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Observation (CEACR) - adoptée 2012, publiée 102ème session CIT (2013)

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 - Mauritanie (Ratification: 1961)
Protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930 - Mauritanie (Ratification: 2016)

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La commission prend note des rapports communiqués en septembre 2011 et 2012 par le gouvernement sur l’application de la convention ainsi que des observations formulées par la Confédération générale des travailleurs de Mauritanie (CGTM), la Confédération libre des travailleurs de Mauritanie (CLTM) et la Confédération syndicale internationale (CSI), reçues respectivement le 22 août 2011, le 27 août 2012 et le 31 août 2012.
Article 1, paragraphe 1, article 2, paragraphe 1, et article 25 de la convention. Esclavage et pratiques analogues. Dans ses précédents commentaires, la commission a noté que le gouvernement avait pris un certain nombre de mesures positives qui témoignaient de son engagement à combattre l’esclavage et ses séquelles. Elle avait toutefois relevé que, malgré ces mesures, les victimes ne parvenaient pas à faire valoir leurs droits et avait demandé au gouvernement de prendre les mesures appropriées à cet égard. La commission avait également souligné l’importance d’une stratégie globale de lutte contre l’esclavage qui permettrait d’envisager cette problématique dans son ensemble. La commission note que, depuis sa dernière observation, la question de l’application de cette convention par la Mauritanie a été examinée par la Commission de l’application des normes de la Conférence internationale du Travail en juin 2010. Elle note également le rapport publié en août 2010 par la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences (A/HRC/15/20/Add.2).
a) Application effective de la législation. La commission rappelle que la loi no 2007/48 du 9 août 2007 portant incrimination et répression des pratiques esclavagistes (ci-après la loi de 2007) définit, incrimine et réprime les pratiques esclavagistes en distinguant les crimes d’esclavage des délits d’esclavage. Parmi ces délits, «quiconque s’approprie les biens, les fruits et les revenus résultant du travail de toute personne prétendue esclave ou extorque ses fonds est punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 50 000 à 200 000 ouguiyas» (art. 6). Par ailleurs, les Walis, Hakems, chefs d’arrondissement, officiers ou agents de police judiciaire qui ne donnent pas suite aux dénonciations de pratiques esclavagistes portées à leur connaissance sont passibles d’une peine de prison et d’une amende (art. 12). Enfin, les associations des droits de l’homme sont habilitées à dénoncer les infractions à la loi et à assister les victimes, ces dernières bénéficiant de la gratuité de la procédure judiciaire (art. 15). La commission avait relevé que cette loi avait fait l’objet d’une large publicité afin de favoriser la compréhension de la nature criminelle de l’esclavage. Elle avait insisté sur la nécessité de poursuivre le processus de sensibilisation compte tenu du fait que les victimes ne semblaient pas parvenir à faire valoir leurs droits auprès des autorités compétentes, et que le gouvernement n’avait pas été en mesure de fournir des informations sur les plaintes déposées, les enquêtes diligentées, ou l’initiation de poursuites judiciaires.
La commission relève que, dans ses observations, la CSI souligne qu’il est extrêmement difficile pour les victimes d’esclavage de surmonter les difficultés culturelles et juridiques pour pouvoir porter plainte et traduire leur maître en justice. La CSI se réfère aux réticences qui existent à différents niveaux de l’administration pour faire appliquer la loi. Alors que plusieurs victimes ont intenté des actions en justice contre leurs maîtres, il n’y a eu qu’une condamnation en novembre 2011. La CSI fait état de réticences à qualifier les faits en se basant sur la loi de 2007, de retards dans l’examen des cas, tant aux stades de l’enquête que de celui de l’initiation des poursuites, et d’un nombre important de réquisitions de non-lieu prononcées par les procureurs de la République et fournit plusieurs exemples à ce sujet.
La commission note que, dans son rapport de 2011, le gouvernement se réfère à cinq cas examinés en 2010 par la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH). Sur ces cinq cas, un seul a donné lieu à une condamnation judiciaire. Cette condamnation fait suite à l’intervention du ministère public qui a déposé un recours en annulation dans l’intérêt de la loi contre la décision de la cour d’appel de libérer une femme accusée d’avoir maintenu en esclavage deux enfants. Suite à ce recours, cette dernière a été condamnée à une peine de prison de six mois. Le gouvernement souligne que ce résultat a pu être obtenu grâce à la détermination sans équivoque des autorités publiques, la célérité des instructions données par le préfet, la coopération entre les ONG et la police, et l’intervention du ministère public. La commission relève que, dans son rapport de 2012, le gouvernement se réfère de manière générale à la réactivité des autorités à diligenter des enquêtes sur les allégations d’esclavage et à porter les cas d’allégations devant la justice, sans pour autant fournir d’informations concrètes sur les nouveaux cas d’application de la loi ni sur les décisions judiciaires rendues. Il précise que les cas avérés des séquelles de l’esclavage en Mauritanie sont devenus rares.
La commission relève que, dans son rapport, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage a constaté que des cas d’esclavage avaient été présentés aux autorités compétentes, mais soit ces affaires étaient requalifiées en «querelle de succession ou conflit foncier», soit elles ne donnaient pas lieu à des poursuites faute d’éléments de preuve suffisants, ou bien encore, la personne qui avait porté plainte avait subi des pressions de sa famille élargie, de son maître ou parfois des autorités locales pour la contraindre à retirer sa plainte. Il en résulte que les affaires ne sont jamais signalées comme des affaires d’«esclavage» de sorte que, sur le plan judiciaire, les cas d’esclavage n’existent pas.
La commission constate avec préoccupation qu’il ressort de l’ensemble de ces informations que les victimes continuent à rencontrer des difficultés pour être entendues et faire valoir leurs droits, tant au niveau des autorités relevant de la force publique que des autorités judiciaires. Elle relève que la Commission de la Conférence avait déjà fait part de sa préoccupation à cet égard. La commission souligne que les victimes de l’esclavage se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité économique et psychologique qui requiert une action spécifique de l’Etat. Or les autorités publiques qui devraient les protéger semblent manifester des réticences à faire appliquer la loi de 2007. La commission rappelle que, en vertu de l’article 25 de la convention, les Etats qui ratifient la convention ont l’obligation de s’assurer que les sanctions pénales prévues par la loi pour exaction de travail forcé sont réellement efficaces et strictement appliquées. La commission prie instamment le gouvernement de prendre les mesures appropriées pour s’assurer que les victimes sont effectivement en mesure de s’adresser aux autorités policières et judiciaires afin de faire valoir leurs droits, et que ces autorités diligentent les enquêtes de manière rapide, efficace et impartiale sur l’ensemble du territoire, comme l’exige la loi de 2007. La commission prie le gouvernement de fournir dans son prochain rapport des informations sur le nombre de cas d’esclavage qui ont été signalés aux autorités, le nombre de ceux pour lesquels une enquête a été menée et le nombre de ceux qui ont abouti à une action en justice. La commission considère que, pour faire reculer l’esclavage, il est indispensable que les peines de prison prévues dans la loi de 2007 soient effectivement prononcées à l’encontre de ceux qui imposent ces pratiques.
b) Stratégie globale de lutte contre l’esclavage. Dans ses précédents commentaires, la commission avait noté l’adoption du Plan national de lutte contre les séquelles de l’esclavage (PESE), budgétisé à un milliard d’ouguiyas (approximativement 3,3 millions de dollars E.-U.), qui couvre les domaines de l’éducation, la santé et les activités génératrices de revenus. Elle avait souligné que, en luttant contre la pauvreté, le plan national constituait l’un des axes de l’action pour combattre l’esclavage, cette action devant toutefois englober d’autres mesures telles que, par exemple, la sensibilisation de la société et des autorités compétentes ou encore des mesures pour lutter contre l’impunité et pour protéger les victimes. La commission avait ainsi attiré l’attention du gouvernement sur l’importance d’une stratégie globale de lutte contre l’esclavage.
La commission note que, dans ses deux derniers rapports, le gouvernement ne fournit pas d’informations concrètes sur les mesures prises dans le cadre du PESE, ni sur l’adoption d’une stratégie ou d’un plan global de lutte contre l’esclavage. Elle relève néanmoins que, lors de la discussion de ce cas par la Commission de la Conférence, le gouvernement a indiqué que plus de 1 000 actions avaient été menées dans le cadre du PESE, qui ont bénéficié à 93 000 personnes dans 282 localités. La Commission de la Conférence a souligné à cet égard que, si les mesures prises pour lutter contre la pauvreté constituent un élément important de la lutte contre l’esclavage, les programmes mis en œuvre doivent se fixer pour objectif de garantir l’indépendance économique des victimes de l’esclavage, et elle a demandé au gouvernement de prendre les mesures visant à améliorer les conditions économiques des populations les plus vulnérables pour qu’elles puissent sortir du cercle vicieux de la dépendance. La Commission de la Conférence a également souligné que la question de l’esclavage devait être traitée par la société mauritanienne dans son ensemble, et le gouvernement devait jouer un rôle clé dans la sensibilisation de la population et des autorités à cette problématique et adopter dans les plus brefs délais un plan national de lutte contre l’esclavage.
La commission relève que, dans ses observations, la CGTM se plaint du manque de détermination du gouvernement à mettre en place une politique cohérente de lutte contre l’esclavage et souligne l’urgence d’instaurer des programmes spécifiques, en concertation avec tous les acteurs sociaux. La CGTM indique que l’Etat doit instaurer un véritable dialogue national sur cette question afin de contribuer à un véritable éveil citoyen et opérer les ruptures définitives avec ces pratiques. La CLTM quant à elle considère que, en dépit des mesures prises, il n’y a pas une volonté politique réelle de mettre fin à l’esclavage. La CLTM affirme que, avec la complicité de l’Etat, l’esclavage reste une pratique vivante sur l’ensemble du territoire et se manifeste sous différentes formes qui maintiennent les esclaves et anciens esclaves sous le joug de leur maître ou ancien maître à travers la privation du droit de propriété, les pratiques d’expropriation, le maintien des esclaves dans le besoin et la dépendance. La CLTM considère que l’Etat ne garantit pas à ces catégories de citoyens l’accès aux infrastructures de base (écoles, santé, routes, etc.) et adopte une politique discriminatoire dans l’accès à certaines prestations. Enfin, la CSI souligne qu’il est indispensable que le gouvernement mette en place une stratégie nationale ou un plan qui s’attaque à l’esclavage, pratique persistante et répandue, ainsi qu’à ses vestiges et ses conséquences. Pour cela, la CSI considère qu’un organe interinstitutionnel doit être mis en place et que l’une de ses premières fonctions serait de mener une recherche sur le nombre de personnes victimes de l’esclavage.
La commission prend note de l’ensemble de ces informations. La commission exprime sa préoccupation face au manque d’informations, depuis 2010, sur les mesures concrètes qui ont été prises dans le cadre du PESE, dont le gouvernement n’a par ailleurs toujours pas communiqué copie, et face au fait que, dans le même temps, aucun progrès n’a été réalisé en vue de l’élaboration et la mise en œuvre d’une stratégie globale de lutte contre l’esclavage. La persistance de l’esclavage en Mauritanie a des causes diverses qui relèvent notamment de facteurs économiques et culturels. Face à la complexité de ce phénomène et à ses multiples manifestations, la commission souligne une nouvelle fois que les réponses à apporter doivent s’inscrire dans le cadre d’une stratégie globale de lutte contre l’esclavage qui couvre tous les domaines d’action et notamment la sensibilisation, la prévention, les programmes spécifiques permettant aux victimes de sortir de la situation de dépendance économique et psychologique, le renforcement des capacités des autorités de poursuite et judiciaires, la coopération avec les ONG, ainsi que la protection et la réinsertion des victimes. A cet égard, la commission rappelle, comme l’a fait observer la Commission de la Conférence, qu’il est primordial pour le gouvernement de disposer d’informations fiables, tant qualitatives que quantitatives, sur les caractéristiques de l’esclavage. Dans ces conditions, la commission prie instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires en vue de l’adoption et la mise en œuvre d’une stratégie globale de lutte contre l’esclavage, qui englobe les différents volets énumérés ci-dessus. La commission exprime le ferme espoir que cette stratégie s’accompagnera de travaux de recherche permettant de disposer d’un état des lieux de la réalité de l’esclavage afin de mieux planifier les interventions publiques en la matière et de s’assurer que les mesures prévues ciblent l’ensemble des populations et des régions concernées.
c) Protection et réinsertion des victimes. La commission rappelle qu’il est essentiel que les victimes, une fois identifiées, bénéficient de mesures d’accompagnement et de réinsertion. Elle avait demandé au gouvernement d’indiquer si le PESE envisageait la création de structures destinées à faciliter la réinsertion sociale et économique des victimes. La commission observe que, dans son rapport de 2011, le gouvernement indique que cinq personnes, dont les cas avaient été portés devant la Commission des droits de l’homme, ont bénéficié dans le cadre du PESE d’une aide financière directe ou du financement d’une activité génératrice de revenus. A ce sujet, la CSI affirme que le PESE n’a pas été doté de ressources financières et humaines suffisantes pour lutter correctement contre l’esclavage, qu’il n’est pas en mesure d’identifier et de suivre les victimes de manière systématique et intégrale, et que l’assistance financière accordée aux victimes est insuffisante pour faire face à l’ensemble de leurs besoins sur le long terme. La CSI ajoute que, après la démission de son directeur général en 2011, le PESE n’a pas été opérationnel pendant près d’un an.
La commission prend note de ces informations qui démontrent la nécessité de renforcer l’accompagnement matériel et financier des victimes afin de les amener à porter plainte, et d’éviter qu’elles ne retombent dans une situation de dépendance aux termes de laquelle elles seraient de nouveau exploitées au travail. La commission prie le gouvernement de fournir des informations sur les mesures concrètes qui auront été prises pour assurer une protection effective aux victimes de l’esclavage, que ce soit dans le cadre d’un renforcement du PESE ou dans le cadre de l’adoption de la stratégie globale de lutte contre l’esclavage. A cet égard, la commission espère que les mesures adoptées tiendront compte de la nécessité d’apporter un soutien juridique, économique et également psychologique aux victimes. Par ailleurs, la commission prie le gouvernement d’indiquer par quel mécanisme de compensation les victimes sont indemnisées du préjudice moral et matériel subi.
En conclusion, la commission espère que le gouvernement sera en mesure de fournir dans son prochain rapport des informations détaillées et concrètes sur les mesures prises pour continuer de lutter contre l’esclavage qui, d’après les différentes sources citées dans ce commentaire, demeure une pratique répandue: la Rapporteuse spéciale des Nations Unies concluant que «de facto l’esclavage en Mauritanie demeure un processus lent et invisible, qui a pour résultat la “mort sociale” de milliers de femmes et d’hommes». A cette fin, la commission veut croire que le gouvernement s’attaquera aux résistances qui existent encore dans les différentes sphères de la société mauritanienne.
Enfin, la commission espère que le gouvernement pourra se prévaloir de l’assistance technique du Bureau pour l’aider à surmonter les difficultés auxquelles il est confronté.
[Le gouvernement est prié de répondre en détail aux présents comentaires en 2013.]
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