Allégations: L’organisation plaignante dénonce son exclusion de la négociation
d’une convention collective avec l’entreprise La Poste. Par ailleurs, elle allègue des actes
de discrimination et d’intimidation à l’encontre de son président et de ses
membres
- 936. Le Syndicat autonome des postiers (SAP) a présenté sa plainte dans
des communications en date du 11 octobre 2014, des 18 février et 30 mars 2015 et du
2 février 2016.
- 937. Le gouvernement a présenté ses observations dans des communications
en date des 9 mars et 30 novembre 2015, et du 6 mai 2016.
- 938. La Suisse a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (no 151) sur les
relations de travail dans la fonction publique, 1978, et la convention (no 154) sur la
négociation collective, 1981.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 939. Dans une communication en date du 14 octobre 2015, le Syndicat
autonome des postiers (SAP) indique être un syndicat constitué en 2005 au sein de La
Poste Suisse SA. Pour parvenir à son objectif d’améliorer les conditions
professionnelles de ses membres, il s’est doté, selon ses statuts, du pouvoir de
négocier et de conclure des conventions collectives de travail. Le SAP indique cependant
que, depuis sa création, il revendique auprès de La Poste Suisse SA le droit de
participer aux négociations en vue de la conclusion de la Convention collective de
travail (CCT) de l’entreprise ou d’engager des négociations en vue de conclure une
convention pour ses membres. Selon le SAP, ce droit de négociation collective lui est
dénié par l’entreprise sur la base de critères de représentativité que cette dernière
refuse de préciser malgré des demandes répétées du syndicat entre 2005 et 2010. Suite à
une plainte déposée auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF), l’entreprise a
accepté de reconnaître le SAP comme syndicat représentant ses collaborateurs en novembre
2010 et de lui octroyer progressivement certaines facilités, mais tout en continuant de
refuser de négocier collectivement avec lui.
- 940. Suite au changement de statut de la poste qui est devenue une
société anonyme en 2012, et de son personnel désormais régi par le Code des obligations,
le SAP a renouvelé sa demande de participer aux négociations de la future CCT en
préparation. Devant le nouveau refus de l’entreprise, notamment via une communication du
3 avril 2012 dans laquelle l’entreprise indique que le nombre d’adhérents du SAP
(500 membres) est loin de suffire pour lui permettre d’être considéré comme
représentatif, le syndicat a saisi la Commission fédérale de La Poste (Post-Com) qui l’a
débouté. Par la suite, le SAP a saisi le Tribunal administratif fédéral qui, dans un
arrêt du 13 décembre 2013, a conclu que la Post Com n’avait pas la compétence de
contraindre La Poste Suisse SA à accepter ou refuser le SAP comme partenaire social et a
donc annulé la décision de Post-Com. Le 23 décembre 2013, suite à l’échec de son recours
devant la dernière instance administrative suisse, le SAP a demandé l’intervention de
l’Office fédéral de conciliation. La séance de conciliation a eu lieu neuf mois plus
tard, à savoir le 8 septembre 2014. Le SAP dénonce le fait que, lors de la séance, les
syndicats concurrents du SAP au sein de l’entreprise (les syndicats Syndicom et
Transfair) étaient présents et parties à la procédure et ont contribué, par leur
opposition à l’égard du SAP, à l’échec de la conciliation. Le SAP s’étonne du fait que
le système de règlements des conflits collectifs mis en place permet aux syndicats
concurrents de faire objection à sa reconnaissance par l’employeur. Par ailleurs, le SAP
conteste le nombre d’adhérents avancé par les syndicats Syndicom et Transfair,
respectivement 15 000 et 6 000 membres, et demande l’établissement d’un constat notarial
pour attester du nombre exact de salariés adhérents.
- 941. Le SAP dénonce le fait que l’entreprise a continué de refuser de
spécifier les critères de représentativité qu’elle appliquait en expliquant au surplus
qu’indépendamment du nombre de ses adhérents, elle ne souhaitait pas admettre le SAP
comme partenaire social et qu’elle ne le ferait que sous la contrainte d’une décision
judiciaire. Une telle déclaration illustre le climat de défiance dans lequel doit
évoluer le SAP dont les représentants sont diabolisés aux yeux du personnel par la
direction de l’entreprise. A l’appui de ses allégations, le SAP fournit copie d’échanges
internes entre 2005 et 2009 dans lesquels il est précisé au personnel de direction que
le SAP n’est pas un partenaire officiel de l’entreprise. En outre, le SAP dénonce les
mesures d’intimidation et de rétorsion subies par son président, M. Olivier Cottagnoud,
et son vice-président, M. Lionel Laurent, pour avoir simplement rempli leurs mandats
syndicaux, notamment des mesures disciplinaires.
- 942. Le SAP considère que les autorités suisses, par le biais de la
commission fédérale de La Poste et du Tribunal administratif fédéral, lui ont dénié le
droit d’accéder aux négociations de conventions collectives alors que les critères de
représentativité ne sont pas connus ni définis. L’entreprise concernée a même refusé de
spécifier les critères qu’elle appliquait pour dénier ce droit au SAP devant la
Commission fédérale de conciliation. Ainsi le SAP se voit opposé le fait qu’il n’est pas
représentatif sans en connaître les critères. De plus, le SAP dénonce une absence
manifeste de bonne foi de la part de l’entreprise dans la mesure où celle-ci a tardé à
engager des discussions avec le syndicat et refuse de reconnaître au SAP le droit de
négocier collectivement depuis 2005 sans pour autant indiquer les critères de
représentativité appliqués pour ce déni. Pour le SAP, la bonne foi est pourtant un
élément essentiel pour la paix sociale.
- 943. Par ailleurs, le SAP observe que les autorités se réfèrent à la
jurisprudence du Tribunal fédéral sur la question, or celle-ci n’a pas établi de
critères clairs, notamment de critère quantitatif minimal fixe. Le SAP rappelle les
principes des organes de contrôle de l’OIT selon lesquels la représentativité doit se
fonder sur des critères objectifs et préalablement définis. Cette situation où le
gouvernement n’a pas mis en place un système où les critères de représentativité sont
définis à l’avance d’une manière transparente contrevient donc aux engagements de ce
dernier compte tenu de la ratification par la Suisse des conventions pertinentes de
l’OIT sur la liberté syndicale et la négociation collective, mais aussi des principes
rappelés par les organes de contrôle, en particulier le Comité de la liberté syndicale
et la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations.
- 944. Le SAP demande que le gouvernement prenne toutes les dispositions
pour faire cesser les violations et intervienne auprès de La Poste Suisse SA pour
qu’elle accepte enfin de négocier la CCT en préparation ou de conclure une convention
collective avec le SAP pour ses membres. Le SAP demande en outre au gouvernement
d’intervenir pour faire cesser les mesures de discrimination et de pression à l’encontre
de ses dirigeants et représentants dans l’entreprise.
- 945. Dans sa communication en date du 30 mars 2015, le SAP dénonce le
délai prévu par le gouvernement pour répondre à la plainte, à savoir début 2016. Le SAP
rappelle que le gouvernement est informé de la situation depuis le recours devant la
Commission fédérale de conciliation en décembre 2013. Selon le SAP, il s’agit d’un délai
calculé afin de le maintenir hors de la négociation collective en cours avec
l’entreprise et ainsi de l’affaiblir par la désaffiliation d’adhérents mécontents de ne
pas voir le SAP accéder à la CCT. Le SAP indique être gravement affecté par la
désaffiliation d’adhérents.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 946. Dans une communication en date du 6 mai 2016, le gouvernement
fournit l’historique du traitement de la plainte et formule ses observations en réponse
aux allégations de l’organisation plaignante.
- 947. De manière liminaire, le gouvernement rappelle que La Poste Suisse
SA constitue l’un des plus grands employeurs de Suisse avec environ 55 000 salariés.
L’entreprise, dont le mandat stratégique est fixé par la Confédération qui est son
actionnaire majoritaire, est présente sur l’ensemble du territoire suisse. En juin 2013,
elle est devenue une société anonyme de droit public sous la raison sociale «La Poste
Suisse SA». Ses marchés clés sont exploités par les sociétés stratégiques du groupe, à
savoir Poste CH SA, PostFinance SA et CarPostal Suisse SA. Les rapports de service du
personnel de l’entreprise sont soumis au régime du droit privé du contrat de travail, à
savoir le Code des obligations depuis le 26 juin 2013. Conformément à la loi du
17 décembre 2010 sur l’organisation de La Poste (LOP; RS 783.1), les modalités et la
date du passage des rapports de travail des employés de La Poste sous le droit privé ont
fait l’objet d’une convention entre les partenaires sociaux le 25 juin 2012. Par
ailleurs, la loi du 17 décembre 2010 a également prévu l’obligation pour l’entreprise de
négocier une CCT avec les associations du personnel (syndicats de branche). Le
gouvernement rappelle enfin que l’entreprise compte 55 000 salariés et que les deux
syndicats parties à la CCT avec l’entreprise représentent près de 40 pour cent de
l’effectif (15 000 pour Syndicom et 6 000 pour Transfair).
- 948. Le gouvernement indique que le SAP faisait état de 600 membres
actifs selon un acte notarial de juillet 2014, dont des retraités et des sympathisants
qui ne travaillent pas dans l’entreprise. Selon les acteurs de la branche, le SAP
n’aurait pas réussi à se développer substantiellement depuis sa création en 2005.
- 949. S’agissant de l’historique du traitement du cas, le gouvernement
indique que, en date du 17 octobre 2014, le Bureau international du Travail (BIT) a
informé le secrétariat à l’économie (SECO) que le SAP avait présenté une plainte devant
le Comité de la liberté syndicale contre le gouvernement pour le non-respect des
principes de la liberté syndicale et de la négociation collective. La plainte porte
essentiellement sur le refus de La Poste Suisse SA (ci-après l’entreprise) d’intégrer le
SAP comme partenaire à la négociation de la nouvelle CCT suite au changement de statut
de l’établissement. Le gouvernement observe que la plainte du SAP devant le Comité de la
liberté syndicale fait suite à plusieurs procédures judiciaires intentées par le SAP
devant les tribunaux nationaux aux mêmes fins. La raison principale du refus de
l’entreprise d’intégrer le SAP comme partenaire à la négociation de la nouvelle CCT
tient à la représentativité du SAP auprès du personnel qu’elle considère insuffisante
tant sur un plan numérique (600 membres sur un total de 55 000 employés) que
géographique. Une raison subsidiairement invoquée par l’entreprise renvoie au
comportement supposément déloyal du SAP.
- 950. L’annonce du BIT a été discutée de manière informelle lors de la
séance de la Commission fédérale tripartite pour les affaires de l’OIT le 17 octobre
2014 à Genève. A cette occasion, les représentants syndicaux nationaux à la commission
(Union syndicale suisse, Unia et Travail.Suisse) ont souligné le caractère non
représentatif du SAP dans le cadre de la négociation collective au sein de l’entreprise.
Dans le cadre des procédures en vigueur en ce qui concerne la présentation de plaintes
devant le Comité de la liberté syndicale, le Directeur général du BIT a la possibilité
de confier à un représentant de l’Organisation le mandat d’établir des contacts
préliminaires avec la partie plaignante et les autorités compétentes du pays concerné
afin de recueillir des informations complètes concernant les questions soulevées dans la
plainte, d’établir les faits et de rechercher sur place des possibilités de solution
(paragraphe 67 des procédures spéciales en vigueur pour l’examen des plaintes en
violation de la liberté syndicale). C’est dans ce sens que le SECO a sollicité du BIT
une mission de contacts préliminaires à des fins de récolte d’informations auprès des
parties, y compris les partenaires sociaux, dans le but de trouver si possible un
arrangement à l’amiable. Le Comité de la liberté syndicale ayant accédé à la requête,
une mission du Bureau a été entreprise les 11 et 12 décembre 2014 à Lausanne, Vétroz et
Berne. La mission a rencontré des représentants du SECO, de l’Office fédéral de la
justice et des différents partenaires sociaux impliqués (SAP, La Poste, Syndicom, Union
syndicale suisse, Unia, Travail.Suisse, Transfair, Union patronale suisse).
- 951. Dans son rapport, la mission a observé que la pratique de la
négociation collective en Suisse se fait sans critère quantitatif préétabli en ce qui
concerne la représentativité syndicale. Elle a toutefois relevé que la jurisprudence,
notamment du Tribunal fédéral, a développé des critères entourant la reconnaissance d’un
syndicat comme partenaire social afin de participer à la négociation collective, de
conclure une CCT ou d’y adhérer. Ces critères portent sur des conditions de
représentativité et de loyauté du syndicat qui sont concrétisées dans chaque cas
particulier selon le pouvoir d’appréciation du tribunal. La finalité est de promouvoir
une négociation collective efficace. La mission a observé que cette approche pragmatique
est reconnue et appréciée par l’ensemble des personnes rencontrées, à l’exception du
SAP.
- 952. La mission a aussi noté que l’entreprise compte près de
55 000 salariés et que les deux syndicats engagés en vue de conclure des CCT avec la
direction représentaient alors près de 40 pour cent de l’effectif (15 000 pour Syndicom
et 6 000 pour Transfair), contre 600 membres actifs pour le SAP, soit un pour cent de
l’effectif. La mission a noté que la principale revendication du SAP était de pouvoir
participer immédiatement à la négociation de la CCT avec la direction. Dans ses
conclusions, la mission a constaté qu’il existait un réel désaccord sur la question de
la représentation du SAP dans la négociation de la CCT de La Poste qui, compte tenu de
la pratique en vigueur en Suisse, pourrait être réglé par les juridictions appropriées.
En conséquence, cette question n’ayant pas fait l’objet d’un règlement amiable, le
Bureau a porté le cas devant le Comité de la liberté syndicale. En mars 2015, le Bureau
a ainsi informé le SECO que la plainte du SAP avait été enregistrée.
- 953. S’agissant des différents recours intentés par le SAP, le
gouvernement rappelle que, dès le changement de statut de l’entreprise connu, le SAP a
demandé à être intégré aux négociations relatives à la conclusion d’une nouvelle CCT. La
Poste a refusé cette demande au motif que le SAP n’était pas suffisamment représentatif
(1,1 pour cent de représentativité) et manifestait un comportement déloyal
(communication en date du 3 avril 2012). Le 29 avril 2013, le SAP a saisi la Post-Com
d’une plainte, sollicitant une décision formelle quant à l’obligation de l’entreprise de
l’intégrer aux négociations collectives. Le 4 juillet 2013, la Post-Com a décidé de ne
«pas donner pour instruction à La Poste de mener des négociations avec le SAP». Le SAP a
interjeté recours contre cette décision auprès du TAF le 22 juillet 2013. Dans un arrêt
du 13 décembre 2013, le TAF a retenu que la Post-Com n’avait pas la compétence
matérielle d’enjoindre l’entreprise d’intégrer un syndicat à des négociations
collectives et que cette autorité n’aurait donc pas dû entrer en matière sur la plainte
du SAP. En conséquence, le TAF a annulé la décision du 4 juillet 2013 de la Post-Com et
a rejeté le recours du SAP pour le surplus. Par la suite, et toujours dans le but
d’obtenir son intégration comme partenaire à la négociation de la CCT de l’entreprise,
le SAP a saisi l’Office fédéral de conciliation. La procédure de conciliation a échoué
le 9 septembre 2014. Le SAP a ensuite interjeté recours contre la décision du TAF devant
le Tribunal fédéral. Ce dernier, par un arrêt du 22 mars 2015, a confirmé la décision du
TAF et débouté la demande du SAP. Le 26 juin 2015, le SAP a saisi le Tribunal civil de
Bern-Mitteland pour atteinte à sa personnalité juridique. L’audience de conciliation,
qui a eu lieu en octobre 2015, n’a pas abouti. Le SAP a par la suite renoncé à ouvrir
une action dans le délai légal prévu à cet effet.
- 954. Le gouvernement précise que, durant la période précitée, le dialogue
a été maintenu entre l’entreprise et le SAP. L’entreprise a en effet accordé au SAP
certaines facilités dans l’optique qu’il puisse se développer (2010: rencontres
informatives trimestrielles entre les représentants des deux parties, droit
d’utilisation des panneaux d’affichage interne, transmission au SAP des adresses des
nouveaux collaborateurs; 2013: droit de rencontrer les nouveaux apprentis).
- 955. S’agissant de la détermination de la représentativité selon le
système suisse, le gouvernement indique tout d’abord que la liberté syndicale est
consacrée à l’article 28 de la Constitution fédérale (RS 101). Cette disposition
constitutionnelle prévoit que les travailleurs, les employeurs et leurs organisations
ont le droit de se syndiquer pour la défense de leurs intérêts, de créer des
associations et d’y adhérer ou non. La jurisprudence et la doctrine distinguent la
liberté syndicale individuelle de la liberté syndicale collective. La liberté syndicale
individuelle donne au particulier le droit de contribuer à la création d’un syndicat,
d’adhérer à un syndicat existant ou de participer à son activité, ainsi que celui de ne
pas y adhérer ou d’en sortir. Quant à la liberté syndicale collective, elle garantit au
syndicat la possibilité d’exister et d’agir en tant que tel, c’est-à-dire de défendre
les intérêts de ses membres. Elle implique notamment le droit de participer à des
négociations collectives et de conclure des conventions collectives.
- 956. Le gouvernement précise qu’un syndicat est constitué sous la forme
d’une association au sens des articles 60 et suivants du Code civil suisse (CCS; RS
210). Cependant, en Suisse, il n’existe pas de procédure d’enregistrement ni de
reconnaissance des syndicats pour déterminer leur représentativité. L’appréciation de la
représentativité d’un syndicat se fait au cas par cas et selon les conditions précisées
par la jurisprudence du Tribunal fédéral. A cet égard, la jurisprudence en matière de
représentativité a été formulée et confirmée dans plusieurs arrêts du Tribunal fédéral.
Le gouvernement se réfère en particulier à l’arrêt 2C 701/2013 du Tribunal fédéral en
date du 26 juillet 2014 (Union du personnel du domaine des EPF c. Conseil des Ecoles
polytechniques fédérales; EPF). Cet arrêt portait sur la question de savoir si un
syndicat devait être reconnu comme partenaire social du domaine des Ecoles
polytechniques fédérales (EPF). Le Conseil des EPF avait fixé notamment des exigences
d’effectifs des membres du syndicat pour être représentatif et conclu que le syndicat ne
pouvait pas être reconnu comme partenaire social fiable. Dans son arrêt, le Tribunal
fédéral a appliqué le droit constitutionnel suisse. En l’espèce, le syndicat ayant
intenté le recours a eu gain de cause dans la mesure où le Tribunal fédéral a reconnu
qu’il satisfaisait à des conditions de représentativité suffisantes pour participer à la
négociation collective au sein des EPF.
- 957. Dans son arrêt, le Tribunal fédéral a rappelé un certain nombre de
principes: i) le droit d’exercer la liberté syndicale collective sous la forme d’une
participation à des négociations collectives, de la conclusion de conventions
collectives ou de l’adhésion à de telles conventions ne peut être d’emblée ouvert à tout
syndicat sans restriction. Une telle situation pourrait aboutir à une trop grande
multiplication des acteurs sociaux, ce qui serait de nature à nuire à la qualité et à
l’efficacité du dialogue social, ainsi qu’à la conclusion de conventions collectives,
alors que cet instrument est considéré, avec l’autonomie des partenaires sociaux, comme
un élément central du droit collectif du travail en Suisse. C’est pour cette raison que
seul un syndicat reconnu comme partenaire social peut se prévaloir d’un droit à entrer
dans le dialogue social en invoquant l’article 28 Cst; ii) les conditions de
reconnaissance d’un syndicat ont été développées par la jurisprudence rendue en droit
privé, selon laquelle un syndicat doit être reconnu comme partenaire social afin de
participer à des négociations collectives, de conclure une convention collective ou d’y
adhérer, même sans l’accord de l’employeur ou des autres partenaires sociaux, s’il est
suffisamment représentatif et qu’il se comporte loyalement, sous peine de violer ses
droits de la personnalité. En particulier, un syndicat minoritaire ne peut être écarté
s’il est suffisamment représentatif; iii) la doctrine a systématisé cette jurisprudence
en énonçant quatre conditions qu’un syndicat doit cumulativement remplir pour être
reconnu comme partenaire social, à savoir: 1) avoir la compétence de conclure des
conventions collectives («Tarifahigkeit»); 2) avoir la compétence à raison du lieu et de
la matière; 3) être suffisamment représentatif (condition de la représentativité); et
4) faire preuve d’un comportement loyal (condition de la loyauté); iv) sous l’angle de
la liberté syndicale, la jurisprudence du Tribunal fédéral envisage également la
représentativité et la loyauté comme des conditions qu’un syndicat doit remplir pour
être reconnu comme partenaire social; v) le fait de limiter la qualité de partenaire
social aux syndicats qui remplissent des conditions de représentativité et de loyauté ne
constitue pas une atteinte à la liberté syndicale qui emporterait l’obligation de
respecter les exigences de l’article 36 Cst (restriction des droits fondamentaux). Les
conditions de représentativité et de loyauté doivent au contraire être comprises comme
des conditions inhérentes à la notion de partenaire social, qu’un syndicat doit remplir
pour pouvoir revendiquer cette qualité; vi) les conditions de représentativité et de
loyauté sont des notions juridiquement indéterminées, qui doivent être concrétisées dans
chaque cas particulier par usage du pouvoir d’appréciation; vii) en ce qui concerne la
condition de représentativité, le pouvoir d’appréciation est correctement mis en œuvre
si des critères adéquats et raisonnables sont utilisés. Ces critères doivent être
suffisamment larges pour admettre dans le dialogue social des syndicats minoritaires, de
manière à favoriser un certain pluralisme dans l’expression des voix syndicales, sans
pour autant conduire à admettre tout syndicat minoritaire comme partenaire social, sous
peine de nuire à l’efficacité du dialogue social. Il est ainsi nécessaire que le
syndicat soit le porte-parole d’une minorité et non pas constitué de membres isolés. A
cet égard, le Tribunal fédéral n’a pas fixé de seuil quantitatif minimal applicable de
manière générale pour déterminer si un syndicat minoritaire est représentatif. Il a en
revanche retenu, dans un cas d’espèce, qu’un syndicat comprenant sept pour cent des
travailleurs de l’entreprise était suffisamment représentatif et que, si l’on voulait le
nier, ce syndicat devrait tout de même être reconnu de par son importance évidente au
plan national. D’une part, un syndicat n’a pas besoin de représenter une forte minorité
pour être représentatif et, d’autre part, un syndicat non représentatif dans
l’entreprise concernée, mais qui jouit d’une représentativité suffisante au niveau
cantonal ou fédéral doit également être reconnu comme partenaire social. La
représentativité d’un syndicat doit également être examinée compte tenu de la structure
particulière de l’entreprise ou de l’institution publique par laquelle il demande à être
reconnu comme partenaire social; viii) les critères de représentativité peuvent être
codifiés par l’employeur dans un document de portée générale; si l’employeur est une
collectivité publique ou un établissement de droit public, ils peuvent, même si cela
n’est pas indispensable, être prévus dans une base légale, formelle ou matérielle;
ix) concernant la condition de loyauté, elle implique que le syndicat concerné se
déclare prêt à respecter toutes les obligations découlant de la CCT et, de manière
générale, qu’il soit un partenaire social digne de confiance. Le syndicat doit se
montrer comme un interlocuteur fiable et de bonne foi. Tel n’est en particulier pas le
cas s’il entrave les négociations collectives de manière abusive ou s’il porte des
accusations abusives à l’encontre des autres partenaires sociaux; x) la condition de
loyauté a trait au comportement du syndicat avec les autres partenaires sociaux; en
particulier, un syndicat ne peut être qualifié de déloyal au seul motif qu’il est en
litige avec certains de ses membres ou de ses anciens membres, de tels litiges n’ayant
pas de lien avec le comportement du syndicat en tant que partenaire social; et xi) la
condition de loyauté, qui est une des modalités de la bonne foi, doit être considérée
comme présumée. En conséquence, si un syndicat demandant à être reconnu comme partenaire
social se déclare prêt à respecter les obligations découlant de la CCT ou, plus
largement, l’obligation de se comporter comme un partenaire social digne de confiance et
qu’il remplit par ailleurs les autres conditions de reconnaissance, l’employeur ne peut
alors en principe pas refuser de le reconnaître, sauf s’il apporte la preuve que la
condition de loyauté n’est pas réalisée en raison de comportements passés de nature à
faire sérieusement craindre qu’il n’agirait pas de manière loyale dans le dialogue
social.
- 958. Le gouvernement déclare que le SAP est un syndicat minoritaire de la
branche, qui représente environ un pour cent des salariés de l’entreprise, alors que les
autres syndicats (Syndicom et Transfair) représentent respectivement près de 28 pour
cent et 11 pour cent du personnel. L’entreprise ne souhaite pas intégrer le SAP aux
négociations de la CCT clairement en raison de son manque de représentativité numérique
et géographique en plus de son comportement jugé déloyal. L’entreprise a néanmoins mené
d’intenses consultations avec le SAP pour lui accorder un certain nombre de facilités
afin de permettre son développement (rencontres trimestrielles avec des représentants de
la direction, droit d’utilisation des panneaux d’affichage interne, transmission des
adresses des nouveaux collaborateurs, droit de rencontrer les nouveaux apprentis).
Enfin, le gouvernement rappelle que le SAP a disposé de toutes les garanties juridiques
et des voies judiciaires et administratives de recours pour faire valoir ses droits,
jusqu’à la juridiction suprême, à savoir le Tribunal fédéral.
- 959. Même si, en Suisse, les critères de représentativité sont fixés par
la jurisprudence du Tribunal fédéral et non pas par la loi, le gouvernement est d’avis
qu’il s’agit de critères objectifs établis pour éviter toute possibilité de partialité
et d’abus. Il n’est ni souhaitable, ni judicieux de fixer des critères de
représentativité dans la législation nationale. Le gouvernement rappelle à cet égard que
le Tribunal fédéral affirme lui-même qu’une base légale, formelle ou matérielle, peut
certes être prévue mais n’est pas indispensable, même si l’employeur est une
collectivité publique ou un établissement de droit public.
- 960. En conclusion, le gouvernement considère que la législation et la
pratique nationales en ce qui concerne la détermination des critères de représentativité
syndicale sont pleinement en adéquation avec les exigences découlant des conventions de
l’OIT portant sur le droit de négociation collective, en particulier les conventions
nos 98 et 154 ratifiées par la Suisse.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comitéRecommandation du comité
Recommandation du comité- 976. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil
d’administration à considérer que le présent cas n’appelle pas un examen plus
approfondi.