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Rapport définitif - Rapport No. 12, 1954

Cas no 75 (France) - Date de la plainte: 01-JUIN -53 - Clos

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A. Analyse de la plainte

A. Analyse de la plainte
  1. 277. Le plaignant allègue que les autorités françaises de Madagascar auraient porté atteinte aux droits syndicaux en interdisant, par un arrêté en date du 21 janvier 1953, la circulation d'un certain nombre de publications syndicales. Il estime que cette interdiction est injustifiable étant donné qu'il s'agit de documents consacrés à des questions essentielles pour l'activité des syndicats et pour la défense des conditions de vie des travailleurs, et apportant le bénéfice de l'expérience du mouvement syndical international. En prenant une telle décision, les autorités françaises n'auraient cherché qu'à renforcer l'exploitation dont souffre la population laborieuse de Madagascar. Il demande que la décision arbitraire des autorités françaises soit rapportée.
  2. 278. En annexe à sa plainte, le plaignant a joint le texte de l'arrêté de la Direction des affaires politiques qui aurait interdit l'entrée, la mise en vente et la circulation des brochures éditées par la Fédération syndicale mondiale et donnant la liste de ces publications, au nombre de vingt.
  3. 279. Cet arrêté aurait la teneur suivante:
  4. Sont interdites l'entrée, la mise en vente, la circulation dans le territoire, des bulletins et brochures édités par la F.S.M, dont la liste suit:
  5. Le Mouvement syndical mondial;
  6. Le Bulletin d'information de presse et d'édition de la F.S.M;
  7. Le Bulletin de liaison des travailleurs des pays coloniaux;
  8. Les agresseurs américains au banc des accusés;
  9. La rencontre internationale économique de Moscou;
  10. Le rôle des syndicats;
  11. Le renforcement de l'unité d'action des travailleurs et le développement des mouvements revendicatifs pour la défense de leurs intérêts économiques et sociaux;
  12. Les bulletins d'information de l'Union internationale des syndicats des travailleurs agricoles et forestiers dépendant de la F.S.M;
  13. Le Bulletin confédéral des territoires d'outre-mer;
  14. Hoan'ny fivoriambe pan afrikana ;
  15. Faha-Roa ;
  16. Pour la défense, l'extension et l'amélioration de la sécurité sociale;
  17. Les conditions de vie, de travail et de lutte des travailleurs des transports et des ports en Afrique et à Madagascar;
  18. Renforcer et développer l'action pour la défense des droits syndicaux;
  19. En Afrique noire, pour une sécurité sociale au service des travailleurs;
  20. Pour une véritable sécurité sociale, projet de programme;
  21. Le contrôle et l'administration de la sécurité sociale par les travailleurs;
  22. La lutte pour la sécurité sociale;
  23. La protection et la prévoyance contre le chômage;
  24. La sécurité sociale et les pays coloniaux.
  25. Le présent arrêté sera enregistré, publié et communiqué partout où besoin sera.
  26. Tananarive, le 21 janvier 1953.
  27. Pour le Haut-commissaire et Gouverneur, Le Secrétaire général:
  28. (Signé) MARTINE.
  29. B. Analyse des réponses
  30. 280. Dans sa réponse en date du 7 novembre 1953, le gouvernement a indiqué qu'en raison de la recrudescence de la propagande faite par la Fédération syndicale mondiale, les autorités responsables ont été amenées à interdire la circulation des ouvrages de propagande diffusés par les soins de cette Fédération et qui revêtaient un caractère nettement politique.
  31. 281. A sa septième session (novembre 1953), le Comité a pris note des informations fournies par le gouvernement, mais, ayant constaté que les titres de certaines des publications mentionnées dans l'arrêté incriminé présentaient un caractère professionnel, le Comité a demandé au gouvernement français de préciser de manière plus détaillée en quoi toutes les publications mentionnées dans cet arrêté revêtaient un caractère nettement politique.
  32. 282. Dans sa lettre en date du 1er mars 1954, le gouvernement a souligné que la teneur des publications de la Fédération syndicale mondiale ne pouvait que nuire à la concorde qui doit régner entre tous les éléments de la population de Madagascar. Il a également cité un extrait d'une publication en langue malgache diffusée par la Fédération syndicale mondiale dans laquelle il était entre autres affirmé que « le traitement inhumain infligé par les impérialistes se fait de plus en plus violent depuis qu'ils se sont mis à préparer une troisième guerre mondiale ». Enfin, il a joint en annexe à sa réponse deux brochures éditées par la Fédération syndicale mondiale intitulées l'une, «La discrimination raciale» et l'autre, «Les conditions de vie, de travail et de lutte des travailleurs des transports et des ports en Afrique et à Madagascar».

C. C. Conclusions du comité

C. C. Conclusions du comité
  1. 283. Le plaignant allègue que les autorités françaises de Madagascar auraient porté atteinte aux droits syndicaux en interdisant la circulation d'un certain nombre de publications syndicales, et il prétend que ces publications étaient consacrées à des questions essentielles pour l'activité des syndicats et pour la défense des conditions de vie des travailleurs.
  2. 284. Le gouvernement reconnaît exact le fait de l'interdiction des publications de la Fédération syndicale mondiale à Madagascar, mais il affirme que si cette interdiction a été prononcée, c'est en raison du caractère nettement politique de ces publications.
  3. 285. En annexe à sa lettre du 1er mars 1954, le gouvernement a communiqué deux brochures éditées par la Fédération syndicale mondiale, intitulées l'une « La discrimination raciale », et l'autre « Les conditions de vie, de travail et de lutte des travailleurs des transports et des ports en Afrique et à Madagascar ». Il semble que, si ces publications peuvent apparaître tendancieuses dans leur présentation, elles n'en traitent pas moins de sujets normalement considérés comme rentrant, soit directement, soit indirectement, dans la compétence des organisations syndicales.
  4. 286. La brochure sur la discrimination raciale traite des principaux domaines dans lesquels la Fédération syndicale mondiale allègue que les travailleurs sont affectés par la discrimination raciale, à savoir, entre autres, les salaires, l'embauche, l'éducation professionnelle, les conditions de travail, la sécurité sociale, le travail forcé, les droits civiques, politiques et syndicaux. La brochure sur les conditions de vie, de travail et de lutte des travailleurs des transports et des ports en Afrique et à Madagascar traite, entre autres, de l'exploitation des travailleurs, du chômage, de l'habitat, de la prévoyance et de la sécurité sociale, de l'enseignement, des promotions ouvrières, des libertés syndicales et des libertés religieuses, de la répression qui serait exercée contre les travailleurs, de l'action organisée des travailleurs, de la solidarité internationale, etc.
  5. 287. La convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, a été ratifiée par la France en ce qui concerne son territoire métropolitain, mais le gouvernement français n'a pas jusqu'ici fait parvenir au Directeur général la déclaration prévue par l'article 35 de la Constitution de l'O.I.T concernant l'application des dispositions de cette convention à Madagascar.
  6. 288. Le Comité rappelle qu'il a souligné à plusieurs reprises, et notamment dans le cas no 40 concernant la Tunisie, que le principe d'après lequel les organisations nationales de travailleurs ont le droit de s'affilier à des organisations internationales entraîne pour ces organisations le droit de se tenir en contact et notamment celui d'échanger leurs publications d'ordre syndical.
  7. 289. Mais le gouvernement soutient que la teneur des écrits de la Fédération syndicale mondiale est susceptible de « nuire à la concorde qui doit régner entre tous les éléments de la population de l'île ». Pour appuyer cette affirmation, le gouvernement a cité dans sa réponse un extrait de la page 10 d'une brochure en langue malgache diffusée par la Fédération syndicale mondiale à Madagascar et qui a la teneur suivante:
    • II. La préparation à la guerre
    • Le traitement inhumain infligé par les impérialistes se fait de plus en plus violent depuis qu'ils se sont mis à préparer une troisième guerre mondiale.
    • Ces nations de dictateurs ont besoin de l'Afrique et de Madagascar comme de réservoirs de soldats pour leurs projets aventureux.
    • Ils ont besoin de ressources propres aux préparatifs de guerre et c'est pour cela que l'uranium du Congo belge est le gage de la fabrication des bombes atomiques.
    • Ils ont besoin de bases militaires appropriées pour leurs troupes et c'est pour cette raison qu'ils se hâtent de construire routes, voies ferrées, aérodromes et, pour leurs bateaux, des ports.
    • Ils ont aussi besoin de la jeunesse africaine et malgache qu'ils sacrifieront dans la guerre qu'ils préparent.
    • Pour toutes ces raisons, ces nations de dictature s'acharnent contre l'émancipation des peuples d'Afrique et de Madagascar.
  8. 290. Le Comité rappelle à cet égard que, si le droit d'exprimer des opinions par voie de journaux ou de publications est certainement un des éléments essentiels des droits syndicaux, les organisations syndicales devraient, lorsqu'elles rédigent ces publications, s'inspirer, dans l'intérêt même du développement du mouvement syndical, des principes énoncés par la Conférence internationale du Travail à sa 35ème session «pour la protection de la liberté et de l'indépendance du mouvement syndical et la sauvegarde de sa mission fondamentale, qui est d'assurer le développement du bien-être économique et social de tous les travailleurs, principes sur lesquels le Comité a déjà eu plusieurs fois l'occasion d'attirer l'attention. Ce n'est en effet que dans la mesure où elles prendront soin de ne pas conférer à leurs revendications professionnelles un caractère nettement politique que les organisations syndicales pourront légitimement prétendre à ce qu'il ne soit pas porté atteinte à leurs activités.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 291. Cependant, étant donné qu'il ressort des données du présent cas que c'est l'ensemble des publications de la Fédération syndicale mondiale dont la diffusion est interdite à Madagascar, le Comité recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement français sur la question de savoir s'il ne serait pas opportun de demander aux autorités françaises de Madagascar de réexaminer l'arrêté du 21 janvier 1953 à la lumière du principe suivant lequel les organisations syndicales devraient avoir le droit de diffuser les publications dans lesquelles leur programme d'action se trouve formulé, en vue de distinguer parmi les publications de la Fédération syndicale mondiale celles qui traiteraient de problèmes normalement considérés comme rentrant directement ou indirectement dans la compétence des syndicats et celles qui auraient manifestement un caractère politique ou antinational.
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