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Observation (CEACR) - adoptée 2009, publiée 99ème session CIT (2010)

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 - Mauritanie (Ratification: 1961)
Protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930 - Mauritanie (Ratification: 2016)

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Article 1, paragraphe 1, et article 2, paragraphe 1, de la convention.Esclavage et pratiques analogues. Dans ses précédents commentaires, la commission avait noté que la mission d’investigation qui s’était rendue en Mauritanie en 2006, à la demande de la Commission de l’application des normes de la Conférence internationale du Travail, avait pu constater un certain nombre de développements positifs qui témoignaient de l’engagement du gouvernement à combattre l’esclavage et ses séquelles. Elle avait relevé que le gouvernement s’était engagé à tenir compte des recommandations formulées par la mission d’investigation dans l’élaboration de la stratégie nationale de lutte contre les pratiques esclavagistes. A cet égard, la commission avait pu noter l’adoption, le 9 août 2007, de la loi no 2007/48 portant incrimination et répression des pratiques esclavagistes. Elle avait demandé au gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer de l’application effective de la loi et de la mise en œuvre de la stratégie nationale de lutte contre les pratiques esclavagistes.

a) Application effective de la législation. La commission rappelle que la loi no 2007/48 définit, incrimine et réprime les pratiques esclavagistes en distinguant les crimes d’esclavage des délits d’esclavage. Parmi ces délits, «quiconque s’approprie les biens, les fruits et les revenus résultant du travail de toute personne prétendue esclave ou extorque ses fonds est punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 50 000 à 200 000 ouguiyas» (art. 6). Constituent également des délits d’esclavage notamment le fait de porter atteinte à l’intégrité physique d’une personne prétendue esclave et le fait de priver un enfant prétendu esclave de l’accès à l’éducation (art. 5 et 7). Par ailleurs, les Walis, Hakems, chefs d’arrondissement, officiers ou agents de police judiciaire qui ne donnent pas suite aux dénonciations de pratiques esclavagistes portées à leur connaissance sont passibles d’une peine de prison et d’une amende (art. 12). Enfin, les associations des droits de l’homme sont habilitées à dénoncer les infractions à la loi et à assister les victimes, ces dernières bénéficiant de la gratuité de la procédure judiciaire (art. 15).

La commission avait considéré que l’adoption de cette loi constituait un premier pas important pour combattre l’esclavage et que le défi résiderait dorénavant dans l’application effective de la législation de telle sorte que les victimes puissent effectivement faire valoir leurs droits et les responsables de la persistance de l’esclavage être condamnés et sanctionnés. Elle avait demandé au gouvernement de prendre des mesures pour que, d’une part, la loi fasse l’objet d’une large publicité auprès des forces de l’ordre et des autorités judiciaires ainsi que de la population en général et pour que, d’autre part, les enquêtes soient diligentées de manière rapide, efficace et impartiale lorsque des dénonciations sont portées à la connaissance des autorités.

S’agissant du premier point, le gouvernement indique dans son rapport que la loi incriminant l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes a fait l’objet d’une intense vulgarisation et que toutes les mesures ont été prises pour assurer la publicité des dispositions de la loi de manière à favoriser la compréhension de la nature criminelle de l’esclavage. La commission prend note de cette campagne nationale de sensibilisation sur le contenu de la loi, qui s’est déroulée en février 2008. Elle relève qu’elle a été menée dans de nombreuses régions du pays. Ainsi, les missions de supervision de la campagne au niveau régional ont organisé des meetings ou des réunions au cours desquels les dispositions de la loi ont pu être expliquées à la population. Ces missions étaient généralement composées de représentants du gouvernement, des autorités locales, des autorités religieuses, de la Commission nationale des droits de l’homme et des ONG actives dans ce domaine. La commission observe que cette campagne, menée juste après l’entrée en vigueur de la loi, a certainement constitué un signal important envoyé à la société civile dans la mesure où la campagne a compté avec la présence des membres du gouvernement et des différentes autorités qui ont pu afficher leur volonté de combattre l’esclavage. La commission espère que le gouvernement prendra toutes les mesures adéquates pour continuer à mener des actions de sensibilisation sur la loi et sur la problématique de l’esclavage en général en ciblant plus particulièrement les groupes les plus vulnérables et les personnes qui sont les premières en contact avec les victimes.

La commission souligne qu’il est d’autant plus important que le processus de sensibilisation se poursuive et s’intensifie qu’il ne semble pas, d’après les informations dont dispose la commission, que les victimes parviennent effectivement à faire valoir leurs droits. La commission constate que le gouvernement ne fournit aucune information sur les plaintes déposées par les victimes ou les ONG qui les représentent, sur les enquêtes diligentées, ou sur l’initiation de poursuites judiciaires. La commission est également préoccupée par l’absence d’informations sur les mesures prises par le gouvernement pour inciter et assister les victimes dans leurs démarches. Elle s’était déjà inquiétée, par le passé, du fait que les victimes rencontraient des difficultés pour être entendues et faire valoir leurs droits, tant au niveau des autorités relevant de la force publique que de l’autorité judiciaire. Elle avait à cet égard considéré que les dispositions des articles 12 et 15 de la loi (assistance des victimes, poursuite des autorités qui ne donnent pas suite aux dénonciations de pratiques esclavagistes qui sont portées à leur connaissance) auraient pu contribuer à lever les obstacles à l’accès à la justice.

La commission rappelle que, en vertu de l’article 25 de la convention, les Etats qui ratifient la convention ont l’obligation de s’assurer que les sanctions pénales prévues par la loi pour exaction de travail forcé sont réellement efficaces et strictement appliquées. Elle considère que l’absence d’actions en justice de la part des victimes peut être révélatrice de l’ignorance des recours disponibles, de la crainte de réprobation sociale ou de représailles, ou encore du manque de volonté des autorités chargées d’engager les poursuites. La commission prie le gouvernement de prendre les mesures appropriées pour s’assurer que les victimes sont effectivement en mesure de s’adresser aux autorités policières et judiciaires afin de faire valoir leurs droits et que les enquêtes sont diligentées de manière rapide, efficace et impartiale. La commission prie le gouvernement de fournir dans son prochain rapport des informations sur le nombre de cas d’esclavage qui ont été signalés aux autorités, le nombre de ceux pour lesquels une enquête a été menée et le nombre de ceux qui ont abouti à une action en justice. Prière d’indiquer si les poursuites ont été initiées suite à l’action de la victime ou du ministère public et de communiquer copie de tout jugement qui aurait été prononcé.

La commission note qu’une mission d’assistance technique s’est rendue en Mauritanie en février 2008 au cours de laquelle le suivi des recommandations de la mission d’investigation a été discuté. La commission relève que la mission a été informée que la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), qui a pour mandat d’examiner les situations d’atteintes aux droits de l’homme constatées ou portées à sa connaissance et d’entreprendre toute action appropriée, a eu à connaître d’allégations d’esclavage. Dans de tels cas, la commission dépêche un de ses membres sur place et, à l’issue des investigations, transmet un rapport contenant des recommandations au Président de la République. La commission prie le gouvernement de fournir des informations sur les cas portés à la connaissance de la CNDH, les recommandations formulées et les suites qui ont été données à ces recommandations.

b) Stratégie nationale de lutte contre les séquelles de l’esclavage. Notant que le Conseil des ministres avait adopté en 2006 le principe de l’élaboration d’une stratégie nationale de lutte contre l’esclavage et qu’un comité interministériel avait été mis en place à cet effet, la commission avait demandé au gouvernement d’indiquer si cette stratégie avait été effectivement adoptée et de fournir des informations détaillées sur les mesures concrètes prises dans ce contexte.

Dans son rapport, le gouvernement indique que la stratégie nationale de lutte contre les pratiques esclavagistes n’a pas été adoptée. Par contre, le Commissariat aux droits de l’homme, à l’action humanitaire et aux relations avec la société civile a mis en place un plan national de lutte contre les séquelles de l’esclavage, budgétisé à un milliard d’ouguiyas, qui couvre les domaines de l’éducation, la santé et les activités génératrices de revenus dans le triangle de la pauvreté. Le gouvernement indique également qu’il n’a toujours pas trouvé un accord avec le Programme des Nations Unies pour le développement et l’Union européenne au sujet des termes de référence de l’étude sur l’esclavage que ces institutions se proposaient de financer.

La commission note la budgétisation du plan national de lutte contre les séquelles de l’esclavage et relève que ce plan, en se concentrant sur l’éducation et les activités génératrices de revenus, entend agir sur la pauvreté dans une région identifiée par le gouvernement comme «zone géographique concernée». La commission observe néanmoins que le gouvernement ne dispose toujours pas de données fiables permettant d’évaluer l’ampleur du phénomène de l’esclavage et de cerner ses caractéristiques (sociales, géographiques, etc.) et que, par conséquent, certaines victimes ou populations à risque pourraient être exclues du bénéfice des mesures prévues dans le cadre de ce plan national. La commission prie le gouvernement de communiquer copie du plan national de lutte contre l’esclavage et de fournir davantage d’informations sur les actions concrètes prises dans le cadre de ce plan. La commission attire par ailleurs l’attention du gouvernement sur l’importance d’une stratégie globale de lutte contre l’esclavage. En effet, en luttant contre la pauvreté, le plan national constitue l’un des axes de l’action pour combattre l’esclavage, cette action devrait toutefois englober d’autres mesures telles que par exemple, comme indiqué ci dessus, la sensibilisation de la société et des autorités de police et judicaires ou encore des mesures pour lutter contre l’impunité des responsables de ces pratiques. Dans ce contexte, la commission prie le gouvernement d’indiquer les mesures prises ou envisagées en vue de l’adoption d’une stratégie globale de lutte contre l’esclavage et de préciser s’il entend pour cela mener une étude quantitative et qualitative sur la question de l’esclavage en Mauritanie.

La commission considère en outre que, une fois identifiées, il est important de prévoir des mesures d’accompagnement et de réinsertion des victimes. Il convient en effet d’accompagner matériellement et financièrement les victimes afin de les amener à porter plainte, d’une part, et d’éviter qu’elles ne retombent dans une situation de vulnérabilité aux termes de laquelle elles seraient de nouveau exploitées au travail, d’autre part. L’objectif étant que les victimes soient en mesure de reconstruire leur vie en dehors du foyer du maître. La commission prie le gouvernement d’indiquer si le plan national d’action envisage la création de structures destinées à faciliter la réinsertion sociale et économique des victimes. Par ailleurs, la commission souhaiterait également que le gouvernement indique si les victimes ont accès à un mécanisme de compensation du préjudice moral et matériel subi afin de pouvoir être indemnisées.

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