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Informe provisional - Informe núm. 49, 1961

Caso núm. 235 (Camerún) - Fecha de presentación de la queja:: 26-JUL-60 - Cerrado

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  1. 282. La plainte de la C.G.C.T est contenue dans une communication adressée directement au B.I.T le 26 juillet 1960. Le gouvernement du Cameroun a transmis ses observations à cet égard dans une communication du 27 octobre 1960.
  2. 283. En devenant Membre de l'Organisation internationale du Travail, le 7 juin 1960, le gouvernement du Cameroun a fait savoir qu'il reconnaissait que le Cameroun demeure lié par les obligations découlant de la convention (no 87) concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, dont les dispositions avaient été déclarées antérieurement applicables par la France au territoire du Cameroun, et qu'il s'engageait à appliquer, en outre, les dispositions de la convention (no 84) concernant le droit d'association territoires non métropolitains), 1947, jusqu'à ce qu'il ait pu procéder à la ratification de la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations relatives à la situation générale au Cameroun

A. Allégations relatives à la situation générale au Cameroun
  1. 284. Les plaignants, qui prétendent représenter la quasi-totalité des travailleurs organisés du Cameroun, allèguent que le chef du gouvernement est un impérialiste et un « néocolonialiste » et que, pour éviter la mise en place d'un régime ennemi de la liberté, il aurait fallu procéder à des élections contrôlées par les Nations Unies avant que le pays accédât à l'indépendance. Il est également allégué que des intérêts franco-britanniques et ouest-allemands-américains ont encouragé la corruption des chefs syndicaux afin de diviser le mouvement syndical, et qu'un gouvernement hostile aux syndicats, soutenu par ces groupes d'intérêts, est actuellement au pouvoir. Les plaignants se déclarent solidaires « des travailleurs et du peuple » pour accueillir favorablement « l'annonce de la formation d'un gouvernement révolutionnaire populaire», et ils accusent la politique du gouvernement actuel d'avoir semé «la guerre au Cameroun». C'est dans ces circonstances, selon les plaignants, qu'une législation d'exception est entrée en vigueur le 16 mai 1959.
  2. 285. Le gouvernement commence par nier que l'organisation plaignante parle au nom de la quasi-totalité des travailleurs organisés du Cameroun; il déclare à cet égard que les élections de délégués du personnel en octobre-novembre 1959 ont montré qu'elle ne représentait que 21,56 pour cent des travailleurs organisés, ou 12,54 pour cent de l'ensemble des travailleurs.
  3. 286. Le gouvernement, qui limite sa réponse aux incidences syndicales de la plainte, déclare que les « désordres sanglants » qui se sont produits au Cameroun l'ont contraint à promulguer l'ordonnance relative à l'état d'urgence no 60-52, du 7 mai 1960, et à ordonner son entrée en vigueur dans certains départements du Cameroun par décret no 60-124, du 8 mai 1960.
  4. 287. Le Comité a déjà eu l'occasion de déclarer que la question de l'état de siège - analogue à celle de l'« état d'urgence au Cameroun » - présente en elle-même un aspect purement politique, sur lequel il n'est pas appelé à se prononcer, mais qu'il convient, en revanche, d'en examiner les effets sur les seuls aspects de la liberté syndicale, à propos de chacune des allégations concrètes présentées par les plaignants. Dans le cas présent, le Comité, en application de la même règle, s'est borné à prendre en considération les allégations plus précises dont l'examen va suivre. Ce faisant, le Comité observe que la brève déclaration du gouvernement au sujet des désordres sérieux qui l'ont contraint à décréter l'état d'urgence devrait être enregistrée de pair avec les déclarations des plaignants au sujet de l'existence d'une «guerre au Cameroun» dans laquelle les partisans d'un « gouvernement populaire révolutionnaire » rival représentent l'un des adversaires en présence.
  5. 288. Sous réserve de ce qui précède, le Comité a observé que les allégations examinées ici ont trait à ce que les plaignants considèrent comme la continuation d'une politique colonisatrice au Cameroun, et comportent du même coup une critique à l'égard de différentes puissances étrangères et du gouvernement actuel - dont la politique est elle-même alignée sur celle de ces puissances.
  6. 289. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider que ces allégations ont un caractère purement politique et qu'il est, de ce fait, inopportun de poursuivre l'examen de cet aspect de la question.
    • Allégations relatives à la situation économique
  7. 290. Les plaignants allèguent que la «guerre ruineuse» qui sévit a pour conséquences l'augmentation du chômage, le blocage des salaires, la hausse des prix et l'insuffisance des allocations familiales et de maternité, et qu'il existe une discrimination entre les travailleurs camerounais et européens à tous ces égards; les plaignants produisent, à l'appui de leurs déclarations, un certain nombre de statistiques. La misère du peuple est encore accrue, selon les plaignants, par les conséquences du traité économique et militaire signé par les gouvernements du Cameroun et de la France le 25 décembre 1959, et prorogé le 25 juin 1960.
  8. 291. Le Comité a déjà décliné par le passé l'examen d'allégations relatives à la politique des salaires elle-même, considérée comme distincte des méthodes de négociation collective, ou à la discrimination raciale, dans la mesure où elle ne met pas en jeu l'exercice des droits syndicaux. Les allégations examinées ici ont pour objet les effets de la politique économique et sociale du gouvernement en général et ne sont pas directement associées à des allégations relatives à des atteintes à des droits syndicaux particuliers, tels que le droit de négociation collective ou le droit à la protection contre la discrimination antisyndicale exercée dans le domaine de l'emploi.
  9. 292. Dans ces conditions, le Comité estime que la question ne concerne pas directement une atteinte aux droits syndicaux et, par conséquent, recommande au Conseil d'administration de décider que ces allégations n'appellent pas de sa part un examen plus approfondi.
    • Allégations relatives à l'arrestation de travailleurs et de chefs syndicaux et aux mauvais traitements dont ils sont l'objet
  10. 293. Les plaignants allèguent que les travailleurs et les chefs syndicaux sont arrêtés (ou que des mandats d'arrêt ont été délivrés à leur encontre), jugés, torturés, emprisonnés ou exilés. Ils seraient, au moment de leur arrestation, déclarés « rebelles» ou « hors la loi » et soumis à une torture bestiale - passage d'un courant électrique à travers le corps; maintien dans l'eau salée, la tête enveloppée dans des chiffons imbibés d'eau contenant du ciment; privation de nourriture et d'eau. Les plaignants se réfèrent à des cas précis.
  11. 294. Il est allégué que M. Mayao Beck, secrétaire général de la C.G.C.T, a été provisoirement libéré moyennant versement d'une caution de 800.000 francs et que M. Etame Dimouamoua Ebenezer et M. Ngosso Martin, secrétaires de la C.G.C.T, sont emprisonnés à Douala pour des raisons inconnues; que M. Ndooh Isaac, membre du comité exécutif du Syndicat des travailleurs de la construction, et M. Mouangue David, contremaître charpentier, ont été terriblement torturés, puis emprisonnés, en raison de leurs activités syndicales et patriotiques, et qu'ils sont devenus des réfugiés politiques après avoir abandonné femmes et enfants au Cameroun; que M. Ekwalla Robert, autre secrétaire de la C.G.C.T, s'est enfui après avoir failli être arrêté le 28 juin 1959 par la police « franco-camerounaise».
  12. 295. Le gouvernement ne fait pas mention dans sa réponse des tortures de prisonniers alléguées, limitant ses commentaires aux cas des personnes citées nommément.
  13. 296. Le gouvernement déclare que M. Mayao Beck n'a pas, en réalité, été arrêté dans la République du Cameroun, mais dans le territoire du Cameroun britannique, où on l'a trouvé en possession de documents subversifs et où il a été finalement condamné à six mois de prison. En conséquence, le gouvernement décline toute responsabilité à cet égard.
  14. 297. MM. Etame Ebenezer et Ngosso Martin ont, selon le gouvernement, été arrêtés par des officiers de police, à la suite d'opérations de recherche décidées dans le cadre de l'article 4 de l'ordonnance no 60-52, du 7 mai 1960, et accusés de compromettre la sécurité intérieure de l'Etat - les recherches ayant fourni la preuve de leur complicité dans la rébellion qui s'est produite dans la partie occidentale du pays. Le gouvernement indique encore qu'ils sont actuellement sous les verrous, en attendant leur jugement par le tribunal criminel en relation avec des chefs d'accusation qui, dans l'éventualité où ils seraient condamnés, entraîneraient des peines de prison allant d'un à cinq ans, suivies par une interdiction de séjour de durée définie, peines prévues par l'article 91 du Code pénal, modifié par la loi no 59-34, du 27 mai 1959.
  15. 298. Le gouvernement indique que M. Ndooh Isaac était contremaître dans le port de Douala et qu'il a été licencié pour incapacité professionnelle. Il a été membre du Parti du peuple du Cameroun (P.P.C.) avant et après la dissolution de ce parti politique. Considéré comme l'un des fomentateurs des désordres qui se sont produits à Douala le 27 juin 1959, désordres qui ont marqué le déclenchement du terrorisme au Cameroun, il fut arrêté le 1er août 1959 et libéré ensuite en vertu de la loi d'amnistie du 8 mai 1960. Le gouvernement déclare qu'il se trouvait à Accra entre les 8 et 10 juillet 1960 en qualité de représentant du Comité central du P.P.C. Le 11 mai 1956, il fut condamné à deux mois d'emprisonnement par le tribunal criminel de Douala pour vol, agression et résistance à la police; le 5 avril 1957, il fut condamné à huit mois de prison pour avoir réorganisé une association dissoute, peine qui fut augmentée d'une année par la Cour d'appel. Le 26 juillet 1958, il fut condamné à dix-huit mois de prison, de nouveau pour avoir reconstitué une association dissoute. Rien dans cette affaire n'a, selon le gouvernement, une relation, si lointaine soit-elle, avec une activité syndicale quelconque.
  16. 299. M. Mouangue n'est, à la connaissance du gouvernement, affilié à aucun syndicat. Ayant été membre actif du P.P.C, il fut condamné à un an de prison pour reconstitution d'une association dissoute, mais amnistié en mars 1959. Le gouvernement l'accuse d'être un terroriste. Il fut de nouveau arrêté en février 1960 et jugé pour avoir compromis la sécurité intérieure de l'Etat, ainsi que pour meurtre et tentative de meurtre.
  17. 300. Le gouvernement déclare que M. Ekwalla Robert, tout en étant secrétaire de la Fédération des employés de commerce et de banque, est également un militant très actif du P.P.C. En 1955, il fut emprisonné pour avoir organisé des bandes armées, puis libéré sous caution le 31 juin 1956, ensuite de quoi les poursuites dirigées contre lui furent suspendues le 24 août 1956. Le 26 juin 1958, après avoir été arrêté pour port d'armes, il fut condamné à trois ans de prison pour atteinte à la sécurité intérieure de l'Etat, puis amnistié à la suite de la loi des 11 et 12 mars 1959. Le gouvernement indique qu'il a repris ses activités subversives et qu'il a pris le maquis le 16 juin 1960.
  18. 301. Le gouvernement affirme donc que toutes les personnes dont le nom figure dans la plainte ont été poursuivies en raison d'activités politiques subversives ou criminelles n'ayant de rapport avec les activités syndicales d'aucun d'entre eux. Dans plusieurs cas antérieurs, le Comité a souligné l'importance qu'il attache au principe d'un jugement rapide et équitable par une autorité judiciaire impartiale et indépendante dans tous les cas, y compris ceux dans lesquels des syndicalistes sont accusés de délits politiques ou de délits de droit commun que le gouvernement considère comme ne rentrant pas dans le cadre de leurs activités syndicales. En outre, dans les cas où les allégations concernant l'arrestation de chefs syndicaux ou de travailleurs ont été repoussées par les gouvernements sous prétexte qu'il s'agissait d'arrestations motivées par des activités subversives, pour des raisons de sécurité intérieure ou pour des crimes de droit commun, le Comité a appliqué la règle selon laquelle les gouvernements intéressés devaient être priés de soumettre un complément d'information de nature aussi précise que possible au sujet des arrestations et en particulier au sujet des procédures légales ou judiciaires intentées à la suite de ces arrestations et de l'issue de ces procédures. En outre, dans un certain nombre de cas antérieurs, le Comité a eu pour pratique de ne pas procéder à l'examen de questions au sujet desquelles une procédure judiciaire était en cours - pourvu toutefois que cette procédure fît l'objet de garanties suffisantes d'application régulière de la loi - pour le cas où la procédure judiciaire en cours pourrait fournir au Comité des éléments utiles d'appréciation en ce qui concerne le bien-fondé des allégations.
  19. 302. En l'espèce, bien que le gouvernement ait fourni des renseignements sur l'issue de l'action légale dont ont fait l'objet M. Ndooh Isaac et M. Ekwalla Robert, ainsi que des informations montrant que les événements concernant M. Mayao Beck se sont produits en dehors du territoire national, il déclare qu'une procédure criminelle, qui a pour objet les cas de MM. Etame Ebenezer, Ngosso Martin et Mouangue, est actuellement en cours. Dans ces conditions, le Comité, avant de faire ses recommandations définitives au Conseil d'administration, et tout en remerciant le gouvernement des informations qu'il a déjà fournies, prie ce dernier de bien vouloir, eu égard au principe énoncé au paragraphe 301 ci-dessus, fournir des renseignements relatifs à l'issue de la procédure actuellement en cours dans les cas de MM. Etame Ebenezer, Ngosso Martin et Mouangue, en y joignant, si possible, une copie des jugements rendus. Le Comité prie également le gouvernement de fournir ses observations au sujet des allégations relatives à la torture des personnes détenues dont il est fait mention au paragraphe 293 ci-dessus et en ce qui concerne plus particulièrement MM. Ndooh Isaac et Mouangue, dont le cas est évoqué au paragraphe 294 ci-dessus.
    • Allégations relatives à la législation d'exception
  20. 303. Les plaignants allèguent que la législation d'exception (loi nos 121, 122, 123, 124) adoptée le 16 mai 1959 porte atteinte aux droits syndicaux à plusieurs égards. Il est allégué en particulier que l'article VIII de la loi no 121 interdit toute réunion et publication, et bannit des districts en «état d'alerte» les individus précédemment condamnés (repris de justice) ainsi que les personnes qui n'y ont pas leur résidence habituelle, tandis que l'article IV permet aux autorités de bannir les individus jugés dangereux pour la sécurité publique d'un district en état d'alerte dans lequel ils résident normalement, ou de leur assigner une résidence forcée. Il est également allégué que ces lois permettent l'institution permanente du couvre-feu. Les plaignants prétendent que ces lois visent les chefs syndicaux, dont un bon nombre sont d'anciens «patriotes révolutionnaires » et détenus politiques, et rendent impossible la poursuite des activités syndicales, notamment l'organisation de grèves. Il est allégué qu'un laissez-passer est nécessaire aux gens pour se déplacer et que ces documents ne sont délivrés qu'aux « (soi-disant) syndicalistes qui acceptent le régime». Déclarant que toutes les réunions de plus de deux personnes sont, en fait, prohibées par les lois en question, les plaignants allèguent que toutes les réunions et défilés de travailleurs ont été interdits le 1er mai 1959 et le 1er mai 1960.
  21. 304. En ce qui concerne les faits allégués, le gouvernement se borne à une déclaration selon laquelle les laissez-passer sont délivrés à tous les représentants des travailleurs sans distinction, afin de leur permettre de se déplacer selon les nécessités de leurs obligations syndicales et en dépit des dispositions de l'article IV, alinéa 1, de l'ordonnance du 7 mai 1960. Le texte de cette ordonnance, no 60-52, du 7 mai 1960, « qui constitue la loi organique sur l'état d'urgence» a été joint à la réponse du gouvernement, ainsi que le texte du décret no 60-124, du 8 mai 1960, qui proclame l'état d'urgence. Le gouvernement se réfère également à l'ordonnance ne 60-47, du 8 mai 1960, qui prévoit une amnistie en faveur des crimes et délits politiques commis avant l'adoption de la législation de mai 1960. Ni les textes reçus ni la réponse du gouvernement ne contiennent de référence aux lois nos 121, 122, 123 et 124 du 16 mai 1959, auxquelles a trait la plus grande partie des allégations. D'autre part, les plaignants ne font pas mention des lois citées par le gouvernement.
  22. 305. Le Comité estime qu'il convient d'éclaircir davantage la situation avant qu'il lui soit possible de formuler des recommandations en connaissance de cause. En conséquence, le Comité demande au gouvernement de fournir des observations plus détaillées au sujet des allégations faites à l'égard des questions mentionnées au paragraphe 303 ci-dessus, d'indiquer si les lois nos 121, 122, 123 et 124 sont encore en vigueur ou si elles ont été partiellement ou entièrement remplacées par la législation de 1960 et, pour le cas où elles seraient encore en vigueur, de bien vouloir en produire le texte.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 306. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) de décider que les allégations relatives à la situation générale au Cameroun revêtent un caractère politique qui rend inopportun un examen plus approfondi de la question;
    • b) de décider que, pour les raisons indiquées aux paragraphes 290 à 292 ci-dessus, les allégations relatives à la situation économique n'appellent pas d'examen plus approfondi;
    • c) de prendre note du présent rapport intérimaire en ce qui concerne les allégations relatives aux arrestations des travailleurs et des chefs syndicaux et aux sévices subis par eux, ainsi qu'à la législation d'exception, étant entendu que le Comité fera de nouveau rapport dès qu'il aura reçu les informations complémentaires sollicitées du gouvernement.
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