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Rapport définitif - Rapport No. 16, 1955

Cas no 117 (Argentine) - Date de la plainte: 28-DÉC. -54 - Clos

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A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 87. Le Comité était saisi des plaintes suivantes : une communication de la Fédération syndicale mondiale, en date du 28 décembre 1954, et une lettre complémentaire du 15 février 1955 ; une communication de la Fédération des travailleurs de la métallurgie (C.G.T, France), en date du 28 janvier 1955, et une communication en date du 3 février 1955 du Syndicat des travailleurs de la métallurgie de la République démocratique d'Allemagne. Ces plaintes ont été portées à la connaissance du gouvernement argentin. A ces plaintes, il faut ajouter plusieurs autres communications conçues en termes analogues et émanant les unes de la Confédération des syndicats libres de la République démocratique d'Allemagne, en date des 19 et 26 février et du 7 avril 1955, respectivement, les autres du Syndicat national des métallurgistes de Hongrie, en date du 14 mars 1955. Ces communications, qui n'ajoutaient aucun détail nouveau aux plaintes précédentes, n'ont pour cette raison pas été transmises au gouvernement argentin. Etant donné que ces différentes plaintes portent sur des questions identiques ou connexes, il convient de les examiner dans leur ensemble. Les allégations des plaignants sont les suivantes.
  2. 88. L'ouvrier espagnol Bautista Nuez aurait été expulsé par le gouvernement argentin pour son activité politique et professionnelle et embarqué de force sur un bateau à destination d'un port espagnol pour être remis aux autorités de ce pays. La Fédération syndicale mondiale a toutefois précisé ultérieurement que l'intéressé aurait été débarqué au Brésil.
  3. 89. Au cours des mois de mai et de juin 1954, le gouvernement argentin aurait réprimé, à l'aide de la police, une grève des ouvriers de la métallurgie luttant pour de meilleures conditions de vie et procédé à cette occasion à de nombreuses arrestations. Le gouvernement argentin aurait de ce fait porté atteinte aux droits syndicaux des travailleurs.
    • ANALYSE DE LA REPONSE
  4. 90. Par sa communication du 12 avril 1955, le gouvernement a présenté des observations à l'égard de la deuxième allégation (paragraphe 89 ci-dessus), sous réserve de l'envoi ultérieur d'autres informations complémentaires.
  5. 91. N'ayant pas ratifié les conventions (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, et (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949, le gouvernement argentin, en se référant à l'opinion qu'il a exprimée dans un cas antérieur, formule des réserves expresses quant à la compétence du Comité de la liberté syndicale pour traiter de questions qui ne font pas l'objet d'une convention ratifiée par la République argentine. Désireux toutefois de contribuer à l'éclaircissement des faits, le gouvernement n'insiste pas sur cette question, estimant de pure forme la ratification ou la non-ratification d'une convention.
  6. 92. Avant d'entrer dans le détail de la question, le gouvernement déclare que, si l'Etat doit garantir le plein exercice des droits syndicaux - question qui ne prête plus à discussion en Argentine - et faire respecter les décisions d'une organisation syndicale prises à la majorité, conformément aux statuts, il doit également protéger la communauté contre tout acte d'une organisation contraire à l'ordre public ou à la légalité.
  7. 93. Le gouvernement expose ainsi les faits qui font l'objet de la plainte. Durant le mois d'avril 1954, des négociations eurent lieu, au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, entre l'Union ouvrière de la métallurgie (U.O.M.) et la Fédération argentine des industries métallurgiques. Ces négociations échouèrent et le personnel des entreprises de la métallurgie commença une grève perlée. Le 28 avril 1954, l'U.O.M décida formellement de déclencher une grève, qui devait se développer progressivement. Dès le 21 mai, la grève était générale dans l'industrie métallurgique. Le 31 mai, une convention collective fut signée devant l'autorité du travail et soumise à l'approbation d'un congrès extraordinaire des délégués des diverses sections de l'Union. Le 1er juin 1954, la question fut discutée par l'assemblée, mais une partie des assistants s'opposa à la ratification de la convention collective et les discussions durent être suspendues à plusieurs reprises. Le 3 juin, le secrétaire général de l'U.O.M annonça aux délégués que plusieurs sections auraient repris le travail. Le 4 juin, lors d'une nouvelle réunion des délégués, des manifestants tentèrent d'entrer dans la salle et, dans la bagarre qui s'ensuivit, plusieurs personnes furent blessées. Lorsque la réunion même devint tumultueuse, appel fut fait à la police. Dès que le calme fut rétabli, le secrétaire général annonça que la décision était prise de cesser la grève dès le 7 juin. Cette décision fut approuvée par la majorité de l'assemblée. Cependant, les opposants manifestèrent dans la rue, convoquèrent des réunions et désignèrent un comité de grève. Ces manifestations continuèrent pendant plusieurs jours sans que toutefois la police intervînt activement, se limitant simplement à maintenir l'ordre. Mais, le 7 juin, jour désigné pour la reprise du travail, un grave incident se produisit lorsqu'un groupe d'ouvriers tenta d'empêcher par la force d'autres ouvriers d'entrer dans une usine. Il y eut deux morts et plusieurs blessés. Des incidents analogues se produisirent en d'autres endroits. A la suite de ces événements, la police arrêta trente-deux personnes, parmi lesquelles des éléments étrangers à la profession. Les détenus furent mis à la disposition de la justice sous l'inculpation d'homicide et lésions corporelles, conformément aux articles 79 et 89 du Code pénal. L'ordre fut rapidement rétabli et le travail reprit normalement dans toutes les entreprises de la métallurgie argentine. Le gouvernement conclut que ces faits démontrent abondamment que les ouvriers ont pu librement faire usage de leurs droits et que, si la police a arrêté certaines personnes, qui au surplus n'appartenaient pas à l'industrie intéressée par le conflit, ce n'était pas pour briser la grève, mais pour protéger la vie des citoyens. A cet égard, le gouvernement ne peut admettre, déclare-t-il, que ces actes soient soumis à un examen, étant donné qu'il a seul la responsabilité souveraine d'appliquer les lois générales sur son territoire.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  • Observations générales
    1. 94 Le Comité rappelle que, lors de sa réunion de novembre 1954, il était saisi d'une plainte émanant de l'Union internationale des syndicats des industries métallurgiques et mécaniques (Vienne, F.S.M), qui, dans un télégramme en date du 18 juin 1954, alléguait que cinquante-sept travailleurs argentins auraient été arrêtés, que certains d'entre eux auraient été assassinés et qu'ils auraient également fait l'objet de «provocations » dans l'exercice légitime de leur droit de grève. Etant donné l'imprécision des allégations, le Conseil d'administration, sur la recommandation du Comité de la liberté syndicale, avait décidé que la plainte n'appelait aucune suite de sa part.
    2. 95 Le Comité note que les allégations présentées dans le cas présent sont plus précises que dans le cas antérieur. Les plaignants indiquent en effet qu'un certain nombre d'ouvriers de la métallurgie argentine auraient été arrêtés à l'occasion d'une grève déclenchée au cours des mois de mai et de juin 1954 et qu'une personne déterminée, M. Bautista Nuez, aurait été expulsée du territoire argentin. Dans ces conditions, le Directeur général a communiqué les plaintes au gouvernement argentin et celui-ci a présenté des observations. Le Comité a estimé qu'il devait soumettre ces nouvelles plaintes à un examen préliminaire, conformément aux dispositions de la procédure en vigueur.
    3. 96 En se référant à l'opinion exprimée au sujet du cas no 12, le gouvernement argentin, qui n'a pas ratifié les conventions no 87 et no 98, formule des réserves quant à la compétence du Comité de la liberté syndicale. A ce propos, le Comité avait estimé, lors de l'examen du cas no 12, qu'il ne lui appartenait pas de reprendre la question de la compétence, étant donné qu'il s'agissait d'un problème qui a déjà fait l'objet d'amples discussions lors de la 33ème session de la Conférence internationale du Travail, en 1950, session à laquelle la Conférence décida d'approuver les décisions du Conseil d'administration et du Conseil économique et social des Nations Unies relatives à l'établissement d'une procédure d'investigation et de conciliation en matière de liberté syndicale. Ayant confirmé ce point de vue à plusieurs reprises, le Comité estime que, dans le cas présent, il n'y a pas lieu de se départir des conclusions qu'il a précédemment adoptées sur ce point.
    4. 97 Le Comité note cependant avec satisfaction que le gouvernement argentin, tout en faisant des réserves, a néanmoins tenu à présenter des observations en vue de collaborer avec l'O.I.T à l'éclaircissement des faits.
  • Allégation concernant l'expulsion de M. Bautista Nuez
    1. 98 D'après les plaignants, l'ouvrier espagnol Bautista Nuez aurait été expulsé du territoire argentin et embarqué de force par le gouvernement argentin sur un bateau à destination de l'Espagne ; il aurait cependant été débarqué au Brésil.
    2. 99 En ce qui concerne cette allégation, le gouvernement argentin n'a pas encore présenté d'observations, mais le Comité estime qu'étant donné la nature même de l'allégation, il n'y a pas lieu de différer l'examen de celle-ci. En effet, dans plusieurs cas précédents, le Comité a souligné qu'il ne lui appartient pas de traiter de la question générale du statut des étrangers, à moins qu'elle n'ait des répercussions directes sur l'exercice des droits syndicaux. Le Comité rappelle également que, dans un cas analogue que le Directeur général lui avait soumis pour avis avant de communiquer la plainte au gouvernement intéressé et qui concernait une loi argentine sur l'expulsion des étrangers, il avait estimé que la question en litige n'était pas de sa compétence et, sans soumettre la plainte au gouvernement pour observation, il avait recommandé au Conseil d'administration de classer l'affaire.
    3. 100 Dans le cas d'espèce, le Comité a noté, d'une part, qu'il ne résulte pas de la plainte que M. Nuez ait été expulsé pour des raisons spécifiquement syndicales et que, d'autre part, l'intéressé n'a pas été rapatrié en Espagne, mais a été en fait débarqué au Brésil, comme le reconnaît d'ailleurs expressément le plaignant.
    4. 101 Dans ces conditions, le Comité estime, bien que le gouvernement n'ait pas encore présenté d'observations, qu'il n'y a pas lieu de poursuivre l'examen de cet aspect de la plainte.
  • Allégation concernant l'arrestation de plusieurs ouvriers
    1. 102 Selon l'allégation des plaignants, le gouvernement argentin serait intervenu par la force pour réprimer un mouvement de grève déclenché en mai et juin 1954 à des fins purement professionnelles par les ouvriers de la métallurgie. A cette occasion, la police aurait notamment procédé à de nombreuses arrestations.
    2. 103 D'après les observations du gouvernement, l'Union ouvrière de la métallurgie (U.O.M) aurait organisé une grève en mai 1954 lorsque les négociations avec les employeurs eurent échoué. Ce mouvement se serait déroulé sans incidents en se développant progressivement entre le 17 et le 31 mai 1954. A cette dernière date, une convention collective aurait été signée, mais l'approbation de cet accord aurait donné lieu, au sein de l'Union, à de vives discussions qui se poursuivirent plusieurs jours. Le 4 juin, lors d'une nouvelle réunion des délégués, des groupes de manifestants auraient tenté de forcer l'entrée dans la salle ; pour rétablir l'ordre, la police aurait été appelée à l'aide. Le calme rétabli, la majorité de l'assemblée aurait adopté la convention collective et décidé la reprise du travail dès le 7 juin 1954. Toutefois, les manifestations auraient continué et, le 7 juin, des bagarres se seraient produites en certains endroits entre des ouvriers qui voulaient reprendre le travail et des manifestants qui voulaient les en empêcher. C'est à la suite de ces incidents, au cours desquels deux ouvriers auraient été tués et plusieurs autres blessés, que la police aurait arrêté au total trente-deux personnes et les aurait mises à la disposition des tribunaux compétents sous l'inculpation des délits d'homicide et de lésions corporelles.
    3. 104 Il ressort des précisions fournies par le gouvernement que les ouvriers de la métallurgie ont pu faire plein usage du droit de grève sans intervention du gouvernement et que la police n'est intervenue que lorsque des incidents furent provoqués, lors d'une réunion de la Fédération, par des manifestants étrangers à la réunion et ensuite, la reprise du travail ayant été décidée par la Fédération, lorsque plusieurs personnes furent tuées ou blessées lors d'une rencontre entre des ouvriers retournant au travail et d'autres ouvriers poursuivant la grève. Dans ces conditions, le Comité estime que les plaignants n'ont pas apporté de preuves suffisantes à l'appui de leur allégation d'après laquelle le gouvernement argentin aurait porté atteinte aux droits syndicaux, en interdisant et réprimant un mouvement de grève.
    4. 105 Le gouvernement signale que la police a arrêté au total trente-deux personnes, qui ont été mises à la disposition des tribunaux compétents sous l'inculpation de certains délits de droit commun. Le gouvernement ajoute toutefois qu'il se refuse à tout examen de ces actes, étant donné qu'il est souverain dans l'application des lois générales sur le territoire national.
    5. 106 A ce propos, le Comité rappelle que, dans l'accomplissement de sa mission, il a toujours jugé de son devoir de s'assurer que, dans des cas de détention, les intéressés bénéficient effectivement des garanties judiciaires, point de vue confirmé par le Conseil d'administration, qui a adopté ces recommandations.
    6. 107 Le Comité désire également attirer l'attention du gouvernement argentin sur le fait que les gouvernements désireux de collaborer avec le Comité - désir exprimé également dans sa réponse par le gouvernement argentin lui-même et dont le Comité a pris acte avec satisfaction - ont fourni spontanément ou à la demande du Comité les renseignements nécessaires pour permettre à celui-ci de procéder en connaissance de cause à l'examen des allégations.
    7. 108 Dans le cas présent, toutefois, le gouvernement ne s'est pas borné à indiquer simplement que des arrestations avaient été opérées en raison de délits de droit commun, mais il a précisé que les trente-deux détenus ont été inculpés de délits déterminés, à savoir des délits d'homicide ou de lésions corporelles (articles 79 et 89 du Code pénal argentin) et effectivement mis à la disposition des tribunaux compétents. Dans ces conditions, le Comité estime qu'il n'y a pas lieu de poursuivre l'affaire.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 109. Prenant en considération toutes ces circonstances, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider que, sous réserve des observations figurant aux paragraphes 106 et 107 ci-dessus, le cas dans son ensemble n'appelle pas un examen plus approfondi.
    • Genève, le 25 mai 1955. (Signé) Paul RAMADIER, Président.
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