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Demande directe (CEACR) - adoptée 2002, publiée 91ème session CIT (2003)

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 - France (Ratification: 1937)
Protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930 - France (Ratification: 2016)

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La commission note que le rapport du gouvernement n’a pas été reçu. Elle espère qu’un rapport sera fourni pour examen par la commission à sa prochaine session et qu’il contiendra des informations complètes sur les points suivants soulevés dans sa précédente demande directe:

Article 1, paragraphe 1, et article 2, paragraphes 1 et 2 c), de la convention. Se référant à son observation sur l’application de la convention pour ce qui est des prisonniers travaillant pour des entreprises privées, la commission attire l’attention du gouvernement sur les points suivants.

1.  Absence de menace

La commission rappelle que depuis la loi du 22 juin 1987 les condamnés ne sont, en principe, plus obligés de travailler. Toutefois, aux termes de l’article 720, paragraphe 1, du Code de procédure pénale, les activités de travail «sont prises en compte pour l’appréciation des gages de réinsertion et de bonne conduite des condamnés», et, selon l’article 721, paragraphe 1, une réduction de peine peut être accordée aux condamnés détenus en exécution d’une ou de plusieurs peines privatives de liberté«s’ils ont donné des preuves suffisantes de bonne conduite». Ainsi, une réduction de peine pourra dépendre des activités de travail. Se référant au paragraphe 21 de son étude d’ensemble de 1979 sur l’abolition du travail forcé, la commission rappelle qu’il ressort des travaux préparatoires de la convention que «la menace d’une peine quelconque» dont il est question dans la définition du travail forcé donnée à l’article 2, paragraphe 1, de la convention ne doit pas revêtir forcément la forme d’une sanction pénale, mais qu’il peut s’agir également de la privation de quelque droit ou avantage. Le fait qu’aux termes des articles 720, paragraphe 1, et 721, paragraphe 1, une réduction de peine pourra dépendre des activités de travail met donc en question le libre consentement aux activités de travail.

A cet égard, la commission note avec intérêt que la commission d’enquête sur les conditions de détention dans les établissements pénitentiaires en France (ci-après: commission d’enquête) se réfère dans la partie IV.D.1 d) de son rapport (p. 104) à«l’attribution aujourd’hui automatique des réductions de peine». Toutefois, la proposition de la commission d’enquête sur ce point va dans le sens contraire, à savoir que: «Afin d’encourager le travail par les détenus, ainsi que l’acquisition de connaissances, il serait souhaitable de tenir compte de ces activités dans l’attribution aujourd’hui automatique des réductions de peine». Pour les raisons susmentionnées, cette proposition met en cause le libre consentement du prisonnier et, partant, le respect de la convention, dès lors que le travail en concession ou dans une prison sous gestion privée ne rentre pas dans l’exception faite à l’article 2, paragraphe 2 c), pour le travail pénitentiaire. En conséquence, la commission espère que, plutôt que de revenir à une application effective de l’article 720, paragraphe 1, du Code de procédure pénale, la nouvelle loi pénitentiaire en cours d’élaboration coupera tout lien entre l’acceptation ou non d’un travail et la perspective d’une réduction de peine, et que le gouvernement sera bientôt en mesure de faire état de dispositions prises en ce sens.

Pour ce qui est de l’encouragement des détenus au travail, la commission estime que le mandat donné par l’article D. 102, paragraphe 2, du Code de procédure pénale (cité au point 2 ci-dessous) offre un potentiel qui, à en juger d’après le rapport de la commission d’enquête, est loin d’être pleinement réalisé et qui va dans le sens de la convention.

2.  Conditions proches de celles d’une relation de travail libre

Se référant aux points 10 et 11 de son observation générale sous la convention et aux paragraphes 132 et suivants de son rapport général de l’année passée, la commission a noté avec intérêt qu’aux termes de l’article D. 102, paragraphe 2, du Code de procédure pénale:

L’organisation, les méthodes et les rémunérations du travail doivent se rapprocher autant que possible de celles des activités professionnelles extérieures afin notamment de préparer les détenus aux conditions normales du travail libre.

  a)  Rémunérations

Dans son rapport, le gouvernement indique qu’en 2000 le taux horaire (brut) de salaire minimum de l’administration pénitentiaire, correspondant au régime de travail en concession et défini dans le contrat des établissements à gestion mixte, a été généraliséà tous les établissements et se situe, selon la nature des établissements, entre 17,22 et 20 francs de l’heure. A ce sujet, la commission note aussi que, dans son rapport sur sa visite à la maison d’arrêt d’Aix-Luynes, gérée par un concessionnaire privé, la société GECEP, la commission d’enquête a observé que dans les ateliers de concession où les détenus travaillent pour une vingtaine de sociétés:

Le travail est rémunéré soit au rendement à la pièce produite, soit sur la base d’un forfait de 18 francs de l’heure minimum qui serait donc supérieur au «SMIC pénitentiaire» de 17 francs de l’heure, notion sans base légale avancée par le chef de centre privé.

La commission note également que le taux horaire brut du salaire minimum de croissance, le «SMIC» légal, qui n’est donc pas imposé aux entreprises concessionnaires, avait été relevé au 1er juillet 1999 de 40,22 francs à 40,72 francs. Elle note par ailleurs que la rémunération brute moyenne des détenus travaillant pour des entreprises concessionnaires est inférieure à la moyenne payée par la Régie industrielle des établissements pénitentiaires (RIEP) étatique.

Mais la rémunération moyenne est de loin la plus basse pour le «service général», visant à assurer le fonctionnement de l’établissement pénitentiaire, travail géré dans un établissement tel que Luynes par des entreprises privées, qu’il s’agisse du gestionnaire principal ou de ses co-traitants et sous-traitants d’un co-traitant. La commission note avec intérêt la proposition de la commission d’enquête, au point IV.D.1 a) de son rapport, d’augmenter la rémunération des détenus employés au service général. Toutefois, le montant mensuel minimal indiquéà titre d’exemple (1 000 francs contre 740 francs en moyenne aujourd’hui) paraît loin de refléter le principe de l’article D. 102, paragraphe 2, du Code de procédure pénale, rappelé plus haut. La commission note également l’indication du gouvernement dans son rapport selon laquelle:

Pour les personnes détenues travaillant au service général (service permettant le fonctionnement de l’établissement tel que restauration, entretien, maintenance …), une revalorisation des rémunérations, à la charge du budget de fonctionnement de chaque établissement, a été réalisée dans le cadre d’une mesure nouvelle en 2001 et une poursuite de cet effort est prévue en 2002.

En l’absence de chiffres cités à cet égard, la commission rappelle que, pour les raisons citées aux points 10 et 11 de son observation générale sous la convention et aux paragraphes 132 et suivants de son rapport général de l’année dernière, tous les détenus affectés au service général qui travaillent pour des gestionnaires ou autres entreprises privées, et qui ne relèvent donc pas de l’exception de l’article 2, paragraphe 2 c), de la convention, doivent bénéficier de rémunérations brutes se rapprochant de celles des activités professionnelles extérieures au monde pénitentiaire, au même titre que les détenus travaillant pour des entreprises concessionnaires en ateliers, ce qui correspond par ailleurs au principe énoncéà l’article D. 102, paragraphe 2, du Code de procédure pénale.

Pour ce qui est du niveau des salaires, sous le régime de la concession, les détenus, handicapés dans leur accès au marché du travail, peuvent encore être mis en concurrence avec d’autres personnes en situation de dépendance: ainsi, lors de sa visite à l’établissement Paris La Santé, la commission d’enquête a relevé que:

Rappelant que les handicapés des Centres d’aide par le travail (CAT) percevaient environ 25 pour cent du SMIC, le concessionnaire rencontré par la délégation a estimé que les détenus ne faisaient pas l’objet d’une exploitation.

Dans ses propositions au point IV.D.1 a) de son rapport, la commission d’enquête s’est résignée à cet égard:

L’augmentation de la rémunération des détenus employés par les concessionnaires apparaît difficile. Il y aurait un risque «d’évaporation» de concessionnaires, au moment où il est plus que jamais nécessaire de développer le travail pénitentiaire. En revanche, il serait souhaitable de délivrer des bulletins de salaires aux détenus.

En fait, le faible niveau de la rémunération brute (encore amputée au titre d’indemnisation des victimes, frais de justice, contribution aux dépenses d’entretien) ne favorise pas le développement du travail pénitentiaire; comme la commission d’enquête l’a constatéà Paris La Santé:

Il en résulte que le nombre de détenus candidats au travail tend depuis plusieurs années à se réduire.

Au-delà des différences importantes existant entre les rémunérations moyennes des différentes catégories de travail proposé aux détenus, la commission a noté dans le rapport de la commission d’enquête des variations extrêmes de la rémunération constatées tant entre les différents établissements pénitentiaires qu’à l’intérieur d’un même établissement, non seulement entre service général et travail en concession, mais encore entre différentes entreprises concessionnaires.

Dans un même établissement, la rémunération brute mensuelle peut varier de 400 à 1 400 francs pour le service général et de 2 000 à près de 10 000 francs pour les détenus employés par une dizaine de concessionnaires. Dans ces conditions, la commission espère qu’en application de l’article D. 102, paragraphe 2, du Code de procédure pénale une rémunération brute respectant le taux horaire du salaire minimum de croissance sera progressivement assurée à tous les prisonniers travaillant pour des concessionnaires ou gestionnaires privés, et que le gouvernement fera état de mesures prises en ce sens.

  b)  Contrats de travail

La commission rappelle qu’aux termes de l’article 720, paragraphe 3, du Code de procédure pénale:

Les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail. Il peut être dérogéà cette règle pour les activités exercées à l’extérieur des établissements pénitentiaires.

De même, selon l’article D. 103, paragraphe 2, du Code:

Les relations entre l’organisme employeur et le détenu sont exclusives de tout contrat de travail; il est dérogéà cette règle pour des détenus admis au régime de la semi-liberté. Cette règle peut en outre être écartée, conformément à l’article 720, pour les détenus exerçant des activités à l’extérieur des établissements pénitentiaires dans les conditions définies au premier alinéa de l’article 723.

Dans son dernier rapport, le gouvernement indique que l’administration pénitentiaire souhaite mieux caractériser la relation de travail et que:

Deux voies sont aujourd’hui ouvertes: l’une, propre à l’administration, dans le cadre de l’objectif de rapprocher le travail pénitentiaire du droit commun, consiste à mettre en place un «support d’engagement», précisant les obligations de la personne détenue et de l’administration pénitentiaire et en particulier les conditions de conclusion et de rupture de l’engagement; l’autre, dans la loi pénitentiaire, consiste à prendre des orientations en matière de droit au travail et notamment à décider de  l’opportunité de mettre en place un contrat de travail spécifique qui devrait s’inspirer du droit du travail chaque fois qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre les obligations nées de ce droit et celles découlant de la situation de détention, ou n’y apportant que les limites nécessaires.

La commission note ces indications avec intérêt. Elle espère donc que la nouvelle loi pénitentiaire permettra notamment de proposer à tous les détenus travaillant pour une entreprise privée un contrat de travail avec l’organisme employeur, qu’il s’agisse de l’entreprise pour laquelle le travail est effectué ou d’un organisme relevant de l’administration de la prison et fonctionnant sur le mode d’une agence de travail temporaire. La commission prie le gouvernement d’indiquer toutes dispositions prises à cet effet.

  c)  Sécurité et hygiène

La commission note avec intérêt l’indication du gouvernement dans son rapport selon laquelle la mise en conformité des machines équipant les ateliers gérés par le service de l’emploi pénitentiaire a été achevée en 2000. Elle espère que le gouvernement pourra bientôt faire état du même constat pour les machines équipant les ateliers et établissements gérés par des entreprises privées, ainsi que pour les locaux de travail, considérés ci-dessous.

Se référant également à son observation pour ce qui est de l’introduction de l’inspection du travail depuis 1999, la commission note avec intérêt que la commission d’enquête a pu constater, lors de sa visite à la maison d’arrêt du Mans, que les rapports des inspecteurs du travail «ont fait bouger les choses». Toutefois, la situation paraît très inégale pour ce qui est des locaux de travail. Lors de sa visite au centre de détention de Melun,

La délégation a constaté que les ateliers, aménagés en 1870, étaient fonctionnels, lumineux et répondaient aux normes de sécurité, ce qui est loin d’être le cas dans la plupart des maisons d’arrêt visitées.

De même, au point II.B.1 a) de son rapport, sous le titre «Une hygiène générale défaillante», la commission d’enquête a observé que

Il existe en ce domaine une contradiction totale entre le «droit» et la réalité. En effet, les dispositions réglementaires du Code de procédure pénale (section II du chapitre VIII du titre II) édictent des règles très précises, relatives au cubage d’air, à l’éclairage, au chauffage et à l’aération des locaux de détention.

Dans ses propositions figurant à la partie IV.D de son rapport, la commission d’enquête fait le lien entre l’encouragement au travail et la sécurité et l’hygiène:

La commission estime que le travail pénitentiaire et la formation doivent être encouragés, même en maison d’arrêt. Il est nécessaire que des locaux ventilés, suffisamment vastes et respectant les conditions de sécurité incendie soient affectés aux ateliers, ce qui nécessite de la place et des aménagements dans les établissements anciens.

Rappelant l’indication du gouvernement citée en observation selon laquelle le Premier ministre a engagé le gouvernement sur un vaste programme de rénovation des établissements pénitentiaires pour une amélioration substantielle des conditions d’incarcération des personnes détenues, la commission espère que les mesures nécessaires pourront ainsi être prises pour leur assurer, à leurs places de travail, les conditions de sécurité et d’hygiène normales du travail libre, et que le gouvernement pourra bientôt faire état des résultats obtenus à cet égard.

  3.  Conclusion

La commission a noté avec intérêt dans le rapport de la commission d’enquête que M. Guy Canivet, premier président de la Cour de cassation, a rappelé lors de son audition que:

-  le droit s’applique en prison comme ailleurs et il n’y a pas d’extraterritorialité pénitentiaire;

-  tout détenu - tout détenu qu’il soit - reste un citoyen.

Le rapport de la commission d’enquête, intitulé: «Prisons: une humiliation pour la République», a rendu publiques de graves contradictions entre le droit et la réalité, contribuant ainsi à une prise de conscience productive. Pour ce qui est du respect de la convention internationale, la commission doit observer que l’évolution de la loi et de la pratique nationales concernant le travail pénitentiaire, tout en appelant les développements complémentaires esquissés dans la présente demande, procède de principes permettant d’espérer que leur pleine réalisation conduira aux améliorations requises.

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