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Observation (CEACR) - adoptée 2015, publiée 105ème session CIT (2016)

Convention (n° 29) sur le travail forcé, 1930 - Erythrée (Ratification: 2000)

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Suivi des conclusions de la Commission de l’application des normes (Conférence internationale du Travail, 104e session, mai-juin 2015)

La commission prend note de la discussion qui a eu lieu au sein de la Commission de l’application des normes de la Conférence en juin 2015 concernant l’application de la convention. Elle note également les observations formulées par l’Organisation internationale des employeurs (OIE) et la Confédération syndicale internationale (CSI) reçues respectivement le 31 août et 1er septembre 2015. La commission note avec regret qu’en dépit des demandes spécifiques à cet égard de cette commission et de la Commission de la Conférence, le gouvernement n’a pas fourni de rapport.
La commission note que la Commission de la Conférence a discuté en détail la pratique généralisée et systématique d’imposition de travail obligatoire à la population pendant une durée indéfinie dans le cadre du programme du service national qui englobe tous les domaines de la vie civile, et qui dépasse donc largement le service militaire. Les discussions ont également fait ressortir que les travailleurs qui refusent d’effectuer des travaux dans le cadre du service national sont arbitrairement arrêtés et détenus et qu’ils sont emprisonnés dans des conditions inhumaines. Tout en notant les explications fournies par le gouvernement sur le conflit frontalier en cours, l’absence de paix et de stabilité qui pèse sur l’administration du travail du pays et le caractère imprévisible des conditions météorologiques, la Commission de la Conférence a prié instamment le gouvernement de modifier ou d’abroger la Proclamation relative au service national (no 82 de 1995) et la Campagne de développement Warsai Yakaalo de 2002 afin de mettre un terme au travail forcé lié au programme du service national et de garantir que, dans la pratique, les conscrits ne seront plus utilisés de manière contraire à la convention, et de libérer immédiatement tous les «insoumis» qui refusent de participer à la conscription obligatoire, qui va au delà de l’exception prévue par la convention.
La commission prend note du rapport de la Commission d’enquête sur les droits de l’homme en Erythrée mise en place suite à la résolution 26/24 du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. La commission d’enquête décrit comment, sous prétexte de défendre l’intégrité de l’Etat et d’assurer son autosuffisance, les Erythréens sont soumis à un système de service national et de travail forcé au terme duquel ils sont abusés, exploités et asservis pour des périodes indéfinies. La commission d’enquête constate que le gouvernement a, de manière illégale et systématique, utilisé des conscrits et d’autres membres de la population, y compris les membres de la milice dont plusieurs avaient dépassé l’âge de la retraite, comme travailleurs forcés afin de construire des infrastructures et de poursuivre l’objectif de développement économique et d’autosuffisance de l’Etat, contribuant ainsi de manière indirecte à maintenir un gouvernement totalitaire qui est au pouvoir depuis les vingt-quatre dernières années. Le recours au travail forcé est si répandu en Erythrée que tous les secteurs de l’économie en dépendent, et tous les Erythréens sont susceptibles d’y être soumis à un moment ou un autre de leur vie. Le gouvernement profite aussi régulièrement du travail presque gratuit des conscrits et des détenus pour obtenir un profit financier illégitime en «prêtant» ces travailleurs aux entreprises étrangères qui versent au gouvernement des salaires considérablement plus élevés que les montants que le gouvernement verse aux travailleurs (A/HRC/29/42 du 4 juin 2015).
Finalement, la commission note que, dans leurs observations, tant l’OIE que la CSI expriment leur préoccupation face à la situation et réitèrent les demandes qui ont été faites au gouvernement lors de la discussion au sein de la Commission de la Conférence. La CSI souligne que la gravité et les conséquences de l’utilisation du travail forcé dans le cadre du service national sont énormes et ne conduisent pas seulement à l’exploitation sévère de travailleurs, mais également à une crise humanitaire dont les femmes et les enfants sont particulièrement victimes.
La commission prie instamment et fermement le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour assurer l’application de la convention, en droit et en pratique, comme demandé par la Commission de la Conférence et cette commission dans ses précédents commentaires, qui étaient rédigés dans les termes suivants:
Article 1, paragraphe 1, et article 2, paragraphe 1, de la convention. Service national obligatoire. Depuis un certain nombre d’années, la commission se réfère à l’article 3(17) de la Proclamation relative au travail de l’Erythrée (no 118/2001), selon lequel l’expression «travail forcé» n’inclut pas le service national obligatoire. Elle a noté que, en vertu de l’article 25(3) de la Constitution, les citoyens doivent accomplir leur devoir de service national. Elle a par ailleurs noté que, bien que la durée du service national obligatoire ait initialement été fixée à dix-huit mois (aux termes de la Proclamation no 82 de 1995 relative au service national), la conscription de tous les citoyens âgés de 18 à 40 ans pour une période indéterminée a été institutionnalisée avec le lancement de la «Campagne de développement Warsai Yakaalo», qui a été approuvée par l’Assemblée nationale en 2002. A cet égard, la commission prend note de la déclaration du gouvernement selon laquelle l’obligation d’accomplir le service national obligatoire fait partie des obligations civiques normales de tout citoyen, et par conséquent relève du domaine des exceptions prévues dans la convention, en particulier: le travail ou service exigé en vertu des lois sur le service militaire obligatoire ainsi que le travail ou service exigé dans les cas de force majeure.
S’agissant du lien entre service national et travail exigé en vertu des lois sur le service militaire obligatoire, la commission note l’indication du gouvernement selon laquelle tout travail ou service exigé en vertu de l’article 5 de la Proclamation de 1995 relative au service national constitue un travail à caractère purement militaire. Le gouvernement indique, toutefois, que les conscrits peuvent aussi être appelés à s’acquitter d’autres tâches, comme la construction de routes et de ponts. Selon le gouvernement, des conscrits du service national ont participé à de nombreux programmes, notamment de reforestation, de préservation des sols et de l’eau, de reconstruction, ainsi qu’à des activités visant à améliorer la sécurité alimentaire. La commission note par ailleurs que, aux termes de l’article 5 de la proclamation susmentionné, les objectifs du service national visent, entre autres buts, à créer une nouvelle génération, caractérisée par l’amour du travail et la discipline et qui soit prête à servir et à participer à la reconstruction de la nation; ainsi qu’à développer et à renforcer l’économie en «investissant dans la valorisation du travail de la population en tant que richesse potentielle».
La commission rappelle que, aux termes de l’article 2, paragraphe 2 a), de la convention, les travaux ou services exigés en vertu des lois sur le service militaire obligatoire ne sont exclus du champ d’application de la convention qu’à la condition qu’ils revêtent un caractère purement militaire. Cette condition vise expressément à empêcher la réquisition de conscrits pour la réalisation de travaux publics, et a son corollaire à l’article 1 b) de la convention (nº 105) sur l’abolition du travail forcé, 1957, qui interdit le recours au travail forcé ou obligatoire «en tant que méthode de mobilisation et d’utilisation de la main-d’œuvre à des fins de développement économique». La commission attire par conséquent l’attention du gouvernement sur le fait que les travaux imposés aux conscrits dans le cadre du service national qui comportent des activités relatives au développement national ne sont pas à caractère purement militaire. Toutefois, afin de respecter les limites de l’exception prévue à l’article 2, paragraphe 2 d), de la convention, le pouvoir de mobiliser de la main-d’œuvre devrait être restreint aux véritables situations d’urgence ou cas de force majeure survenant de manière abrupte et imprévisible et qui appellent des contre-mesures immédiates. En outre, la durée et l’étendue du service obligatoire, ainsi que les fins auxquelles les autorités y recourent devraient être limitées au strict nécessaire eu égard à la situation.
Tout en prenant note des informations fournies par le gouvernement, ainsi que de sa description factuelle de la situation du pays, qu’il considère être sous la «menace d’une guerre et d’une famine», la commission observe que la pratique généralisée et systématique d’imposer du travail obligatoire à la population pour une période indéfinie, dans le cadre du programme du service national, sort largement du cadre des exceptions prévues par la convention. Les obligations étendues imposées à la population – ainsi que le fait pour les conscrits de ne pas avoir la liberté de quitter le service national, comme indiqué par le gouvernement – sont incompatibles tant avec la convention no 29 qu’avec la convention no 105, qui interdisent toutes deux le recours au travail forcé ou obligatoire en tant que méthode de mobilisation et d’utilisation de la main-d’œuvre à des fins de développement économique. A la lumière des considérations qui précèdent, la commission prie instamment le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour modifier ou abroger la Proclamation no 82 de 1995 relative au service national, ainsi que la déclaration de 2002 intitulée «Campagne de développement Warsai Yakaalo», afin de supprimer la base légale sur laquelle se fonde le recours au travail obligatoire dans le contexte du service national, et de mettre ces textes en conformité avec les conventions nos 29 et 105. Dans l’attente de l’adoption de telles mesures, la commission prie instamment le gouvernement de prendre des mesures concrètes en vue de limiter l’imposition de travaux ou de services obligatoires à la population aux véritables cas d’urgence ou de force majeure, et de veiller à ce que la durée et l’étendue de ce travail ou de ces services obligatoires, ainsi que les fins auxquelles ils sont destinés, soient limitées à ce qui est strictement nécessaire eu égard à la situation.
La commission soulève d’autres questions dans une demande qu’elle adresse directement au gouvernement.
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