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  1. 137. La plainte figure dans une communication de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL) du 5 décembre 1989. Le gouvernement y a répondu par les communications des 22 et 26 février 1990. Dans ces communications, le gouvernement se réfère à ses déclarations du 27 décembre 1989, où il répondait aux plaintes adressées au Directeur général du BIT par diverses centrales syndicales internationales demandant que le BIT intervienne auprès du gouvernement bolivien concernant l'affaire présentée par la CISL dans le présent cas.
  2. 138. La Bolivie a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. Allégations de la confédération plaignant

A. Allégations de la confédération plaignant
  1. 139. La Confédération internationale des syndicats libres (CISL) allègue, dans sa communication du 5 décembre 1989, que le 23 octobre 1989 les dirigeants syndicaux de l'enseignement ont déclenché une grève de la faim - suivie par quelque 2.500 grévistes de tout le pays - pour appuyer les revendications salariales des 84.000 instituteurs des villes tout en assurant le fonctionnement normal des classes. Cette grève était soutenue par la Centrale ouvrière bolivienne (COB). Au bout de vingt et un jours de grève, plusieurs instituteurs sont entrés dans un état de coma.
  2. 140. La CISL indique que le conflit a été déclenché par la revendication des enseignants demandant que leur soit versée une somme de 300 pesos boliviens (environ 103 dollars E.-U.) pour compenser l'augmentation du coût de la vie. Ils avaient perçu cette somme en 1987 et 1988, conformément à un accord passé avec le précédent gouvernement. Or le gouvernement actuel refusait de reconnaître ce droit acquis et, par conséquent, d'acquitter ce paiement, prétextant que les caisses du Trésor public étaient vides.
  3. 141. La CISL ajoute que le gouvernement a réagi à l'extension du mouvement - auquel s'étaient associés d'autres secteurs - en décrétant l'état de siège et en arrêtant des milliers de travailleurs, à savoir la totalité des grévistes de la faim ainsi qu'en reléguant une centaine de syndicalistes dans des localités situées dans la forêt vierge. Parmi les personnes arrêtées se trouvent Daniel Santalla, secrétaire général de la COB, ainsi que huit dirigeants du Comité exécutif national. Mme Wilma Plata, principale dirigeante du mouvement syndical enseignant dans le département de La Paz, a également été arrêtée et brutalement frappée à cette occasion. Il est tout à fait surprenant que le gouvernement décrète l'état de siège pendant trois mois en prétextant l'existence d'un danger public, ainsi qu'il a jugé la grève de la faim menée par les syndicalistes, pour ensuite opprimer les travailleurs, les arrêter et les reléguer dans des zones inhospitalières du pays, violant ainsi les droits de l'homme et les droits syndicaux.

B. Réponse du gouvernement

B. Réponse du gouvernement
  1. 142. Le gouvernement rétorque que le 8 août 1989, autrement dit deux jours seulement après l'arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement, les dirigeants syndicaux de l'enseignement ont demandé des augmentations de salaires de plus de 300 pour cent. Si ces augmentations de salaires des enseignants et du personnel administratif avaient été accordées, la masse budgétaire en matière salariale du ministère de l'Education et de la Culture aurait représenté 45 pour cent du budget national. Il ne faut pas oublier que le gouvernement précédent (qui a quitté le pouvoir le 6 août 1989) a eu plus de six mois pour prévoir les mesures légales et les crédits budgétaires correspondant à une prime ou augmentation des salaires en 1990, mais qu'il n'a rien fait. Il n'y a pas trace non plus d'un accord entre le ministère de l'Education et les confédérations d'enseignants, qui obligerait celui-ci à verser aux enseignants une somme spéciale pour qu'ils terminent l'année scolaire, comme ils y sont normalement tenus.
  2. 143. Cependant, le gouvernement, toujours soucieux de maintenir le dialogue, a écouté les revendications des enseignants, soulignant toutefois que leurs prétentions salariales devaient être considérées dans le cadre des possibilités économiques et financières du budget de 1990. Les dirigeants syndicaux de l'enseignement ont rejeté la position du gouvernement pour faire pression sur lui, et ils ont déclenché une grève de la faim. Le gouvernement ajoute que les grévistes de la faim ont bénéficié des soins médicaux dont ils avaient besoin. Le gouvernement indique aussi que les dirigeants syndicaux ont invoqué à mauvais droit le principe de la solidarité syndicale et qu'ils ont décidé d'étendre le mouvement à d'autres secteurs professionnels, créant ainsi les conditions d'une grave perturbation de l'ordre public. Malgré l'intransigeance des dirigeants syndicaux, le gouvernement, soucieux de préserver la tranquillité publique, a relancé le dialogue et a conclu un accord avec les confédérations des instituteurs des villes et des campagnes, et avec certains délégués de la Centrale ouvrière bolivienne; cet accord visait à créer une commission, composée de représentants du pouvoir exécutif et de l'enseignement et chargée de proposer une solution aux revendications des enseignants dans le cadre du budget de 1990, compte tenu de l'inévitable nécessité de maintenir la stabilité économique et financière du pays. Par ailleurs, les dirigeants syndicaux se sont engagés à mettre un terme à la grève de la faim, condition préalable pour que la commission puisse commencer ses travaux dans le respect du privilège syndical et du Code bolivien de l'éducation.
  3. 144. Le gouvernement ajoute qu'il a agi en pensant que cet accord mettrait fin au conflit et qu'il ouvrirait la voie à une solution juste et pacifique. Néanmoins, de façon tout à fait imprévue, il s'est heurté au refus de l'accord établi, refus s'expliquant apparemment par la présence au sein du mouvement des enseignants de groupes ayant d'autres intérêts, en particulier parmi la Fédération des instituteurs de la ville de La Paz. Les appels à la généralisation et au durcissement du conflit se sont multipliés, prônant ouvertement le recours à la violence et le désordre sur la voie publique; le mouvement s'orientait politiquement vers une déstabilisation du système démocratique au mépris du pouvoir constitutionnel. Il s'installait dans la provocation systématique accompagnée d'actes de violence dans les rues perturbant gravement l'ordre public et créant un état de déstabilisation interne. Cette situation et la décision de la direction syndicale des enseignants ont contraint le gouvernement à décréter, le 14 novembre 1989, l'état d'exception conformément à la Constitution. Le gouvernement indique que l'état d'exception a entraîné l'arrestation de 858 citoyens. Après enquête, 153 personnes ont été assignées à résidence dans diverses localités du pays. Puis le nombre de personnes assignées à résidence a peu à peu diminué, le gouvernement ayant procédé à une évaluation de chaque cas en vue d'une remise en liberté. Au 10 décembre 1989, personne n'était plus assigné à résidence, ni détenu dans le cadre de poursuites pénales pour des faits en rapport avec le conflit. Les dirigeants Baldivieso, Osorio et Garabito jouissent de leur entière liberté, et aucun procès n'a été intenté à leur encontre devant les tribunaux ordinaires du pays.
  4. 145. Le gouvernement précise que l'état de siège a été décrété devant l'imminence de troubles institutionnels graves pour prévenir le risque que les directions syndicales, déchirées par de profondes contradictions, ne se laissent dépasser par les événements, ce qui aurait pu déboucher sur une situation chaotique de remise en cause de la Constitution et du système démocratique en vigueur. L'amnistie générale accordée par le gouvernement avant Noël 1989 a permis de régler tous les problèmes découlant du conflit. Plus personne n'est détenue ni assignée à résidence sur toute action passée liée au mouvement des enseignants et à d'autres catégories professionnelles.
  5. 146. Actuellement, le ministère de l'Education est prêt à dialoguer avec les représentants légaux des instituteurs auxquels il a proposé un réajustement salarial en 1990. Cependant, il ne s'agit pas seulement d'une question de rémunération mais de tout un ensemble de problèmes: lacunes du système d'enseignement général, taux élevé d'analphabétisme, etc. Le ministère de l'Education souhaite convoquer les enseignants pour débattre de la mise en oeuvre de la réforme de l'enseignement et bénéficier de leur participation active. Tous ces problèmes, y compris la question des traitements, sont interdépendants.
  6. 147. Enfin, le gouvernement indique que sa volonté de respecter et de promouvoir la liberté syndicale ressort clairement des dispositions du décret suprême no 22407 récemment promulgué, qui octroie aux dirigeants syndicaux et à leurs organisations des facilités pour exercer leurs fonctions.

C. Conclusions du comité

C. Conclusions du comité
  1. 148. Dans le présent cas, le comité observe que l'organisation plaignante allègue que le gouvernement a refusé d'octroyer aux instituteurs une augmentation de salaire en compensation de l'augmentation du coût de la vie en 1989, et qu'il a réagi à la grève de la faim, déclenchée le 23 octobre 1989 par des syndicalistes de l'enseignement à l'appui de leurs revendications (mouvement qui a pris de l'ampleur et auquel se sont associés d'autres secteurs), en décrétant l'état de siège, en arrêtant des milliers de travailleurs (y compris tous les grévistes de la faim) et en assignant à résidence plus d'une centaine d'entre eux.
  2. 149. En ce qui concerne le refus du gouvernement d'octroyer aux instituteurs ladite augmentation de salaire, le comité prend note des explications du gouvernement qui signale le manque de crédits budgétaires jusqu'en 1990, le caractère jugé excessif de la revendication et l'absence d'accord préalable entre les autorités et les organisations syndicales prévoyant le paiement de l'augmentation. Le comité rappelle le principe de la négociation collective selon lequel "l'attitude conciliante ou intransigeante de l'une des parties vis-à-vis des revendications présentées par l'autre est affaire de négociation entre ces deux parties dans le cadre de la loi du pays". (Voir Recueil de décisions et de principes du Comité de la liberté syndicale, 3e édition, 1985, paragr. 589.) Le comité observe que, selon le gouvernement, un accord écrit a été conclu avec la direction syndicale (accord qu'elle a par la suite rejeté), prévoyant la formation d'une commission paritaire chargée de trouver une solution au conflit; il observe aussi que le ministère de l'Education a offert un réajustement des salaires pour 1990 et qu'il se propose de convoquer les représentants des enseignants pour examiner la question de la réforme de l'enseignement.
  3. 150. Pour ce qui est des mesures alléguées prises par le gouvernement en réaction à la grève de la faim et au mouvement auquel se sont associés par la suite d'autres secteurs professionnels, le comité note que le gouvernement reconnaît avoir décrété l'état d'exception et avoir arrêté ou assigné à résidence un grand nombre de syndicalistes et de travailleurs.
  4. 151. Le comité observe que les circonstances invoquées par le gouvernement pour justifier l'adoption desdites mesures peuvent se résumer de la manière suivante: 1) la direction syndicale a rejeté un accord écrit qu'elle avait signé avec les autorités et qui mettait un terme au conflit; 2) des actes de violence ont été systématiquement provoqués sur la voie publique et des appels à la généralisation et au durcissement du conflit ont été lancés prônant le recours à la violence et le désordre, donnant au mouvement de grève une orientation politique contraire au respect dû au pouvoir constitutionnel.
  5. 152. Le comité ne dispose pas des observations de l'organisation plaignante sur les raisons qui auraient poussé la direction syndicale à rejeter l'accord qu'elle aurait conclu avec les autorités. Cependant, il constate que le gouvernement ne s'est pas limité à prendre les mesures habituelles d'urgence contre les actes de violence sur la voie publique et contre leurs auteurs, mais qu'il a décrété l'état d'exception, qu'il a arrêté 858 travailleurs et syndicalistes et qu'il a relégué 153 d'entre eux, au dire même du gouvernement, usant ainsi de moyens disproportionnés et d'une portée exceptionnellement grave, qui ont rendu impossible toute forme d'action syndicale pacifique ainsi que l'exercice des droits syndicaux en général.
  6. 153. En conséquence, le comité déplore vivement les mesures adoptées par le gouvernement et il estime qu'elles sont contraires aux principes de la liberté syndicale consacrés dans les conventions nos 87 et 98. Par ailleurs, compte tenu du nombre élevé de travailleurs et de syndicalistes frappés par ces mesures, tout semble indiquer qu'elles n'ont pas été appliquées uniquement aux fauteurs de troubles mais aussi à d'autres personnes, en fonction de leur participation à des activités syndicales. Le comité attire l'attention du gouvernement sur le fait que "la détention de dirigeants syndicaux pour des activités liées à l'exercice de leurs droits syndicaux est contraire aux principes de la liberté syndicale" (voir Recueil, op. cit., paragr. 87) et que "les arrestations massives de grévistes comportent de graves risques d'abus". (Voir Recueil, op. cit., paragr. 442.) Le comité rappelle de surcroît que "l'imposition de sanctions telles que l'assignation à résidence et la relégation pour motifs syndicaux constitue des violations des principes de la liberté syndicale", et qu'il est "inadmissible que de telles sanctions soient imposées par voie administrative". (Voir Recueil, op. cit., paragr. 138.)
  7. 154. Enfin, le comité observe que, au 10 décembre 1989, plus personne n'était détenue ni assignée à résidence, que l'état d'exception avait été levé et qu'avant Noël 1989 le gouvernement avait décrété une amnistie générale.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 155. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d'administration à approuver les recommandations suivantes:
    • a) Le comité déplore vivement que les autorités aient arrêté 858 syndicalistes et travailleurs (assignant 153 d'entre eux à résidence) en réaction à l'action syndicale déclenchée en octobre 1989 dans le secteur de l'enseignement.
    • b) Le comité, tout en observant que les mesures de détention et d'assignation à résidence ne sont plus en vigueur, signale à l'attention du gouvernement les principes mentionnés dans les conclusions relatives au caractère inadmissible des arrestations et des assignations à résidence de syndicalistes pour motifs syndicaux.
    • c) Le comité exprime l'espoir que, conformément à l'accord préalable apparemment conclu entre les parties, les discussions que le gouvernement se propose d'engager avec les organisations syndicales enseignantes permettront d'aboutir à des accords satisfaisants pour les deux parties.
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