Allégations: L’organisation plaignante dénonce des restrictions à la liberté
syndicale et à la négociation collective dans le secteur de l’enseignement public dans la
province de Corrientes, d’une part, et dans la ville autonome de Buenos Aires, d’autre
part
- 121. La plainte figure dans une communication de la Confédération des
travailleurs de l’éducation de la République argentine (CTERA) datée du 30 novembre 2015
et dans une communication conjointe de la CTERA, de l’Union des travailleurs de
l’éducation (UTE) et de l’Internationale de l’Education (IE) du 27 mai 2021.
- 122. Le gouvernement de l’Argentine a fait parvenir ses observations dans
des communications datées d’octobre 2016, de septembre 2017 et des 11 et 12 septembre
2023.
- 123. L’Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale
et la protection du droit syndical, 1948, la convention (no 98) sur le droit
d’organisation et de négociation collective, 1949, la convention (no 151) sur les
relations de travail dans la fonction publique, 1978, et la convention (no 154) sur la
négociation collective, 1981.
A. Allégations de l’organisation plaignante
A. Allégations de l’organisation plaignante- 124. Dans une communication datée du 30 décembre 2015, la CTERA soutient
que la disposition no 352/13 publiée en mars 2013 par l’État de la province de
Corrientes (République d’Argentine) porte atteinte au droit à la liberté syndicale et au
droit de grève des travailleurs de l’éducation de cette province qui sont membres de la
CTERA. L’organisation plaignante affirme que, par l’intermédiaire de la disposition
susmentionnée, l’État de la province de Corrientes a informé le Syndicat unique des
travailleurs de l’éducation de Corrientes (SUTECO), syndicat de base de la CTERA dans la
province de Corrientes, que celui-ci ne pouvait pas mener d’action directe, car le
conflit était devenu sans objet à la suite de la conclusion d’une convention collective,
n’était pas légitime pour représenter les intérêts collectifs du personnel de
l’enseignement et s’exposait à des poursuites et des sanctions.
- 125. L’organisation plaignante revient ensuite sur le contexte dans
lequel la disposition a été adoptée et indique que: i) l’Association des enseignants de
la province de Corrientes (ACDP), le SUTECO et le Syndicat argentin des enseignants
privés (SADOP) ont communiqué à la Direction du travail, sous-secrétariat du travail de
la province, leur décision de faire grève pour une période de 24 heures à partir de
minuit le 25 février 2013; ii) le conflit collectif et la grève sont la conséquence de
l’intransigeance du ministère de l’Éducation de la province, qui n’a pas voulu
reconnaître la légitimité de la revendication salariale des enseignants; iii) le
22 février 2013, le SUTECO a annoncé qu’il prolongerait la grève de 24 heures, portant
ainsi sa durée à 48 heures; iv) compte tenu de cette situation, le 25 février 2013, la
Direction du travail a publié la disposition no 187/13, par laquelle elle a inscrit le
conflit collectif dans le cadre de la procédure de conciliation obligatoire,
conformément à la loi nationale no 14.786/59; v) ainsi, la Direction du travail a
également ordonné par la disposition no 187/13 que les trois syndicats concernés (ACDP,
SUTECO et SADOP) s’abstiennent de faire grève pendant la période de conciliation
obligatoire et a fixé au 28 février 2013 la date de la première audience, laquelle n’a
jamais eu lieu; vi) malgré cela, les trois syndicats ont entamé une grève le 25 février
2013; vii) sans aucun fondement juridique et au motif que les trois syndicats n’avaient
pas respecté la décision de s’abstenir de faire grève, la Direction du travail a décidé
de mettre fin à la procédure de conciliation obligatoire et a ordonné l’ouverture de la
procédure contradictoire applicable, afin de leur imposer des amendes pour «obstruction»
présumée; viii) dans ce contexte, le ministère de l’Éducation de la province de
Corrientes a convoqué les cinq syndicats d’enseignants, y compris le SUTECO, au siège du
ministère où, le 8 mars 2013, il a finalement présenté une modeste proposition
salariale, qui a été acceptée par tous les syndicats, à l’exception du SUTECO; ix) la
convention collective a été conclue hors de tout cadre légal; x) le 13 mars 2013, le
SUTECO a appelé à une nouvelle grève de 24 heures pour le 15 mars 2013; et xi) la
Direction du travail a, de manière irrégulière, intégré dans le dossier no 524 21 02
486/13 susmentionné la convention salariale conclue avec les autres syndicats et, sur la
base de cette convention, a publié la disposition no 352/13 dénoncée dans la présente
plainte, par l’intermédiaire de laquelle le SUTECO a été informé qu’il devait s’abstenir
de mener une grève, sous peine de sanction, pour «manque de légitimité» à représenter
les intérêts collectifs de la profession d’enseignant, omettant ainsi la reconnaissance
de cette légitimité tant par la Direction du travail que par l’Assemblée législative de
la province.
- 126. En outre, la CTERA se plaint de la négligence malveillante de l’État
provincial, qui n’a pas adopté de réglementation pour la loi provinciale no 6030 de 2011
relative à la convention collective des enseignants, ce qui rend cette loi inapplicable.
L’organisation plaignante fait notamment valoir que: i) cette situation est d’une
importance fondamentale pour apprécier l’effet juridique limité de la convention conclue
entre les représentants de l’État provincial et les représentants de quatre syndicats
d’enseignants; ii) la Direction du travail de la province de Corrientes n’a pas tenu
compte du fait que les seuls accords sur les conditions de travail qui ont un effet erga
omnes sont ceux conclus dans le cadre de la loi no 6030 de 2011 sur la convention
collective, une fois que la réglementation correspondante est entrée en vigueur; iii) la
Direction du travail a commis une grave erreur en considérant, à l’article 1 de la
disposition no 352, que le SUTECO ne pouvait pas mener d’action directe (grève) parce
que le conflit était devenu sans objet compte tenu de la convention collective conclue
avec l’ACDP, l’Union des enseignants argentins (UDA), l’Association des professeurs
d’enseignement technique (AMET) et le Mouvement unificateur des enseignants (MUD), étant
donné que, comme le SUTECO n’a pas signé cette convention, les effets de cet accord ne
s’appliquent ni aux membres de ce syndicat, ni aux enseignants non syndiqués, ni aux
autres syndicats; iv) la disposition no 352/13 est absolument et irrévocablement nulle
et non avenue, dans la mesure où l’État provincial méconnaît le droit du SUTECO à
représenter les intérêts collectifs des enseignants de tous les niveaux d’enseignement,
en soutenant que ce droit revient à l’ACDP qui serait la seule organisation à jouir du
statut syndical selon les paragraphes 4, 5, 6 et 7 de ladite disposition; v) il s’agit
d’une interprétation restrictive et arbitraire des articles 23 et 31 de la loi no 23.551
sur les associations syndicales, contraire à l’article 14 bis de la Constitution
nationale, et en particulier à l’article 3 de la loi provinciale no 6030 de 2011, qui
reconnaît la légitimité du SUTECO à participer aux travaux des futures commissions de
négociation collective, sur la base de la future convention collective des enseignants à
tous les niveaux; et vi) l’organisme qui a publié la disposition contestée no 352/13 est
l’employeur concerné par le conflit collectif avec les syndicats d’enseignants, car la
Direction du travail relève du pouvoir exécutif provincial et, par conséquent, en tant
que partie au conflit collectif, ne peut pas intervenir en tant que conciliateur
(objectif et impartial), comme prévu dans le cadre de la procédure réglementée au titre
de la loi no 14.786 susmentionnée.
- 127. L’organisation plaignante dénonce ensuite la disposition no 1769/15
publiée par la Direction du travail de la province de Corrientes, par l’intermédiaire de
laquelle celle-ci a déclaré illégale la grève convoquée par le SUTECO pour le 9 octobre
2015, ce qui met également en évidence la manière dont cet organisme est sujet aux
directives politiques du gouvernement de la province de Corrientes, qui est partie au
conflit collectif. En établissant que le SUTECO ne jouit pas du statut syndical lui
permettant d’appeler à la grève, la Direction du travail ignore le fait que le pouvoir
exécutif provincial a imposé une amende au SUTECO pour avoir prétendument refusé de se
conformer à une disposition de la Direction du travail qui l’obligeait, selon les
dispositions de la loi no 14.786, à se soumettre à une procédure de conciliation
obligatoire; or seules les associations syndicales habilitées à déclarer des grèves ont
l’obligation de se soumettre à cette procédure. L’organisation plaignante demande que
l’État argentin soit informé de la nécessité pour la province de Corrientes d’annuler
les dispositions no 352/13 et 1769/15, ainsi que l’imposition de l’amende de
700 000 pesos correspondant à la grève de février 2015.
- 128. Dans une communication datée du 27 mai 2021, la CTERA, conjointement
avec l’UTE et l’IE soutient que: i) le gouvernement de la ville autonome de Buenos Aires
a enfreint les principes garantissant la liberté syndicale et le droit de grève en
publiant le décret no 125/21, daté du 14 avril 2021, par lequel il a déclaré, entre
autres, que le ministère de l’Éducation de la ville autonome de Buenos Aires, les
organismes relevant de sa compétence et les établissements d’enseignement placés sous
son autorité ou sa supervision constituaient des entités dont les services étaient
essentiels et indispensables pendant la durée de la pandémie de COVID 19, afin d’ignorer
ainsi l’exercice du droit de grève des travailleurs de l’éducation des écoles publiques,
que la gestion en soit assurée par un organisme public ou privé, qui dépendent du
ministère de l’Éducation de la ville autonome de Buenos Aires et, dans le même temps,
procéder à des retenues de salaire pour les jours où les enseignants n’ont pas assuré
les cours et se sont mis en grève; ii) le gouvernement de la ville autonome de Buenos
Aires a menacé de sanctionner les personnes ayant l’intention de mener une action
collective directe (grève); iii) la détermination du caractère «essentiel» des
établissements d’enseignement, au moyen du décret susmentionné, relève d’une politique
de persécution qui, au cours des années précédentes, a été mise en œuvre par le
gouvernement de la ville autonome de Buenos Aires à l’encontre des travailleurs des
établissements d’enseignement; iv) le décret publié par une autorité locale, telle que
le gouvernement de la ville autonome de Buenos Aires, proclamant le caractère
«essentiel» des établissements d’enseignement est manifestement inconstitutionnel non
seulement parce que cette juridiction n’est pas compétente pour établir le caractère
essentiel de l’enseignement, mais surtout parce que ce décret porte directement atteinte
à l’exercice de droits constitutionnels fondamentaux, au détriment des travailleurs de
l’éducation, notamment le droit de grève prévu à l’article 14 bis de la Constitution
nationale; v) l’enseignement ne constitue pas un service essentiel au regard des
dispositions de l’article 24 de la loi no 25.887 sur les conflits dans les services
essentiels, qui dans la partie consacrée à ce sujet dispose que: «[...] Les services
sanitaires et hospitaliers, la production et la distribution d’eau potable,
d’électricité et de gaz, ainsi que le contrôle du trafic aérien sont considérés comme
des services essentiels. Une activité non visée au paragraphe précédent peut, à titre
exceptionnel, être qualifiée de service essentiel par une commission indépendante dont
la composition est conforme à la réglementation [...]. Le pouvoir exécutif national,
avec l’intervention du ministère du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale et
après consultation des organisations d’employeurs et de travailleurs, publiera le
règlement correspondant au présent article dans un délai de quatre-vingt-dix (90) jours,
conformément aux principes de l’Organisation internationale du Travail»;
vi) l’enseignement ne pourrait pas non plus être considéré comme un service essentiel en
vertu des principes établis par l’Organisation internationale du Travail, tels
qu’énoncés dans la Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale;
vii) conformément au décret no 362/10 du 18 mars 2010, qui réglemente la Commission des
garanties prévue à l’article 24 de la loi no 25.877 susmentionnée, une activité ne
figurant pas dans l’énumération susmentionnée peut exceptionnellement être qualifiée de
service essentiel si une procédure de conciliation est préalablement engagée;
viii) toute décision ou tout décret qualifiant une activité de service essentiel sans
respecter la législation en vigueur et les principes internationaux du travail est
frappé de nullité; ix) la décision no 408/2001 rendue par le ministère du Travail en
2001, qui a classé l’enseignement parmi les «services essentiels», a déjà été déclarée
nulle et non avenue par la Cour suprême de justice (et a donné lieu à une décision du
Comité de la liberté syndicale dans le cadre du cas no 2157); x) à la date de rédaction
de la présente communication (mai 2021), le décret de nécessité et d’urgence no 287/21,
daté du 1er mai 2021, publié par le pouvoir exécutif national, était en vigueur. Ce
décret prescrit la poursuite obligatoire des cours dispensés par visioconférence et
l’interdiction des cours en présentiel dans la ville autonome de Buenos Aires, en raison
du nombre élevé de cas de COVID 19. Il en était de même pour la décision no 394/2021 du
4 mai 2021, rendue par le Conseil fédéral de l’éducation, par l’intermédiaire de
laquelle il a été mis un terme aux cours en présentiel dans la ville autonome de Buenos
Aires jusqu’au 21 mai 2021. xi) la raison qui a conduit le gouvernement de la ville
autonome de Buenos Aires à établir le caractère «essentiel» des établissements
d’enseignement réside, en réalité, dans le fait qu’il cherchait à déroger au décret de
nécessité et d’urgence susmentionné (classes par visioconférence obligatoires) afin
d’imposer sa décision visant à rétablir les cours en présentiel, utilisée comme argument
politique à des fins électorales; xii) par conséquent, le gouvernement de la ville
autonome de Buenos Aires, à la suite de la grève menée par l’UTE pour faire appliquer le
décret no 287/21 (classes par visioconférence obligatoires) et prévenir l’augmentation
des cas de COVID 19 dans les écoles, a procédé à une retenue sur les salaires des
travailleurs de l’éducation, ce qui constitue un acte de représailles contre ces
derniers, dont l’objectif était de faire appliquer une norme hiérarchiquement supérieure
dans le contexte d’une crise sanitaire de grande ampleur; et xiii) la classification
subreptice de l’enseignement comme service essentiel par le décret no 125/21 de la ville
autonome de Buenos Aires, les retenues sur salaire et les menaces de sanctions
disciplinaires contre les participants aux grèves lancées par l’UTE ont directement
entravé l’exercice du droit de grève, en violation directe des décisions du Comité de la
liberté syndicale de l’OIT.
B. Réponse du gouvernement
B. Réponse du gouvernement- 129. Dans une communication datée d’octobre 2016, le gouvernement
présente ses observations sur les allégations de l’organisation plaignante concernant le
secteur de l’enseignement public dans la province de Corrientes. Il indique tout d’abord
que le SUTECO a été et continue d’être reconnu par les différents organes publics et,
comme d’autres syndicats, intervient activement dans la province de Corrientes. Le
SUTECO ne fait donc l’objet d’aucune forme de discrimination, comme en témoigne sa
participation à l’application de la disposition de mars 2014 (qui a ensuite donné lieu à
une convention collective dans le cadre de laquelle les autres syndicats ont accepté
l’augmentation salariale). En outre, le SUTECO a participé à l’établissement de la
réglementation liée à la loi relative aux organes paritaires, comme en atteste la copie
du décret du 16 juin 2015, ce qui confirme que, contrairement aux allégations de
l’organisation plaignante, celle-ci ne subit aucune discrimination. Le gouvernement
ajoute que: i) au milieu du processus de négociation, le SUTECO n’a pas respecté les
règles de la procédure de conciliation obligatoire en recourant à la grève, raison pour
laquelle il a été exclu de la table de négociation; ii) selon les informations fournies
par le sous-secrétariat au travail de la province de Corrientes, le conflit collectif
faisait l’objet, à la date de la présente communication (octobre 2016), d’une procédure
judiciaire, de sorte qu’il est proposé au comité d’attendre de connaître l’issue de
cette procédure avant de prendre une décision; et iii) l’organisation plaignante n’a
fourni aucune preuve à l’appui de ses affirmations, ce qui empêche de confirmer la
véracité de ses arguments.
- 130. Dans une communication datée de septembre 2017, le gouvernement
affirme que, selon le sous-secrétariat au travail de la province de Corrientes, le
conflit collectif est toujours en cours de traitement par les autorités judiciaires et
qu’à la date de la communication (septembre 2017), l’affaire n’avait pas connu d’issue
définitive. Par ailleurs, il indique à nouveau que l’organisation plaignante n’a fourni
aucune preuve à l’appui de ses allégations, ce qui ne permet pas d’établir si celles-ci
sont dûment étayées.
- 131. Dans une communication datée du 12 septembre 2023, le gouvernement
déclare que: i) la procédure judiciaire concernant le conflit collectif dans l’affaire
«Syndicat unique des travailleurs de l’éducation de Corrientes c/État de la province de
Corrientes s/Procédure de contentieux administratif», dossier no 123426/15, s’est
conclue par des jugements rendus par le tribunal administratif de première instance no 2
(de la province de Corrientes) et la cour d’appel du contentieux administratif et
électoral, ainsi que par un appel extraordinaire interjeté devant la Cour supérieure de
justice; ii) l’action en justice a été intentée par le SUTECO en vue d’obtenir la
nullité du décret no 2327/15, par lequel a été rejeté le recours hiérarchique qu’il
avait présenté contre la disposition no 646/13 de la Direction du travail, qui avait
elle-même conduit au rejet du recours hiérarchique déposé par le SUTECO contre la
disposition no 455/13, qui lui imposait une amende pour non-respect de la disposition
no 187/13 (dans laquelle il était notamment ordonné de suspendre la grève pendant la
procédure de conciliation obligatoire). Ainsi, dans le cadre de la procédure judiciaire,
le SUTECO a fait valoir qu’il y avait eu un vice de procédure et que, de la publication
de la disposition no 187/13 par la Direction du travail à la conclusion de la procédure,
celle-ci aurait dû être menée conformément aux prescriptions de la loi no 14.786 sur la
procédure relative aux conflits collectifs et non selon les dispositions des articles 26
à 32 de la loi no 2.477 (procédure en cas d’infraction à la législation du travail). Le
30 juillet 2018, le tribunal de première instance a rejeté la demande du SUTECO,
estimant que le demandeur n’avait pas réussi à prouver l’illégitimité du décret
no 2327/15 et des actes qui l’ont précédé, car aucun vice manifeste dans les éléments
essentiels du décret n’était apparu ou n’avait été prouvé, et qu’aucun élément
convaincant ne prouvait l’illégalité alléguée par le demandeur; iii) toutefois, en
février 2020, cette décision a été annulée par un arrêt de la cour d’appel, qui l’a
jugée inconstitutionnelle et a estimé que l’article 31 de la loi no 2.477 ne
s’appliquait pas à cette affaire et, par conséquent, a déclaré la nullité du décret
no 2327/15, contesté par le requérant (le SUTECO), et ordonné au pouvoir exécutif
provincial d’émettre un nouvel acte administratif et de réexaminer la légalité de
l’amende ordonnée dans la disposition no 2327/15; iv) l’État de la province de
Corrientes a déposé devant la Cour supérieure de justice de la province un recours
extraordinaire pour inapplicabilité de la loi, mais celui-ci a été déclaré irrecevable
dans une décision rendue le 9 décembre 2021; v) cette décision a mis fin à la procédure
judiciaire engagée par le SUTECO contre l’État de la province de Corrientes pour
contester les actes administratifs adoptés dans le cadre de la procédure de conciliation
obligatoire qui, selon la partie demanderesse, ont entravé son exercice du droit à la
liberté syndicale et du droit de grève; vi) bien que l’action en justice intentée par le
SUTECO ait trouvé une issue favorable, il n’en est pas moins vrai que le bien-fondé de
la demande ne repose pas sur les arguments avancés par le SUTECO, c’est-à-dire sur les
prétendus vices attribués aux actes administratifs en question comme cause de l’atteinte
à la liberté syndicale, puisqu’il avait alors invoqué des vices de compétence, de cause
et de procédure dans les actes administratifs publiés dans le cadre de la conciliation
obligatoire, vices qui ont également été invoqués lors de la soumission de la présente
plainte devant le Comité de la liberté syndicale; vii) par ailleurs, la cour d’appel a
déclaré nul et non avenu le décret no 2327/15, conséquence logique de
l’inconstitutionnalité de l’application de l’article 31 de la loi no 2.477, considérant
que l’exigence de paiement préalable établie dans ledit article solve et repete, comme
condition d’admission du recours hiérarchique présenté par le SUTECO contre la
disposition de sanction publiée par la Direction du travail, était contraire aux droits
constitutionnels de la défense; viii) il convient de noter que la déclaration de nullité
du décret no 2327/15 prononcée par le pouvoir judiciaire de Corrientes n’a pas mis fin à
la procédure administrative au cours de laquelle ont été publiées les dispositions de la
Direction du travail qui sont contestées par le SUTECO et constituent la base de la
plainte déposée par cet organisme devant le comité, puisque la cour d’appel a ordonné à
la partie défenderesse de publier un nouvel acte administratif, en réexaminant la
légalité de l’amende ordonnée dans la disposition no 455/13; et ix) par conséquent,
selon une interprétation correcte de l’arrêt de la cour d’appel, la procédure
administrative contestée par le SUTECO doit être traitée par l’instance qui était
compétente avant la promulgation du décret no 2327/15, déclaré nul et non avenu, et le
pouvoir exécutif provincial doit réexaminer le recours hiérarchique déposé contre la
disposition no 455/13, par laquelle la Direction du travail a imposé une amende à
l’entité syndicale.
- 132. Dans une communication datée du 11 septembre 2023, le gouvernement a
transmis les observations du gouvernement de la ville autonome de Buenos Aires sur les
allégations envoyées en mai 2021 par la CETERA, l’UTE et l’IE. Le gouvernement de la
ville autonome de Buenos Aires souligne que les allégations des organisations
plaignantes selon lesquelles le décret n° 125/2021 viole le droit de grève sont
dépourvues de toute précision factuelle et normative. Le gouvernement de la ville
autonome de Buenos Aires se réfère tout d’abord au contexte dans lequel le décret a été
adopté et précise à cet égard que : (i) la déclaration du caractère essentiel des
activités exercées par les agents du ministère de l’éducation de la ville a été adoptée
à un moment où la situation sanitaire (réduction du nombre de cas, calendrier de
vaccination) provoquée par la pandémie de COVID-19 permettait d’assouplir les mesures
d’isolement et de reprendre le cours normal des activités; ii) la déclaration
susmentionnée du caractère essentiel des activités découle de l’existence, reconnue par
la Cour suprême de justice de la nation, d’un droit humain à l’éducation qui doit être
satisfait dans toute la mesure du possible ; et iii) bien que les modalités
d’enseignement à distance aient permis une participation significative des étudiants,
elles n’ont pas remplacé les avantages de l’enseignement présentiel dans le processus
d’apprentissage et dans la socialisation des enfants.
- 133. Le gouvernement de la ville autonome de Buenos Aires se réfère
ensuite à l’impact allégué du décret n° 125/2021 sur le droit de grève. Il affirme à cet
égard que : i) le caractère essentiel de l’activité éducative établi par le décret
précité est différent du mécanisme établi par l’article 24 de la loi 25.877, qui permet
de qualifier exceptionnellement certaines activités de services essentiels en vue
d’établir des services minimaux en cas de grève; ii) au contraire, les organisations
syndicales en général et les plaignants en particulier se sont vu reconnaître à tout
moment le droit de mener des actions collectives; iii) de fait, des mesures d’action
collectives ont été menées pendant les périodes où le décret no 125/2021 était en
vigueur; iv) l’exercice du droit de grève entraîne d’une part la suspension des
activités des travailleurs et d’autre part le non-paiement des salaires correspondants;
et v) le fait que les travailleurs en grève du secteur de l’éducation n’aient pas reçu
de salaires pour les jours non travaillés constitue une preuve de l’applicabilité du
droit de grève pendant la durée du décret n° 125/2021.
- 134. Le gouvernement de la ville de Buenos Aires fait enfin valoir que la
situation factuelle et juridique a radicalement changé depuis l’adoption du décret
susmentionné, raison pour laquelle il considère que les allégations des plaignants sont
devenues abstraites.
C. Conclusions du comité
C. Conclusions du comité- 135. Le comité note que le présent cas porte sur des allégations
d’atteinte à la liberté syndicale dans le secteur de l’enseignement public dans la
province de Corrientes, d’une part, et dans la ville autonome de Buenos Aires, d’autre
part.
- 136. En ce qui concerne les aspects de la plainte concernant la province
de Corrientes, le comité note que la Confédération des travailleurs de l’éducation de la
République argentine (CTERA) soutient que, à partir de février 2013, les autorités
provinciales ont refusé au Syndicat unique des travailleurs de l’éducation de Corrientes
(SUTECO) (le syndicat de base de la CTERA dans le secteur de l’enseignement dans la
province de Corrientes) le droit de négocier collectivement et de mener des actions de
grève, au mépris des normes nationales et internationales et de la loi provinciale
no 6030 de 2011 relative à la négociation collective dans le secteur de l’éducation
publique. Le comité prend note des indications de la CTERA selon lesquelles: i) dans le
cadre d’une négociation salariale ardue entre les autorités provinciales et cinq
syndicats du secteur de l’enseignement public menée au début de l’année 2013, le SUTECO
et deux autres syndicats ont annoncé leur volonté de faire grève le 25 février 2013;
ii) sur la base de la loi nationale no 14.786/59, la Direction provinciale du travail a
décidé d’inscrire le conflit collectif dans une phase de conciliation obligatoire,
ordonnant aux trois syndicats de s’abstenir de faire grève jusqu’à la fin de la
procédure de conciliation (disposition no 187/13); iii) de manière injustifiée et sous
prétexte que les syndicats ne s’étaient pas abstenus de mener la grève susmentionnée, la
Direction du travail a mis fin à la conciliation et a entamé une procédure visant à
infliger des amendes aux trois organisations; iv) hors de tout cadre légal, le ministère
provincial de l’Éducation a réuni les cinq syndicats et a proposé une modeste
augmentation salariale qui a été acceptée par quatre syndicats, mais rejetée par le
SUTECO; v) lorsque le SUTECO a appelé à une grève d’une journée le 15 mars 2013, la
Direction provinciale du travail a publié la disposition no 352/13, selon laquelle le
SUTECO ne pouvait pas entreprendre d’action directe (grève), car le conflit collectif
était devenu sans objet à la suite de la conclusion d’une convention collective avec
d’autres organisations syndicales, et que le SUTECO n’était pas habilité à représenter
les intérêts collectifs du personnel de l’enseignement; et vi) la méconnaissance des
prérogatives du SUTECO a été confirmée par la disposition no 1769/15 de la Direction du
travail de la province de Corrientes, dans laquelle la grève lancée par le SUTECO le
9 octobre 2015 a été déclarée illégale. Le comité note que l’organisation plaignante
considère que: i) l’interdiction de recourir à la grève énoncée dans la disposition
no 352/13 et reposant sur le fait qu’une convention collective venait d’être conclue
n’est pas fondée, étant donné que le SUTECO n’a pas signé la convention en question;
ii) la négation dans le même texte de la capacité du SUTECO à représenter collectivement
les enseignants de la province est contraire aux dispositions de la loi provinciale
no 6030; et iii) en outre, les différentes décisions des autorités provinciales décrites
ci dessus sont irrégulières dans la mesure où l’administration provinciale se pose en
juge de conflits collectifs auxquels elle est directement partie. Le comité note que
l’organisation plaignante conclut que les décisions susmentionnées doivent être
annulées, y compris l’amende de 700 000 pesos correspondant à la conduite de la grève de
février 2013.
- 137. Le comité note que, pour sa part, le gouvernement déclare que: i) le
SUTECO n’a fait l’objet d’aucune forme de discrimination de la part des autorités
provinciales de Corrientes, comme en témoigne sa participation aux négociations qui ont
abouti à la conclusion de la convention collective de mars 2014 et aux concertations de
juin 2015 concernant l’établissement de la réglementation relative à la loi provinciale
no 6030; ii) au milieu du processus de négociation, le SUTECO n’a pas respecté les
règles de la procédure de conciliation obligatoire en recourant à la grève, alors que la
disposition no 187/13 lui ordonnait de s’abstenir de le faire, et a ainsi été exclu de
la table de négociation; iii) le conflit collectif susmentionné a donné lieu à une
action en justice portant sur la légalité de l’amende imposée au SUTECO pour avoir mené
la grève de février 2013 en violation de la disposition no 187/13; et iv) par des
décisions rendues en février 2020 et en décembre 2021, la cour d’appel et la Cour
supérieure de justice de la province ont déclaré, pour des motifs de forme, la nullité
des amendes imposées au SUTECO et ont ordonné à l’exécutif provincial d’émettre un
nouvel acte administratif, dans lequel il réexaminerait la légalité de l’amende imposée.
Le comité note que le gouvernement indique à cet égard que l’action en justice engagée
par le SUTECO et les décisions judiciaires correspondantes n’ont pas été fondées sur les
violations de la liberté syndicale alléguées en l’espèce, mais sur le fait que
l’exigence du paiement préalable de l’amende comme condition de recevabilité du recours
hiérarchique déposé par le SUTECO contre la disposition de sanction publiée par la
Direction du travail constituait une atteinte aux droits constitutionnels de la
défense.
- 138. Le comité prend bonne note des informations communiquées par les
parties au sujet du conflit opposant le SUTECO et les autorités de la province de
Corrientes dans le cadre des négociations sur les salaires des enseignants du secteur
public. Il constate que l’organisation plaignante dénonce à la fois des décisions
spécifiques de l’administration provinciale à son égard (en particulier les dispositions
no 187/13 et 455/13, la disposition no 352/13 et la disposition no 1769/15), qui, selon
elle, traduiraient plus généralement l’intention d’exclure le SUTECO des relations
collectives de travail, ainsi que le caractère irrégulier de l’intervention du pouvoir
exécutif provincial, qui se poserait en juge et partie des conflits collectifs dans le
secteur public. Le comité observe que le conflit se déroule dans un contexte de
pluralisme syndical dans le secteur de l’enseignement de la province où, selon les
informations fournies par les parties, le SUTECO est simplement enregistré, tandis que
l’Association des enseignants de la province de Corrientes (ACDP), pour sa part, dispose
du statut syndical (un type d’enregistrement réservé par la législation argentine aux
organisations les plus représentatives, qui, en vertu de la législation nationale, ont
le monopole de la négociation collective), et que l’article 3 de la loi provinciale
no 6030 prévoit que la participation à la négociation collective ne se limite pas aux
organisations dotées du statut syndical.
- 139. En ce qui concerne l’amende imposée au SUTECO par la Direction
provinciale du travail (disposition no 455/13) pour avoir mené une grève d’une journée
en février 2013 malgré une décision de la Direction du travail lui ordonnant de
s’abstenir de le faire (décision no 187/13), le comité note que l’organisation
plaignante et le gouvernement conviennent que la grève menée par le SUTECO a eu lieu au
milieu d’une procédure de conciliation obligatoire ordonnée par la Direction du travail
(décision no 187/13) conformément à la loi nationale no 14.786/59, alors que
l’interdiction de faire grève avait pour but de permettre à la procédure de conciliation
d’être menée à son terme. Le comité rappelle à cet égard que l’on ne saurait considérer
comme attentatoire à la liberté syndicale une législation prévoyant le recours aux
procédures de conciliation et d’arbitrage (volontaire) dans les conflits collectifs en
tant que condition préalable à une déclaration de grève, pour autant que le recours à
l’arbitrage ne présente pas un caractère obligatoire et n’empêche pas, en pratique, le
recours à la grève. [Voir Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale,
sixième édition, 2018, paragr. 793.] Il souligne en outre que, dans les cas de
conciliation obligatoire, il est désirable que la décision d’engager une procédure de
conciliation dans les conflits collectifs revienne à un organe indépendant des parties
en conflit. [Voir Compilation, paragr. 796.] Il rappelle enfin que, comme dans des cas
précédents, il s’attend à ce que les amendes qui pourraient être infligées à l’endroit
des syndicats pour faits de grève illégale ne soient pas d’un montant susceptible de
mener à la dissolution du syndicat ni d’avoir un effet d’intimidation sur les syndicats
et d’inhiber leurs légitimes actions de revendication syndicale et veut croire que le
gouvernement s’efforcera de résoudre de telles situations au moyen d’un dialogue social
franc et effectif. [Voir Compilation, paragr. 969.] Observant que les décisions
relatives à l’imposition de l’amende susmentionnée ont été annulées par la justice pour
violation des droits de la défense et que l’affaire est de nouveau examinée par les
autorités provinciales, le comité s’attend à ce que celles-ci tiennent dûment compte des
principes énoncés ci-dessus.
- 140. En ce qui concerne les deux autres interdictions de grève imposées
au SUTECO par l’intermédiaire des dispositions no 352/13 et 1769/15 adoptées par la
Direction provinciale du travail, le comité note que: i) selon la CTERA, l’interdiction
énoncée dans la disposition no 352/13 de mars 2013 est illégale, car elle se fonde sur
la convention collective signée par les autres organisations syndicales, mais rejetée
par le SUTECO, pour soutenir que le conflit collectif à l’origine de la grève n’est plus
d’actualité; ii) la CTERA soutient que, dans les deux cas, l’administration provinciale
du travail est à la fois juge et partie, étant donné qu’elle a interdit des grèves dans
le cadre d’un conflit collectif auquel elle est elle-même partie prenante. Le comité
constate dans le même temps que: i) le texte des dispositions contestées ne lui a pas
été communiqué et que celles-ci ne sont pas disponibles dans le domaine public; ii) les
observations spécifiques du gouvernement à cet égard ne lui sont pas parvenues; iii) il
ne dispose d’aucune information factuelle sur la grève envisagée par le SUTECO en 2015
qui a donné lieu à la disposition no 1769/15. À la lumière de ce qui précède, le comité
ne dispose pas des éléments lui permettant d’apprécier de manière exhaustive la validité
des motifs ayant conduit à l’interdiction des mouvements de grève convoqués par le
SUTECO. Il constate cependant que, dans les deux cas, les décisions d’interdiction de la
grève, comme la décision examinée ci-dessus d’imposer une conciliation obligatoire, ont
été prises par l’administration publique provinciale et non par un organe indépendant
des parties. À cet égard, le comité rappelle de nouveau que, d’une part, dans les cas de
conciliation obligatoire, il est désirable que la décision d’engager une procédure de
conciliation dans les conflits collectifs revienne à un organe indépendant des parties
en conflit et que, d’autre part, la décision de déclarer la grève illégale ne devrait
pas appartenir au gouvernement mais à un organe indépendant et impartial. [Voir
Compilation, paragr. 796 et 909.] Sur la base de ce qui précède, le comité prie le
gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour que les décisions concernant le
recours à la conciliation obligatoire et l’interdiction des mouvements de grève soient
prises par des organes indépendants des parties. Le comité prie le gouvernement de le
tenir informé à cet égard. Le comité rappelle également qu’il peut recourir à
l’assistance technique du Bureau à propos des mesures demandées.
- 141. En ce qui concerne l’allégation de la CTERA selon laquelle
l’administration provinciale aurait non seulement interdit au SUTECO de faire grève dans
le cadre du conflit collectif de février-mars 2013, mais aurait également cherché à lui
refuser le droit de représenter collectivement les enseignants publics, le comité note
que, d’une part, l’organisation plaignante affirme que: i) la disposition no 352/13
laisse entendre que seule l’ACDP, qui jouit du statut syndical, serait habilitée à
représenter les enseignants de la province au cours de négociations collectives; et
ii) l’absence de réglementation relative à la loi provinciale no 6030, dont l’article 3
prévoit la participation de toutes les organisations syndicales du secteur de
l’éducation à la table des négociations, illustre la volonté de l’administration
d’exclure le SUTECO. Le comité note que, pour sa part, le gouvernement affirme qu’il n’y
a pas de volonté d’exclure le SUTECO, comme en témoigne la participation de ce dernier
aux négociations de la convention collective de 2013 et aux discussions de 2015 sur la
réglementation relative à la loi provinciale no 6030. Tout en rappelant que sont
compatibles avec la convention no 98 tant le système du négociateur unique
(l’organisation la plus représentative) que celui d’une délégation composée de toutes
les organisations ou seulement des plus représentatives en fonction de critères clairs
définis au préalable pour déterminer les organisations habilitées à négocier [voir
Compilation, paragr. 1360], le comité observe que le gouvernement n’a pas précisé s’il
avait terminé d’établir la réglementation relative à la loi provinciale no 6030.
Soulignant que, conformément à l’article 5 d) de la convention no 154 ratifiée par
l’Argentine, des mesures doivent être prises pour que la négociation collective ne soit
pas entravée par suite de l’inexistence de règles régissant son déroulement ou de
l’insuffisance ou du caractère inapproprié de ces règles, le comité veut croire que les
mesures nécessaires seront prises pour assurer la pleine applicabilité des lois qui
régissent la négociation collective dans la province de Corrientes et prévoient la
participation des différentes organisations syndicales du secteur de l’éducation à ce
processus.
- 142. Le comité note également que, dans une communication datée d’octobre
2021, la CTERA et l’Union des travailleurs de l’éducation (UTE) dénoncent des
restrictions injustifiées au droit de grève de la part du gouvernement de la ville
autonome de Buenos Aires. Il note que les organisations plaignantes affirment que le
décret no 125/21, daté du 14 avril 2021, dispose que le ministère de l’Éducation de la
ville autonome de Buenos Aires, les organismes relevant de sa compétence et les
établissements d’enseignement placés sous son autorité ou sa supervision constituent des
entités dont les services sont essentiels et indispensables pendant la durée de la
pandémie de COVID 19, au mépris du droit de grève des travailleurs de l’éducation qui
exercent leurs fonctions dans les établissements d’enseignement. Le comité note que les
organisations plaignantes font notamment valoir que: i) le décret no 125/21 est
manifestement contraire à la législation en vigueur, tant nationale qu’internationale;
ii) la Cour suprême de justice a déjà déclaré nulle et non avenue la décision
no 408/2001, prise en 2001 par le ministère du Travail pour que l’enseignement soit
considéré comme un service essentiel; iii) la véritable raison pour laquelle le
gouvernement de la ville autonome de Buenos Aires a décrété le caractère essentiel des
établissements d’enseignement réside dans sa volonté de ne pas appliquer le décret
no 287/21 de l’exécutif national, qui établit le caractère obligatoire des cours
dispensés par visioconférence; et iv) le gouvernement de la ville autonome de Buenos
Aires, à la suite de la grève menée par l’UTE pour faire appliquer le décret no 287/21
(classes par visioconférence obligatoires) et prévenir l’augmentation des cas de COVID
19 dans les écoles, a procédé à une retenue sur les salaires des travailleurs de
l’éducation, ce qui constitue un acte de représailles contre ces derniers, dont
l’objectif était de faire appliquer une norme hiérarchiquement supérieure dans le
contexte d’une crise sanitaire de grande ampleur.
- 143. Le comité note également que le gouvernement transmet les
observations du gouvernement de la ville autonome de Buenos Aires, qui considère que les
allégations des organisations plaignantes selon lesquelles le décret no 125/2021 viole
le droit de grève sont dépourvues de toute précision factuelle et normative. Le Comité
note en particulier que le gouvernement de la ville autonome de Buenos Aires affirme
tout d’abord que: i) la déclaration du caractère essentiel des activités exercées par
les employés du ministère de l’Éducation de la ville a été adoptée à un moment où la
situation sanitaire causée par la pandémie de COVID-19 permettait de reprendre les
activités normales; et ii) la déclaration susmentionnée du caractère essentiel des
activités éducatives découle de l’existence, reconnue par la Cour suprême de justice de
la nation, d’un droit humain à l’éducation qui doit être satisfait dans toute la mesure
du possible, et il convient également de considérer que les modalités d’enseignement à
distance n’ont pas remplacé les avantages de l’enseignement présentiel dans le processus
d’apprentissage et de socialisation des enfants. Le comité note que le gouvernement de
la ville autonome de Buenos Aires affirme en second lieu que: i) la nature essentielle
de l’activité éducative établie par le décret susmentionné était distincte du mécanisme
établi par l’article 24 de la loi 25.877, qui permet de qualifier exceptionnellement
certaines activités de services essentiels en vue d’établir des services minima en cas
de grève; ii) au contraire, les syndicats en général et les plaignants en particulier se
sont vu reconnaître à tout moment le droit de mener des actions collectives; iii) en
fait, des mesures d’actions collectives ont été prises pendant les périodes où le décret
no 125/2021 était en vigueur; iv) l’exercice du droit de grève entraîne la suspension
des activités des travailleurs d’une part et le non-paiement des salaires correspondants
d’autre part; et v) le fait que les travailleurs en grève du secteur de l’éducation
n’ont pas reçu de salaires pour les jours où ils n’ont pas travaillé pendant la période
de validité du décret no 125/2021 est une preuve de l’applicabilité du droit de grève
dans ce contexte. Le comité note que le gouvernement de la ville autonome de Buenos
Aires affirme enfin que la situation factuelle et juridique a radicalement changé depuis
l’adoption du décret susmentionné, raison pour laquelle il considère que les allégations
des requérants sont devenues abstraites.
- 144. Le comité prend bonne note que la réponse fournie par le
gouvernement de la ville autonome de Buenos Aires indique que: i) la déclaration du
caractère essentiel du secteur de l’éducation par le décret no 125/2021 n’avait pas pour
but de méconnaître le droit de grève des enseignants mais d’exempter ce secteur des
restrictions d’activité imposées dans le contexte de la pandémie; et ii) des actions de
grève ont effectivement été menées dans ce secteur dans la Ville de Buenos Aires pendant
que le décret était en vigueur sans que la légalité de ces actions ne soit remise en
cause. À cet égard, le comité a pris note du jugement no 42853 du 30 août 2022 rendu par
le tribunal du travail no 4 (Asociación Docente de Enseñanza Media y Superior
(ADEMYS)/c. Gobierno de la Ciudad Autónoma de Buenos Aires). Le Comité note que ce
jugement est le résultat d’une action en justice intentée par une organisation syndicale
pour obtenir le paiement des jours de grève pris entre avril et juin 2021 afin de
maintenir le système d’enseignement à distance. Tout en rappelant qu’il a considéré que
les déductions de salaires pour les jours de grève ne soulèvent pas d’objections du
point de vue des principes de la liberté syndicale [voir Compilation, paragr. 942] et
que le jugement t en question a fait l’objet d’un appel toujours en cours, le comité
note que, dans ce jugement: i) le tribunal a statué en faveur d’ADEMYS, estimant que la
grève des enseignants de la ville de Buenos Aires constituait une réponse au non-respect
par l’employeur des dispositions nationales qui continuaient d’imposer l’enseignement à
distance; et ii) la ville de Buenos Aires n’a pas contesté la légalité de la grève.
Notant qu’il ressort clairement des éléments ci-dessus que le décret no 125/21 n’a pas
eu pour effet de restreindre l’exercice du droit de grève, le comité ne poursuivra pas
l’examen de cette allégation.
Recommandations du comité
Recommandations du comité- 145. Au vu des conclusions qui précèdent, le comité invite le Conseil
d’administration à approuver les recommandations suivantes:
- a) En ce qui concerne
les conséquences de la grève menée par le Syndicat unique des travailleurs de
l’éducation de Corrientes (SUTECO) en février 2013, le comité s’attend à ce que les
autorités compétentes tiennent dûment compte des principes énoncés dans les
présentes conclusions.
- b) Le comité prie le gouvernement de prendre les
mesures nécessaires pour que les décisions concernant le recours à la conciliation
obligatoire et l’interdiction des mouvements de grève soient prises par des organes
indépendants des parties. Le comité prie le gouvernement de le tenir informé à cet
égard.
- c) Le comité rappelle au gouvernement qu’il peut recourir à
l’assistance technique du Bureau pour la mise en œuvre de la recommandation b)