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Observation (CEACR) - adoptée 2017, publiée 107ème session CIT (2018)

Convention (n° 105) sur l'abolition du travail forcé, 1957 - Azerbaïdjan (Ratification: 2000)

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Observation
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Article 1 a) de la convention. Peines comportant l’obligation de travailler imposées en tant que sanctions de l’expression d’opinions politiques ou de la manifestation d’une opposition idéologique à l’ordre politique, social ou économique établi. Dans ses précédents commentaires, la commission a attiré l’attention du gouvernement sur plusieurs dispositions du Code pénal, qui prévoient des sanctions de travail correctionnel ou d’emprisonnement qui toutes deux comportent une obligation de travailler en vertu de l’article 95 du Code d’application des peines. De plus ces dispositions sont libellées en des termes suffisamment larges pour pouvoir être utilisées pour sanctionner l’expression d’opinions opposées à l’ordre politique, social ou économique établi. Ces dispositions sont les suivantes:
  • -l’article 147 concernant la diffamation définie comme «la diffusion, dans le cadre d’une déclaration publique […] ou dans les médias, d’informations fausses qui discréditent l’honneur et la dignité d’une personne»;
  • -les articles 169.1 et 233, lus conjointement avec les articles 7 et 8 de la loi sur la liberté de réunion concernant «l’organisation ou la participation à un rassemblement public interdit» et «l’organisation d’actions collectives qui portent atteinte à l’ordre public»; et
  • -l’article 283.1 du Code pénal incriminant «l’incitation à l’inimitié nationale, raciale ou religieuse».
La commission s’est référée à deux jugements rendus en 2008 et 2010 par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans lesquels elle a estimé que les condamnations basées sur l’article 147 du Code pénal constituaient une violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme qui protège la liberté d’expression. La commission a en outre noté que le gouvernement avait adopté en 2013 des amendements visant à élargir le champ d’application de l’article 147 du Code pénal en instituant la responsabilité pénale pour les actes de diffamation commis «par le biais d’une source d’information accessible publiquement par Internet», malgré l’engagement du gouvernement à dépénaliser la diffamation. La première condamnation à une peine de prison pour diffamation en ligne a été prononcée le 14 août 2013. En outre, le 22 mai 2014, la CEDH a rendu un jugement dans une affaire de condamnation à une peine de prison fondée sur le chef d’accusation d’«atteinte à l’ordre public» (art. 233 du Code pénal), puis remplacé par celui plus sérieux d’«émeute» (art. 220.1 du code), dont le véritable objet était selon la CEDH de réduire au silence ou de sanctionner une personnalité politique de l’opposition (Ilgar Mammadov c. Azerbaïdjan, requête no 151172/13).
La commission a aussi noté que, comme l’avaient souligné et condamné de nombreux organes et institutions européens et des Nations Unies, il a été observé ces dernières années une tendance de plus en plus marquée à utiliser différentes dispositions du Code pénal pour engager des poursuites contre des journalistes, blogueurs, défenseurs des droits de l’homme et autres, qui expriment des opinions critiques, en portant à leur encontre des accusations discutables qui semblent s’expliquer par des motifs politiques, ceci ayant pour conséquence de longues périodes de travail correctionnel ou d’emprisonnement comportant une obligation de travailler. A cet égard, la commission a observé que les dispositions suivantes du Code pénal ont souvent été utilisées à cette fin: insulte (art. 148), malversation (art. 179.3.2), activité commerciale illégale (art. 192), évasion fiscale (art. 213), vandalisme (art. 221), trahison d’Etat (art. 274), et abus de pouvoir (art. 308). Prenant note de toutes ces informations avec une profonde préoccupation, la commission a instamment et fermement prié le gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour s’assurer qu’aucune sanction comportant une obligation de travailler ne puisse être imposée contre des personnes qui expriment pacifiquement des opinions politiques opposées à l’ordre établi.
La commission prend note de l’indication donnée par le gouvernement dans son rapport suivant laquelle, s’agissant de l’article 147 du Code pénal, s’appuyant sur l’avis de la CEDH, la Cour suprême a déposé au Parlement une proposition visant à ce que la diffamation ne soit passible que de peines d’amende et que d’autres formes de sanctions soient supprimées dans le Code pénal. Le gouvernement indique aussi que 4 personnes ont été condamnées en 2014, 10 en 2015 et 4 en 2016 au titre de l’article 233 du Code pénal.
La commission note également que, selon le rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l’homme concernant sa mission en Azerbaïdjan, du 20 février 2017, l’Assemblée nationale a approuvé en novembre 2016, sur proposition du Procureur général, des amendements au Code pénal ajoutant l’article 148(1) (poster des propos diffamatoires ou insultants sur une source d’information accessible par Internet en utilisant de faux noms, profils ou comptes d’utilisateur), passible d’une peine d’emprisonnement d’un an maximum, et élargissant l’article 323(1) (humilier ou entacher l’honneur et la dignité du Président dans des déclarations publiques, des produits diffusés en public ou dans les médias) aux activistes en ligne utilisant de faux noms, profils ou comptes d’utilisateur, passible d’une peine d’emprisonnement de trois ans maximum (A/HRC/34/52/Add.3, paragr. 46). Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a lui aussi exprimé, dans ses conclusions de novembre 2016, ses préoccupations devant le fait que la peine de prison maximum prévue par le Code des infractions administratives pour des chefs d’accusation mineurs, sur base desquels les défenseurs des droits de l’homme sont souvent inculpés (par exemple vandalisme, résistance aux forces de l’ordre et entrave à la circulation), a été portée de 15 à 90 jours. Cette peine correspond maintenant à la peine minimum de détention prévue par le Code pénal, ce qui revient à en faire, de fait, une sanction pénale (CCPR/C/AZE/CO/4, paragr. 20). En outre, selon les conclusions de la mission en Azerbaïdjan, en mai 2016, du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire, les défenseurs des droits de l’homme, journalistes, opposants politiques et dirigeants religieux qui critiquent le gouvernement et ses politiques s’exposent à des restrictions à leur activités professionnelles et à leur liberté individuelle. Au moins 70 d’entre eux seraient en détention pour des chefs d’accusation portant sur la détention de drogue ou d’armes, de vandalisme ou d’évasion fiscale. Des avocats qui ont aidé à porter les cas de défenseurs des droits de l’homme devant la CEDH ont été détenus sur des accusations d’évasion fiscale, d’entreprise clandestine et d’abus d’autorité (A/HRC/36/37/Add.1, paragr. 80).
La commission note en outre que la CEDH a continué à auditionner des cas portant sur l’Azerbaïdjan concernant des détentions et des condamnations de personnes ayant exprimé des opinions ne correspondant pas à l’ordre politique établi, notamment dans les affaires suivantes: Yagublu c. Azerbaïdjan, requête no 31703/13, arrêt du 5 novembre 2015; Huseynli et al. c. Azerbaïdjan, requête no 67360/11, 67964/11 et 69379/11, arrêt du 11 février 2016, et Rasul Jafarov c. Azerbaïdjan, requête no 69981/14, arrêt du 12 mars 2016, entre autres. Or, les arrêts de la CEDH, y compris celui concernant M. Ilgar Mammadov rendu en 2014, ne sont pas appliqués par le gouvernement. De plus, dans son intervention de tiers dans les cas entendus par la CEDH, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe conclut à un schéma clair de répression, en Azerbaïdjan, contre ceux qui expriment un désaccord avec les autorités ou des critiques à leur égard. Sont concernés les défenseurs des droits de l’homme, les journalistes, les blogueurs et autres activistes qui font face à un large éventail de chefs d’accusation qui minent leur crédibilité. Ces poursuites pénales constituent aussi des représailles contre ceux qui coopèrent avec des institutions internationales (CommDH(2016)6, paragr. 46; CommDH(2016)42, paragr. 44).
Notant l’absence de toute amélioration dans la situation, comme décrit ci dessus, la commission déplore une législation de plus en plus restrictive ainsi que l’augmentation constante du nombre de poursuites administratives et pénales initiées par les autorités pour supprimer l’expression pacifique d’opinions politiques ou la manifestation d’une opposition idéologique contraires à l’ordre établi, en dépit des nombreux appels d’organes et institutions européens et des Nations Unies. La commission attire à nouveau l’attention du gouvernement sur le fait que les garanties légales concernant l’exercice de la liberté de pensée et d’expression, du droit de réunion pacifique de la liberté d’association, du droit de ne pas être arrêté pour un motif arbitraire constituent une protection importante contre l’imposition de travail forcé ou obligatoire en tant que sanction de l’expression de certaines opinions politiques ou idéologiques, ou en tant que mesure de coercition ou d’éducation politique (voir étude d’ensemble de 2012 sur les conventions fondamentales, paragr. 302). En conséquence, la commission prie donc instamment et fermement le gouvernement de prendre des mesures immédiates et efficaces pour s’assurer qu’aucune sanction comportant une obligation de travailler n’est imposée, tant en droit qu’en pratique, à l’encontre des personnes qui expriment pacifiquement des opinions politiques opposées à l’ordre établi. A cet égard, la commission prie le gouvernement de s’assurer que les articles précités du Code pénal sont modifiés en restreignant expressément le champ d’application de ces dispositions à des situations dans lesquelles il y a eu recours ou incitation à la violence ou en supprimant les sanctions qui comportent une obligation de travailler. Elle prie aussi le gouvernement de prendre les mesures nécessaires pour s’assurer que l’application dans la pratique du Code pénal et du Code des infractions administratives ne débouche pas sur des sanctions impliquant du travail obligatoire dans des situations faisant l’objet de l’article 1 a) de la convention. Enfin, la commission prie le gouvernement de fournir des informations sur tout progrès accompli à cet égard.
La commission soulève d’autres questions dans une demande qu’elle adresse directement au gouvernement.
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