans la mesure où il a permis de réduire le décalage existant entre les phases d’enquête
et de poursuites dans ces affaires.
- 838. Le gouvernement admet que, en dépit de ces deux initiatives majeures
visant à renforcer la coordination interinstitutionnelle, la probabilité que les anciens
dossiers soient rouverts ou fassent l’objet d’une nouvelle enquête est faible, compte
tenu des capacités limitées en matière de preuves médico-légales et de fiabilité des
témoignages et des preuves. Les victimes ou les membres de leur famille renoncent à
engager des poursuites ou abandonnent l’affaire, ce qui reste problématique pour le
gouvernement. Ainsi, sur les 65 affaires d’exécutions, seules 12 ont fait l’objet de
poursuites, 9 ayant été tranchées (dans 7 cas, les faits se sont produits sous
l’administration Aquino) et 3 étant en attente de jugement.
- 839. S’agissant des 15 cas d’exécutions extrajudiciaires et de tentatives
d’assassinat alléguées qui se sont produits sous l’administration Aquino, il a été
déterminé que 2 affaires étaient visées par l’AO 35. Le NTIPC-MB a considéré deux 2 cas
comme n’étant pas potentiellement liés à la question syndicale et 5 comme étant
potentiellement liés à la question syndicale. Huit de ces affaires ne font l’objet
d’aucune résolution de la part du NTIPC-MB, et la Direction de l’administration des
enquêtes et des enquêteurs de la police (PNP-DIDM) a recommandé que 2 affaires soient
closes et que 6 soient traitées selon une procédure pénale ordinaire, les circonstances
ne permettant pas d’établir un lien direct avec une atteinte à l’exercice de la liberté
ou du droit syndical.
- 840. Plus récemment, le gouvernement a fait état de la résolution du
Conseil tripartite pour la paix au travail (TIPC) no 1, s. 2016, qui a été adoptée le
25 mai 2016 pour renforcer le NTIPC MB en mettant en place des équipes tripartites de
vérification. Intégralement financées, indépendantes et composées de personnes
compétentes, elles procéderont, si nécessaire, au cas par cas et en toute indépendance,
à la vérification et au réexamen d’affaires d’exécutions extrajudiciaires, de
disparitions forcées, de torture et de harcèlement, ainsi que d’autres graves violations
commises à l’encontre de syndicalistes. Cette résolution vise les situations dans
lesquelles il est nécessaire de vérifier et d’examiner pour des cas spécifiques des
informations qui contribueront considérablement à étayer ces cas et à se prononcer à
leur sujet. Les équipes tripartites devront recueillir et/ou vérifier des informations
auprès des entités suivantes: le syndicat ou l’organisation auxquels la victime présumée
est affiliée; la famille et/ou les proches de la victime; l’entreprise/la direction de
l’entreprise impliquée dans le cas ou la plainte; les organes publics chargés des
enquêtes ou des poursuites; les autorités locales; et les autres entités concernées
(Cour suprême, Cour d’appel, Département de la justice, bureau national d’enquêtes,
police nationale des Philippines, Commission des droits de l’homme, Département de
l’intérieur et des collectivités locales), y compris les forces armées si nécessaire.
Une équipe sera mise en place pour chacun des cas de l’OIT qui a été identifié. Chaque
équipe, composée d’un représentant du Département du travail et de l’emploi (DOLE), d’un
représentant des travailleurs et d’un représentant des employeurs, procédera à la
vérification indépendante de cas signalés de graves violations commises contre des
syndicalistes. Elle examinera les rapports soumis par les organes régionaux tripartites
de surveillance (RTMB), s’assurera que les informations fournies sont suffisantes et
déterminera s’il faut d’autres informations pour étayer le cas ou la plainte. Le DOLE a
approuvé des crédits budgétaires qui serviront à faciliter le fonctionnement des équipes
pour l’année en cours. Ces crédits couvriront les coûts de l’organisation de réunions
sur les cas, de vérifications sur place et de l’établissement de rapports sur les
affaires relatives aux cas de l’OIT, y compris le cas no 3185.
Observations sur des allégations spécifiques
- 841. Le gouvernement indique que les affaires Antonio «Dodong»
Petalcorin, Emilio Rivera et Kagi Alimudin Lucman ont en premier lieu été portées à la
connaissance du DOLE, en 2013, par un communiqué de presse de la NCTU et de l’Alliance
des travailleurs progressistes (APL) ainsi que des organisations qui leur sont affiliées
ou partenaires. Le DOLE a alors chargé les RTMB de recueillir des informations sur les
affaires susmentionnées. Les RTMB ont soumis leur rapport, qui sera étudié par le
NTIPC-MB, afin de déterminer les mesures à prendre. Les affaires ont également été
portées à la connaissance de la CDH, de la police nationale et du DOJ, qui dirige le
comité interinstitutions.
- 842. S’agissant de l’affaire Petalcorin, les informations initiales
recueillies par le RTMB de la région XI ont montré que la victime était le président du
NETO, affilié à la NCTU-APL. Il a été abattu par un tireur isolé le 2 juillet 2013.
Monsieur Petalcorin aurait reçu des messages menaçants de la part de deux individus,
sous les pseudonymes de «Toto» et de «Go». Selon l’avocat des organisations de
transport, avant les faits, la victime avait assisté à une réunion avec d’autres
dirigeants du secteur, à l’occasion de laquelle il avait informé les participants de sa
déception quant à leurs demandes de franchise. Les informations recueillies auprès de la
police en mars 2014 ont dévoilé que la victime avait déposé plainte pour violation de la
loi relative à la lutte contre le trafic d’influence et les actes de corruption contre
le directeur du LTFRB, Benjamin Go, et contre Carlos «Toto» Cirilo et Annie Cirilo
auprès du bureau du procureur de Mindanao, sous le numéro de dossier OMB-M-C-13-0045. La
victime a également entamé une procédure administrative pour faute grave contre le
directeur, M. Go, sous le numéro de dossier OMB-M-A-13-0029.
- 843. Le gouvernement indique que les informations recueillies par la CDH
et par la police remettent en cause la qualification de l’affaire Petalcorin en tant
qu’exécution extrajudiciaire ou en tant qu’affaire probablement liée à la question
syndicale. En raison de leur caractère sensible, ces informations ne seront pas
divulguées jusqu’à ce que le NTIPC-MB édicte une résolution concernant ce cas. L’une des
pistes examinées par la police est le fait que M. Petalcorin aurait reçu d’opérateurs de
compagnies de bus (jeepneys) de la province de Comval une somme importante pour
faciliter leur demande de franchisage, mais cette piste est devenue fragile car, c’est
ce qui est allégué, les opérateurs ne savaient pas que M. Petalcorin était déjà sur la
liste noire du RTMB de la région XI en ce qui concerne les procédures d’enregistrement.
Le gouvernement indique aussi que Rogelio Villafuerte Capistrano III, un témoin
actuellement détenu pour meurtre, a identifié M. Jay Jay Gascon comme étant le tireur.
Le suspect n’a pas encore été mis en examen. Malgré les efforts déployés pour les
convaincre de le faire, l’épouse de M. Petalcorin et d’autres membres proches de la
famille continuent de refuser d’entamer une procédure à l’encontre du suspect.
- 844. S’agissant de l’affaire Rivera, il ressort des informations reçues
de la police que les deux parties (la victime et le suspect) étaient en contact avec le
LTFRB. Monsieur Rivera, la victime, avait été dirigeant de la coopérative de transports
de Davao (MEDTRANSCO) mais avait été remplacé pour manquement à ses fonctions, à savoir
son absence trois fois de suite de l’assemblée générale de la coopérative, en violation
du règlement de la coopérative. Selon certaines sources, la victime aurait procédé à de
nombreuses transactions illicites concernant la procédure de franchisage auprès du
LTFRB. Une procédure pour meurtre contre Ricardo Lopez a été entamée devant le bureau du
procureur de Davao le 30 janvier 2014. Une autre procédure pour meurtre a été entamée à
l’encontre de deux suspects, Rey Lauron et Baltazar Mantica, à cette même date.
Toutefois, les procédures entamées contre MM. Lauron et Mantica, ainsi que la procédure
pour violation des articles 11 et 12 de la loi no 9165 entamée contre M. Lopez, ont été
classées en raison de l’absence de motifs raisonnables. Monsieur Lopez a néanmoins été
mis en examen dans le cadre d’une autre affaire de meurtre, sous le numéro de dossier CC
no 74-993-13-13, et un mandat d’arrêt a été ordonné à son encontre pour défaut de
comparution.
- 845. Concernant l’affaire Lucman, les informations recueillies auprès de
la police en octobre 2014 montrent que la famille de la victime et un témoin potentiel
ont été contactés afin d’obtenir de nouveaux éléments pouvant être utiles à l’enquête,
mais un dialogue n’a pas pu être établi. La famille de la victime aurait quitté son
domicile pour un lieu tenu secret. Selon l’enquête de suivi, l’épouse de la victime se
trouve à Riyad, en Arabie saoudite, et un témoin potentiel, Mohmaden Ayunan Aloy, qui
est également une autre victime, n’a pas pu être localisé.
- 846. Le gouvernement a indiqué que les trois affaires n’étaient pas
considérées comme relevant d’exécutions extrajudiciaires sur la base des directives
opérationnelles de l’AO 35 (affaires non visées par l’AO 35). Les organisations
syndicales ont demandé que les affaires concernant M. Petalcorin et M. Lucman soient
réévaluées. Toutefois, le NBI, la police et la CDH, qui font tous partie du groupe de
travail technique du comité interinstitutions, ont soumis leurs évaluations respectives
et établi que l’affaire concernant M. Petalcorin ne relevait pas d’une exécution
extrajudiciaire selon les critères des directives opérationnelles de l’AO 35. L’affaire
concernant M. Lucman doit faire l’objet d’une autre vérification tripartite. Les trois
affaires sont traitées et instruites selon la procédure ordinaire de l’enquête et des
poursuites pénales. S’agissant de l’exclusion des critères de l’AO 35, le RTMB XI de
Davao a été chargé de recueillir des informations complémentaires sur ces trois affaires
pour leur réexamen éventuel par le comité interinstitutions. Celui-ci pourra ainsi
mettre en œuvre les processus de supervision et de suivi des différentes équipes de
surveillance spéciale et exercer ses pouvoirs dans le cadre de ces affaires.
- 847. S’agissant des menaces de nature physique ou non physique alléguées
à l’égard de M. Cirilo et de sa famille, l’affaire n’a pas été présentée devant le
NTIPC-MB ni devant le DOLE. Le RTMB compétent réunit actuellement des informations
complémentaires sur cette affaire. Il a toutefois été observé que M. Cirilo était l’un
des défendeurs dans le cadre de la plainte pour violation de la loi relative à la lutte
contre le trafic d’influence et les actes de corruption déposée par M. Petalcorin devant
le bureau du procureur de Mindanao, sous le numéro de dossier OMB-M-C-13-0045. Des
informations actualisées seront fournies dès qu’elles seront disponibles.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 848. Le comité note que, dans le cas présent, les plaignants allèguent
les exécutions extrajudiciaires de trois dirigeants syndicaux et dénoncent le fait que
le gouvernement n’a pas conduit d’enquête convenable sur ces affaires ni traduit les
coupables en justice. Les plaignants allèguent également des menaces et des tentatives
d’assassinat visant un autre dirigeant syndical et sa famille, lesquels ont été
contraints de se cacher, et dénoncent le fait que le gouvernement n’a pas conduit
d’enquête convenable sur ces affaires ni protégé les victimes. Dans ces affaires,
l’absence d’enquêtes et de poursuites est susceptible de renforcer le climat d’impunité,
de violence et d’insécurité, nuisant à l’exercice des droits syndicaux.
- 849. Le comité observe que le gouvernement a rappelé les efforts qui ont
été accomplis, également salués par les plaignants, pour assurer la conduite d’une
enquête, l’engagement de poursuites et le règlement, dans les plus brefs délais, des
affaires en suspens concernant le harcèlement et l’assassinat présumés de syndicalistes:
i) l’établissement d’un organe de surveillance de haut niveau relevant du Conseil
national tripartite pour la paix au travail (NTIPC), l’organe de surveillance du NTIPC
(NTIPC-MB), qui a dressé un inventaire complet de 65 affaires d’exécutions
extrajudiciaires et de tentatives d’assassinat de dirigeants et de membres syndicaux, en
déterminant la suite qu’il convenait de donner à ces affaires, et a édicté un certain
nombre de résolutions afin de faciliter l’avancement de ces affaires (dont 28 ont été
considérées comme étant potentiellement liées à la question syndicale et 29 ont été
considérées comme n’étant potentiellement pas liées à la question syndicale); ii) la
création, en 2014, du comité interinstitutions en vertu de l’ordonnance administrative
no 35 (AO 35), chargé de dresser l’inventaire de tous les cas nouveaux ou anciens
d’exécutions extrajudiciaires, de disparitions forcées, de torture et autres graves
violations des droits de l’homme, d’établir un ordre de priorité et de conduire des
enquêtes à ce sujet (le NTIPC-MB, de même que ses équivalents régionaux, est une source
d’information reconnue, et les partenaires sociaux ont été invités à participer
activement aux enquêtes sur ces affaires en tant qu’observateurs ou sources
d’informations éventuelles dans les affaires liées à la question syndicale); iii) la
coordination et la coopération des procureurs et des enquêteurs des forces de l’ordre;
et iv) le renforcement des capacités opérationnelles de la police et des forces armées
afin de créer un environnement propice à la jouissance des libertés publiques et des
droits syndicaux garantis par la Constitution au moyen de l’élaboration ou de la
révision de lignes directrices ou de manuels, la réalisation d’activités de renforcement
des capacités, la diffusion de documents de sensibilisation, etc; et, plus récemment,
l’adoption le 25 mai 2016 de la résolution du Conseil tripartite pour la paix au travail
(TIPC) no 1, s. 2016, qui met en place des équipes tripartites de vérification du
NTIPC-MB. Indépendantes et composées de personnes compétentes (un représentant du
Département du travail et de l’emploi (DOLE), un représentant des travailleurs et un
représentant des employeurs), les équipes procéderont si nécessaire, au cas par cas et
en toute indépendance, à la vérification et au réexamen d’affaires d’exécutions
extrajudiciaires, de disparitions forcées, de torture et de harcèlement, ainsi que
d’autres graves violations commises à l’encontre de syndicalistes, lorsqu’il est
nécessaire de vérifier et d’examiner des informations qui contribueront considérablement
à étayer des cas spécifiques et à se prononcer à leur sujet. Le DOLE a approuvé des
crédits budgétaires qui serviront à faciliter le fonctionnement des équipes tripartites.
Une équipe sera mise en place pour chacun des cas de l’OIT qui a été identifié. Comme il
l’avait fait lors de l’examen antérieur du cas no 2528, le comité se félicite vivement
des mesures prises par le gouvernement et lui demande de continuer à le tenir informé
des actions menées ou envisagées dans le but d’instaurer un climat de justice et de
sécurité pour les syndicalistes aux Philippines. Il lui demande aussi de fournir des
informations sur la mise en place de l’équipe tripartite chargée d’examiner le présent
cas, sur son fonctionnement et sur les résultats de son action.
- 850. Le comité note également les allégations spécifiques des plaignants
selon lesquelles: i) le 28 novembre 2012, trois dirigeants syndicaux du secteur des
transports de Davao, à savoir MM. Antonio Petalcorin, Emilio Rivera et Carlos Cirilo,
ont porté plainte pour corruption auprès du bureau du procureur (des pots-de-vin
auraient été reçus en échange de l’octroi de contrats de franchise) contre le directeur
d’un organisme public, le Comité de franchisage et de réglementation des transports
terrestres de Davao (LTFRB), qui relève directement du Département des transports;
ii) le 25 janvier 2013, M. Rivera a été tué près du bureau du LTFRB; un suspect a été
appréhendé puis remis en liberté, et aucune enquête policière convenable n’a été menée à
ce jour; iii) après la réception de plusieurs SMS menaçants et la profération de menaces
verbales par le directeur du LTFRB entre novembre 2012 et mai 2013, une grenade à main
dont la goupille de sécurité avait été retirée a été découverte sur la propriété de
M. Cirilo le 21 avril, et une seconde le 21 mai 2013; la police ayant cependant refusé
de le placer sous escorte policière, M. Cirilo a par la suite été contraint de se
cacher; iv) après avoir reçu plusieurs menaces de mort, M. Petalcorin a été abattu le
2 juillet 2013 alors qu’il se rendait au bureau du LTFRB; l’enquête policière a permis
d’identifier l’assassin, un tueur professionnel connu des forces de l’ordre, mais
celui-ci n’a pas été traduit en justice, et une autre enquête policière sur l’éventuelle
participation du LTFRB ou de son directeur a été ouverte, mais n’a jamais été menée à
terme; v) à ce jour, le procureur n’a pas examiné la plainte déposée contre le directeur
du LTFRB; et vi) le 18 juillet 2013, Kagi Alimudin Lucman, un dirigeant syndical de la
Confédération nationale des syndicats de travailleurs des transports des Philippines
(NCTU), a été abattu par deux individus armés et, à ce jour, les auteurs de ce crime
n’ont pas été identifiés. Le comité observe que les plaignants, rappelant que les faits
susmentionnés ne constituent pas des actes isolés et que les organes de contrôle de
l’OIT attirent l’attention sur l’incapacité du gouvernement à protéger les libertés
publiques des syndicalistes depuis de nombreuses années, dénoncent: i) l’absence
d’enquêtes policières, de poursuites et d’enquêtes judiciaires indépendantes appropriées
dans les affaires d’assassinats d’Emilio Rivera, Antonio Petalcorin et Kagi Alimudin
Lucman; et ii) l’absence d’enquête appropriée sur les menaces dont ont été victimes
M. Cirilo et sa famille et le refus de placer M. Cirilo sous escorte policière malgré
les deux tentatives d’assassinat à son égard ainsi que les deux assassinats
susmentionnés. Le comité note que, selon les plaignants: i) tous les dirigeants
syndicaux ont été pris pour cible en raison de leurs activités syndicales; ii) les
meurtres de M. Rivera et de M. Petalcorin, qui relèvent d’exécutions extrajudiciaires,
ainsi que les menaces, pressions et violences dont ont été victimes M. Cirilo et sa
famille, ont un lien avec la plainte pour corruption déposée contre le LTFRB; et
iii) l’enquête et les conclusions présentées par le gouvernement par l’intermédiaire de
la Commission des droits de l’homme (CDH) de Davao et selon lesquelles l’assassinat de
M. Petalcorin n’était pas un crime politique et n’avait pas de lien avec la campagne
qu’il menait pour lutter contre la corruption sont insuffisantes.
- 851. Par ailleurs, le comité prend note des indications complémentaires
du gouvernement selon lesquelles: i) les trois affaires d’assassinat ont été portées à
la connaissance du Département du travail et de l’emploi (DOLE) en 2013, lequel a chargé
les organes régionaux tripartites de surveillance (RTMB) compétents de recueillir des
informations pertinentes, et ceux-ci ont soumis leur rapport au NTIPC-MB afin que
celui-ci détermine les mesures à prendre; ii) les affaires ont également été portées à
la connaissance de la CDH, de la Police nationale des Philippines (PNP) et du
Département de la justice (DOJ), qui dirige le comité interinstitutions; iii) s’agissant
de l’affaire Petalcorin, les informations recueillies par le RTMB XI et par la police
ont montré que la victime avait reçu des messages de menace de la part de deux individus
sous les pseudonymes de «Toto» et de «Go»; avant les faits, la victime avait assisté à
une réunion avec d’autres dirigeants du secteur des transports, à l’occasion de laquelle
elle avait informé les participants de sa déception quant à leurs demandes de franchise;
la victime avait déposé plainte pour violation de la loi relative à la lutte contre le
trafic d’influence et les actes de corruption contre le directeur du LTFRB, M. Benjamin
Go, et contre Carlos «Toto» Cirilo et Annie Cirilo auprès du bureau du procureur, et
avait entamé une procédure pour faute grave contre le directeur; les informations
recueillies par la CDH et par la police, qui ne seront pas divulguées jusqu’à ce que le
NTIPC-MB édicte une résolution concernant ce cas, remettent en cause la qualification de
l’affaire en tant qu’exécution extrajudiciaire ou en tant qu’affaire probablement liée à
la question syndicale; l’une des pistes de la police était que la victime aurait reçu de
certains opérateurs une somme importante pour faciliter leur demande de franchisage
alors que la victime était sur la liste noire du RTMB en ce qui concerne les procédures
d’enregistrement; et la personne soupçonnée d’être le tireur, dénoncée par un témoin,
n’a pas encore été mise en examen mais l’épouse de M. Petalcorin et d’autres membres
proches de la famille refusent d’entamer une procédure pour meurtre à son encontre;
iv) s’agissant de l’affaire concernant M. Rivera, qui avait été remplacé dans sa
fonction de dirigeant du secteur des transports pour manquement à ses fonctions et qui
aurait procédé à de nombreuses transactions illicites concernant la procédure de
franchisage auprès du LTFRB, le 30 janvier 2014 une procédure pour meurtre a été entamée
devant le bureau du procureur de Davao contre un suspect; une autre procédure pour
meurtre a été entamée à l’encontre de deux suspects. Les procédures entamées contre ces
trois individus ont toutefois été classées en raison de l’absence de motifs
raisonnables, bien qu’un mandat d’arrêt ait été ordonné à l’encontre du premier suspect
dans le cadre de sa mise en examen dans une autre affaire de meurtre; v) s’agissant de
l’affaire Lucman, les informations recueillies auprès de la police ont montré que la
famille de la victime et un témoin potentiel avaient été contactés afin d’obtenir de
nouveaux éléments pouvant être utiles à l’enquête mais qu’un dialogue n’avait pas pu
être établi car la famille de la victime aurait quitté son domicile pour un lieu tenu
secret (selon l’enquête de suivi, l’épouse de la victime se trouve à Riyad, en Arabie
saoudite, et un témoin potentiel, Mohmaden Ayunan Aloy, qui est également une victime,
n’a pas pu être localisé); et vi) concernant l’affaire Cirilo, les menaces alléguées
n’ont été présentées ni devant le NTIPC-MB ni devant le DOLE; le RTMB compétent réunit
actuellement des informations à ce sujet; M. Cirilo était l’un des défendeurs dans le
cadre de la plainte pour violation de la loi relative à la lutte contre le trafic
d’influence et les actes de corruption déposée par M. Petalcorin devant le bureau du
procureur; et des informations actualisées seront fournies dès qu’elles seront
disponibles.
- 852. Rappelant que, dans le cadre du cas no 2528, il a déjà eu l’occasion
d’examiner des allégations identiques concernant, entre autres, l’exécution
extrajudiciaire de 64 syndicalistes, le comité se voit contraint de constater avec
regret la gravité des allégations présentées dans le cas présent, relatives à
l’assassinat de trois dirigeants syndicaux et aux deux tentatives d’assassinat et aux
menaces visant un autre syndicaliste. Le comité souhaite rappeler à cet égard le
principe selon lequel la liberté syndicale ne peut s’exercer que dans une situation de
respect et de garantie complets des droits fondamentaux de l’homme, en particulier du
droit à la vie et du droit à la sécurité de la personne. [Voir Recueil de décisions et
de principes du Comité de la liberté syndicale, cinquième édition, 2006, paragr. 43.] De
même, le comité doit également souligner que les droits des organisations de
travailleurs et d’employeurs ne peuvent s’exercer que dans un climat exempt de violence,
de pressions ou menaces de toutes sortes à l’encontre des dirigeants et des membres de
ces organisations, et il appartient aux gouvernements de garantir le respect de ce
principe. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 44.]
- 853. Le comité note que les directives opérationnelles de l’ordonnance
administrative no 35 (AO 35) établissent pour les exécutions extrajudiciaires les
critères suivants: i) la victime était membre d’une organisation ou affiliée à une
organisation, y compris politique, environnementale, agraire, syndicale ou de défense de
causes semblables; ou porte-parole des causes susmentionnées; ou un professionnel des
médias; ou une personne identifiée comme tel, à tort ou à raison; ii) la victime a été
prise pour cible et assassinée en raison de son adhésion à une cause, de sa défense
d’une cause ou de sa profession, réelles ou supposées; iii) la ou les personnes
responsables de l’exécution sont des acteurs au service de l’Etat ou des acteurs non
étatiques; et iv) la méthode et les circonstances de l’attaque révèlent une intention
délibérée de tuer. Aux fins du mandat spécifique de l’AO 35, les meurtres commis par des
criminels de droit commun et/ou les circonstances de leur commission seront traités au
moyen d’autres mécanismes appropriés au sein du système judiciaire. Le comité observe
que: i) sur les 65 affaires d’exécutions extrajudiciaires soumises au comité
interinstitutions par le NTIPC-MB, il a été considéré que seules 11 affaires constituent
des exécutions extrajudiciaires relevant de l’AO 35 sur la base des critères
susmentionnés, et le comité interinstitutions procède actuellement aux enquêtes; ii) les
54 affaires qui ne relèvent pas de l’AO 35, y compris les affaires concernant
MM. Antonio «Dodong» Petalcorin, Emilio Rivera et Kagi Alimudin Lucman, sont traitées et
instruites selon la procédure ordinaire de l’enquête et des poursuites pénales (ces
affaires étant renvoyées à des organismes comme la police, le Bureau national d’enquêtes
(NBI) et la CDH afin de mener des enquêtes supplémentaires, sous réserve d’un deuxième
examen par le groupe de travail technique); et iii) à la suite de la demande des
organisations syndicales de réévaluer les affaires Petalcorin et Lucman, le NBI, la
police et la CDH ont établi que l’affaire Petalcorin n’était pas visée par l’AO 35, et
l’affaire Lucman a été à nouveau soumise à une vérification tripartite.
- 854. Concernant l’exclusion des critères de l’AO 35 de la grande majorité
des affaires d’exécution extrajudiciaire soumises au comité interinstitutions (parmi
lesquelles les trois cas d’assassinat à l’étude), le comité note que, selon le DOJ, les
motifs d’exclusion sont notamment le manque de preuves et l’absence d’éléments
caractérisant une exécution extrajudiciaire au titre des directives opérationnelles de
l’AO 35. Le comité observe que, s’agissant des affaires d’assassinat susmentionnées,
compte tenu des faits exposés par les plaignants et le gouvernement, il semble manifeste
que la plupart des critères de l’AO 35 sont remplis, hormis la question de savoir si ces
victimes ont été prises pour cibles et tuées en raison de leur adhésion à une cause, de
leur défense d’une cause ou de leur profession, réelles ou supposées. Notant, d’une
part, que le meurtre d’au moins un syndicaliste (à savoir M. Petalcorin, selon le
gouvernement, et MM. Petalcorin et Rivera, selon les plaignants) s’est produit à la
suite d’une plainte pour corruption déposée contre la direction, ce qui pourrait lier ce
crime à l’exercice d’activités syndicales légitimes, et, d’autre part, que les
informations réunies par la CDH et la police ont suscité des doutes quant au fait qu’un
assassinat serait lié à la question syndicale ou aurait un caractère extrajudiciaire, le
comité estime qu’en fin de compte seul un tribunal est en mesure de déterminer les
motifs de cet assassinat et que le seuil permettant d’établir un motif potentiel lié au
militantisme de la victime ne devrait nécessiter qu’un lien prima facie. En l’absence de
preuves établissant un lien entre le crime et l’exercice d’activités, une affiliation ou
une fonction syndicale, et dans le contexte spécifique de l’exercice d’activités
syndicales légitimes telles que le dépôt d’une plainte, le comité considère que les
moyens et les pouvoirs à la disposition du comité interinstitutions (à savoir des
équipes d’enquête mixtes et des processus de supervision et de suivi des différentes
équipes de surveillance spéciales) devraient être mis en œuvre dans les affaires
d’assassinat de ces dirigeants syndicaux afin de garantir la prise de mesures efficaces
pour lutter contre l’impunité. Le comité se félicite du fait que le RTMB XI, basé à
Davao, a été chargé de recueillir des informations complémentaires sur ces trois
affaires en vue de leur réexamen par le comité interinstitutions, espère que le groupe
de travail technique de celui-ci sera informé de ses conclusions et prie le gouvernement
de le tenir informé: i) de l’issue du réexamen du comité interinstitutions et, dans le
cas où celui-ci considérerait de façon définitive que les affaires ne sont pas visées
par l’AO 35, des raisons précises de cette décision; ii) des résolutions édictées par le
NTIPC concernant ces trois affaires; et iii) de l’issue de la vérification tripartite de
l’affaire Lucman.
- 855. Le comité déplore que, malgré le temps écoulé depuis les crimes
présumés (à savoir plus de trois ans à trois ans et demi), aucune des affaires n’ait été
résolue, les coupables n’ayant pas été traduits en justice ni condamnés. Le comité note
en particulier que, dans l’affaire d’assassinat de M. Petalcorin, un suspect n’a pas
encore été mis en examen mais l’épouse de M. Petalcorin et d’autres membres proches de
la famille refusent d’entamer une procédure pour meurtre à son encontre; que, dans le
cas de l’assassinat de M. Rivera, les trois suspects ont été remis en liberté faute de
motifs raisonnables; et que, dans le cas de l’assassinat de M. Lucman, il n’a pas été
possible de joindre sa famille ainsi qu’un témoin potentiel pour les besoins de
l’enquête. En outre, le comité prend bonne note du fait que le gouvernement admet que
les enquêtes progressent peu en raison de l’absence de témoins directs ou de la
non-coopération des familles et des proches des victimes ou parce que ceux-ci se
désistent ou abandonnent l’affaire, compte tenu des capacités limitées en matière de
preuves médico-légales et de fiabilité des témoignages et des preuves. Le comité
souligne que l’assassinat ou la disparition de dirigeants syndicaux et de syndicalistes
ou des lésions graves infligées à des dirigeants syndicaux et des syndicalistes exigent
l’ouverture d’enquêtes judiciaires indépendantes en vue de faire pleinement et à bref
délai la lumière sur les faits et les circonstances dans lesquelles se sont produits ces
faits et ainsi, dans la mesure du possible, de déterminer les responsabilités, de
sanctionner les coupables et d’empêcher que de tels faits se reproduisent. [Voir
Recueil, op. cit., paragr. 48.] Le comité ne peut que rappeler que, en raison de leur
gravité, de telles affaires devraient faire l’objet d’enquêtes et que, lorsque des
preuves existent (pas nécessairement sous la forme de témoignages), les auteurs des
faits devraient être poursuivis d’office et sans délai, même si les parties se désistent
ou abandonnent l’affaire et même si la victime ou la partie lésée n’a pas formellement
déposé de plainte pénale. [Voir cas no 2528, 364e rapport, paragr. 949.] Le comité
souligne à nouveau que l’absence de jugements contre les coupables entraîne une impunité
de fait qui renforce le climat de violence et d’insécurité, et qui est donc extrêmement
dommageable pour l’exercice des activités syndicales. [Voir Recueil, op. cit.,
paragr. 52.] Le comité s’attend à ce que le gouvernement prenne toutes les mesures
voulues pour faire en sorte que l’instruction et l’examen judiciaire des affaires
susmentionnées d’exécutions extrajudiciaires soient menés à terme sans délai afin que
les coupables puissent être identifiés, traduits en justice, punis et condamnés en vue
de prévenir la répétition de tels actes. Il prie le gouvernement de le tenir informé à
cet égard.
- 856. En ce qui concerne l’allégation relative au fait que M. Cirilo n’a
pas été placé sous escorte policière malgré les deux tentatives d’assassinat et les
menaces dont il a été victime, le comité rappelle que les faits imputables à des
particuliers engagent la responsabilité des Etats en raison de leur obligation de
diligence et d’intervention pour prévenir les violations des droits de l’homme. En
conséquence, les gouvernements doivent s’efforcer de ne pas violer leurs devoirs de
respect des droits et des libertés individuelles, ainsi que leur devoir de garantir le
droit à la vie des syndicalistes. [Voir Recueil, op. cit., paragr. 47.] Le comité prie
le gouvernement de s’assurer de l’application de ce principe à l’avenir.
- 857. Constatant que les avis divergent entre les plaignants et les
défendeurs au sujet de la plainte pour corruption déposée contre le directeur du LTFRB,
et prenant note que l’enquête est toujours dans la phase initiale (à savoir la collecte
des informations), le comité prie le gouvernement et les plaignants de fournir toutes
les informations complémentaires à leur disposition sur cette affaire, et espère que le
gouvernement prendra les mesures nécessaires pour accélérer l’instruction et l’enquête
judiciaire dans l’affaire à l’étude et qu’il le tiendra informé à ce sujet.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 858. Au vu des conclusions intérimaires, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) En prenant note
des multiples efforts accomplis par le gouvernement au cours des dernières années
pour lutter contre l’impunité, le comité prie le gouvernement de le tenir informé
des actions menées ou envisagées dans le but d’instaurer un climat de justice et de
sécurité pour les syndicalistes aux Philippines et, plus spécifiquement, de fournir
des informations sur la mise en place de l’équipe tripartite chargée d’examiner le
présent cas, sur son fonctionnement et sur les résultats de son action.
- b)
Le comité se félicite du fait que le RTMB XI, basé à Davao, a été chargé de
recueillir des informations complémentaires en vue du réexamen par le comité
interinstitutions des affaires d’assassinats des trois dirigeants syndicaux,
MM. Antonio «Dodong» Petalcorin, Emilio Rivera et Kagi Alimudin Lucman, et espère
que les conclusions concernant ces affaires seront portées à la connaissance du
groupe de travail technique du comité interinstitutions, et prie le gouvernement de
le tenir informé: i) de l’issue du réexamen du comité interinstitutions et, dans le
cas où celui-ci considérerait de façon définitive que les affaires ne sont pas
visées par l’AO 35, des raisons précises de cette décision; ii) des résolutions
édictées par le Conseil national tripartite pour la paix au travail (NTIPC)
concernant ces trois affaires; et iii) de l’issue de la vérification tripartite de
l’affaire Lucman.
- c) Le comité s’attend à ce que le gouvernement prenne
toutes les mesures voulues pour faire en sorte que, avec ou sans la coopération des
proches des victimes, l’instruction et l’examen judiciaire des affaires
susmentionnées d’exécutions extrajudiciaires soient menés à terme sans délai afin
que les coupables puissent être identifiés, traduits en justice, punis et condamnés
en vue de prévenir la répétition de tels actes. Il prie le gouvernement de le tenir
informé à cet égard.
- d) S’agissant des tentatives d’assassinat et des
menaces dont a été victime Carlos Cirilo, un dirigeant syndical, le comité invite le
gouvernement et les plaignants à fournir toute information complémentaire à leur
disposition. Le comité demande au gouvernement de garantir à l’avenir le respect du
principe énoncé dans ses conclusions et espère qu’il prendra les mesures nécessaires
pour accélérer l’instruction et l’examen judiciaire de cette affaire et qu’il le
tiendra informé à ce sujet.
- e) Le comité attire spécialement l’attention du
Conseil d’administration sur le caractère grave et urgent du présent
cas.