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Observation (CEACR) - adoptée 2014, publiée 104ème session CIT (2015)

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 - Mauritanie (Ratification: 1961)
Protocole de 2014 relatif à la convention sur le travail forcé, 1930 - Mauritanie (Ratification: 2016)

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Dans ses précédents commentaires, la commission a prié instamment le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour continuer de lutter de manière efficace contre l’esclavage et ses séquelles et de fournir des informations détaillées et concrètes sur les mesures prises à cet égard. La commission note avec regret que, malgré des demandes expresses en ce sens, le gouvernement n’a pas fourni de rapport en 2013 et 2014. Elle prend note des observations formulées par la Confédération libre des travailleurs de Mauritanie (CLTM) reçues le 31 août 2014 ainsi que de la réponse du gouvernement. Elle note également les informations contenues dans le rapport publié en août 2014 par la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les formes contemporaines d’esclavage, y compris leurs causes et leurs conséquences (A/HRC/27/53/Add.1).
Article 1, paragraphe 1, article 2, paragraphe 1, et article 25 de la convention. Esclavage et pratiques analogues.
  • a) Application effective de la législation
La commission rappelle que la loi no 2007/48 du 9 août 2007 portant incrimination et répression des pratiques esclavagistes (ci-après la loi de 2007) définit, incrimine et réprime les pratiques esclavagistes en distinguant les crimes d’esclavage des délits d’esclavage. Parmi ces délits «quiconque s’approprie les biens, les fruits et les revenus résultant du travail de toute personne prétendue esclave ou extorque ses fonds est punie d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 50 000 à 200 000 ouguiyas» (art. 6). La loi habilite les associations des droits de l’homme à dénoncer les infractions et à assister les victimes et prévoit la gratuité de la procédure judiciaire pour les victimes (art. 15). La commission a constaté que si la loi avait fait l’objet d’une large publicité afin de favoriser la compréhension de la nature criminelle de l’esclavage, il ressortait de l’ensemble des informations disponibles que les victimes continuaient à rencontrer des difficultés pour être entendues et faire valoir leurs droits, tant au niveau des autorités administratives, et notamment la force publique, que des autorités judiciaires.
Dans ses observations de 2013, la CLTM a considéré que les mesures d’accompagnement de la loi de 2007 sont restées lettre morte et qu’il était toujours extrêmement difficile pour les victimes de porter leur cas devant les instances administratives et judiciaires compétentes. La commission relève à cet égard que, dans son rapport de 2014, la Rapporteuse spéciale des Nations Unies indique qu’elle reste préoccupée par le faible nombre de poursuites judiciaires initiées sur la base de la loi de 2007 et souligne la nécessité pour les institutions et parties prenantes d’appliquer la loi, sans idées préconçues. A cet égard, la commission relève que, dans le rapport annuel de la Commission nationale des droits de l’homme de Mauritanie (CNDH), publié en mai 2014 et disponible sur le site Internet de cette institution, il est fait référence à la décision du Conseil supérieur de la magistrature du 30 décembre 2013 de créer une cour spéciale chargée des crimes de pratiques esclavagistes.
La commission rappelle que, en vertu de l’article 25 de la convention, les Etats qui ratifient la convention ont l’obligation de s’assurer que les sanctions pénales prévues par la loi pour exaction de travail forcé sont réellement efficaces et strictement appliquées. Elle souligne à cet égard que les victimes de l’esclavage se trouvent dans une situation de grande vulnérabilité économique et psychologique qui requiert une action spécifique de l’Etat. Soulignant que depuis l’adoption de la loi de 2007, un seul cas a donné lieu à une condamnation judiciaire, la commission prie instamment le gouvernement de prendre les mesures appropriées pour s’assurer que les victimes d’esclavage sont effectivement en mesure de faire valoir leurs droits, et que lorsque les autorités administratives ou judiciaires sont saisies de plaintes, celles-ci diligentent les enquêtes de manière rapide, efficace et impartiale sur l’ensemble du territoire, comme l’exige la loi de 2007. Prenant dûment note de la décision visant à établir une juridiction spéciale chargée des crimes de pratiques esclavagistes, la commission espère que les mesures seront prises pour instituer cette juridiction dans les plus brefs délais et s’assurer qu’elle disposera de moyens d’action à la hauteur de la gravité des crimes dont elle aura à connaître. Enfin, la commission prie le gouvernement d’indiquer le nombre de cas d’esclavage qui ont été signalés aux autorités, le nombre de ceux pour lesquels une enquête a été menée et le nombre de ceux qui ont abouti à une action en justice.
  • b) Cadre stratégique et institutionnel de lutte contre l’esclavage
Dans ses précédents commentaires, la commission a souligné que les réponses à apporter au phénomène complexe de l’esclavage et à ses manifestations doivent s’inscrire dans le cadre d’une stratégie globale couvrant tous les domaines d’action et notamment la sensibilisation, la prévention, les programmes spécifiques permettant aux victimes de sortir de leur situation de dépendance économique et psychologique, le renforcement des capacités des autorités de poursuite et judiciaires, la coopération avec la société civile, ainsi que la protection et la réinsertion des victimes. La commission a précédemment noté les mesures prises dans le domaine de la santé, de l’éducation et de la lutte contre la pauvreté dans le cadre du Plan national de lutte contre les séquelles de l’esclavage (PESE) et a souligné l’importance d’adopter des mesures complémentaires ciblant les populations victimes ou à risque; la CLTM ayant indiqué à cet égard en 2013 que le PESE a été détourné de son objectif et n’a pas atteint les villages des anciens esclaves.
La commission note qu’en mars 2013 a été créée l’Agence nationale Tadamoun pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage, l’insertion et la lutte contre la pauvreté (décret no 048-2013). Elle relève que, tant dans ses observations de 2013 que de 2014, la CLTM considère que cette agence ne dispose pas des moyens d’agir et que, un an après sa création, elle ne peut faire état d’un bilan dans le domaine de la lutte contre les séquelles de l’esclavage. Le gouvernement indique en réponse que l’agence a pour mission la conception et l’exécution sur le terrain des programmes économiques et sociaux à travers des actions portant sur l’accès à l’eau potable et aux services de base, la promotion de l’habitat et des activités génératrices de revenus à destination des couches les plus vulnérables de la société en vue de résorber les inégalités et encourager la cohésion sociale. L’agence est également habilitée à dénoncer les infractions à la loi de 2007 et à assister les victimes.
La commission relève également d’après les informations disponibles dans les rapports précités de la CNDH et de la Rapporteuse spécial des Nations Unies que, en mars 2014, les autorités mauritaniennes ont adopté la feuille de route pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage. Cette feuille de route, préparée de façon participative avec les départements publics concernés et avec l’appui du Haut-Commissariat aux droits de l’homme, contient 29 recommandations dans les domaines juridique, économique et social, et de la sensibilisation. Pour chaque recommandation, les entités responsables de son exécution ont été identifiées et des délais ont été fixés.
La commission salue la mise en place de l’agence Tadamoun et l’adoption de la feuille de route qui constituent deux mesures importantes pour faire avancer la lutte contre l’esclavage en Mauritanie. La commission considère cependant que pour que la feuille de route pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage constitue une impulsion efficace dans le combat contre ces pratiques, le gouvernement doit prendre les mesures appropriées pour que des résultats concrets et rapides puissent être constatés dans la pratique. La commission veut croire que le gouvernement ne manquera pas de fournir, dans son prochain rapport, des informations détaillées sur la mise en œuvre des 29 recommandations contenues dans la feuille de route pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage. Notant que les recommandations nos 28 et 29 se réfèrent à la création d’une commission de suivi des mesures programmées et leur évaluation périodique, la commission prie le gouvernement d’indiquer si cette commission a été créée et de préciser les activités qu’elle a menées. Enfin, la commission rappelle l’importance de mener des travaux de recherche permettant de disposer d’un état des lieux de la réalité de l’esclavage afin de mieux planifier les interventions publiques et de s’assurer que les activités développées par l’agence Tadamoun ciblent l’ensemble des victimes et les régions concernées, et prie le gouvernement d’indiquer les mesures prises à cette fin.
La commission note que, dans son rapport, la CNDH souligne qu’«il est impératif d’initier des programmes de sensibilisation autour de l’illégalité et de l’illégitimité de l’esclavage et de la loi de 2007 en impliquant fortement les autorités religieuses, les élus et la société civile». Elle recommande que «cette sensibilisation soit mise en œuvre avec l’implication effective des autorités religieuses dont les positions et avis sur la question devraient être sans équivoques». La commission prie le gouvernement de continuer à prendre des mesures pour sensibiliser la population et les autorités responsables de faire appliquer la loi à la problématique de l’esclavage. Prière également d’indiquer les mesures prises pour renforcer les capacités de ces autorités en vue d’assurer une meilleure identification et protection des victimes.
En conclusion, la commission rappelle que, afin de lui permettre d’évaluer adéquatement la politique menée par le gouvernement, il est essentiel que ce dernier communique des informations complètes et détaillées à cet égard dans les rapports qu’il a l’obligation de soumettre sur l’application de la convention.
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