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Definitive Report - Report No 389, June 2019

Case No 3195 (Peru) - Complaint date: 16-JAN-16 - Closed

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Allégations: L’organisation plaignante allègue des actes de discrimination antisyndicale de la part du Bureau du contrôleur général de l’administration fiscale (SUNAT)

  1. 528. La plainte figure dans une communication en date du 16 janvier 2016, présentée par le Syndicat de l’Unité des travailleurs du Bureau du contrôleur général de l’administration fiscale - Impôts internes (SINAUT SUNAT).
  2. 529. Le gouvernement a transmis ses observations par deux communications datées du 26 juillet 2016 et du 3 mai 2019.
  3. 530. Le Pérou a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de l’organisation plaignante

A. Allégations de l’organisation plaignante
  1. 531. Dans une communication en date du 16 janvier 2016, l’organisation plaignante allègue que des actes de discrimination antisyndicale (procédure de sanction et imposition de sanctions) ont été commis par le Bureau du contrôleur général de l’administration fiscale (SUNAT) à l’encontre de deux dirigeantes syndicales, à savoir Mmes María del Carmen Covarrubias Hermoza et Paola Luisa Aliaga Huatuco. L’organisation plaignante indique que Mme Covarrubias occupait alors les fonctions de secrétaire général du SINAUT SUNAT et de représentante de la Confédération autonome des travailleurs du Pérou (CATP) auprès du Conseil national de la sécurité et de la santé au travail, de la Commission technique de la sécurité sociale du Conseil national du travail et de la promotion de l’emploi (CNTPE) et de la Commission spéciale anticrise; et Mme Aliaga Huatuco, les fonctions de secrétaire en charge de la défense des droits au sein du SINAUT SUNAT et de représentante de la CATP auprès de la Commission technique du travail du CNTPE et de la Commission spéciale pour la productivité et les salaires minima.
  2. 532. L’organisation plaignante indique que l’institution publique a engagé des procédures disciplinaires contre les deux dirigeantes syndicales après plusieurs déclarations faites par ces dernières dans divers médias. A cet égard, elle explique que, le 26 juin 2015, l’hebdomadaire Hildebrandt en sus trece a publié un reportage intitulé «Doble de cuerpo» dans lequel les deux dirigeantes syndicales s’interrogent sur les mesures prises par l’institution publique concernée, en particulier l’augmentation de traitement indue dont auraient bénéficié ses administrateurs au détriment des autres travailleurs, ainsi que le recrutement allégué de fonctionnaires dits «de confiance» (funcionarios de confianza) par nomination directe au mépris de l’avancement professionnel au mérite censé régir la fonction publique. Par ailleurs, l’organisation plaignante signale que, les 14, 17 et 20 juillet 2015, les dirigeantes syndicales ont dénoncé dans plusieurs médias un certain nombre d’irrégularités constatées dans des formations dispensées aux travailleurs par une université privée, ainsi que des faits concernant les conditions de promiscuité au travail, le détournement de fonds des travailleurs et le non-respect des normes de santé et de sécurité au travail.
  3. 533. L’organisation plaignante allègue que, à la suite de ces déclarations, l’institution publique a engagé une procédure administrative à l’encontre des deux dirigeantes syndicales pour manquement aux obligations prévues aux alinéas m) et x) de l’article 38 de son règlement interne du travail, en commettant des actes constitutifs de fautes administratives graves visées aux alinéas a) et g) de l’article 47 du même règlement. Selon les mémorandums publiés par ladite institution, les dirigeantes syndicales ont fait fi de leur obligation de «s’abstenir de tout acte portant atteinte à l’image du SUNAT», de «s’abstenir de tout propos injurieux et de toute accusation calomnieuse à l’encontre de l’employeur ou des supérieurs hiérarchiques» et sont accusées d’avoir fait des déclarations qui «non seulement ne reflétaient pas la réalité, mais continuaient aussi de ternir l’image de l’institution publique en mettant en cause son intégrité et la qualité du personnel technique qui y travaille». Les 10 et 16 septembre 2015, les deux dirigeantes syndicales se sont vu notifier leurs sanctions par l’institution publique, qui a condamné Mmes Covarrubias et Aliaga Huatuco à trois jours et un jour de suspension sans solde, respectivement. Le 10 octobre 2015, les deux sanctions ont fait l’objet d’un recours devant le Tribunal de la fonction publique (instance administrative suprême compétente pour trancher les différends entre l’Etat et ses fonctionnaires).
  4. 534. L’organisation plaignante indique qu’elle avait, avant l’imposition des sanctions susmentionnées, demandé à la Direction générale nationale de l’inspection du travail (SUNAFIL) d’engager une procédure d’inspection en vue de faire constater les pratiques antisyndicales à l’encontre des dirigeantes syndicales. Après avoir procédé à une inspection, la SUNAFIL a confirmé dans le constat d’infraction no 2077-2015 publié le 30 octobre 2015 que le SUNAT s’était livré à des actes de discrimination à l’encontre du syndicat et des dirigeantes syndicales.
  5. 535. L’organisation plaignante estime, en ce qui concerne les faits susmentionnés que: i) l’ouverture d’une procédure disciplinaire contre les deux dirigeantes syndicales pour des déclarations faites aux médias peut constituer un acte de discrimination antisyndicale; ii) les deux intéressées occupaient non seulement la fonction de dirigeant syndical de leur organisation, mais représentaient également la CATP dans des instances tripartites de dialogue social et dans diverses commissions techniques; iii) les déclarations publiques faites par les dirigeantes syndicales portaient sur des faits de notoriété publique, et les opinions exprimées concernaient donc toutes des questions directement liées à leur travail en matière de défense des droits des travailleurs, y compris la répartition inégale des rémunérations ou l’évolution de carrière des travailleurs au sein de ladite institution publique; iv) ces déclarations publiques ont été faites dans l’exercice légitime de leurs activités syndicales, or le droit à la liberté syndicale suppose également le droit à la liberté d’expression; v) la SUNAFIL a conclu dans son constat d’infraction que «la procédure disciplinaire et la sanction imposée aux requérantes et représentantes syndicales du SINAUT SUNAT constituent des actes discriminatoires fondés sur l’affiliation syndicale, des actes proscrits par les dispositions constitutionnelles, les normes internationales et la législation, et compromettent la liberté syndicale et la liberté d’expression des représentants de l’organisation susmentionnée», et qu’il convient en outre de tenir compte du «contexte professionnel dans lequel s’inscrivent les faits, puisque les opinions exprimées par les requérantes relèvent de la plateforme de revendications et de questions posées par l’organisation syndicale qu’elles représentent»; et vi) l’institution publique concernée a fait l’objet de plusieurs plaintes déposées auprès du comité et, bien que ce dernier se soit prononcé, aucune recommandation n’a été mise en œuvre par le gouvernement.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 536. Dans deux communications datées du 26 juillet 2016 et du 3 mai 2019, le gouvernement transmet les observations du SUNAT concernant la procédure disciplinaire administrative et l’imposition de sanctions aux dirigeantes syndicales susmentionnées. A cet égard, l’institution publique indique ce qui suit: i) l’article 9 du texte du décret législatif no 728 (loi sur la productivité et la compétitivité du travail), approuvé par le décret suprême no 003-97-TR, régit la relation de subordination et confère à l’employeur le pouvoir de donner les instructions nécessaires à l’exécution du travail et d’imposer des sanctions disciplinaires, avec discernement, pour toute violation ou non-respect des obligations faites aux travailleurs, indépendamment de leur statut de dirigeant syndical; ii) les déclarations des deux dirigeantes syndicales ont entraîné l’ouverture d’une procédure disciplinaire, en vertu du règlement sur la procédure disciplinaire de ladite institution publique, au cours de laquelle les intéressées ont exercé leur droit de défense; iii) l’institution publique, après avoir évalué les éléments à charge et à décharge, ainsi que les autres documents figurant au dossier, a décidé d’imposer des sanctions aux dirigeantes syndicales susmentionnées; iv) ces procédures ne sauraient constituer des actes de discrimination syndicale, puisque le statut de dirigeant syndical ne dispense en rien le travailleur de se conformer aux obligations découlant de la relation de travail; v) la liberté d’expression ne couvre pas les propos injurieux, et la liberté d’information n’autorise pas la diffusion de données inexactes; vi) les déclarations des dirigeantes syndicales auraient gravement entaché l’image de l’institution en véhiculant des informations fausses, erronées et inexactes; vii) les dirigeantes syndicales, se prévalant du principe de «double instance», ont porté en appel la décision administrative devant la deuxième chambre du Tribunal de la fonction publique, laquelle a déclaré les deux recours dénués de fondement le 20 janvier 2016, après avoir constaté que les déclarations des requérantes étaient insuffisamment étayées et sans fondement; et viii) concernant le constat d’infraction no 2077-2015 publié par la SUNAFIL, il convient de souligner que le SUNAT aurait présenté des éléments à sa décharge et que l’organe d’inspection ne se serait, à ce jour, pas prononcé définitivement, raison pour laquelle on ne peut affirmer que le SUNAT a commis des actes de discrimination antisyndicale.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 537. Le comité observe que le présent cas porte sur l’imposition de sanctions disciplinaires par le SUNAT à l’encontre de deux dirigeantes syndicales du SINAUT SUNAT et de la CATP en raison de leurs propos dans divers médias, dénonçant des irrégularités supposées dans la gestion de cette administration publique.
  2. 538. Le comité note que, selon les allégations de l’organisation plaignante: i) le SUNAT a engagé une procédure administrative à l’encontre des dirigeantes syndicales à la suite de ces déclarations, estimant que leurs propos portaient atteinte à son image, outre le fait qu’ils étaient erronés et injurieux; ii) le SUNAT a sanctionné Mmes Covarrubias et Aliaga Huatuco pour faute administrative grave et leur a imposé, respectivement, trois jours et un jour de suspension sans solde; iii) l’organisation plaignante a demandé, avant l’imposition des sanctions, à la SUNAFIL d’engager une procédure d’inspection en vue de faire constater l’existence de pratiques antisyndicales; iv) le 30 octobre 2015, la SUNAFIL a publié un constat d’infraction selon lequel l’administration publique en question aurait commis des actes de discrimination à l’encontre des syndicats et des dirigeantes syndicales; et v) les deux sanctions disciplinaires ont fait l’objet d’un recours devant le Tribunal de la fonction publique le 10 octobre 2015.
  3. 539. Le comité note par ailleurs que l’organisation plaignante affirme, en ce qui concerne les sanctions infligées aux dirigeantes syndicales, que: i) les déclarations publiques faites par ces dernières portaient sur des faits de notoriété publique, et les opinions exprimées dans les médias concernaient donc toutes des questions directement liées à leur travail en matière de défense des droits des travailleurs; ii) l’exercice de la liberté d’association suppose également le droit à la liberté d’expression; et iii) la présente infraction s’inscrit dans un contexte de violations systématiques des droits syndicaux par le SUNAT et de refus du gouvernement de mettre en œuvre les recommandations formulées par le Comité de la liberté syndicale.
  4. 540. Le comité note par ailleurs que le gouvernement transmet la réponse de ladite institution publique qui indique, en ce qui concerne l’allégation formulée par l’organisation plaignante, que: i) l’article 9 du texte du décret législatif no 728, la loi sur la productivité et la compétitivité du travail, confère à l’employeur le pouvoir de donner les instructions nécessaires à l’exécution du travail et d’imposer des sanctions disciplinaires, avec discernement, pour toute violation ou non-respect des obligations faites aux travailleurs, indépendamment de leur statut de dirigeant syndical; ii) la liberté d’expression ne couvre pas les propos injurieux, et la liberté d’information n’autorise pas la diffusion de données inexactes; iii) les déclarations des dirigeantes syndicales auraient gravement entaché l’image de l’institution en véhiculant des informations fausses, erronées et inexactes; iv) les recours formés par les dirigeantes syndicales ont été déclarés dénués de fondement par la deuxième chambre du Tribunal de la fonction publique; et v) la SUNAFIL ne s’est à ce jour pas prononcée définitivement sur les actes antisyndicaux allégués, raison pour laquelle on ne peut affirmer que l’institution publique concernée s’est livrée à des actes de discrimination antisyndicale.
  5. 541. Le comité observe que la SUNAFIL a conclu dans le constat d’infraction no 2077-2015 dressé au terme de sa procédure d’inspection que, «si les déclarations (des dirigeantes syndicales mentionnées) peuvent être qualifiées d’irrespectueuses, elles ne sont pas suffisamment graves pour justifier une sanction aussi lourde que la suspension sans solde infligée aux requérantes, dans la mesure où elles ne peuvent être considérées comme une injure proprement dite et ne se caractérisent pas par de l’intention de nuire» et que «la procédure disciplinaire et la sanction infligée aux requérantes et représentantes syndicales du SINAUT SUNAT constituent des actes de discrimination antisyndicale». De même, le comité prend note de l’indication de l’institution publique concernée selon laquelle elle a présenté des éléments à sa décharge et que la SUNAFIL ne s’est pas encore prononcée définitivement. En ce qui concerne la liberté d’expression des organisations syndicales et ses limites, le comité rappelle que la résolution de 1970 relative aux droits syndicaux et leur relation avec les libertés civiles met l’accent sur la liberté d’opinion et d’expression, essentielles pour l’exercice normal des droits syndicaux. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, sixième édition, 2018, paragr. 257.] Le comité rappelle également qu’il a considéré que le plein exercice des droits syndicaux exige la libre circulation des informations, des opinions et des idées, de sorte que les travailleurs et les employeurs, tout comme leurs organisations, devraient jouir de la liberté d’opinion et d’expression dans leurs réunions, publications et autres activités syndicales. Néanmoins, dans l’expression de leurs opinions, lesdites organisations ne devraient pas dépasser les limites convenables de la polémique et devraient s’abstenir d’excès de langage. [Voir Compilation, op. cit., paragr. 236.]
  6. 542. Constatant, d’une part, que le Tribunal de la fonction publique a estimé dans sa décision administrative que les sanctions imposées aux deux dirigeantes syndicales étaient fondées alors que la SUNAFIL a conclu dans son constat d’infraction que ces sanctions constituaient une discrimination antisyndicale et, d’autre part, que depuis 2016 il ne dispose d’aucune information sur la décision définitive de la SUNAFIL ou sur la formation d’un éventuel recours contre la décision administrative du Tribunal de la fonction publique, le comité veut croire que les procédures relatives aux sanctions disciplinaires imposées seront menées à terme sans délai et conformément à ses décisions susmentionnées.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 543. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
    • Le comité veut croire que les procédures relatives aux sanctions disciplinaires imposées aux dirigeantes syndicales seront menées à terme sans délai et conformément à ses décisions figurant dans les conclusions formulées dans le présent cas.
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