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- 836. La plainte figure dans une communication de la Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP) en date du 16 octobre 2008.
- 837. Le gouvernement a envoyé ses observations dans ses communications en date du 12 février et du 25 mai 2010.
- 838. Le Pérou a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 839. Dans sa communication en date du 16 octobre 2008, la Confédération générale des travailleurs du Pérou (CGTP) explique que les entreprises industrielles soumises à des exportations non traditionnelles (qui exportent 40 pour cent de leur production nationale effectivement vendue) sont autorisées par l’article 32 du décret-loi no 22342 à conclure des contrats de travail temporaires avec les travailleurs autant de fois que cela s’avère nécessaire. Il s’agit principalement d’entreprises du textile et de la confection qui maintiennent leurs travailleurs sous contrats à durée déterminée d’une moyenne de trois mois (parfois de 15 jours), ce qui limite dans la pratique les droits de syndicalisation, de négociation collective et de grève compte tenu de la crainte des travailleurs de ne pas voir leur contrat renouvelé. Certains travailleurs comptent 25 années dans la même entreprise avec ces contrats. Selon l’organisation plaignante, ce régime contractuel anachronique permet des salaires, des horaires et des conditions de sécurité et de santé très médiocres.
- 840. La CGTP se réfère à plusieurs exemples de licenciements sans préavis de dirigeants et de membres des syndicats ayant des contrats de travail de courte durée depuis 15 ans, le régime légal des travailleurs de ce type d’entreprise étant utilisé pour les maintenir indéfiniment en position de travailleurs temporaires.
- 841. L’organisation plaignante déclare que, le 30 novembre 2007, l’entreprise ICADIE annonça sans préavis qu’elle n’allait pas renouveler les contrats d’environ 1 200 travailleurs. Les dirigeants syndicaux dont les contrats expiraient à cette date se virent proposer de signer un contrat de deux semaines sous le prétexte que l’entreprise n’avait pas reçu suffisamment de commandes, bien que cela ne se vérifia jamais ni ne fit l’objet d’une discussion avec le syndicat. Les dirigeants syndicaux commencèrent par refuser de signer, préférant faire pression en faveur de contrats plus stables.
- 842. Au total, plus de 1 200 travailleurs furent licenciés ce jour-là, y compris quelque 500 adhérents au syndicat et sept de ses dirigeants. Des contrats de travail de deux semaines furent proposés à ceux qui restaient employés dans la société. L’un des principaux clients internationaux de l’entreprise intervint pour attirer l’attention de celle-ci sur le fait que le respect de la liberté syndicale est une obligation contractuelle. La direction reconnut la nécessité d’offrir une protection particulière à certains groupes de travailleurs, notamment aux femmes enceintes et aux dirigeants syndicaux, et elle proposa de leur redonner un emploi, mais avec des contrats de deux semaines. Cette fois, les dirigeants syndicaux acceptèrent mais, en dépit de plusieurs réunions et discussions qui eurent lieu au cours des semaines suivantes, la société ne respecta jamais son offre de renouveler les contrats de travail des dirigeants, prétextant qu’il n’y avait pas de postes vacants.
- 843. Finalement, le 24 janvier 2008, la société et le syndicat signèrent au ministère du Travail une lettre selon laquelle les travailleurs dont les contrats n’avaient pas été renouvelés, y compris les sept dirigeants syndicaux, auraient la priorité de l’emploi lorsque des postes viendraient à être vacants.
- 844. Pourtant, le 30 janvier 2008, le syndicat reçut une lettre de la société indiquant que les dirigeants syndicaux avaient choisi de ne pas renouveler leur contrat et que, de ce fait, ils ne faisaient plus partie du comité exécutif du syndicat et n’étaient plus en position de parvenir à un quelconque accord avec la société. Le syndicat écrivit à l’entreprise pour lui faire part de sa surprise devant la teneur de cette lettre notariée dont l’intention, semblait-il, était d’invalider un accord signé le 24 janvier 2008. Si tel était le cas, il s’agissait manifestement d’un acte de très mauvaise foi.
- 845. Il convient de signaler que, peu de temps avant le 24 janvier 2008, un rapport de l’inspection du travail indiquait qu’ICADIE ne figurait pas dans le Registre national des sociétés exportatrices non traditionnelles et que, par conséquent, elle n’était pas autorisée à faire usage des contrats temporaires et qu’elle devait informer sa main-d’œuvre qu’elle était employée sous contrat de travail permanent à compter de sa date d’entrée dans l’entreprise. Le rapport relevait également des infractions dans le versement d’allocations familiales, le dédommagement du temps de service et l’allocation familiale. En constatant ces infractions, les inspecteurs frappèrent la société d’une amende et, après inspection, la mirent en demeure de respecter la législation, mais l’entreprise n’obtempéra pas.
- 846. Quant aux entreprises textiles du groupe Topy Top S.A., la CGTP signale que, en juin 2007, la Fédération internationale des travailleurs du textile, de l’habillement et du cuir (FITTHC) a facilité un accord destiné à mettre fin à un conflit important dans l’usine. L’accord prévoyait la réintégration de 93 travailleurs dont les contrats de travail avaient été résiliés par l’entreprise du fait de leur participation à des activités syndicales, ainsi que l’introduction de systèmes de gestion des relations professionnelles pour accompagner la reconnaissance du syndicat. Par la suite, la situation s’est détériorée:
- – Chez Topy Top S.A., la direction envoya le 11 janvier 2007 une lettre au syndicat dans laquelle elle indiquait que l’un de ses principaux clients avait considérablement réduit ses commandes au cours des derniers mois et que l’entreprise allait devoir opérer un «redimensionnement», ce qui aurait pour résultat que de nombreux contrats ne seraient pas renouvelés à partir du 31 janvier 2007. Le syndicat tenta de demander une réunion avec l’entreprise, conformément à l’accord signé en juin 2007 avec la FITTHC, qui prévoit des mécanismes pour la communication, le dialogue et des négociations régulières. Mais la direction refusa de se réunir avec le syndicat, déclarant que la décision de réduire la main-d’œuvre avait déjà été adoptée. Cette attitude va à l’encontre des bonnes relations professionnelles, qui exigeraient que toute restructuration fasse l’objet d’une négociation avec le syndicat avant l’adoption d’une décision définitive. Peu de temps avant le dépôt de la plainte auprès du Comité de la liberté syndicale, 70 travailleurs ont été licenciés de manière sélective de Topy Top S.A.: la plupart d’entre eux sont membres du syndicat.
- – Chez Star Print S.A., 55 travailleurs ont été licenciés depuis la constitution du syndicat en janvier 2008. Tous sont membres du syndicat. L’entreprise a argué que les travailleurs ont été licenciés par suite de sa «réduction de la main-d’œuvre». Mais seuls des membres du syndicat ont été licenciés et bon nombre d’entre eux ont été depuis remplacés par de nouveaux travailleurs.
- – Dans l’entreprise Sur Color Star S.A., le syndicat récemment constitué a obtenu la reconnaissance juridique en décembre 2007. Pourtant, 20 de ses dirigeants et adhérents ont été licenciés depuis cette date. De nombreux rapports ont fait état de pratiques abusives et arbitraires dans les conditions de travail (salaire, sécurité, etc.).
- 847. En conclusion, la CGTP demande la modification ou la suppression de l’article 32 du décret-loi no 22342.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 848. Dans ses communications en date du 12 février et du 25 mai 2010, le gouvernement déclare que, eu égard à plusieurs plaintes sur des pratiques antisyndicales et contre la négociation collective, plusieurs ordres d’inspection ont été délivrés pour procéder à des inspections dans les entreprises Topy Top S.A., Star Print S.A. et Sur Color Star S.A., lesquelles, après que des infractions très graves aux droits syndicaux et aux droits du travail aient été constatées, se sont vu infliger des amendes pour infraction à la législation syndicale et au droit du travail. De même, le gouvernement donne des informations détaillées sur les différentes inspections réalisées et sur les amendes infligées pour infraction à la législation syndicale et au droit du travail.
- 849. Concernant l’entreprise Topy Top S.A., elle s’est vu infliger en 2007 une amende de 103 500 nouveaux soles pour pratiques antisyndicales et, en 2008, une amende de 2 835 nouveaux soles pour inexécution de la remise de copies du contrat de travail dans le délai prescrit par la loi et une amende de 1 435 nouveaux soles pour non-respect des formalités requises dans les contrats d’exportation non traditionnelle.
- 850. L’entreprise Star Print S.A. s’est quant à elle vu infliger en 2008 une amende de 51 030 nouveaux soles pour inexécution de la remise des bulletins de paie, dispositions relatives aux contrats à durée déterminée et actes contre la liberté syndicale et, en 2009 (au titre d’une mesure d’inspection 1971-2008), une amende de 17 010 nouveaux soles pour inexécution du paiement et de la remise de feuilles de liquidation de l’intéressement aux bénéfices.
- 851. L’entreprise Sur Color Star S.A. s’est vu infliger en 2008 une amende de 685 300 nouveaux soles pour non-respect des dispositions relatives aux contrats à durée déterminée au titre du régime de la loi de promotion des exportations non traditionnelles et pour actes contre la liberté syndicale et infraction au travail d’inspection. Un procès-verbal a été dressé pour actes antisyndicaux et infraction au travail d’inspection mais, par la suite, ce procès-verbal a été déclaré nul et la proposition d’amende a été déclarée dénuée d’effet. De même, en 2008, l’entreprise s’est vu infliger une amende de 17 010 nouveaux soles pour atteinte à la liberté syndicale, actes d’hostilité, non-remise de matériels de protection personnelle et infraction au travail d’inspection.
- 852. L’entreprise Industria de Confecciones Artes Diseños y Estampados ICADIE/Diseño y Color s’est vu infliger en 2008 une amende de 66 745 nouveaux soles pour inexécution du dépôt et de la remise des feuilles de liquidation du temps de service, paiement de l’allocation familiale, gratifications et infraction au travail d’inspection (pour n’avoir pas rempli les conditions de conformité requises des contrats d’exportation non traditionnelle).
- 853. Le gouvernement ajoute que la Direction nationale des relations professionnelles, du travail et de la promotion de l’emploi a convoqué, au cours des années 2008 et 2009, diverses réunions extraprocédurales en relation avec la plainte déposée auprès du Comité de la liberté syndicale mais que, parfois, étant donné que les parties convoquées ne sont pas venues aux réunions et que, d’autres fois, seule une des parties était présente, malgré des délibérations approfondies, il s’est avéré impossible de parvenir à un accord ou de trouver une solution au problème.
- 854. Le gouvernement signale qu’il a demandé au coordinateur de la Cour supérieure de justice de Lima auprès du ministère du Travail et de la Promotion de l’emploi, en charge des questions relatives à l’application judiciaire des conventions de l’Organisation internationale du Travail et des sujets portant sur le droit à la liberté syndicale, des informations sur les procédures judiciaires de recours en nullité des licenciements se rapportant aux entreprises en question.
- 855. D’autre part, le gouvernement signale que la position de l’entreprise Topy Top S.A. sur la plainte est la suivante. L’entreprise déclare que la plainte préparée par la centrale syndicale correspond au mois d’octobre 2008, avant la crise financière mondiale de la fin de cette année qui, après avoir affecté le commerce international entre pays développés et pays en développement, a ensuite affecté tout au long de l’année 2009 la conjoncture de l’emploi de la région, cette dernière enregistrant une chute des exportations du secteur de près de 30 pour cent sur la période 2008-09. Selon lui, en ce sens, ce que la centrale syndicale appelle des «licenciements massifs» de travailleurs ne serait rien de plus que le non-renouvellement des contrats de travail passés sous couvert du régime du travail spécial des exportations non traditionnelles réglementé par le décret-loi no 22342 du 21 novembre 1978. Il précise que ladite norme n’aurait pas institué un régime de travail assorti de dispositions contractuelles perverses, comme l’affirme de manière tendancieuse la centrale syndicale, mais qu’il s’agirait bien plutôt d’une norme légale faisant partie du projet social de concession et de promotion de droits relatifs au travail qui ont été promulgués à cette époque et sont toujours en vigueur à ce jour. L’entité précitée mentionne également entre autres que, dans le cas de l’entreprise Topy Top S.A., l’affiliation syndicale était connue avant l’expiration du contrat de travail; ces contrats n’ont pu être renouvelés du fait de la situation conjoncturelle et économique de l’époque.
- 856. En ce qui concerne l’entreprise Star Print S.A., le licenciement des travailleurs sous contrat a été provoqué, selon le patronat, par les circonstances conjoncturelles et économiques du moment. Le licenciement a pris effet alors que l’employeur n’avait pas pris connaissance de la formation d’une organisation syndicale. Des décisions administratives délivrées à cette date confirment la position de l’employeur.
- 857. Concernant le cas de l’entreprise Sur Color Star S.A., le patronat précise que la décision de l’employeur de licencier également le personnel sous contrats à durée déterminée a été causée par les mêmes circonstances conjoncturelles et économiques, qui ont incité l’employeur à faire usage de la faculté légale convenue dans le contrat de travail de résilier la relation de travail avant l’expiration de la période d’essai de trois mois, décision qui fut appliquée tant au personnel syndiqué que non syndiqué, comme cela devrait apparaître dans les registres professionnels du ministère du Travail. En outre, le personnel de ladite entreprise perçoit des avantages économiques différents et supérieurs à ceux d’autres entreprises du secteur.
- 858. Selon le patronat, de la date des faits ayant motivé la plainte à ce jour, chacune des entreprises continue de maintenir des relations avec les organisations syndicales. Par exemple, le Syndicat des ouvriers Topy Top compte aujourd’hui 260 travailleurs affiliés. Concernant la conjoncture de l’année 2008 mentionnée dans la plainte, un nombre significatif d’ex-travailleurs ont perçu le solde de leurs avantages sociaux, et les cas éventuellement restants auraient fait l’objet d’une procédure judiciaire par décision des ex-travailleurs. Les employeurs se sont présentés à ces procédures, conformément aux règles garantissant une procédure régulière devant les autorités compétentes, dont les décisions n’auraient pas encore acquis l’autorité de la chose jugée.
- 859. Selon le patronat, les politiques du travail de l’entreprise Topy Top S.A. et des entreprises liées ont été reconnues par des institutions représentatives qui veillent à la mise en œuvre de bonnes pratiques professionnelles; le groupe d’entreprises a obtenu sa qualification à titre de membre de l’Association des bons employeurs (ABE), avec la participation de la Chambre de commerce péruvienne américaine (AMCHAM). Elles sont par ailleurs soumises en permanence à des audits des bureaux de conformité sociale de leurs principaux clients tels que: The GAP Inc., ABERC ROMBIE & 6FITH, INDITEX S.A., LIFE IS GOOD, entre autres. Le patronat joint en annexe un graphique faisant apparaître le début de la récession en 2008, la chute des exportations en 2009 et les projections pour les années 2010 et 2011, selon lesquelles on devrait atteindre au début de l’année 2011 les niveaux d’exportation enregistrés en 2007.
- 860. Le gouvernement fait savoir que la Cour suprême a indiqué les critères à observer dans le cas de contrats de travail soumis au régime d’exportation de produits non traditionnels, en précisant que lesdits contrats, réglementés par le décret-loi no 22342, ne changent pas de nature s’ils se prolongent au-delà de dix ans. La question avait été posée par des employés qui travaillaient depuis plus de dix ans dans une entreprise textile avec des contrats à durée déterminée soumis au régime d’exportation de produits non traditionnels et dont les contrats n’avaient pas été renouvelés (ils signalaient que, du fait du délai écoulé, leurs contrats avaient changé de nature pour devenir des contrats à durée indéterminée et que, de ce fait, ils exigeaient le paiement de l’indemnisation pour licenciement abusif ou arbitraire). Dans ce contexte, la Cour suprême précisa que le décret-loi no 22342 ne limite pas les contrats de travail soumis au régime d’exportation de produits non traditionnels à une durée maximale donnée et que, dès lors, le fait d’y mettre fin après plus de dix ans n’implique pas un acte de licenciement arbitraire. Elle signalait en outre que, pour l’analyse de ces cas, il faudrait examiner les circonstances suivantes pour pouvoir déterminer la validité ou non des dispositions contractuelles: 1) le nombre de travailleurs de l’entreprise embauchés sous contrat au titre de l’article 32 du décret-loi no 22342; 2) le volume et le pourcentage de sa production destinés à l’exportation et au marché intérieur; 3) le nombre de travailleurs de l’entreprise assignée soumis au régime professionnel commun à l’activité du secteur privé; et 4) les variations dans les dispositions d’embauche des travailleurs de l’entreprise soumis au régime du décret-loi no 22342.
- 861. Le gouvernement déclare également que le Secteur du travail, par la Direction nationale de l’inspection du travail, a formulé, devant la problématique soulevée par le mauvais usage des contrats d’embauche par les entreprises du secteur textile, la ligne directrice no 002-2008-MTPE/2/11.4 du 4 février 2008, sur «Les opérations de l’inspection du travail à déployer dans les entreprises du secteur textile». Ces modalités cherchaient à établir un degré de mise en œuvre d’obligations en matière de normes sociales du travail et de sécurité et de santé au travail dans les entreprises du secteur textile. Cette ligne directrice déterminait les critères à respecter pour la validation des contrats d’exportation non traditionnelle, à savoir: la conformité avec les dispositions de l’article 32 du décret-loi no 22342, «loi de promotion des exportations non traditionnelles» et de son règlement adopté par décret suprême no 001-79-ICTI-CO-CE, dans le sens que les contrats de travail comprennent le travail à effectuer et le contrat d’exportation à l’origine de l’embauche, l’ordre d’achat ou le document l’ayant provoqué, de même que son acte d’inscription au Registre national des entreprises industrielles d’exportations non traditionnelles.
- 862. A titre d’autre initiative pour réglementer les contrats d’exportation non traditionnelle, le ministère du Travail a présenté à la session ordinaire no 87 de l’assemblée plénière du Conseil national du travail et de la promotion de l’emploi, mis en place le 29 mai 2008, l’«avant-projet de loi établissant le régime d’embauche temporaire pour la promotion des exportations non traditionnelles», qui aurait pour objet de modifier le régime contractuel applicable aux activités d’exportation non traditionnelle. L’analyse, le débat et la révision dudit avant-projet furent confiés à la Commission technique du travail (CTT). Les différentes sessions destinées à débattre du sujet se déroulèrent au sein de ladite commission, sans qu’un accord ne puisse être obtenu entre les parties. En effet, les travailleurs s’exprimèrent uniquement en faveur de la dérogation au régime professionnel du décret-loi no 22342 (loi de promotion des exportations non traditionnelles), tandis que le patronat soutint au contraire que ladite dérogation attenterait au cadre actuel de promotion des exportations et serait préjudiciable aux investissements nationaux et étrangers. L’organisation patronale avertit qu’il n’était pas possible d’éliminer dans les lois et règlements actuels un système d’embauche temporaire qui aurait généré, selon lui, du travail décent et qu’on ne saurait dédaigner en l’espèce un cadre promotionnel des exportations qui avait eu et continuerait d’avoir un effet positif sur la croissance de l’économie du pays. Il soutint également qu’il ne serait pas viable d’exiger de ce secteur la stabilité de l’emploi pour la promotion d’exportations non traditionnelles compte tenu de la volatilité actuelle du marché qui a une incidence négative sur le maintien et la continuité des entreprises exportatrices. Pour finir, le secteur des employeurs soutint que la seule différence entre ce système d’embauche et le régime général réside dans son «caractère temporaire» car, pour ce qui est de l’usage et de la jouissance de tous les droits individuels, il s’assimile au régime prévu par la législation de portée générale.
- 863. Deux projets de loi relatifs à la problématique du présent cas ont été débattus au Congrès de la République. Par l’intercession de ces deux projets, les membres du Congrès de la République, M. Freddy Serna du groupe parlementaire «Union pour le Pérou» et M. Víctor Mayorga Miranda du groupe parlementaire du Parti nationaliste, respectivement, se prononcèrent en faveur de la dérogation au décret-loi no 22342, «loi de promotion des exportations non traditionnelles».
- 864. Dans la Commission du travail de la législature correspondant à la période 2007-08, les deux projets reçurent un avis favorable pour l’établissement de la dérogation aux articles 32, 33 et 34 (chapitre IX du régime professionnel) du décret-loi no 22342, de même que pour la disposition dérogatoire à l’article 80 du décret législatif no 728, adopté par décret suprême no 003-98-TR, qui établit que toute entreprise relevant du régime d’exportation non traditionnelle pourrait embaucher son personnel sous le régime en question. Toutefois, la Commission du commerce extérieur et du tourisme a émis un avis négatif le 14 octobre 2008, signalant qu’il n’est pas opportun de déroger aux articles contestés du décret-loi no 22342 (loi de promotion des exportations non traditionnelles), dans la mesure où il ne s’agit pas d’un problème relatif à la norme elle-même mais de l’application imparfaite de celle-ci; dès lors, il serait recommandable d’évaluer les mécanismes permettant de perfectionner son application. De même, on a signalé qu’il convient de ne pas oublier l’importance qu’a eue cette modalité des contrats à durée déterminée dans la croissance des exportations, le développement des activités productives et, partant, dans la promotion de l’emploi. En conclusion, les composantes du Congrès de la République n’ont pas encore trouvé un accord sur l’opportunité de prendre une initiative en faveur de la dérogation et/ou modification de la loi de promotion des exportations non traditionnelles, cette question restant actuellement pendante.
- 865. Le gouvernement expose ensuite sa position. Le régime d’exportation non traditionnelle est en vigueur depuis 1978, dans le cadre du décret-loi no 22342, loi de promotion des exportations non traditionnelles, entré en vigueur le 23 novembre 1978. Il s’agit d’un dispositif créé dans le but de favoriser l’investissement et la croissance économique (en réduisant le risque patronal) d’un secteur d’entreprise qui, à la fin des années soixante-dix, connaissait une orientation exportatrice naissante, un accès limité aux marchés des pays développés et une demande extérieure faible et instable.
- 866. Lesdites caractéristiques ont passablement évolué puisque, à l’heure actuelle, la demande de produits du textile, de l’agriculture et de la pêche s’est considérablement accrue au niveau mondial (les exportations desdits produits ont augmenté chaque année de 12 à 16 pour cent entre 1998 et 2007), les marchés de destination se développant parallèlement. Il en résulte que lesdits secteurs concentrent plus de 50 pour cent des exportations non traditionnelles, d’autant que ce processus a été considérablement facilité par l’application du régime d’exception du paiement de droits de douane octroyé unilatéralement par les Etats-Unis d’Amérique aux pays andins, qui a encore été élargi ou amélioré à l’occasion de la souscription de «Travail de libre-échange» avec lesdits pays.
- 867. Près de 30 ans après l’entrée en vigueur du décret-loi no 22342, la politique d’incitation à l’emploi temporaire est devenue permanente mais sans donner lieu à un suivi ou à un contrôle des effets sur le marché du travail de la règle ainsi mise en question par l’organisation plaignante. Il n’a donc pas été possible d’introduire jusqu’ici des changements dans la réglementation susmentionnée dans le but de corriger d’une quelconque manière les effets contre-productifs indiqués par les plaignants.
- 868. De l’avis du gouvernement, les besoins temporaires actuels des entreprises textiles exportatrices, indépendamment du régime des contrats d’embauche temporaires du décret-loi no 22342, pourraient être satisfaits par des contrats assortis de certaines modalités, à l’instar du contrat pour nécessités du marché déjà existant, dont la modalité de contrat à durée déterminée permet d’atténuer le risque d’éventuelles fluctuations imprévues de la demande du marché. A cet égard, il convient de préciser que le ministère du Travail a pris position sur cette question par le rapport no 111-2008-MTPE/5 du 13 octobre 2008, remis par le bureau du conseiller technique de la haute direction, position qui a ensuite été ratifiée par le bureau du conseiller juridique dans le rapport no 232-2009-MTPE/9.110 du 21 avril 2009, qui a précisé les points suivants:
- – L’incitation à l’emploi temporaire qui, par nature, introduit une exception au principe de causalité en vigueur (lequel signale que les besoins permanents des entreprises doivent être couverts par des contrats à durée indéterminée, tandis que leurs besoins temporaires doivent être couverts par des contrats à durée déterminée) qui doit être justifiée par la satisfaction d’intérêts de hiérarchie égale ou supérieure à ceux qui se trouvent affectés par sa mise en œuvre sur le marché du travail sans causer un préjudice grave ou supérieur aux avantages qui peuvent en découler. En ce sens, au vu des données statistiques détaillées figurant dans le rapport no 111-2008-MTPE/5, il est apparu que l’embauche temporaire aurait à la fois été utilisée à maintes reprises comme un élément dissuasif contre l’affiliation syndicale des travailleurs et aurait entraîné des effets préjudiciables tels que le bas niveau de la rémunération moyenne mensuelle du secteur du textile et de la confection, et ce même lorsque les exportations de ce secteur ont quintuplé au cours des 14 dernières années; en effet, l’augmentation du taux de rotation du personnel a abouti à une durée moyenne inférieure de l’emploi et à un niveau de faible qualification.
- – Par suite de l’usage excessif des contrats temporaires, des effets négatifs se produisent au niveau de la protection sociale des travailleurs (étant donné que, du fait de la courte durée des emplois, les cotisations aux caisses de retraite et de santé ne peuvent se faire avec la continuité souhaitée, ce qui porte préjudice à la qualité de vie future de ces travailleurs). Dès lors, au fil des ans, ladite politique de promotion se serait dénaturée puisque, depuis près de 30 ans qu’il est en vigueur, le décret-loi no 22342 n’a réalisé aucune étude appropriée des effets négatifs de la règle sur le marché du travail. Selon le gouvernement, une telle étude est absolument nécessaire car elle lui permettrait de promouvoir ou de proposer des changements à même de rétablir les équilibres requis pour compenser les effets nocifs sur l’exercice des droits du travail produits par le traitement différencié, dont les travailleurs du secteur textile exportateur pourraient actuellement souffrir.
- – Pour finir, les besoins temporaires des entreprises textiles exportatrices pourraient être satisfaits par les contrats temporaires régis par le régime professionnel commun de l’activité privée, à l’instar du contrat pour les nécessités du marché.
- 869. Il faut ajouter que la politique de promotion des exportations traditionnelles doit servir à favoriser l’investissement dans les équipements, les innovations, la technologie, le capital humain et l’amélioration de l’organisation du travail, de manière à obtenir une plus grande création de valeur ajoutée et une hausse soutenue de la productivité susceptibles de contribuer à la croissance économique à long terme. C’est dans cette perspective que l’on doit encourager une plus grande compétitivité et non par de simples réductions des coûts de la main-d’œuvre, qui ne font qu’accroître les inégalités existantes en termes de répartition des richesses du pays. Le gouvernement indique vouloir formuler les recommandations et mesures pour la bonne application du régime contractuel exceptionnel mentionné, le cas échéant.
- 870. Concernant les allégations relatives à des actes antisyndicaux, des licenciements massifs de dirigeants syndicaux et d’autres pratiques en 2008, le gouvernement confirme qu’il a actuellement en cours plusieurs procédures devant sanctionner les entreprises Topy Top S.A., Star Print S.A., Sur Color Star S.A. et ICADIE/Diseño y Color, après avoir entrepris diverses démarches extraprocédurales n’ayant abouti à aucune solution ni accords concrets. Concernant la conjoncture de l’année 2008 mentionnée dans la plainte, un nombre significatif d’ex-travailleurs ont perçu le solde de leurs avantages sociaux, de nombreux cas ayant fait l’objet d’une procédure judiciaire par décision des ex-travailleurs. Les employeurs se sont présentés à ces procédures, conformément aux règles garantissant une procédure régulière devant les autorités compétentes, dont les décisions n’auraient pas encore acquis l’autorité de la chose jugée.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 871. Le comité observe que, dans la présente plainte, l’organisation plaignante conteste l’article 32 du décret-loi no 22342 applicable aux entreprises industrielles soumises au régime d’exportation non traditionnelle, qui les autorise à conclure des contrats temporaires de très courte durée qui sont renouvelés indéfiniment pendant des années et qui ont des effets préjudiciables sur l’exercice des droits syndicaux (compte tenu de la crainte des travailleurs de ne pas voir leur contrat renouvelé) et sur les conditions de travail. L’organisation plaignante cite l’exemple de quatre entreprises: dans la première, des licenciements massifs de travailleurs se sont produits en 2007, parmi lesquels se trouvaient de nombreux affiliés et quelques dirigeants syndicaux; dans la deuxième entreprise, 93 travailleurs ont été licenciés en 2007 pour avoir participé à des activités syndicales – la plupart étant affiliés au syndicat – et 70 travailleurs ont été licenciés sous prétexte d’un «redimensionnement»; dans la troisième entreprise, 50 travailleurs, tous affiliés au syndicat, ont été licenciés au motif d’une réduction de la main-d’œuvre (selon l’organisation plaignante, bon nombre des personnes licenciées furent ensuite remplacées par d’autres travailleurs); dans la quatrième entreprise, 20 travailleurs ont été licenciés en 2008 – il s’agissait de dirigeants syndicaux ou d’affiliés au syndicat. Le comité prend note des déclarations du patronat niant le caractère antisyndical de ces licenciements et invoquant la crise financière et ses répercussions sur les exportations, qui ont enregistré une chute de 30 pour cent; selon le patronat, il ne s’agissait pas de licenciements mais de «non-renouvellements» de contrats. De son avis, le régime spécifique de l’emploi dans les exportations non traditionnelles n’est pas pervers, contrairement à ce qu’indique la plainte, mais il s’adapte aux circonstances conjoncturelles et économiques du secteur et les non-renouvellements de contrats ont obéi à de telles circonstances; d’autre part, le patronat signale que ces non-renouvellements ont touché aussi bien des travailleurs syndiqués que non syndiqués et que, en tout état de cause, l’une des entreprises pour laquelle la plainte allègue des licenciements antisyndicaux n’avait pas eu connaissance de la formation d’une organisation syndicale.
- 872. Le comité observe que le gouvernement a fait des démarches, demeurées infructueuses, pour que les parties parviennent à un accord. Il observe également qu’il reçoit des déclarations du gouvernement et du patronat que les travailleurs licenciés ou dont les contrats n’ont pas été renouvelés dans les entreprises en question ont soit accepté la liquidation de leurs avantages sociaux prévus par la législation, soit décidé d’entamer des procédures judiciaires, dont les décisions n’ont pas encore acquis l’autorité de la chose jugée. Le comité comprend que l’organisation plaignante prétend centrer la plainte non tant sur les exemples relatifs aux entreprises en question (qui sont au stade de la procédure judiciaire ou qui ne sont plus d’actualité du fait que les travailleurs ont accepté la liquidation des prestations légales), mais sur la modification ou la dérogation à l’article 32 du décret-loi no 22342, dans la mesure où elle estime que les contrats temporaires qui se prolongent indéfiniment dans le secteur des exportations non traditionnelles ont des effets nocifs sur l’exercice des droits syndicaux.
- 873. A cet égard, le comité souhaite signaler que sa compétence se limite à vérifier que la législation et la pratique nationales respectent l’exercice des droits syndicaux consacrés dans les conventions en matière de liberté syndicale et ne comprend pas l’examen du régime de la durée des contrats de travail ou du niveau des conditions de travail. De ce fait, le comité ne peut s’occuper du problème posé par l’organisation plaignante que d’un point de vue très restreint: les conséquences que ces contrats de courte durée qui se répètent indéfiniment ont dans la pratique sur l’exercice des droits syndicaux. Le comité ne peut en ce sens manquer de faire de nouveau remarquer que, dans la pratique, comme le signale le gouvernement, les inspections du travail réalisées dans certaines des entreprises citées par l’organisation plaignante ont donné lieu à des amendes pour pratiques antisyndicales; de même, le gouvernement affirme de manière générale que, dans le secteur en question, «l’embauche temporaire aurait été utilisée à maintes reprises comme un élément dissuasif contre l’affiliation syndicale des travailleurs» et aurait «entraîné des effets négatifs au niveau de la protection sociale». Le comité observe que le problème posé dans la présente plainte est un sujet de préoccupation dans le pays puisque le gouvernement fait état de la soumission au Congrès de la République de plusieurs projets de loi tendant à modifier ou à déroger à l’article 32 du décret-loi no 22342, qui n’ont pas été couronnés de succès faute d’accord; le gouvernement fait également savoir que la Cour suprême de justice a fixé certains critères concernant cette problématique. Enfin, le comité prend note que la position du gouvernement, selon lequel: 1) il est tenu compte des besoins temporaires et fluctuants des entreprises textiles d’exportation non traditionnelle, est que lesdits besoins pourraient être satisfaits par des modalités de contrat à durée déterminée telles que le contrat pour les nécessités du marché, ce qui permettrait d’atténuer le risque de survenue de variations imprévues de la demande du marché; et 2) il espère formuler, en temps opportun, les recommandations et mesures en vue de la bonne application du régime contractuel exceptionnel mentionné.
- 874. En tenant compte de ces déclarations, le comité invite le gouvernement à examiner avec les organisations de travailleurs et d’employeurs les plus représentatives le moyen de garantir que le recours systématique aux contrats temporaires de courte durée dans le secteur des exportations non traditionnelles ne fasse pas obstacle, dans la pratique, à l’exercice des droits syndicaux. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé à cet égard.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 875. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil d’administration à approuver la recommandation suivante:
- Le comité invite le gouvernement à examiner avec les organisations de travailleurs ou d’employeurs les plus représentatives le moyen de garantir que le recours systématique aux contrats temporaires de courte durée dans le secteur des exportations non traditionnelles ne fasse pas obstacle, dans la pratique, à l’exercice des droits syndicaux. Le comité demande au gouvernement de le tenir informé à cet égard.