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Rapport intérimaire - Rapport No. 12, 1954

Cas no 16 (France) - Date de la plainte: 30-JUIL.-51 - Clos

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  1. 292. Dès sa première session, en janvier 1952, le Comité a été saisi de quatre plaintes, renvoyées à l'O.I.T par le Conseil économique et social lors de sa 13ème session. Elles émanaient respectivement de l'Union générale des syndicats confédérés du Maroc, de l'Union marocaine des syndicats de cheminots, de la Fédération syndicale mondiale et de l'Union locale des syndicats de Casablanca. Saisi également des observations présentées au sujet de ces plaintes par le gouvernement français, le Comité avait sollicité de celui-ci certaines informations complémentaires.
  2. 293. A sa deuxième session (mars 1952), le Comité, répondant au désir exprimé par le gouvernement français, qui lui avait fait savoir que la réunion des informations souhaitées par le Comité était en cours, a ajourné l'examen du cas à une session ultérieure.
  3. 294. A sa troisième session (mai 1952), le Comité a décidé de solliciter du gouvernement français certains autres renseignements complémentaires avant de formuler ses recommandations au Conseil d'administration.
  4. 295. A sa quatrième session (décembre 1952), le Comité, ayant été saisi de plusieurs nouvelles plaintes - soit renvoyées à l'O.I.T par le Conseil économique et social à sa 14ème session, soit adressées directement à l'O.I.T. - émanant respectivement de l'Union générale des syndicats confédérés du Maroc, de l'Union marocaine des syndicats de cheminots, de l'Union des cheminots de la Fédération des syndicats libres d'Allemagne, de la Confédération générale du travail (Meknès), de la Fédération nationale des travailleurs des P.T.T. (Paris) et de la Fédération des mineurs marocains (Casablanca), a décidé d'ajourner l'examen du cas à une session ultérieure.
  5. 296. A sa cinquième session (février 1953), le Comité a été saisi d'une plainte de la Confédération internationale des syndicats libres. Après avoir pris note d'une déclaration du représentant du gouvernement français lui faisant connaître que des négociations étaient en cours au sujet de l'établissement d'une nouvelle législation syndicale au Maroc, il a décidé de surseoir à nouveau à l'examen du cas.
  6. 297. A sa sixième session (juin 1953), le Comité a été saisi de sept nouvelles plaintes, renvoyées à l'O.I.T par le Secrétaire général des Nations Unies. Constatant que trois de ces plaintes ne contenaient aucune allégation nouvelle par rapport à celles qui avaient déjà été portées à la connaissance du gouvernement français, il a estimé qu'il n'y avait pas lieu de les communiquer à ce dernier. Les quatre autres plaintes, qui ont été transmises pour observations au gouvernement français, émanaient respectivement de l'Union générale des syndicats confédérés du Maroc, de la Confédération générale du travail (Rabat), du Syndicat des cheminots de Meknès et de l'Union algérienne des travailleurs des chemins de fer.
  7. 298. A cette même session, le Comité, après avoir pris note d'une communication du gouvernement français l'informant, d'une part, que des pourparlers étaient engagés avec S.M. le Sultan du Maroc au sujet d'une nouvelle législation syndicale, et, d'autre part, que le Résident général de France au Maroc avait d'ores et déjà pris certaines mesures pour favoriser la création au sein des entreprises d'organismes librement élus par les salariés marocains et chargés de représenter leurs intérêts auprès de la direction, a exprimé le désir d'être tenu au courant des développements ultérieurs et formulé le voeu que le gouvernement français prenne des mesures en vue d'appliquer au Maroc les mêmes principes qu'il a appliqués en matière de liberté syndicale dans d'autres territoires moins évolués qui relèvent de son administration.
  8. 299. A sa septième session (novembre 1953), le Comité a été saisi d'une plainte de la Fédération syndicale mondiale et d'une plainte de l'Union internationale des travailleurs des P.T.T et de la radio. Les faits allégués dans cette dernière ayant déjà été mentionnés dans les plaintes antérieures, il a décidé de ne se prononcer à leur égard que lorsqu'il reprendrait l'examen de l'ensemble du cas. Il a décidé, d'autre part, d'ajourner à sa huitième session l'examen du cas, de manière à permettre au gouvernement français de présenter ses observations sur les plaintes qui lui avaient été transmises depuis la sixième session du Comité.

B. Analyse des plaintes

B. Analyse des plaintes
  1. 300. Etant donné que les diverses plaintes présentées se complètent mutuellement, il a semblé préférable, pour la clarté de l'exposé, de les analyser ensemble plutôt que séparément et de dégager successivement les principales allégations qu'elles contiennent. Ces allégations peuvent se répartir en trois catégories principales suivant qu'elles se réfèrent : a) aux mesures arbitraires prises à l'encontre de responsables syndicaux et à la répression de mouvements de revendications sociales; b) aux entraves apportées à la tenue des réunions syndicales; c) à la non-reconnaissance du droit syndical aux travailleurs marocains.
    • Allégations relatives aux mesures arbitraires prises à l'encontre de responsables syndicaux et à la répression de mouvements de revendication sociale
  2. 301. Dans le premier groupe de plaintes renvoyé à l'O.I.T par le Conseil économique et social à sa 13ème session, il était allégué que de nombreux dirigeants syndicalistes avaient été emprisonnés ou expulsés pour leur action en faveur du peuple marocain. Dans bien des cas, il leur aurait été interdit de se rendre dans telle ou telle région, même lorsqu'il s'agissait de leur région d'origine. Ils auraient été l'objet d'une surveillance policière. Des militants syndicalistes venant de France ou d'ailleurs auraient subi un traitement identique.
  3. 302. Les plaignants avaient cité notamment les cas suivants : M. A. Leroy, secrétaire de l'Union générale des syndicats confédérés du Maroc, aurait été expulsé; M. Bouhamida, secrétaire du Syndicat des mineurs de Djérada, aurait été condamné aux travaux forcés; M. Fehrat Mohamed, secrétaire de l'Union locale de Safi, aurait été expatrié et condamné à deux ans de prison ; MM. Théodore (de Safi), D. Jésus (de Port-Lyautey), Allal (de Djérada), Ouali (de Djérada), Carnicelli (de Casablanca), Germain Ayache (de Casablanca), Alphonse Alloccio, secrétaire général de la Fédération de l'éclairage, auraient été expulsés.
  4. 303. Les plaintes déposées depuis le mois de juillet 1951 contiennent également une série d'allégations du même genre. Elles mentionnent notamment les principales allégations suivantes.
  5. 304. En juillet 1951, quatre délégués de la Compagnie sucrière marocaine de Casablanca auraient été licenciés.
  6. 305. En novembre 1951, au lendemain d'une réunion de la Commission exécutive de l'Union marocaine des syndicats de cheminots, M. Mahjoub ben Hadj-Seddik, secrétaire général de cette Union, aurait été condamné à deux ans de prison.
  7. 306. En janvier 1952, M. René Toussaint, secrétaire général de l'Union locale de Meknès, qui avait déjà été plusieurs fois arrêté au cours de l'année 1951, aurait été l'objet d'une mesure d'expulsion. A cette même époque, M. Mahmoun Alaoui, membre du bureau de la Fédération postale marocaine, aurait été arbitrairement emprisonné.
  8. 307. En mars 1952, trois ouvriers de la station de pilotage du port de Casablanca - qui ne délivrerait même pas de cartes de travail à ses ouvriers - auraient été licenciés. Des licenciements auraient été effectués aux Etablissements de teinturerie « Valteint », ainsi qu'aux boulangeries Gautier et Leroy.
  9. 308. A la même époque, un mouvement de revendication des marins pêcheurs sardiniers du port de Safi - centre dans lequel le mouvement syndical englobe la presque totalité des travailleurs - aurait été violemment réprimé par la police. Il y aurait eu des morts et de nombreux blessés, la police ayant tiré sur les travailleurs alors qu'ils étaient allés réclamer la libération de responsables syndicaux qui avaient été arrêtés sans raison.
  10. 309. En avril 1952, M. Maalen Driss, secrétaire de la section syndicale des travailleurs des chantiers navals Huyghes, aurait été licencié parce que les travailleurs de ces chantiers avaient déposé un cahier de revendications.
  11. 310. En avril 1952, à la suite d'un mouvement de grève à la Raffinerie nouvelle du Maroc, par lequel les travailleurs entendaient obtenir qu'il soit satisfait à des revendications déposées depuis le mois de juillet 1951, quatre militants syndicalistes auraient été arrêtés par la police à leur domicile et douze travailleurs auraient été congédiés.
  12. 311. A la même époque, M. Mohamed Khaled, secrétaire général de l'Union locale des syndicats de Meknès, aurait été révoqué de son emploi sans motif et mis par la suite en résidence surveillée dans le Sud marocain en compagnie d'un second membre de l'Union locale de Meknès, M. Mohamed Alami. M. Aomar Jdidi, responsable de l'Union locale de Salé, aurait été dirigé sur Inezgane, dans le Sud. M. Henri Triquère, secrétaire du syndicat de la police, aurait été arbitrairement expulsé.
  13. 312. Le 2 mai 1952, deux responsables syndicaux qui avaient participé à l'assemblée syndicale tenue le 1er mai à la Maison des syndicats de Safi auraient été arrêtés et condamnés à un an de prison chacun.
  14. 313. Des licenciements massifs seraient continuellement opérés dans les usines dont les chefs apprennent la constitution d'une organisation syndicale. Le 4 mai 1952, quatre anciens ouvriers de la Compagnie sucrière marocaine de Casablanca auraient été révoqués.
  15. 314. Au cours de la grève de la S.C.I.F (août 1952), M. Salah et Meskini, secrétaire de l'Union locale de Casablanca, aurait été arrêté en raison de ses activités syndicales.
  16. 315. A la même époque, une grève aurait éclaté à la Société africaine des filatures et tissages (S.A.F.T), de Rabat, où la direction aurait refusé de négocier avec les délégués syndicaux sous prétexte que le droit syndical des travailleurs marocains ne serait pas reconnu.
  17. 316. M. Mohamed Berrich, secrétaire de l'Union locale des syndicats de Rabat, aurait été arbitrairement arrêté le 6 août 1952.
    • Allégations relatives aux entraves apportées à la tenue des réunions syndicales
  18. 317. La célébration du 1er mai 1952 par l'Union générale des syndicats confédérés du Maroc aurait été interdite par la Résidence générale, parce que cette organisation avait refusé de prendre par écrit «l'engagement formel de ne traiter au cours de ces manifestations que de questions strictement professionnelles en écartant toutes questions politiques ».
  19. 318. Des agents de police auraient assisté de force à des réunions syndicales à Port-Lyautey, Safi et Meknès, violant ainsi les locaux syndicaux. Or le dahir du 24 décembre 1936 a prévu que les syndicats peuvent se concerter librement pour l'étude et la défense de leurs intérêts et que les immeubles syndicaux sont insaisissables, donc inviolables. D'autre part, les statuts de la C.G.T stipulent que le mouvement syndical, à tous les échelons, s'administre et décide de son action dans l'indépendance absolue.
  20. 319. Dans certains centres, une demande d'autorisation préalable serait exigée pour la tenue des réunions syndicales. Le 7 novembre 1952, une réunion syndicale de cheminots devant discuter des sujets d'ordre strictement professionnel aurait été interdite à Meknès parce qu'une telle demande n'avait pas été déposée.
    • Allégations relatives à la non-reconnaissance du droit syndical aux travailleurs marocains
  21. 320. Le droit syndical serait dénié aux travailleurs marocains. Si les salariés du commerce et de l'industrie des agglomérations urbaines ont pu se syndiquer, cela serait dû uniquement à leurs propres efforts pour imposer cet état de fait, mais les comités directeurs des syndicats ne seraient pas reconnus par les autorités; le bureau de l'Union générale des syndicats confédérés ne serait notamment pas reconnu par la haute administration, parce qu'en son sein se trouvent des Marocains démocratiquement élus par le congrès.
  22. 321. Les travailleurs des campagnes, notamment les ouvriers agricoles, seraient dans l'impossibilité de se syndiquer sous peine de prison, d'exactions et 'de brimades.
  23. 322. Les syndicats de mineurs formés en 1946 auraient été dissous administrativement.
  24. 323. Dans son mémoire en date du 14 mars 1951, l'Union générale des syndicats confédérés du Maroc alléguait qu'à la suite d'« inqualifiables pressions » exercées contre elle, S. M. le Sultan aurait été contraint de signer un « protocole d'accord » envisageant une législation sur un « droit syndical marocain apolitique », qui aurait eu pour effet de dissoudre les organisations syndicales libres et de les remplacer par des syndicats administratifs dont les responsables auraient été désignés par les contrôleurs civils et les caïds.
  25. 324. Dans les plaintes postérieurement déposées, il est allégué que les projets législatifs préparés par les autorités françaises sur le droit syndical des Marocains auraient été écartés par le Sultan parce qu'ils maintenaient un trop grand nombre de restrictions, alors que les travailleurs marocains, sans distinction de nationalité ou de croyance, réclament la liberté syndicale pour tous sans exception et sans ingérence de qui que ce soit.
  26. 325. A cet égard, la Confédération internationale des syndicats libres a fourni les précisions suivantes dans sa plainte en date du 27 janvier 1953.
  27. 326. Depuis 1936, les travailleurs européens résidant au Maroc français ont le droit de constituer des syndicats professionnels en vertu du dahir du 24 décembre 1936, qui leur reconnaît et leur garantit ce droit.
  28. 327. Un dahir du 24 juin 1938 avait interdit aux travailleurs marocains de s'affilier à des syndicats européens et de former des syndicats entre eux. Ce dahir prévoyait des peines d'emprisonnement et d'amende pour les contrevenants. Il a été abrogé par le dahir du 20 juin 1950.
  29. 328. Une circulaire du Résident général de France au Maroc, en date du 29 mai 1945, a prévu que les ouvriers et les employés marocains des entreprises industrielles et commerciales de caractère moderne peuvent être admis en fait dans les syndicats existants, c'est-à-dire dans les syndicats européens.
  30. 329. A plusieurs reprises, S. M. le Sultan du Maroc a demandé au gouvernement français de préparer un dahir accordant le droit syndical intégral à tous les travailleurs marocains. Il a présenté cette revendication dans des mémoires adressés au gouvernement français ainsi que dans plusieurs discours du trône.
  31. 330. Dans son discours du trône du 18 novembre 1950, S. M. le Sultan du Maroc a déclaré : « Nous conservons le ferme espoir que les aspirations de la classe ouvrière à la reconnaissance du droit syndical seront réalisées. »
  32. 331. Dans son discours du trône du 18 novembre 1952, S. M. le Sultan du Maroc a déclaré : « Sur le plan social, nous avons toujours déclaré qu'il était nécessaire de se pencher sur le sort de la classe laborieuse, qui est digne de sympathie et de considération, sans distinction entre les salariés du commerce, de l'industrie et de l'agriculture. En effet, c'est à cette classe laborieuse que l'on doit toutes les réalisations matérielles que l'on constate aujourd'hui. Il est donc équitable de lui permettre de défendre ses intérêts en lui octroyant le droit de fonder des syndicats, avec liberté complète d'affiliation. »
  33. 332. Tandis que S. M. le Sultan du Maroc revendique ainsi le droit syndical intégral pour tous les travailleurs, le gouvernement français aurait mis sur pied un projet de dahir aux termes duquel les Marocains exerçant des professions à caractère industriel, commercial ou libéral recevraient le droit de se syndiquer. Ce projet de dahir prévoirait que les comités directeurs des unions et fédérations devraient être constitués à nombre égal de Français et de Marocains. Le projet n'accorderait pas aux travailleurs marocains le droit de constituer une confédération ou centrale syndicale.
  34. 333. La législation actuellement en vigueur n'autoriserait donc pas les travailleurs marocains à s'affilier à des syndicats de leur choix. De plus, ceux-ci n'auraient pas le droit de constituer une centrale syndicale nationale. Il en résulte que, sur le plan légal, les travailleurs marocains ne jouiraient pas actuellement des droits syndicaux les plus élémentaires, étant donné qu'ils ne pourraient notamment pas adhérer au syndicat de leur choix.
  35. 334. La législation projetée par le gouvernement français serait loin de constituer un progrès substantiel. Elle ne ferait que sanctionner légalement les conditions de fait existantes. C'est ainsi que les travailleurs de l'agriculture se verraient exclus de toute organisation syndicale, que les travailleurs du commerce et de l'industrie ne pourraient adhérer à des syndicats de leur choix mais seraient obligés d'adhérer aux syndicats européens existants et qu'ils ne pourraient élire librement leurs représentants, puisqu'ils devraient les choisir par moitié parmi les travailleurs européens et parmi les travailleurs français. Enfin, le droit des travailleurs marocains de constituer une centrale syndicale ne serait pas reconnu. Les dispositions envisagées constitueraient donc des atteintes à la liberté syndicale, puisqu'elles seraient contraires aux principes généralement admis en cette matière et notamment aux articles 2, 3 et 5 de la convention internationale de l'O.I.T sur la liberté syndicale (no 87), ratifiée par le gouvernement français.
  36. 335. D'après la C.I.S.L, on ne saurait invoquer, pour justifier la législation actuelle ou la législation projetée par le gouvernement, la structure économique du Maroc et le degré de développement de ce pays. En effet, tous les travailleurs, y compris les travailleurs agricoles, des territoires non autonomes français jouissent du droit syndical depuis la promulgation du Code du travail des territoires d'outre-mer. Or, la plupart de ces territoires sont moins développés au point de vue économique que le Maroc.
  37. 336. En conclusion, la Confédération internationale des syndicats libres demandait au Conseil d'administration de solliciter le consentement du gouvernement français pour le renvoi du cas à la Commission d'investigation et de conciliation en matière de liberté syndicale, ou, subsidiairement, de recommander au gouvernement français de préparer un nouveau dahir accordant le plein exercice des droits syndicaux aux travailleurs marocains.

C. Analyse des réponses

C. Analyse des réponses
  • Lettre du 8 janvier 1952
    1. 337 Dans ses premières observations présentées dans sa lettre du 8 janvier 1952, le gouvernement français faisait valoir que les plaintes ne relevaient pas, à proprement parler, de l'exercice du droit syndical. Il déclarait que toutes les sanctions prononcées à l'encontre d'agitateurs, dont certains appartenaient à des groupements syndicaux, avaient été prises en application de la législation de droit commun et correspondaient à des délits ou même à des crimes, comme en font foi les jugements prononcés dans chaque cas particulier par les autorités administratives ou judiciaires compétentes.
  • Lettre du 5 mai 1952
    1. 338 Le Comité ayant, à sa première session (janvier 1952), sollicité du gouvernement français des renseignements complémentaires portant notamment sur la nature des délits et des crimes reprochés aux personnes condamnées ainsi que sur les jugements intervenus à leur égard, le gouvernement a indiqué, dans sa lettre du 5 mai 1952, que, d'une manière générale, aucun des militants syndicalistes mentionnés dans les plaintes n'avait été frappé par des mesures administratives en raison de l'exercice du droit syndical dans le cadre de la législation en vigueur et que les mesures prises à leur égard avaient été motivées par des agissements manifestement inspirés par des groupements de caractère purement politique, susceptibles de provoquer des désordres et de troubler dangereusement l'ordre public.
    2. 339 Quant aux différents cas mentionnés dans la plainte, le gouvernement français a donné les informations suivantes:
    3. 340 M. Germain Ayache, agrégé de l'Université, professeur au lycée de Casablanca, était à la fois membre du comité directeur d'un parti politique d'extrême gauche et secrétaire général adjoint de l'Union générale des syndicats confédérés. Il n'a jamais séparé son action syndicale de ses activités politiques. Il s'est distingué par la violence de ses discours politiques. La multiplicité de ses activités avait particulièrement nui à l'exercice de ses fonctions professorales. Pendant longtemps, le gouvernement, soucieux de respecter le principe de la liberté d'expression, a fait preuve de tolérance à son égard, mais, à la suite d'un article diffamatoire qu'il a publié, M. Ayache a été, en juillet 1950, remis à la disposition de l'administration métropolitaine dont il était détaché.
    4. 341 Comme M. Ayache, M. Leroy appartenait au comité central d'un parti politique d'extrême gauche. Son activité syndicale ne faisait que couvrir son action de propagandiste. La décision prise à son encontre ne vise pas l'exercice spécifique du droit syndical en territoire marocain.
    5. 342 M. Alphonse Alloccio, militant actif d'un parti d'extrême gauche et secrétaire général de la Fédération marocaine de l'éclairage et des forces motrices (C. G. T.), s'est livré, sous couvert de syndicalisme, à une activité de caractère nettement politique. Il a été expulsé du territoire marocain pour avoir troublé l'ordre public en février 1950.
    6. 343 M. Dominique Jésus, d'origine portugaise, également membre militant d'un parti d'extrême gauche, exclu en juin 1949, pour des motifs que l'on ignore, du bureau de l'Union des syndicats confédérés de Port-Lyautey dont il était le secrétaire, a été expulsé en octobre 1949.
    7. 344 M. Allal et Bachir a été expulsé pour avoir fait appel à une rébellion de caractère politique susceptible d'entraîner des troubles graves. Il n'a pas été expulsé en raison des activités syndicales auxquelles il pouvait se livrer en qualité de trésorier de la Fédération marocaine des syndicats du sous-sol.
    8. 345 Il en a été de même de M. Ouali ben Mohamed ben Ouali, secrétaire du syndicat des ouvriers mineurs (C.G.T.) de Djérada, qui, à différentes occasions, a adressé des menaces aux fonctionnaires français de la région.
    9. 346 M. Carnicelli, militant, lui aussi, d'un parti politique d'extrême gauche, a déployé une activité de nature à troubler l'ordre public. Il se trouvait d'autre part en état d'infraction vis-à-vis de la législation du travail en vigueur dans le Protectorat. Il a été refoulé sur la métropole en juillet 1950.
    10. 347 Quant au nommé Théodore (de Safi), le gouvernement signale qu'il n'a pas été possible de l'identifier; aucune précision ne pouvait donc être fournie à son sujet.
  • Lettre du 27 novembre 1952
    1. 348 Le Comité ayant constaté que les observations du gouvernement français ne se référaient pas à l'allégation suivant laquelle la pleine jouissance du droit syndical serait refusée aux travailleurs indigènes marocains, avait, à sa troisième session (mai 1952), sollicité du gouvernement français des informations complémentaires sur le régime syndical actuellement en vigueur ou en voie de préparation pour les travailleurs tant européens que marocains, ainsi que sur l'application effective de cette législation.
    2. 349 Dans sa lettre du 27 novembre 1952, le gouvernement français a transmis au Comité une note dans laquelle il a donné les indications suivantes sur la situation de fait et de droit des syndicats marocains.
    3. 350 Le syndicalisme est apparu au Maroc dans les années qui ont suivi la première guerre mondiale. La formation d'une industrie autochtone ayant entraîné l'accroissement de la population ouvrière, un dahir en date du 24 décembre 1936 a doté les organisations syndicales européennes d'un statut légal. Ce texte, qui réglemente encore aujourd'hui les droits syndicaux dans la zone française de l'Empire chérifien, accorde aux Européens exerçant depuis un an au moins la même profession le droit de se grouper en syndicats ou associations professionnelles.
    4. 351 L'expansion économique du Maroc au lendemain de la seconde guerre mondiale donna une nouvelle impulsion au mouvement syndical. Aussi, dès le 29 mai 1945, une circulaire du Résident général prévoyait-elle que les ouvriers et employés marocains des entreprises industrielles et commerciales de caractère moderne pourraient être admis en fait dans les syndicats.
    5. 352 Au surplus, un dahir du 20 juin 1950 abrogeait celui du 24 juin 1938, d'ailleurs fort rarement appliqué, qui prévoyait des sanctions contre les Marocains qui, violant les termes du dahir de 1936, auraient adhéré aux syndicats européens.
    6. 353 Le mouvement syndical prit, à cette époque, une ampleur particulière et de nombreux Marocains adhérèrent aux groupements constitués ; depuis 1950, les organes de direction, particulièrement au sein de l'Union générale des syndicats confédérés du Maroc (rattachée à la C.G.T), sont composés pour partie, et parfois en majorité, de Marocains.
    7. 354 En vue de transformer cet état de fait en une situation légale, la Résidence générale mit sur pied un projet de dahir aux termes duquel les Marocains exerçant des professions à caractère industriel, commercial ou libéral recevraient le droit de se syndiquer. Il prévoyait que les comités directeurs des unions et fédérations seraient constitués à nombre égal de Français et de Marocains. Ce projet fait l'objet d'études de la part du Palais et des services compétents de la Résidence.
    8. 355 D'une manière générale, le gouvernement français s'inspire, dans ce domaine, des deux principes suivants : nécessité d'harmoniser la croissance du syndicalisme avec le rythme du développement économique du pays (ce qui exclut à l'heure actuelle l'extension du droit syndical aux masses encore inexpérimentées des campagnes) et maintien du syndicalisme dans un cadre professionnel, en vue d'éviter l'exploitation du mouvement à des fins politiques. La règle d'une représentation égale d'éléments français et marocains au sein des comités directeurs répond, dans l'esprit des législateurs français, à la nécessité de maintenir un contact indispensable entre les différents éléments du monde du travail et de procurer au jeune syndicalisme marocain le bénéfice d'une expérience et d'une cohésion qu'il n'a pu encore acquérir. Il est significatif, à cet égard, que le syndicalisme marocain ne se soit développé que dans les entreprises où Européens et Marocains travaillent côte à côte, soit dans les services publics, soit dans les grandes entreprises industrielles.
    9. 356 En attendant qu'un accord intervienne entre le Palais et la Résidence sur le projet de dahir, l'administration n'apporte aucun obstacle à la libre affiliation des ouvriers marocains aux syndicats existants de l'industrie et du commerce ; ils y ont accès dans les mêmes conditions que les ouvriers européens et ils font largement usage de ces facilités.
    10. 357 Les trois grandes centrales syndicales françaises (C.G.T, C.G.T - F.O et C.F.T.C) sont représentées au Maroc. Toutefois, l'Union des syndicats C.G.T a pris le nom d'Union générale des syndicats confédérés du Maroc (U.G.S.C.M). Elle conserve des liens étroits avec la C.G.T française, mais s'est affiliée directement à la F.S.M.
  • Lettre du 3 février 1953
    1. 358 Un certain nombre de nouvelles plaintes ayant été portées à sa connaissance en juillet, août et septembre 1952, le gouvernement français a complété ses précédentes réponses par une lettre en date du 3 février 1953, en fournissant les informations suivantes.
    2. 359 Le 4 août 1952, une grève a éclaté à la S.C.I.F, dans la banlieue de Casablanca. Les ouvriers ont refusé d'évacuer les lieux et ont lancé des pierres sur le service d'ordre. Sept d'entre eux ont été arrêtés pour voies de fait et régulièrement condamnés par le pacha de Casablanca, le 20 août 1952, à des peines variant d'un mois à trois mois de prison. Les intéressés ont été poursuivis exclusivement pour délit de droit commun et non pas en raison de leurs activités syndicales.
    3. 360 Le leader syndical Salah Meskini était à l'origine de l'attitude agressive prise par les ouvriers au cours de la grève. Instigateur de toutes les grèves qui éclatent à Casablanca, il cherche d'ailleurs toujours à leur conférer une allure politique et un caractère antifrançais très marqués. Aussi le Résident général a-t-il décidé de l'éloigner de son centre d'activité et de lui assigner la résidence de Talsint. La mesure se justifiait par l'extrême tension qui commençait alors à toucher le monde ouvrier et qui aurait pu avoir les conséquences les plus fâcheuses dans les semaines suivantes. Depuis lors, l'atmosphère s'est nettement détendue.
    4. 361 Le leader syndicaliste Mohamed Berrich a été appréhendé par la police pour avoir, avec d'autres personnes, troublé une séance de radio-crochet organisée le 5 août 1952 à Rabat, par Radio-Maroc. Il a été condamné le 16 septembre, par le pacha de Rabat, à deux ans d'emprisonnement pour avoir causé les troubles précités et non pas pour ses activités syndicales. Quatorze autres inculpés ont comparu avec lui qui ont été frappés de peines variant de 40 jours à 15 mois de prison.
    5. 362 La grève de la S.A.F.T n'a jamais été totale et s'est terminée le 20 septembre 1952 par un accord complet des parties.
    6. 363 Les motions d'ordre général qui protestent, par exemple, contre « la politique répressive pratiquée par le patronat et l'administration » contre les salariés, sans que soit donnée aucune autre précision, ne paraissent pas devoir appeler une réponse.
  • Lettre du 27 mai 1953
    1. 364 A la suite du désir exprimé par le Comité de la liberté syndicale, à sa cinquième session (février 1953), d'être tenu informé du développement des négociations relatives à l'établissement d'une nouvelle législation syndicale au Maroc, le gouvernement français a fourni les renseignements suivants
    2. 365 Les travailleurs du Maroc bénéficient déjà des dispositions des dahirs du 24 décembre 1936 et du 20 juin 1950, et le mouvement syndical a pris une vaste extension dans la zone française de l'Empire chérifien.
    3. 366 Le gouvernement estime cependant que le statut du syndicalisme au Maroc doit faire l'objet d'un texte législatif général consacrant les libertés déjà garanties et les étendant, compte tenu des conditions sociales et économiques qui prévalent au Maroc, aussi largement que possible.
    4. 367 En mai 1948, le gouvernement a soumis à cet effet à S. M. le Sultan un projet de loi qui n'a cependant pas reçu du souverain la sanction nécessaire pour sa mise en vigueur. Un nouveau projet est en cours d'élaboration et, dans le cadre des pourparlers engagés depuis le mois de février 1953, il sera soumis par le Résident général à S. M. le Sultan aussitôt que d'autres réformes présentées par le gouvernement français, conformément aux dispositions du traité du 30 mars 1912, auront été scellées. Aucune information ne peut, pour le moment, être donnée sur ce projet et la date de son entrée en vigueur ne peut pas davantage être précisée puisqu'elle dépendra de l'évolution des pourparlers en cours. La France ne négligera aucun effort pour que la nouvelle législation soit édictée aussi rapidement que possible.
    5. 368 Dès maintenant, le Résident général de France a pris l'initiative - conformément aux conclusions d'une commission administrative chargée, en mai 1952, d'étudier les problèmes du travail et du syndicalisme marocains - de favoriser la création, dans les entreprises, de « djemaas ouvrières », organismes librement élus par les salariés marocains et chargés de la représentation de leurs intérêts professionnels auprès de la direction des entreprises. Ces organismes ne sont nullement appelés à se substituer aux syndicats, mais visent à assurer au sein de l'entreprise, dans une atmosphère de compréhension réciproque, le règlement des problèmes qui se posent entre le patronat et le personnel. Ils ne sont pas dotés de la personnalité juridique et n'ont pas un caractère obligatoire. Les délégués doivent être reçus obligatoirement une fois par mois par les représentants patronaux et par le contrôle civil du Maroc. L'inspecteur des questions sociales doit veiller à ce qu'aucune atteinte ne soit portée à la situation personnelle des délégués du fait des fonctions qu'ils assument au sein de la djemaa. Il s'agit là d'une création originale, adaptée aux conditions particulières de la vie sociale et professionnelle du Maroc, qui n'a jusqu'ici que le caractère d'une expérience et n'a pas reçu de consécration juridique. Cette expérience a déjà abouti à des résultats remarquables quant au nombre des salariés qu'elle atteint et au climat dans lequel elle se déroule. Il en est notamment ainsi dans les centres d'extraction des phosphates près de Kouribga qui constituent la zone la plus importante d'activité minière du Maroc.
  • Lettre du 18 novembre 1953
    1. 369 En réponse à la lettre du Directeur général en date du 14 juillet 1953 lui transmettant plusieurs nouvelles plaintes, le gouvernement français a présenté les observations suivantes
    2. 370 L'évolution de la situation politique au Maroc a rendu possible la mise en vigueur d'importantes réformes démocratiques dont certaines se trouvaient en suspens depuis longtemps. Aussi, le gouvernement français a-t-il pu entre prendre, comme il l'a annoncé dans le communiqué publié à l'issue du Conseil des ministres du 15 septembre 1953, l'examen du projet relatif au droit syndical au Maroc, dont il poursuivra l'étude jusqu'à décision à brève échéance. Ce projet a été soumis le 22 octobre 1953 à une Commission réunie à Rabat, comprenant des élus du Conseil du gouvernement, des représentants des organisations syndicales et des représentants du patronat. Dès que ces travaux préliminaires auront été achevés, le gouvernement français arrêtera définitivement le texte du projet de réforme et le soumettra au sceau de S. M. le Sultan.
    3. 371 En ce qui concerne le licenciement et l'arrestation de responsables syndicaux, il y a lieu de faire remarquer que l'Union générale des syndicats confédérés du Maroc qualifie volontiers de responsables syndicaux des ouvriers qui n'ont jamais détenu un mandat quelconque. Les licenciements cités ont eu pour cause l'un des motifs suivants : abandon de poste, refus de travail, incitation à la grève ou entrave à la liberté du travail ; la plupart des ouvriers licenciés ont été réintégrés et les autres ont bénéficié de tous leurs droits (salaires, congé payé, allocations familiales, certificat de travail et même préavis, alors que, dans certains cas, le motif de leur licenciement aurait justifié un renvoi sans préavis).
    4. 372 Le gouvernement a commenté en détail les principaux cas concrets mentionnés par les plaignants.
    5. 373 Le licenciement, l'arrestation ou l'expulsion de meneurs tels que Mahjoub ben Seddik, Aomar Jdidi, Salah et Meskini et Henri Triquère, a pour origine une activité politique subversive. Ainsi, Mahjoub ben Seddik a été condamné à deux ans de prison (peine réduite par la suite de moitié) pour avoir lancé un appel au meurtre en réunion syndicale. Certaines des personnes ainsi condamnées et graciées ont été retrouvées parmi les organisateurs des événements de Casablanca en décembre 1952.
    6. 374 Fin mars 1952, un ouvrier a été licencié sans préavis à la teinturerie Valteint à Casablanca pour refus catégorique d'exécuter un travail donné. Cinq de ses compagnons de travail se mirent en grève pour obtenir sa réintégration et présentèrent des revendications de caractère professionnel (augmentation de salaire, respect de la dignité des travailleurs, reconnaissance du droit syndical). L'employeur les considéra comme démissionnaires. Trois de ces ouvriers ont, à la suite de l'intervention de l'Inspection du travail, été réembauchés dès le 1er avril 1952, deux autres n'ont pas sollicité leur réintégration ; un seul licenciement a donc été maintenu pour faute grave, celui de l'ouvrier ayant été à l'origine de l'incident qui a affecté six ouvriers sur une centaine que comporte l'entreprise.
    7. 375 La station de pilotage du port de Casablanca n'a pas à délivrer de cartes de travail à ses employés, étant donné que, pour les marins inscrits sur les rôles d'équipage, c'est leur livret professionnel maritime qui en tient lieu. Si trois licenciements ont été effectués à cette station, c'est parce que, les extrémistes ayant décidé de manifester dans tout le Maroc à l'occasion de l'anniversaire du traité de protectorat et des mots d'ordre de grève ayant circulé en vue de permettre à la population ouvrière de participer à des manifestations sur la voie publique, certaines entreprises avaient décidé de licencier ceux de leurs employés ne se présentant pas au travail. Le chef pilote de la station a procédé aux licenciements en question pour abandon de poste sans préavis et à titre disciplinaire ; les trois marins licenciés ont cependant reçu toutes les sommes auxquelles ils avaient droit. Ils continuent d'ailleurs à avoir accès au port.
    8. 376 Les renvois effectués à la boulangerie Gautier et à la boulangerie Leroy à Casablanca en mars 1952 ont été également prononcés pour manoeuvres politiques. L'un des ouvriers licenciés a été réembauché quelques jours plus tard.
    9. 377 M. Maalen Driss a été licencié aux chantiers navals Huyghes à Casablanca pour avoir incité, sur le chantier, ses camarades à cesser le travail. En dépit de cette faute grave, il a bénéficié de tous ses droits (préavis, salaire, congé payé, certificat de travail). Il n'était pas secrétaire du syndicat comme l'allègue le plaignant.
    10. 378 Contrairement aux affirmations de l'Union générale des syndicats confédérés, le mouvement syndical à Safi n'a jamais compté plus de 2.000 à 2.500 salariés sur 25.000 travailleurs. Deux syndicats marocains ont été formés en 1951 avec lesquels l'inspecteur du travail a eu des contacts fréquents et cordiaux. Celui-ci était intervenu dans les conflits collectifs et avait même réussi à faire réintégrer certains travailleurs licenciés pour avoir fomenté une grève dans leur propre intérêt. Ceci prouve que les revendications justifiées ont été prises en considération et soutenues par l'administration. Les incidents en question ont, par contre, revêtu non pas un caractère syndical, mais celui d'une émeute, les manifestants assiégeant et lapidant le tribunal du pacha pour faire libérer un prisonnier imaginaire. Il n'existe donc aucun rapport entre le syndicalisme et l'agitation politique créée à l'occasion de l'anniversaire du traité de protectorat. La campagne de pêche a débuté quinze jours plus tard, avec une flottille et des effectifs marocains accrus, ce qui s'expliquerait mal si « tous les pêcheurs rencontrés avaient été arrêtés et emprisonnés ».
    11. 379 Si treize ouvriers de la Raffinerie nouvelle du Maroc ont été licenciés, c'est parce qu'ils prétendaient interdire l'entrée de l'usine à une centaine d'ouvriers désireux de travailler.
    12. 380 La présence d'un fonctionnaire dans une salle où a lieu une réunion publique est expressément prévue par le dahir du 26 mars 1914. Quant aux autorisations préalables, bien qu'en vertu de l'ordre général du commandant supérieur des troupes du Maroc en date du 14 mars 1945 - toujours applicable puisque le Maroc est en état de siège - toute réunion publique soit subordonnée à l'autorisation de l'autorité militaire, elles ne sont pas normalement exigées. Cependant, lorsque les syndicats se réunissent dans des locaux qui ne leur sont pas normalement affectés (à Port-Lyautey, par exemple), ils doivent demander naturellement que la salle soit mise à leur disposition. Les textes en vigueur autorisent l'autorité régionale à interdire toute réunion qui trouble l'ordre public.
    13. 381 La célébration de la fête du 1er mai 1952 n'a pas été interdite et la population a pu y participer. A Meknès en particulier, la C.G.T a demandé avec insistance aux autorités si la manifestation serait interdite. Elle ne le fut pas et les dirigeants communistes durent apporter publiquement la preuve qu'ils ne représentaient pratiquement rien. Deux réunions seulement n'ont pu avoir lieu, leurs organisateurs n'ayant pas voulu prendre l'engagement de ne pas traiter des questions politiques.
    14. 382 En ce qui concerne la communication du 7 novembre 1952 du syndicat des cheminots de Meknès invoquant la loi française et les statuts de la Confédération générale du travail, le gouvernement fait remarquer que les statuts de la C.G.T ne sauraient aller à l'encontre des lois et spécialement des lois régissant l'ordre public et que la loi française n'est pas applicable de plano au Maroc, où il existe des dahirs. D'autre part, « le but de la réunion interdite n'était pas si anodin que l'ordre du jour le laissait croire, ainsi qu'on a pu le voir le mois suivant à Casablanca ». Enfin, le plaignant fait une confusion entre l'insaisissabilité d'un immeuble (notion juridique et financière) et l'inviolabilité des locaux contenus dans cet immeuble.

D. D. Conclusions du comité

D. D. Conclusions du comité
  1. 383. Il ressort des diverses allégations contenues dans les plaintes, ainsi que des observations présentées à leur sujet par le gouvernement français, que les nombreux incidents dont il est fait état doivent, de même que le régime syndical en vigueur, être considérés compte tenu de la situation politique troublée qui existe actuellement au Maroc. Le Comité rappelle que, dans son premier rapport, il a fait sien le principe général que le Conseil d'administration a adopté pour l'examen de tels cas, sur la recommandation de son bureau. En effet, il a été unanime à estimer qu'il ne convient pas que l'O.I.T examine des questions purement politiques, mais il a reconnu que des situations dont l'origine est politique peuvent avoir des aspects sociaux que l'O.I.T peut être appelée à examiner. Dans l'examen du présent cas, le Comité a décidé de se laisser guider par ce même principe.
  2. 384. Il convient d'ailleurs de souligner que l'aspect politique du problème a été examiné par l'Assemblée générale des Nations Unies, à sa septième session, qui, par 45 voix contre 3 et 11 abstentions, a adopté à ce sujet, le 19 décembre 1952, une résolution ainsi conçue:
    • L'Assemblée générale,
    • Ayant examiné la question marocaine, conformément à la proposition formulée par treize Etats Membres dans le document A/2175;
    • Consciente de la nécessité de développer, entre les nations, des relations amicales fondées sur le respect du principe de l'égalité des droits et du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes;
    • Considérant que l'Organisation des Nations Unies, centre où s'harmonisent les efforts des nations vers leurs fins communes aux termes de la Charte, devrait s'efforcer d'éliminer toutes les causes et tous les facteurs qui créent des malentendus entre les Etats Membres, réaffirmant ainsi les principes généraux de coopération dans le maintien de la paix et de la sécurité internationales:
  3. 1. Exprime sa confiance que, conformément à sa politique déclarée, le gouvernement français s'efforcera de favoriser les libertés fondamentales du peuple marocain, conformément aux buts et aux principes de la Charte;
  4. 2. Exprime l'espoir que les parties poursuivront sans retard leurs négociations en vue de développer les libres institutions politiques du peuple marocain, en tenant dûment compte des droits et intérêts légitimes, conformément aux normes établies et aux usages du droit des gens;
  5. 3. Fait appel aux parties pour que leurs relations se déroulent dans une atmosphère de bonne volonté, de confiance mutuelle et de respect et pour qu'elles règlent leurs différends conformément à l'esprit de la Charte, s'abstenant ainsi de tout acte ou mesure qui risquerait d'aggraver la tension actuelle.
  6. 385. Dans ces conditions, le Comité estime qu'il devrait se borner à examiner la question sous ses aspects purement syndicaux.
    • Allégations relatives aux mesures arbitraires prises à l'encontre de responsables syndicaux et à la répression de mouvements de revendication sociale
  7. 386. Il a été allégué en premier lieu que certains dirigeants syndicalistes, de nationalité non marocaine, auraient été expulsés du territoire par les autorités françaises (voir paragr. 301 et 302 ci-dessus). Le gouvernement français a indiqué dans sa lettre en date du 5 mai 1952, en donnant des précisions sur les cas des différentes personnes mentionnées dans les plaintes (voir paragr. 338 à 347 ci-dessus), que celles-ci ont été expulsées non pas en raison de leurs activités syndicales, mais uniquement pour des raisons d'ordre public.
  8. 387. A plusieurs reprises déjà, le Comité a exprimé l'avis qu'il ne lui appartient pas de traiter de mesures qui relèvent de la législation nationale concernant les étrangers, à moins qu'elles n'aient des répercussions directes sur l'exercice des droits syndicaux. Il semble ressortir des précisions très détaillées données par le gouvernement et rappelées plus haut que les personnes expulsées l'ont été pour des raisons de sécurité publique sans rapport direct avec leur activité syndicale.
  9. 388. Il a été allégué, d'autre part, que dans de nombreux cas, des dirigeants syndicalistes marocains auraient été soit arrêtés, soit condamnés à des peines de prison, soit encore mis en résidence surveillée, que des grèves auraient été réprimées par la violence et que des licenciements auraient été effectués pour activités syndicales (voir paragr. 303 à 316 ci-dessus).
  10. 389. Il ressort à cet égard des observations présentées par le gouvernement que plusieurs des incidents signalés dans les plaintes ont coïncidé avec une agitation politique particulière (par exemple lors de l'anniversaire de la signature du traité de protectorat) et que certains des plaignants eux-mêmes ont souvent mêlé dans leurs plaintes les revendications d'ordre professionnel et les revendications d'ordre politique. Ainsi, la résolution transmise par l'Union générale des syndicats confédérés du Maroc en annexe à sa communication du 11 août 1952 indique que les travailleurs de Casablanca « réaffirment en conséquence leur volonté d'oeuvrer pour l'abrogation du traité de protectorat, qui a fait ses preuves d'inefficacité durant quarante ans ».
  11. 390. Le gouvernement affirme par ailleurs, d'une part, que plusieurs personnes qualifiées de responsables syndicaux par l'Union générale des syndicats confédérés du Maroc n'ont jamais détenu un mandat syndical quelconque et, d'autre part, que les condamnations et sanctions prononcées à l'égard de ceux qui ont réellement la qualité de responsables syndicaux ont été prises en application de la législation de droit commun et non pas en raison de leurs activités syndicales. Les mesures prises à l'égard de ces personnes ont été motivées par des agissements manifestement inspirés par des groupements à caractère purement politique susceptibles de provoquer du désordre et de troubler l'ordre public.
  12. 391. Tel est le cas par exemple, déclare le gouvernement, des sanctions qui ont frappé le chef syndicaliste Salah Meskini, « instigateur de toutes les grèves qui éclatent à Casablanca, qui cherche toujours à leur conférer une allure politique et un caractère antifrançais très marqué ». Il fut à l'origine de l'attitude agressive prise par les ouvriers au cours de la grève qui s'est produite à la S.C.I.F en août 1952, au cours de laquelle des grévistes ont été arrêtés et régulièrement condamnés par le pacha de Casablanca, non pas pour avoir participé à une grève, mais pour s'être refusés à évacuer les lieux et avoir jeté des pierres sur le service d'ordre, donc pour des délits caractérisés de droit commun. De même, Mahjoub ben Seddik a été condamné à deux ans de prison (peine réduite par la suite de moitié) pour avoir lancé un appel au meurtre dans un discours prononcé en réunion syndicale, et Mohamed Berrich a été condamné à la même peine par le pacha de Rabat pour avoir troublé une séance de radio-crochet organisée par Radio-Maroc. Quatorze autres inculpés ont comparu avec lui, qui ont été frappés de peines variant de quarante jours à quinze mois de prison. Les sanctions prises à l'égard d'autres meneurs tels que Aomar Jdidi et Henri Triquère ont pour origine une action politique subversive. Certaines des personnes ainsi condamnées et graciées ont été retrouvées parmi les organisateurs des événements de Casablanca en décembre 1952.
  13. 392. En ce qui concerne l'allégation d'après laquelle une politique répressive serait pratiquée par le patronat et l'administration contre les salariés en général, le gouvernement n'a pas présenté d'observations étant donné le manque de précisions de cette allégation. Il a, en revanche, présenté ses observations au sujet de certaines grèves ou de certains licenciements mentionnés expressément par les plaignants.
  14. 393. Dans le cas de la grève de la Société africaine des filatures et tissages (S.A.F.T), il déclare que le conflit s'est effectivement terminé par un accord entre les parties. Les incidents qui ont eu lieu à Safi en mars 1952 n'ont pas revêtu, selon le gouvernement, un caractère syndical, mais ont constitué une véritable émeute, les manifestants assiégeant et lapidant le tribunal du pacha pour faire libérer un prisonnier qui n'existait pas. Le fait que la campagne de pêche ait débuté quinze jours plus tard avec une flottille et des effectifs marocains accrus démontre bien, à son avis, la fausseté des allégations du plaignant selon lesquelles « tous les pêcheurs rencontrés ont été arrêtés et emprisonnés ». Il ressort ainsi des informations données par le gouvernement qu'aucune entrave n'a été apportée à l'exercice même du droit de grève à des fins de défense professionnelle.
  15. 394. Le gouvernement soutient que les licenciements cités par les plaignants ont eu pour cause l'un des motifs suivants : abandon de poste, refus de travail, incitation à la grève ou entrave à la liberté du travail. Il souligne que la plupart des ouvriers licenciés ont été réintégrés et que les autres ont bénéficié de tous leurs droits (salaire, congé payé, allocations familiales, certificat de travail, et même préavis, alors que dans certains cas le motif de leur licenciement aurait justifié un renvoi sans préavis).
  16. 395. Le gouvernement affirme, d'autre part, que les revendications justifiées sont prises en considération et soutenues par l'administration. Il cite plusieurs cas où l'inspection du travail a réussi à faire réintégrer des travailleurs licenciés, parfois même pour avoir fomenté une grève du personnel dans leur propre intérêt. Il souligne qu'à Safi, notamment, l'inspecteur du travail a des contacts fréquents et cordiaux avec les représentants des deux syndicats marocains qui se sont constitués en 1951, à savoir le Syndicat des marins pêcheurs, qui groupe 1.200 à 1.500 salariés, et le Syndicat des travailleurs marocains de la compagnie chérifienne des textiles, qui groupe 300 à 409 ouvriers. Le Comité remarquera à cet égard que dans le texte même des plaintes se rencontre parfois une appréciation des interventions des services de l'Inspection du travail. Ainsi, la motion de la section syndicale de la Société africaine des filatures et tissages, adoptée au cours de la grève qui s'est produite dans cette entreprise en août et septembre 1952 et au sujet de laquelle le gouvernement a indiqué qu'elle s'était terminée ultérieurement à la satisfaction des parties, précise que « les ouvriers et ouvrières de la S.A.F.T.... remercient l'inspecteur du travail pour la bonne volonté dont il a fait preuve au sujet du règlement de ce conflit... ».
  17. 396. Le gouvernement a, d'autre part, souligné à plusieurs reprises que l'administration ne mettait aucun obstacle à l'affiliation des ouvriers marocains aux syndicats existants de l'industrie et du commerce.
  18. 397. Certes, des mesures de police ou de répression qui tendraient délibérément à empêcher la formation de syndicats ou à mettre obstacle à leur fonctionnement et à leurs activités de défense professionnelle constitueraient des atteintes à la liberté syndicale, de même que des mesures qui porteraient préjudice à un travailleur en raison de ses seules activités syndicales, mais il ne semble pas que les plaignants aient, dans le cas d'espèce, apporté des preuves suffisantes pour démontrer qu'il en a été ainsi.
  19. 398. Dans ces conditions, le Comité estime que, sous réserve des observations qui figurent dans les paragraphes précédents et notamment dans le paragraphe 397, cet aspect de la plainte n'appelle pas un examen plus approfondi de la part du Conseil d'administration.
    • Allégations relatives aux entraves apportées d la tenue des réunions syndicales
  20. 399. Les plaignants allèguent que la Résidence générale aurait interdit à l'Union générale des syndicats confédérés du Maroc d'organiser des manifestations à l'occasion du 1er mai 1952, que des agents de police auraient assisté de force à des réunions syndicales à Port-Lyautey, Safi et Meknès et que dans certains centres une demande d'autorisation préalable serait exigée pour la tenue des réunions syndicales. Le 7 novembre 1952, notamment, une réunion syndicale de cheminots devant discuter des sujets d'ordre strictement professionnel aurait été interdite à Meknès parce qu'une telle demande n'avait pas été déposée. Cette ingérence de l'administration serait contraire au dahir de 1936, qui a prévu que les syndicats peuvent se concerter librement pour l'étude et la défense de leurs intérêts et que les immeubles syndicaux sont insaisissables, donc inviolables, ainsi qu'aux statuts de la C.G.T qui stipulent que le mouvement syndical, à tous les échelons, s'administre et décide de son action dans l'indépendance absolue.
  21. 400. Dans sa réponse, le gouvernement affirme que la célébration de la fête du 1er mai 1952 n'a pas été interdite et que la population a pu y participer. A Meknès, notamment, où la C.G.T avait demandé avec insistance aux autorités si la manifestation serait interdite, celle-ci ne l'a pas été et, selon le gouvernement, les dirigeants communistes durent apporter publiquement la preuve qu'ils ne représentaient pratiquement rien. C'est seulement deux réunions qui n'ont pu avoir lieu parce que leurs organisations n'avaient pas voulu prendre l'engagement de ne pas traiter des questions politiques.
  22. 401. Quant à la présence d'agents de police à des réunions syndicales, le gouvernement fait remarquer que la présence d'un fonctionnaire dans une salle où a lieu une réunion publique est expressément prévue par le dahir du 26 mars 1914 et que le plaignant fait une confusion entre l'insaisissabilité d'un immeuble (notion juridique et financière) et l'inviolabilité des locaux contenus dans cet immeuble.
  23. 402. Enfin, en ce qui concerne les demandes d'autorisation préalable, toute réunion publique est en principe subordonnée à l'autorisation de l'autorité militaire en vertu de l'ordre général du commandant supérieur des troupes du Maroc en date du 14 mars 1945, toujours applicable, puisque le Maroc est en état de siège. Ces autorisations ne sont cependant pas normalement exigées, sauf évidemment lorsque les syndicats se réunissent dans des locaux qui ne leur sont pas normalement affectés (à Port-Lyautey, par exemple), cas dans lequel ils doivent naturellement demander que la salle soit mise à leur disposition. Les textes en vigueur autorisent l'autorité régionale à interdire toute réunion qui trouble l'ordre public. Les statuts de la C.G.T ne sauraient évidemment être invoqués à l'encontre des lois régissant l'ordre public. A cet égard, le but de la réunion interdite à Meknès le 7 novembre 1952 « n'était pas si anodin que l'ordre du jour le laissait croire, ainsi qu'on a pu le voir le mois suivant à Casablanca ».
  24. 403. Le Comité rappelle que dans plusieurs cas, et notamment dans ceux relatifs à la Tunisie, il a été appelé à examiner des allégations relatives à des atteintes qui auraient été portées au droit de réunion des travailleurs et qu'il a souligné à ce sujet que le droit d'organiser des réunions publiques forme un aspect important des droits syndicaux.
  25. 404. Dans le cas présent, le Comité a noté que les manifestations syndicales du 1er mai 1952 n'ont pas fait l'objet d'une mesure d'interdiction générale, mais n'ont été interdites que dans certains centres où leurs organisateurs n'avaient pas voulu prendre l'engagement de ne pas traiter des questions politiques. Le Comité a constaté d'autre part que si des fonctionnaires ont assisté à des réunions syndicales, c'est en raison du caractère public de ces réunions et du fait que le dahir du 26 mars 1914 permet la présence d'un fonctionnaire dans toute salle où a lieu une réunion publique - que celle-ci ait ou non un caractère syndical. Enfin, le Comité a noté que si les demandes d'autorisation préalable pour la tenue des réunions syndicales sont normalement exigibles lorsqu'il s'agit de réunions de caractère public, elles ne sont, en fait, que rarement exigées.
  26. 405. Il semble bien ressortir des observations présentées par le gouvernement que les interdictions de réunions publiques ont constitué des mesures commandées par les circonstances, qui ne portent pas atteinte au droit des organisations syndicales de tenir, dans leurs locaux, des réunions ayant pour objet la défense de leurs intérêts professionnels et qu'il n'a jamais été question d'une interdiction systématique des réunions syndicales.
  27. 406. Le Comité, tout en notant que les réunions publiques, qu'elles aient ou non un caractère syndical, n'ont été interdites qu'en raison de circonstances exceptionnelles et qu'aucune atteinte ne semble avoir été portée au droit des organisation syndicales de se réunir dans leurs locaux, tient néanmoins à affirmer l'importance du principe selon lequel les syndicats doivent pouvoir tenir des réunions professionnelles, et notamment dans leurs locaux, sans ingérence des autorités publiques.
    • Allégations concernant la non-reconnaissance du droit syndical aux travailleurs marocains
  28. 407. Les plaignants allèguent qu'en vertu de la législation actuellement en vigueur, les travailleurs marocains, à la différence des travailleurs européens résidant au Maroc, n'auraient pas le droit de s'affilier à des syndicats de leur choix et de constituer une centrale syndicale nationale. De plus, les projets de loi préparés par les autorités françaises à la demande du Sultan du Maroc en vue de réviser cette législation n'assureraient pas davantage aux travailleurs marocains le plein exercice de leurs droits syndicaux.
  29. 408. Dans ses réponses, et particulièrement dans celles en date du 27 novembre 1952, du 27 mai 1953 et du 18 novembre 1953, le gouvernement français a donné des explications sur la législation en vigueur, ainsi que sur les divers projets de réforme.
  30. 409. Pour l'examen de ce problème, il convient de se reporter aux textes.
  31. 410. Le statut politique du Maroc relève du traité entre la France et le Maroc, signé à Fez le 30 mars 1912. En vertu de ce traité, la France assume les relations extérieures du Maroc. En ce qui concerne la législation, le Sultan du Maroc a le pouvoir d'édicter les mesures législatives proposées par le gouvernement français. Il s'acquitte de cette tâche au moyen de décrets (dahirs). Le gouvernement français est représenté auprès du Sultan par un Résident général qui a qualité pour rendre exécutoires au nom du gouvernement français les décrets rendus par le Sultan. En vertu de cette disposition, les textes législatifs et réglementaires français ne peuvent être étendus au Maroc qu'après intervention de l'autorité marocaine compétente.
  32. 411. Le pouvoir réglementaire est exercé par le grand vizir sous forme d'arrêtés. De son côté, le Résident général peut également prendre des arrêtés dits résidentiels et édicter des ordonnances ou des instructions.
  33. 412. La France a ratifié, en ce qui concerne le territoire métropolitain, la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, mais n'a pas communiqué au Directeur général du B.I.T la déclaration d'acceptation, au nom du Maroc, dont la possibilité est envisagée par l'article 13 de la convention.
  34. 413. En ce qui concerne la législation marocaine sur les syndicats, la situation peut se résumer comme suit : le régime syndical fait l'objet d'un dahir du 24 décembre 1936. Aux termes de l'article 2 de ce texte, des syndicats ou associations professionnels peuvent être créés entre Européens exerçant depuis un an au moins dans la zone française du Maroc la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes.
  35. 414. Un dahir du 24 juin 1938 prévoyait des sanctions contre les sujets marocains qui s'affilieraient à un syndicat ainsi que contre les personnes qui entreprendraient ou tenteraient d'affilier des sujets marocains aux syndicats ou aux unions de syndicats. Toutefois, par une circulaire en date du 29 mai 1945, le Résident général avait autorisé les ouvriers et employés marocains des entreprises industrielles et commerciales de caractère moderne à adhérer en fait aux syndicats. Finalement, un dahir du 20 janvier 1950 a abrogé celui du 24 juin 1938.
  36. 415. Le gouvernement fait observer que, dès cette époque, le mouvement syndical a pris une ampleur particulière. L'administration n'apporte aucun obstacle à la libre participation aux syndicats existants des ouvriers marocains ; depuis 1950, les organes de direction, particulièrement au sein de l'Union générale des syndicats confédérés du Maroc, sont composés pour partie et parfois en majorité de Marocains. Les trois grandes centrales syndicales françaises (C.G.T, C.G.T. - F.O et C.F.T.C) sont représentées au Maroc.
  37. 416. Toutefois, c'est toujours le dahir du 24 décembre 1936 qui est à la base de la réglementation des droits syndicaux. Il s'ensuit que si les travailleurs européens ont le droit, sans aucune restriction, de former des organisations syndicales, les salariés marocains n'ont que la simple faculté de s'affilier aux organisations existantes, faculté qui n'est d'ailleurs accordée qu'au personnel des entreprises industrielles et commerciales de caractère moderne. Le législateur ne leur a donc pas conféré le droit formel de constituer leurs propres organisations syndicales.
  38. 417. Divers projets ont été mis sur pied en vue de consacrer légalement l'état de fait existant et ont fait l'objet de négociations entre la Résidence générale et S. M. le Sultan du Maroc ; aucun d'entre eux n'a cependant jusqu'ici été adopté.
  39. 418. Dans son mémoire en date du 14 mars 1951, transmis et appuyé par la Fédération syndicale mondiale, l'Union générale des syndicats confédérés du Maroc déclarait « qu'à la suite d'inqualifiables pressions », le Sultan aurait été « contraint » de signer un protocole d'accord dont, bien qu'il n'ait pas été publié, l'organisation plaignante allègue qu'il prévoyait la publication d'une législation sur l'octroi d'un droit syndical marocain « apolitique », c'est-à-dire que la Résidence générale aurait eu en vue de dissoudre les organisations syndicales ayant la confiance des travailleurs pour créer des syndicats administratifs dont les responsables auraient été désignés par les contrôleurs civils ou les caïds.
  40. 419. Dans sa réponse, en date du 27 novembre 1952, le gouvernement français a indiqué qu'aux termes du projet préparé par la Résidence, les Marocains exerçant des fonctions de caractère industriel, commercial ou libéral bénéficieraient du droit de se syndiquer, mais les comités directeurs des unions et fédérations devraient être constitués à nombre égal de Français et de Marocains. Le gouvernement explique qu'en préparant ce projet, il s'est inspiré des deux principes suivants d'une part, nécessité d'harmoniser la croissance du syndicalisme avec le rythme du développement économique du pays, d'où l'exclusion des masses encore inexpérimentées des campagnes du bénéfice de la loi ; d'autre part, nécessité de maintenir le syndicalisme dans un cadre professionnel en vue d'éviter l'exploitation du mouvement à des fins politiques. Il faut également assurer un contact indispensable entre les différents éléments du monde du travail et procurer au jeune syndicalisme marocain le bénéfice dune expérience qu'il n'a pu encore acquérir, d'où l'obligation de constituer des comités directeurs paritaires.
  41. 420. Les critiques des plaignants, et notamment celles de la C.I.S.L, à l'égard de ce projet portent sur les points suivants : les ouvriers agricoles seraient exclus de toute organisation syndicale ; les travailleurs du commerce et de l'industrie ne pourraient adhérer aux syndicats de leur choix, mais seraient obligés de s'affilier aux syndicats européens existants ; ils ne pourraient librement élire leurs représentants, puisqu'ils seraient obligés de les choisir parmi les travailleurs français ; enfin, le droit de constituer une centrale syndicale ne leur serait pas reconnu. La C.I.S.L conclut qu'étant contraires aux articles 2, 3 et 5 de la convention no 87, ces dispositions, si elles étaient transformées en loi, porteraient atteinte à la liberté syndicale.
  42. 421. Dans leurs commentaires, les plaignants relèvent que les travailleurs marocains réclament la liberté syndicale intégrale. Et c'est pour cette raison que le Sultan, faisant siennes les revendications des travailleurs marocains, aurait écarté le projet de réforme du gouvernement. La C.I.S.L en particulier fait observer qu'on ne pourrait invoquer, pour justifier le projet, la structure économique du pays et le degré de son développement, étant donné que le code du travail des territoires non métropolitains français promulgué récemment assure la pleine liberté syndicale à tous les travailleurs, y compris les ouvriers agricoles, de territoires non autonomes français moins développés que le Maroc au point de vue économique.
  43. 422. La loi du 15 décembre 1952 instituant un code du travail dans les territoires et territoires associés relevant du ministère de la France d'outre-mer, à laquelle se réfère le plaignant, comporte notamment les dispositions suivantes concernant le droit syndical:
    • Article 4. Les personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des professions connexes concourant à l'établissement de produits déterminés, ou la même profession libérale, peuvent constituer librement un syndicat professionnel. Tout travailleur ou employeur peut adhérer librement à un syndicat de son choix dans le cadre de sa profession.
    • Article 6. Les membres chargés de l'administration ou de la direction d'un syndicat doivent être citoyens de l'Union française, jouir de leurs droits civils, ne pas avoir encouru de condamnation à une peine correctionnelle...
    • Article 24. Les syndicats professionnels régulièrement constitués d'après les prescriptions de la présente loi peuvent librement se confédérer pour l'étude et la défense de leurs intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles. Ils peuvent se constituer en union sous quelque forme que ce soit.
  44. 423. Dans sa communication en date du 27 mai 1953, le gouvernement a fait connaître que, puisque le projet de dahir soumis à S. M. le Sultan depuis le mois de mai 1948 n'avait pas reçu du souverain la sanction nécessaire pour sa mise en vigueur, un nouveau projet était en cours d'élaboration qui devait être soumis à S. M. le Sultan aussitôt que d'autres réformes présentées par le gouvernement français conformément aux dispositions du traité du 30 mars 1912 auraient été scellées. Le gouvernement indiquait que, par déférence envers le Sultan, il n'était pas en mesure de donner au Comité de la liberté syndicale des informations sur ce projet ni sur la date à laquelle celui-ci entrerait en vigueur, mais il assurait que la France ne négligerait aucun effort pour que la nouvelle législation soit édictée aussi rapidement que possible. Il indiquait d'autre part qu'en vue d'assurer aux travailleurs du Maroc de nouvelles possibilités de défense de leurs intérêts professionnels, la Résidence générale avait pris l'initiative d'instituer dans les entreprises des « djemaas » ouvrières permettant la représentation librement élue des salariés auprès du patronat. Ces djemaas n'étaient nullement appelées à se substituer aux syndicats, mais elles visaient à assurer au sein de l'entreprise le règlement, dans une atmosphère de compréhension réciproque, des problèmes qui se posent entre le patronat et le personnel. Il ajoutait que cette création originale, adaptée aux conditions particulières de la vie sociale et professionnelle du Maroc, n'avait jusqu'ici que le caractère d'une expérience n'ayant pas reçu de consécration juridique, mais qu'elle était un instrument de progrès social qui avait été très favorablement accueilli par les milieux ouvriers.
  45. 424. C'est dans ces conditions qu'à sa sixième session (juin 1953), le Comité, après avoir pris note des informations fournies par le gouvernement français sur ces différents points, avait exprimé le désir d'être tenu au courant des développement ultérieurs et avait formulé le voeu que le gouvernement français prenne des mesures en vue d'appliquer au Maroc les mêmes principes qu'il a appliqués en matière de liberté syndicale dans d'autres territoires moins évolués qui relèvent de son administration.
  46. 425. Dans sa communication en date du 18 novembre 1953, le gouvernement a fait savoir que l'évolution de la situation politique au Maroc a rendu possible la mise en vigueur d'importantes réformes démocratiques dont certaines se trouvaient en suspens depuis longtemps. Il ajoute que, comme l'a annoncé le communiqué publié à l'issue du Conseil des ministres du 15 septembre 1953, il a entrepris l'examen du projet relatif au droit syndical au Maroc et qu'il en poursuivra l'étude jusqu'à décision à brève échéance. Il indique que ce projet a été soumis le 22 octobre 1953 à une commission réunie à Rabat et comprenant des élus du Conseil du gouvernement, des représentants des organisations syndicales et des représentants du patronat, et que dès que ces travaux préliminaires auront été achevées, il arrêtera définitivement le texte du projet de réforme et le soumettra au sceau de S. M. le Sultan. Le gouvernement n'a donné aucune indication sur le contenu de ce projet.
  47. 426. Tout en constatant avec satisfaction qu'en dépit des conditions particulièrement difficiles qui caractérisent la situation existant au Maroc, les autorités françaises se sont efforcées de pallier l'absence, dans la législation, de dispositions garantissant aux travailleurs marocains l'exercice intégral du droit syndical et ont permis au mouvement syndical de ce pays de prendre en fait un essor important, le Comité estime que, tant qu'il n'aura pas reçu du gouvernement français des informations plus précises sur le contenu du nouveau projet de législation syndicale actuellement à l'étude et sur la date d'entrée en vigueur de celui-ci, il ne saurait de dessaisir de l'examen des allégations relatives à la non-reconnaissance du droit syndical aux travailleurs marocains, étant donné que s'il n'est pas jusqu'ici parvenu à une conclusion à leur égard, c'est précisément en raison du fait que le gouvernement français lui avait fait part de son intention de faire prochainement adopter « un texte législatif général consacrant les libertés déjà garanties et les étendant, compte tenu des conditions sociales et économiques qui prévalent au Maroc, aussi largement que possible ».
  48. 427. Comme il y a déjà plus de deux ans que le Comité a entrepris l'examen des allégations relatives à la non-reconnaissance du droit syndical aux travailleurs marocains, il estime que le moment est maintenant venu de soumettre au Conseil d'administration un rapport intérimaire sur l'état de la question. Un nouveau rapport lui sera soumis lorsque le Comité sera en possession des informations attendues du gouvernement français quant à l'introduction d'un nouveau régime syndical au Maroc.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 428. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
  2. 1) décider que, sous réserve des observations contenues notamment dans les paragraphes 397 et 398, les allégations relatives aux mesures arbitraires prises à l'encontre des responsables syndicaux et à la répression de mouvements de revendication sociale ne méritent pas un examen plus approfondi ;
  3. 2) décider que, sous réserve de l'observation qui figure au paragraphe 406, les allégations relatives aux entraves apportées à la tenue des réunions syndicales ne méritent pas un examen plus approfondi;
  4. 3) prendre acte avec satisfaction de la déclaration du gouvernement français selon laquelle une législation relative au droit syndical au Maroc est en cours d'élaboration et exprimer l'espoir qu'une telle réglementation interviendra à brève échéance;
  5. 4) prendre acte du présent rapport intérimaire du Comité en ce qui concerne les allégations relatives à la non-reconnaissance de certains droits syndicaux aux travailleurs marocains, étant entendu que le Comité lui soumettra un nouveau rapport sur la question lorsqu'il sera en possession des informations attendues du gouvernement français quant à l'introduction d'un nouveau régime syndical au Maroc.
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