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- 153. A sa dix-septième session (Genève, mai 1957), le Comité a été saisi d'une série de plaintes constituant les cas nos 134, 141, 153 et 154, relatifs au Chili, qu'il a examinés conjointement.
- 154. Les conclusions du Comité au sujet des diverses allégations formulées par les plaignants figurent aux paragraphes 56 à 103 de son vingt-sixième rapport et ses recommandations au Conseil d'administration au paragraphe 103. Le vingt-sixième rapport du Comité a été approuvé par le Conseil d'administration à sa 135e session (Genève, mai-juin 1957).
- 155. Sur trois de ces allégations, le Comité s'était borné à présenter des conclusions intérimaires. Il s'agit, d'une part, des allégations relatives à l'emprisonnement de syndicalistes au sujet desquelles des informations complémentaires ont été sollicitées du gouvernement, d'autre part, des allégations relatives à des violations des droits syndicaux et à des représailles qui auraient été exercées à la suite de grèves des employés de banque et dans les mines de salpêtre sur lesquelles le gouvernement n'avait pas encore fait parvenir ses observations.
- 156. Ces trois groupes d'allégations restant seuls en instance devant le Comité, c'est sur eux uniquement que porteront les analyses qui figurent ci-dessous.
A. Allégations relatives à l'emprisonnement de syndicalistes
A. Allégations relatives à l'emprisonnement de syndicalistes- 157. Dans sa communication du 28 février 1956, la Fédération nationale chilienne des boulangers allègue qu'« en vue de faire retomber sur la classe laborieuse chilienne le fardeau du processus d'inflation dont l'effet est de réduire les salaires et les traitements, le gouvernement a déclenché des persécutions sans précédents contre les organisations syndicales et contre les dirigeants syndicaux en particulier ». La majorité des membres dirigeants de la Centrale unique des travailleurs du Chili (C.U.T.CH.) se trouveraient en prison et sous inculpation. La politique antisyndicale du gouvernement, contraire aux principes de la liberté syndicale défendus par l'O.I.T, « obéit à des principes ayant pour but la destruction de la tradition démocratique et des libertés qui ont caractérisé le Chili entre tous les pays de l'Amérique ». MM. Eduardo Long et Miguel Pradenas, dirigeants de la C.U.T.CH, auraient été arrêtés par la police politique et déportés loin de la capitale, bien que les tribunaux les aient acquittés étant donné le manque de fondement des accusations portées contre eux. Dans sa communication en date du 2 mars 1956, la Confédération internationale des syndicats libres ajoute que l'arrestation des dirigeants de la C.U.T.CH fait suite à la grève générale du 9 janvier 1956, déclenchée pour empêcher que le gouvernement n'édicte une loi sur le blocage des salaires et des prix.
- 158. Selon une allégation formulée par la Confédération des travailleurs d'Amérique latine, en date du 8 mars 1956, « à la suite de la campagne de répression qui a été dirigée contre le mouvement syndical », les personnes suivantes se trouveraient incarcérées dans les prisons chiliennes : M. Clotario Blest Riffo, dirigeant national de la C.U.T.CH ; M. Juan Vargas Puebla, dirigeant de la même organisation ; M. Baudilio Casanova, secrétaire général de la C.U.T.CH. ; M. Julio Alegria, chef du Syndicat des postes et télégraphes ; M. Luis Ortega, secrétaire général de la Fédération du gaz et de l'électricité, et bien d'autres encore. Ces travailleurs auraient été condamnés à trois ans de prison et à 100.000 pesos d'amende ; ces mesures seraient étendues à tous les dirigeants du Comité directeur national de la Centrale unique des travailleurs. Dans sa communication en date du 6 avril 1956, la Confédération des travailleurs d'Amérique latine indique que tous les dirigeants se sont vu refuser leur mise en liberté sous caution. La Confédération maritime du Chili, dans sa communication du 10 mars 1956, déclare, sans fournir de précisions, qu'« on emprisonne et déporte les dirigeants syndicaux que l'on soupçonne d'être opposés à l'ordre établi ou qui militent dans des partis visant à renverser le régime démocratique du gouvernement ».
- 159. La Fédération syndicale mondiale, dans sa communication en date du 22 mars 1956, se réfère de façon plus détaillée à des arrestations de syndicalistes ; le gouvernement chilien aurait fait intervenir un important appareil de répression contre les participants à la grève organisée le 9 janvier 1956 par la Centrale unique des travailleurs. Cette grève aurait eu pour but de protester contre les restrictions apportées aux augmentations de salaires ; avant le 9 janvier, le gouvernement aurait fait arrêter les personnes ci-après, qui faisaient partie du Comité directeur national de la C.U.T.CH. : Clotario Blest Riffo, président, Juan Vargas Puebla, trésorier, Ernesto Mirando, Armando Aguirre, Gilberto Cea, José Diaz Iturrieta, Raúl Pinto et Luis Quiroga. Quelque 45 dirigeants provinciaux de la même organisation, dont six sont indiqués nommément, auraient également été arrêtés. Tandis que certains des prisonniers, comme Blest Riffo et Puebla, auraient été incarcérés à Santiago, de nombreux dirigeants auraient été internés dans les camps de concentration de Pisagua, Maullin et Melinka. A la fin de février 1956, 13 des 23 dirigeants du conseil national de la C.U.T.CH auraient été emprisonnés ; 12 autres, qui avaient été déclarés « rebelles » risquaient d'être arrêtés à tout moment. Miguel Prádenas, dirigeant du bureau de l'O.R.I.T, aurait été également arrêté le 16 février. A la fin de février, Nicomedes D. Alvarez, président de la Fédération des cheminots, et Luis Ortega, secrétaire de la Fédération des travailleurs de l'électricité et du gaz, auraient été arrêtés. La communication de la F.S.M était accompagnée d'une « liste incomplète des syndicalistes arrêtés », qui indiquait leur nom, le syndicat auquel ils appartenaient, leurs fonctions syndicales et le lieu de leur détention. Dans la communication qu'elle a envoyé ultérieurement, le 16 mai 1956, la F.S.M indiquait que le professeur Carlos Matús, directeur de l'Ecole supérieure no 89 de Santiago du Chili, et membre du Conseil national de la Centrale unique des travailleurs, aurait été arrêté et faisait l'objet de poursuites depuis le 29 mars 1956 « sous le seul prétexte de son appartenance au Conseil national de la C.U.T.CH.».
- 160. La Fédération nationale des boulangers et d'autres organisations syndicales chiliennes ont fait savoir, dans une communication en date du 23 mai 1956, que Clotario Blest Riffo, Manuel Collao, Baudilio Casanova, Isidoro Godoy Bravo, Juan Vargas Puebla, Julio Alegria, Carlos Matús, Héctor Durán, Ramón Dominguez, Luis Figueroa, Bernardo Araya et René Reyes, tous membres du Conseil national de la Centrale unique des travailleurs, avaient été mis en liberté provisoire après avoir passé plus de cent jours en prison.
- Allégations relatives à des violations des droits syndicaux et à des représailles exercées contre des syndicalistes à la suite d'une grève des employés de banque
- 161. L'Association uruguayenne des employés de banque, dans sa communication du 1er octobre 1956, et la Confédération internationale des syndicats chrétiens, dans sa communication du 6 novembre 1956 - communications qui ont toutes été appuyées par la Fédération internationale des syndicats chrétiens des employés, techniciens, cadres et voyageurs de commerce et la Confédération internationale des syndicats libres - allèguent qu'à la suite d'une grève des employés de banque, en septembre 1956, le gouvernement chilien aurait commis une violation caractérisée de la liberté syndicale. Les allégations peuvent se résumer ainsi : le Syndicat des employés de la Banque de Londres et d'Amérique du Sud a demandé à la direction le versement anticipé des gratifications dues en fin d'année. La Banque l'ayant refusé, le personnel résolut de recourir à la grève. La Fédération des syndicats bancaires n'approuvant pas cette décision, le syndicat intéressé demanda donc à son conseiller juridique de rechercher une solution au conflit par voie de conciliation. La grève fut suspendue, le ministre du Travail ayant accepté d'agir en qualité de médiateur. La Banque de Londres et d'Amérique du Sud, toutefois, exigea comme condition préalable à la reprise du travail que le personnel décidât de renoncer à la demande qui avait donné naissance à la grève, et, par ailleurs, renvoya, sans cause justifiant une telle mesure, les six employés qui avaient pris la parole pour proposer la grève à l'assemblée du Syndicat. Devant ces renvois, la Fédération des syndicats bancaires, se conformant à une résolution antérieure, déclara la grève générale des employés de banque. La grève s'étendit sur tout le territoire chilien et fut suivie par les employés de la Banque d'Etat. Devant cet état de choses, le gouvernement décréta la réquisition militaire des banques et l'illégalité de la grève, mesures fondées sur les dispositions de la loi de défense permanente de la démocratie qui interdisent les grèves non seulement des fonctionnaires, mais aussi des « employés ou ouvriers des entreprises ou institutions particulières responsables de services d'utilité publique» (article 3 4)). Les contrôleurs militaires assignèrent aux employés un délai pour reprendre le travail, sous peine de voir résilier leur contrat de travail. Le gouvernement, de son côté, ordonna l'arrestation des membres de tous les bureaux des syndicats bancaires. Les banquiers, appuyés par les délégués militaires et la police, prirent des mesures de répression destinées à « décapiter » le mouvement syndical bancaire. La persécution policière aurait été énergique : les employés auraient été sommés de choisir entre la prison ou la reprise du travail. Des perquisitions auraient eu lieu au domicile des employés. Devant cet état de choses, les dirigeants syndicaux bancaires arrêtés ordonnèrent, de leur prison, la fin de la grève et la reprise du travail pour le 5 septembre 1956.
- 162. Les renvois consécutifs à la grève auraient été faits conformément aux directives générales donnée par l'Association des banquiers. Toutes les banques, sauf une, auraient licencié les membres des bureaux syndicaux. La Banque espagnole-Chili, où les mesures de représailles auraient été spécialement sévères, aurait congédié jusqu'aux membres du précédent bureau syndical. Le gouvernement se serait refusé à mettre fin à l'action répressive des banquiers, déclarant que, les contrats de travail étant caducs, conformément à la loi, les banques avaient le droit de procéder au congédiement de personnel. Les plaignants indiquent les noms de plusieurs personnes touchées par cette vague de licenciements. L'Association uruguayenne des employés de banque déclare que « la campagne de persécution entreprise par le gouvernement du Chili contre le mouvement syndical de ce pays a réussi à détruire complètement les syndicats et la Fédération syndicale des employés de banque, dont les dirigeants et les ex-dirigeants (soit plus de 1.000 personnes) ont perdu leur emploi, 90 pour cent d'entre eux n'ayant aucun droit à la retraite. Plus de 350 employés de banque sont toujours incarcérés dans les prisons chiliennes pour leur activité syndicale ».
- 163. Au nombre des employés victimes de ces représailles se trouverait M. José Goldsack Donoso, président de la Confédération latino-américaine des syndicats chrétiens et membre du Directoire exécutif de l'Action syndicale chilienne. Au moment où la grève éclata, Goldsack Donoso, employé de la Banque espagnole-Chili, se trouvait à La Havane en qualité de délégué des travailleurs chiliens à la sixième Conférence des Etats d'Amérique Membres de l'O.I.T. (septembre 1956). Il avait été nommé délégué à cette conférence par décret du 22 août 1956, et le ministère du Travail lui-même avait obtenu de la direction de la Banque espagnole-Chili le congé nécessaire. Durant l'absence de Goldsack Donoso, le contrôleur militaire, Gustavo Vásquez Román, à la demande de la direction de la Banque, signait la résiliation de son contrat et refusait la réintégration de l'intéressé lors de son retour de La Havane. Goldsack n'avait d'aucune façon pris part à la grève, et le seul fait justifiant son licenciement arbitraire était son appartenance au bureau du syndicat de son établissement bancaire. La Confédération internationale des syndicats chrétiens considère qu'il est inadmissible qu'un Etat Membre de l'O.I.T licencie le délégué des travailleurs lors d'une conférence de l'O.I.T. « pendant l'accomplissement de son mandat, de telles mesures entravant le fonctionnement normal de l'O.I.T. ».
- 164. La Confédération américaine des employés de banque - déclare l'Association uruguayenne des employés de banque - a installé son bureau permanent à Santiago du Chili. Trois des membres de son bureau exécutif, MM. Humberto Moreno, Ricardo Cruz Laso et Mario Bravo, auraient été emprisonnés en même temps que les dirigeants syndicaux chiliens en dépit de leur qualité de dirigeants internationaux et bien qu'ils n'eussent rien à voir avec le conflit bancaire chilien. Ricardo Cruz Laso et Mario Bravo, qui n'avaient pris aucune part à la grève, auraient été mis en liberté, mais révoqués de leur emploi et privés du droit à la retraite. Humberto Moreno, secrétaire général de la Confédération américaine des employés de banque, aurait toujours été incarcéré à la date de la plainte après avoir passé sept jours au secret. Il aurait, lui aussi, perdu son emploi.
- 165. Enfin, les organisations plaignantes accusent le gouvernement du Chili de ne pas avoir respecté la législation chilienne sur la conciliation, d'avoir prêté appui aux employeurs lorsque ceux-ci décidèrent le renvoi massif des travailleurs, d'avoir recouru à de violentes représailles policières et de maintenir les persécutions dirigées contre les syndicats. Elles demandent que les dirigeants syndicaux bancaires détenus soient mis en liberté et que le droit des employés de banque à exercer leurs droits syndicaux en toute liberté soit reconnu.
- Allégations relatives à des violations des droits syndicaux à la suite d'une grève dans les mines de salpêtre Pedro de Valdivia
- 166. L'Union internationale des syndicats des mineurs (F.S.M.), dans ses communications en date du 25 octobre et du 26 novembre 1956, et la Confédération internationale des syndicats chrétiens, dans ses communications des 29 octobre et 6 novembre 1956, allèguent que, dès le début de 1956, le syndicat de l'entreprise de salpêtre Pedro de Valdivia, propriété de l'Anglo-Lautaro Nitrate Company, avait présenté un cahier de revendications de caractère économique et social. Dès le début des négociations, le gouvernement aurait appuyé les employeurs et rendu difficile la solution du conflit. Les ouvriers se virent ainsi obligés de recourir à la grève en juin 1956. Cette grève, qui aurait été parfaitement légale, affectait quelque 8.500 ouvriers et, en comptant leurs familles, plus de 30.000 personnes. Le 15 septembre, le gouvernement édictait un décret sur la reprise du travail déclarant la grève illégale et mettait deux salpêtrières sous le contrôle d'un délégué militaire.
- 167. Le 17 septembre 1956, le local du Syndicat de la salpêtrière Pedro de Valdivia aurait été attaqué par un piquet de carabiniers au moyen de grenades lacrymogènes et d'armes à feu. Selon la Confédération internationale des syndicats chrétiens, cette attaque aurait eu lieu le 14 septembre, et l'intervention armée des carabiniers aurait eu pour but l'arrestation des dirigeants du Syndicat durant une réunion syndicale. Les coups de feu auraient été tirés à bout portant, tuant 4 personnes et en blessant 20 grièvement. Quelques jours plus tard, le 20 septembre, le gouvernement décréta l'état de siège dans les départements de Tarapacá et d'Antofagasta, suspendant ainsi toutes les garanties constitutionnelles dans la zone minière où aurait régné « la terreur policière » et où aurait été déclenchée « une chasse impitoyable aux dirigeants du Syndicat et du comité de grève ». Les organisations syndicales et les principaux partis politiques du Chili auraient condamné l'attitude prise par le gouvernement dans cette affaire. La Chambre des députés aurait désigné une commission d'enquête, qui se serait rendue sur les lieux pour vérifier les faits et « juger les responsabilités de ce lâche massacre ». Le 25 octobre, la Centrale unique des travailleurs du Chili a organisé une réunion publique de protestation. Cependant, l'état de siège aurait toujours été en vigueur au moment du dépôt de la plainte, empêchant les dirigeants syndicaux d'exercer leurs droits.
- ANALYSE DES REPONSES
- Allégations relatives à l'emprisonnement de syndicalistes
- Analyse de la première réponse
- 168. Dans sa communication du 7 mai 1956, le gouvernement indique que la procédure appliquée dans le cas de M. Isidoro Godoy Bravo a été celle qui a été suivie également en ce qui concerne les autres dirigeants de la C.U.T.CH: ladite organisation ayant déclaré une grève séditieuse, les intéressés ont été dénoncés aux tribunaux pour infraction à divers articles de la loi de défense permanente de la démocratie et, en conséquence, traduits en justice. Plusieurs d'entre eux, par exemple Eduardo Long et Wenceslao Moreno, ont été mis en liberté tandis que d'autres, comme Clotario Blest Riffo, Juan Vargas, Baudilio Casanova, Julio Alegria et Manuel Colláo ont été mis en liberté sous caution par la suite, sans que le gouvernement ait eu à enfreindre le principe traditionnel de l'indépendance des tribunaux. Le fait que certains tribunaux aient intenté des actions judiciaires contre des citoyens pour des activités séditieuses de caractère politique n'implique pas, affirme le gouvernement, de violation des droits syndicaux. De septembre 1955 à février 1956, le pays (en tout ou en partie) s'est trouvé en état de siège. Dans cette situation, la Constitution donne pouvoir au Président de la République de transférer les personnes dans l'intérêt du pays et de les détenir en des lieux différents de ceux qui sont prévus pour l'incarcération des condamnés de droit commun. L'état de siège, décrété le 6 janvier 1956, avait précisément pour but de répondre à la grève ordonnée par la C.U.T.CH. L'exercice des droits constitutionnellement reconnus au Président de la République ne peut être arbitraire et n'autorise pas à prétendre, comme le font certains des plaignants, que le pays se trouve sous un régime de dictature. Le Sénat aurait reconnu la légalité des mesures prises par le pouvoir exécutif.
- 169. En ce qui concerne les autres personnes mentionnées dans les plaintes - en particulier la liste annexée à la communication du 22 mars 1956 de la Fédération syndicale mondiale, liste qui contient les noms de plus d'une centaine de personnes avec l'indication de leurs fonctions syndicales et de la localité où elles les exerçaient - le gouvernement ne fait mention que de deux d'entre elles, à savoir Eduardo Long et Wenceslao Moreno. En ce qui concerne la centaine de personnes qui restent, le gouvernement - dans sa première réponse - se borne à indiquer que les mesures prises contre « certains citoyens » en vertu des pouvoirs que la Constitution confère au pouvoir exécutif pendant l'état de siège ne comportent aucun élément d'arbitraire et aucune violation de la légalité.
- Décisions antérieures du Comité
- 170. En ce qui concerne l'arrestation des membres du Conseil national de la C.U.T.CH, dont fait partie M. Godoy Bravo, le Comité a constaté que ces membres avaient tous été l'objet de poursuites devant les tribunaux ordinaires pour une prétendue infraction à la loi de défense permanente de la démocratie. Dans ces conditions, il ne lui a pas paru possible de se prononcer sur ces allégations et sur l'éventuelle violation des droits syndicaux qu'elles impliquent tant que l'instance judiciaire chilienne saisie de l'affaire ne se serait pas prononcée définitivement. Considérant, d'autre part, que la détention pendant plusieurs mois de ces dirigeants syndicaux les a empêchés effectivement d'exercer leurs activités syndicales, le Comité a estimé nécessaire d'appeler l'attention du gouvernement du Chili sur l'importance qu'il attache à ce que tout syndicaliste arrêté jouisse des garanties d'une procédure judiciaire régulière et a demandé au gouvernement de bien vouloir l'informer de la décision prise à l'égard des membres du Conseil national de la C.U.T.CH.
- 171. En ce qui concerne les cent et quelques autres personnes mentionnées nommément par les divers plaignants, au sujet desquelles le gouvernement n'avait fourni que des renseignements extrêmement imprécis, le Comité, rappelant ses déclarations antérieures selon lesquelles, en cas d'allégations précises concernant l'arrestation de syndicalistes, même durant un état d'urgence, les informations fournies par les gouvernements doivent être suffisamment circonstanciées pour permettre de conclure que les arrestations n'ont pas eu pour motif les activités syndicales des détenus, et que ces derniers peuvent jouir de toutes les garanties d'un procès légal, a jugé nécessaire de demander au gouvernement du Chili des informations complémentaires sur la situation de toutes les personnes détenues mentionnées dans les plaintes du 22 mars 1956, de la Fédération syndicale mondiale, du 6 avril 1956, de la Confédération des travailleurs d'Amérique latine, du 3 mai 1956, de la Confédération internationale des syndicats libres, du 16 mai 1956, de la Fédération syndicale mondiale et du 23 mai 1956, de la Fédération nationale des boulangers du Chili et d'autres organisations syndicales chiliennes.
- Analyse de la deuxième réponse
- 172. Par une communication en date du 19 octobre 1957, le gouvernement, donnant suite à la demande formulée par le Comité, fournit le texte des jugements rendus par les tribunaux de première et de deuxième instance dans l'affaire où les membres du Conseil national de la Centrale unique des travailleurs du Chili (C.U.T.CH.) étaient impliqués.
- 173. Il ressort des informations communiquées par le gouvernement que les membres suivants du Conseil national de la C.U.T.CH ont été traduits devant les tribunaux pour avoir décrété une grève illégale visant à obtenir du gouvernement le retrait du projet de loi de blocage des prix et des salaires : MM. Clotario Blest Riffo, Juan Vargas Puebla, Armando Aguirre, Ernesto Mirando et Baudilio Casanova.
- 174. Le tribunal de première instance a constaté que la grève en question a touché partiellement certains services d'Etat, des services municipaux, des entreprises officielles constituant des régies autonomes ainsi que des institutions semi-officielles ; que ladite grève a également entravé le développement normal des industries du pays et, de ce fait, troublé le fonctionnement normal de divers services publics et de divers services d'utilité publique dans diverses localités ; que les faits mentionnés ci-dessus constituent le délit contre l'ordre public et la sécurité intérieure de l'Etat prévu à l'alinéa 4 de l'article 3 de la loi de défense permanente de la démocratie ; que la disposition légale précitée prévoit, en effet, des sanctions contre ceux qui organisent, poursuivent ou favorisent des grèves ou des arrêts du travail illégaux lorsque l'une quelconque des conditions ci-après est remplie a) que lesdits mouvements illégaux provoquent ou risquent de provoquer des atteintes à l'ordre public ; b) qu'ils troublent le fonctionnement des services d'utilité publique ou des services tenus par la loi de fonctionner ; c) qu'ils causent des dommages à l'une quelconque des industries vitales.
- 175. Le tribunal s'est ensuite exprimé en ces termes:
- Considérant... qu'il y a lieu de constater que les accusés Vargas, Aguirre, Miranda, Casanova ont avoué avoir commis en qualité d'auteurs le délit dont ils sont inculpés, puisqu'ils reconnaissent, en leur qualité de dirigeants de la C.U.T.CH, avoir mené a bonne fin les mesures nécessaires pour que la grève envisagée ait lieu, les motifs qu'ils avancent pour justifier le moyen employé - la grève - pour empêcher le vote d'une loi sur le blocage des prix et des salaires n'étant pas valables, entachés qu'ils sont d'illégalité ; ... que les aveux en question sont, en outre, corroborés par les nombreuses publications de presse... et par les publications versées au dossier, d'où il ressort que les accusés précités ont effectué de nombreuses démarches visant à organiser, à poursuivre ou à favoriser la grève ayant eu lieu les 9 et 10 janvier dernier, et qu'il convient donc de rejeter les allégations faites par les accusés dans leurs réponses à l'accusation et selon lesquelles il convient de les faire bénéficier d'un non-lieu puisqu'ils ont nié leur participation à des actes coupables ; qu'il faut écarter les dénégations faites par les accusés en répondant à l'accusation, qui prétendent n'avoir pas participé au délit faisant l'objet de l'accusation, car ils n'ont pas pu établir le bien-fondé des motifs allégués à cette fin et parce que leur responsabilité est également établie, indépendamment des considérations précitées, par les dépositions des témoins à charge, ... tous ces témoins étant des fonctionnaires de la police qui assurent avoir été en service de garde pendant 20 à 25 jours avant la date de la grève aux alentours du local de la C.U.T.CH et avoir vu arriver à tout instant audit local les dirigeants Clotario Blest, Baudilio Casanova, Juan Vargas, Armando Aguirre et Ernesto Mirande, lesquels ont exprimé à haute voix, à plusieurs reprises, qu'il fallait se mettre en grève... ; ... que les accusés Clotario Blest, Juan Vargas Puebla, Armando Aguirre et Ernesto Mirando ont établi la circonstance atténuante de leur conduite antérieure irréprochable... et qu'il n'existe pas d'autres circonstances atténuantes ou aggravantes ; ... que les témoignages rendus en cours d'audience en faveur des accusés Ernesto Mirando et Armando Aguirre... et tendant à prouver que lesdits accusés n'avaient pas participé à la réunion du Conseil des fédérations, car ils auraient consacré leur attention exclusivement au conflit du cuir, du 23 décembre 1955 au 5 janvier 1956, ne suffit pas à établir les faits en question ; ... condamne les accusés Clotario Blest Riffo, Juan Vargas Puebla, Armando Aguirre Ahumada, Ernesto Mirando Rivas et Baudilio Casanova Valenzuela, dont l'identité a déjà été établie, en tant qu'auteurs du délit prévu à l'alinéa 4 de l'article 3 de la loi no 8987 sur la défense permanente de la démocratie, à la peine de trois ans et un jour de relégation... au paiement de 3.000 pesos d'amende et aux frais de la cause ; les inculpés sont également condamnés à la peine accessoire de la privation absolue et perpétuelle des droits civils et à l'incapacité absolue de revêtir des charges ou offices publics durant l'accomplissement de la peine.
- 176. Le tribunal de deuxième instance, devant lequel il avait été interjeté appel, a confirmé la décision du tribunal de première instance en ce qui concerne Clotario Blest, Juan Vargas et Baudilio Casanova. En ce qui concerne, par contre, Ernesto Mirando et Armando Aguirre, le tribunal de deuxième instance a estimé qu'il n'avait pas été établi que ces deux personnes aient participé aux réunions du comité ayant décidé la grève ; en conséquence, il a renversé la décision du tribunal de première instance en ce qui concerne la condamnation de ces deux accusés et les a libérés de l'accusation formulée contre eux par le ministère public et des particuliers.
- 177. Dans la lettre de couverture qui accompagnait le texte des deux jugements précités, le gouvernement indique que sur les trois personnes finalement condamnées, à savoir MM. Clotario Blest, Baudilio Casanova et Juan Vargas, les deux premières ont été depuis graciées par le Président de la République. Enfin, dans une lettre du 28 janvier 1958, le gouvernement déclare que M. Vargas a à son tour été gracié.
- 178. En ce qui concerne les quelque cent autres syndicalistes mentionnés nommément dans les diverses plaintes reçues et à propos desquels le Comité avait demandé au gouvernement de lui fournir des informations complémentaires (voir paragraphe 171 ci-dessus), le gouvernement, dans sa lettre du 28 janvier 1958, indique que toutes les personnes en question ont été libérées le 29 février 1956.
- Allégations relatives à des violations des droits syndicaux et à des représailles exercées contre des syndicalistes à la suite d'une grève des employés de banque
- 179. Le gouvernement a présenté ses observations sur ces allégations par une communication en date du 10 octobre 1957.
- 180. Il y décrit ainsi le déroulement des faits. Au début du mois d'août 1956, les employés de la Banque de Londres et d'Amérique du Sud demandèrent le paiement anticipé d'une gratification volontaire et extraordinaire équivalant à un mois de traitement, que la Banque estimait pouvoir payer au mois de décembre de la même année. Comme il s'agissait du versement d'une gratification extraordinaire dont l'octroi dépendait exclusivement du bon vouloir de la Banque, celle-ci se refusa à la payer de manière anticipée. Devant ce refus, le Syndicat résolut de recourir à la grève, qui eut lieu le 13 août. La Banque fit savoir le 22 août au personnel en grève qu'usant des droits que lui reconnaissait le Code du travail, elle mettrait fin aux contrats de 5 employés et d'un ouvrier. Au cours des démarches qui s'effectuèrent à ce moment-là, la Banque maintint fermement son refus de revenir sur les congédiements et de payer les jours de grève lors de la reprise du travail. Prenant motif de ce refus, le personnel de la grande majorité des banques du pays se déclara en grève.
- 181. Le 25 août, définissant la position du gouvernement à l'égard de la grève des employés de banque, le ministre du Travail prononça une déclaration officielle qui commençait en ces termes : « Le pays traverse actuellement un état d'agitation qui, à la connaissance du gouvernement, répond à une nouvelle tactique venue remplacer celle qui a échoué lors de la grève générale du 9 janvier dernier, ruais tendant à la même fin : la subversion de l'ordre public visant à la réalisation des desseins antipatriotiques et démagogiques des groupes qui la soutiennent comme ils l'avaient déjà fait pour la grève générale. » Le ministre brosse ensuite un vaste tableau dans lequel il décrit les divers mouvements d'agitation qui se sont fait jour dans le pays et les conséquences de ces mouvements sur la situation sociale et économique générale.
- 182. Comme la grève des banques entraînait la paralysie d'activités essentielles pour la marche du pays, le Président de la République, s'appuyant sur les dispositions de la Constitution nationale et de la loi de défense permanente de la démocratie, a ordonné, par décret, la reprise immédiate du travail dans les banques et a institué le contrôle, par des personnalités militaires, de la gestion des entreprises bancaires touchées par la grève, considérée dès lors comme illégale.
- 183. La poursuite d'une grève illégale constituant un délit, l'autorité administrative porta plainte devant les tribunaux. Les personnes suivantes étaient accusées de s'être rendues coupables du délit caractérisé et sanctionné par l'alinéa 4 de l'article 3 de la loi de défense permanente de la démocratie (déjà mentionné au paragraphe 174 ci-dessus) : MM. Mario Manuel Morales Manascero, Iván Katalinic Sánchez, Enrique Baeza Gajardo, Jorge Silva Gómez, Luis Alberto Urra Urra, Fernando Torres González, Mario Soza Briceno, Tomás Salcedo Fernández, Hernán Marambio Peni, Nicolas Campano Borlaf, Angel Araya Mercado et Humberto Moreno Casacuberta.
- 184. Les six premiers ont été condamnés à cent jours de prison avec sursis et, pendant un an, ils sont soumis à surveillance de la part du « Patronato de Reos » de la prison publique ; ils ont en outre été condamnés à une amende de 6.000 pesos et à la suspension de toute charge ou fonction publique qu'ils étaient susceptibles d'occuper durant le temps de leur peine. Les six derniers ont été acquittés.
- 185. Les contrôleurs désignés par décret, dans l'exercice de leurs fonctions et étant donné l'illégalité de la grève, notifièrent aux employés des banques qu'ils devaient reprendre le travail sous peine de voir prononcer la caducité de leur contrat de travail. « La totale réprobation que ce mouvement de grève souleva dans tous les secteurs du pays - déclare le gouvernement - et la futilité du prétexte qui le motivait poussèrent les employés de banque à reprendre le travail. »
- 186. Le rôle des contrôleurs ayant pris fin avec la reprise du travail, les gérances des diverses banques passèrent de nouveaux contrats avec leurs employés ; les contrats de travail antérieurs étaient en effet devenus caducs. De nombreuses banques ne passèrent pas de nouveaux contrats avec certains employés ; au total, 132 employés et 5 ouvriers ne furent pas repris.
- 187. Répondant à l'accusation selon laquelle les dispositions législatives en vigueur auraient été violées, le gouvernement déclare qu'à tout moment il n'a fait que se conformer à la Constitution et aux lois. En ce qui concerne les représailles exercées contre certains grévistes, le gouvernement déclare qu'il n'a eu aucune part dans les congédiements ou les non-renouvellements de contrats dont certains employés ont été l'objet, ces mesures relevant de la responsabilité directe et exclusive du secteur patronal.
- 188. Enfin, en ce qui concerne le congédiement de M. Goldsack Donoso, le gouvernement déclare que, lorsqu'il a appris que le contrôleur de la Banque espagnole-Chili, qui employait ce dirigeant syndical, s'était porté partie à l'action en justice dirigée contre M. Goldsack Donoso par la gérance de la Banque, il a immédiatement donné l'instruction au contrôleur de se désister, ce qui a été fait par celui-ci sans délai.
- Allégations relatives à des violations des droits syndicaux à la suite d'une grève dans les mines de salpêtre Pedro de Valdivia
- 189. Le gouvernement a présenté ses observations sur ces allégations par une communication en date du 13 décembre 1957.
- 190. Le gouvernement décrit de la manière suivante le déroulement des événements qui ont marqué le conflit collectif ayant opposé les syndicats du personnel des entreprises Maria Elena et Pedro de Valdivia, d'une part, et l'Anglo-Lautaro Nitrate Company, d'autre part. Le 2 janvier 1956, les organisations syndicales susmentionnées ont présenté à l'Anglo-Lautaro Nitrate Company une liste de revendications qui a donné lieu à un conflit collectif du travail. Au moment où la liste de revendications a été présentée, le conflit intéressait 4.200 travailleurs dans l'entreprise Maria Elena et 4.346 dans l'entreprise Pedro de Valdivia. Le 27 février 1956, les syndicats ont sollicité l'intervention du Conseil de conciliation pour l'industrie du salpêtre, les négociations directes avec la Compagnie ayant abouti à un échec. Le 1er mars 1956, l'Anglo-Lautaro Nitrate Company a répondu aux revendications en les écartant.
- 191. Les incidents survenus à l'entreprise Pedro de Valdivia entre la police et les travailleurs ont - déclare le gouvernement - été provoqués par l'exécution de mesures ordonnées par les tribunaux judiciaires chiliens, sur la base de plaintes déposées par les employeurs, et, à aucun moment, de mesures adoptées par le pouvoir exécutif pour maintenir l'ordre et la tranquillité publics. La première Cour d'appel d'Iquique, saisie d'une procédure entamée par les compagnies de salpêtre en conflit, avait ordonné l'arrestation de certains meneurs ouvriers. Pour exécuter la sentence judiciaire, des membres du corps des carabiniers se sont rendus au bureau de l'entreprise mentionnée ci-dessus ; attaqués violemment par quelque 2.000 ouvriers alors qu'ils s'efforçaient d'accomplir leur devoir, ils ont été obligés de recourir à la violence et de lancer des bombes lacrymogènes « qui ne produisirent pas l'effet voulu ». Les ouvriers continuant à se montrer agressifs, les carabiniers firent usage de leurs armes à feu pour effrayer les ouvriers ; les coups - déclare le gouvernement - n'ont jamais été dirigés sur les ouvriers ainsi que l'affirment les plaignants, et il précise que les carabiniers « tirèrent en l'air quelques balles qui, en retombant, atteignirent certains ouvriers et en tuèrent quelques-uns ».
- 192. Devant la nécessité de maintenir l'ordre dans les régions de Tarapacá et d'Antofagasta, le gouvernement s'est vu contraint d'y décréter l'état de siège le 19 septembre 1956. Par la suite, le calme étant revenu, l'état de siège a été levé le 17 octobre 1956.
- 193. Pendant toute la durée du conflit, le gouvernement s'est efforcé de concilier les deux parties en présence, et c'est uniquement devant la mauvaise " volonté des travailleurs que le gouvernement a été contraint de prendre les mesures nécessaires pour restaurer des conditions normales dans une des industries vitales du pays. Dans son effort de conciliation, le gouvernement s'est même abstenu de faire état de l'illégalité de la grève qui avait cependant été déclenchée en violation des dispositions législatives en vigueur.
B. B. Conclusions du comité
B. B. Conclusions du comité- Allégations relatives à l'emprisonnement de syndicalistes
- 194 Les plaignants allèguent que les dirigeants de la Centrale unique des travailleurs du Chili (C.U.T.CH) ont été arrêtés et traduits en justice à la suite d'une grève générale déclenchée en vue de faire pression sur le pouvoir législatif pour que ce dernier rejette un projet de loi sur la stabilisation des prix et des salaires. Lors de sa dix-septième session, le Comité, ayant jugé qu'il ne lui était pas possible de se prononcer sur la question de savoir s'il y avait eu ou non, en l'espèce, violation de la liberté syndicale avant de connaître les résultats de l'instance judiciaire saisie de l'affaire, avait prié le gouvernement de lui faire connaître ces résultats dès qu'ils seraient disponibles. Donnant suite à cette demande, le gouvernement, par une communication du 19 octobre 1957, a fourni le texte des jugements des tribunaux de première et deuxième instance qui ont eu à connaître de l'affaire.
- 195 Il ressort de ces jugements que, sur les cinq personnes inculpées et condamnées par le tribunal de première instance pour avoir fomenté une grève destinée à empêcher que ne soit promulgué un texte législatif portant stabilisation des salaires et des prix, grève déclarée par le gouvernement comme étant illégale et, par suite, tombant sous le coup des dispositions de la loi de défense permanente de la démocratie deux ont été acquittées par le tribunal de deuxième instance. Par la suite, les trois personnes restantes ont été graciées par le Président de la République.
- 196 Le Comité, par ailleurs, a constaté qu'il ressort des observations et des renseignements fournis par le gouvernement que les inculpés semblent avoir bénéficié des garanties d'une procédure judiciaire régulière en ce sens qu'ils ont été traduits devant des tribunaux ordinaires et non pas devant des tribunaux d'exception, qu'ils ont bénéficié du droit d'appel et qu'ils ont pu se faire défendre par un avocat.
- 197 Le Comité a constaté que les cinq personnes originairement condamnées ont été remises en liberté, deux à la suite d'un acquittement en deuxième instance et trois à la suite d'une amnistie présidentielle.
- 198 Dans ces conditions, étant donné toutes les circonstances rappelées aux paragraphes 195 à 197 ci-dessus, le Comité recommande au Conseil d'administration de décider - tout en rappelant les observations qu'il avait présentées aux paragraphes 77 et 78 de son vingt-sixième rapport quant à la sévérité de la loi de défense permanente de la démocratie en matière de grèves et en recommandant à nouveau au gouvernement d'examiner la possibilité de réétudier ladite loi à la lumière des principes généralement admis en matière de liberté syndicale - qu'il n'y a pas lieu pour lui de poursuivre l'examen de cet aspect du cas.
- 199 En ce qui concerne les quelque cent autres syndicalistes qui auraient été arrêtés et mentionnés notamment dans la liste qui figure en annexe à la plainte de la F.S.M, le Comité recommande au Conseil d'administration de prendre note avec satisfaction de la déclaration du gouvernement dans laquelle celui-ci indique que toutes les personnes en question ont été libérées le 29 février 1956 et de décider que cet aspect du cas n'appelle donc pas un examen plus approfondi.
- Allégations relatives à des violations des droits syndicaux et à des représailles exercées contre des syndicalistes à la suite d'une grève des employés de banque
- 200 Les plaignants allèguent qu'à la suite d'une grève destinée à faire triompher des revendications d'ordre professionnel, plusieurs employés de la Banque de Londres et d'Amérique du Sud auraient été licenciés. Cette mesure aurait à son tour entraîné de la part du personnel de la plupart des banques du pays une grève de solidarité et de protestation. Devant cette situation, le gouvernement a ordonné la reprise immédiate du travail et la mise sous contrôle de l'Etat des entreprises bancaires. Les contrôleurs désignés par l'Etat enjoignirent aux employés de reprendre le travail sous peine de résiliation de leur contrat. A la cessation du contrôle, après la reprise du travail, les gérances des diverses banques passèrent de nouveaux contrats - les anciens contrats étant devenus caducs - et ne renouvelèrent pas les contrats d'un nombre total de 137 employés en raison de leur participation à la grève.
- 201 Par ailleurs, la grève ayant été déclarée illégale en vertu de la loi de défense permanente de la démocratie, 12 dirigeants syndicaux passèrent en jugement et 6 furent condamnés pour infraction à l'article 3, paragraphe 4, de ladite loi.
- 202 Il est allégué que 137 personnes auraient fait l'objet de sanctions à la suite de la grève des banques (congédiements, non-renouvellement des contrats de travail). En diverses occasions, le Comité considérant, comme il l'a toujours fait, que les allégations concernant le droit de grève n'échappent pas à sa compétence quand elles mettent en cause la liberté syndicale, a exprimé l'avis que le droit de grève des travailleurs et des organisations de travailleurs constitue un des moyens essentiels dont ils disposent pour promouvoir et pour défendre leurs intérêts professionnels. Le Comité estime que les actes de discrimination à l'emploi résultant d'une grève pacifique sont incompatibles avec le maintien de relations professionnelles satisfaisantes et recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait qu'il serait fâcheux que les personnes temporairement chargées par le gouvernement du contrôle des banques ne respectent pas les normes généralement admises en ces matières.
- 203 Les plaignants allèguent, plus particulièrement, que, parmi les dirigeants à l'encontre desquels des mesures auraient été prises à la suite de la grève des banques, figurerait M. Goldsack Donoso, président de la Confédération latino-américaine des syndicats chrétiens et membre du Directoire exécutif de l'Action syndicale chilienne. Au moment du déclenchement de la grève, M. Goldsack Donoso, employé de la Banque espagnole-Chili, se trouvait à La Havane en qualité de délégué des travailleurs chiliens à la sixième Conférence des Etats d'Amérique Membres de l'O.I.T. (septembre 1956). M. Goldsack Donoso avait été nommé délégué à cette conférence par un décret du 22 août 1956, et le ministère du Travail lui-même avait obtenu de la direction de la Banque espagnole-Chili le congé nécessaire pour permettre à l'intéressé de participer aux travaux de la conférence en question. Les plaignants allèguent encore que, durant l'absence de M. Goldsack Donoso, le contrôleur militaire placé à la tête de la Banque espagnole-Chili aurait signé la résiliation de son contrat ; à son retour de La Havane, M. Goldsack Donoso se serait vu refuser par la Banque sa réintégration.
- 204 Dans sa communication du 10 octobre 1957, le gouvernement déclare simplement que, lorsqu'il a appris que le contrôleur de la Banque espagnole-Chili s'était porté partie à l'action en justice dirigée contre M. Goldsack Donoso par la gérance de la Banque, il a immédiatement donné l'instruction au contrôleur de se désister, ce que ce dernier a fait sans délai.
- 205 Il semble donc ressortir des éléments d'information dont dispose le Comité que M. Goldsack Donoso - alors qu'il était dans l'impossibilité physique de prendre part à la grève puisqu'il se trouvait, au moment de son déroulement, à La Havane où il participait, en qualité de délégué travailleur, aux travaux de la sixième Conférence des Etats d'Amérique Membres de l'O.I.T. - ait été frappé, à l'instar des employés de banque en grève, d'une mesure de résiliation de son contrat de travail, prise par le contrôleur du gouvernement chargé de la gérance provisoire de l'établissement où il était employé et que, le contrôle gouvernemental une fois suspendu, la direction de la Banque ait refusé sa réintégration. Saisi de la question, le gouvernement a intimé l'ordre à son représentant - en l'occurrence le contrôleur de la Banque - de renoncer à se porter partie, comme il l'avait fait tout d'abord, à l'action judiciaire intentée contre M. Goldsack Donoso par la direction de la banque en vertu de la loi de défense permanente de la démocratie et, en particulier, des dispositions de cette loi sur les grèves illégales.
- 206 A une occasion antérieure, le Comité avait exprimé l'avis qu'il était important qu'aucun membre du Conseil d'administration ne soit inquiété de telle sorte qu'il soit empêché d'exercer son activité en cette qualité. Il estime qu'il est également important qu'aucun délégué à un organisme ou à une conférence de l'O.I.T ne soit inquiété de telle sorte qu'il soit empêché ou détourné de remplir son mandat. Or il est évident que si, lors de la participation d'un délégué à une conférence convoquée par l'Organisation internationale du Travail, surtout si cette conférence se déroule dans un pays autre que le sien, ce délégué peut faire l'objet de mesures telles que celles dont M. Donoso a été l'objet, la possibilité que ces mesures soient prises est propre à empêcher ou à détourner le délégué d'accomplir son mandat.
- 207 Le gouvernement paraît d'ailleurs être conscient de cette situation puisqu'il invoque le fait qu'il a ordonné à son représentant de ne pas se porter partie à l'action judiciaire intentée contre M. Goldsack Donoso par la direction de la Banque, manifestant ainsi son intention de rester passif en ce qui concerne cet aspect spécifique de l'affaire.
- 208 Toutefois, même s'il était prouvé que le gouvernement n'a pris aucune part aux mesures ayant frappé M. Goldsack Donoso - et le fait que ce soit le représentant du gouvernement, à savoir le contrôleur de la Banque, qui ait le premier pris l'initiative de résilier le contrat de M. Goldsack Donoso implique la responsabilité du gouvernement - le Comité estime qu'il incombe au gouvernement, non seulement de s'abstenir de prendre lui-même des mesures susceptibles de gêner un délégué à une conférence de l'O.I.T dans l'accomplissement de son mandat, mais encore d'user de son influence et d'adopter toutes dispositions raisonnables pour s'assurer qu'il ne puisse être en rien porté préjudice à un tel délégué en raison de son acceptation de fonctions de délégué ou de son comportement en tant que délégué et que des mesures prises pour d'autres motifs ne puissent être prises contre lui en son absence, mais devraient attendre son retour pour lui permettre de se défendre.
- 209 L'adoption de mesures à l'encontre d'un délégué par un contrôleur du gouvernement, alors que ce délégué est absent, est incompatible avec les devoirs du gouvernement tels qu'ils sont décrits plus haut. Dans ces conditions, il semblerait qu'il soit loin d'être suffisant, pour le gouvernement, de se dissocier des suites et des conséquences des mesures ainsi prises. En conséquence, le Comité recommande au Conseil d'administration d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait qu'il serait opportun pour lui de faire en sorte que les mesures prises à l'encontre de M. Goldsack Donoso soient rapportées ou que celui-ci soit pleinement dédommagé.
- Allégations relatives à des violations des droits syndicaux à la suite d'une grève dans les mines de salpêtre Pedro de Valdivia
- 210 Les plaignants allèguent qu'une grève déclenchée dans les mines de salpêtre aurait été sévèrement réprimée par la police (4 morts, 20 blessés), et qu'une commission d'enquête se serait rendue sur place pour déterminer à qui la responsabilité de ces incidents incombait, que le gouvernement aurait déclaré la grève illégale en application de la loi de défense permanente de la démocratie, que le gouvernement aurait enfin décrété l'état de siège dans les régions minières touchées par la grève. Le gouvernement reconnaît qu'il y a eu des morts et des blessés parmi les travailleurs. Il déclare, toutefois, que l'usage de la violence par les forces de l'ordre a été suscité par l'attitude belliqueuse des grévistes. A la suite d'une plainte déposée par les employeurs contre les grévistes, la Cour d'appel d'Iquique a ordonné l'arrestation de certains meneurs ouvriers. Lorsque la police voulut procéder à l'arrestation ordonnée, elle fut attaquée par les ouvriers. C'est alors qu'elle fit usage de ses armes à feu pour effrayer les ouvriers. Mais, affirme le gouvernement, les coups n'ont jamais été dirigés contre les ouvriers et il s'exprime à cet égard en ces termes : « les carabiniers tirèrent en l'air quelques balles qui, en retombant, atteignirent certains ouvriers et en tuèrent quelques-uns ».
- 211 Dans un certain nombre de cas antérieurs, le Comité avait recommandé de classer les allégations concernant l'emploi des forces de sécurité lorsque les faits prouvaient que l'intervention de celles-ci avait été limitée au maintien de l'ordre public et n'avait pas porté atteinte à l'exercice légitime du droit de grève ; le Comité avait par contre laissé entendre qu'il aurait considéré comme une atteinte aux droits syndicaux l'emploi de la police pour briser une grève. Le Comité a notamment disposé de semblables allégations dans le cas no 152 (Royaume-Uni-Rhodésie du Nord) ; il ne l'a fait cependant qu'après avoir constaté qu'il ne disposait d'aucun élément lui permettant de conclure qu'il y avait eu, en cette occasion, mort d'homme ou blessure.
- 212 Dans le cas présent, étant donné les déclarations divergentes des plaignants et du gouvernement, le Comité estime qu'il lui est difficile de déterminer quels ont été les motifs exacts de l'intervention policière et à qui, des grévistes ou de la police, incombe la responsabilité d'avoir déclenché l'échauffourée. Il a constaté néanmoins que le gouvernement et les plaignants s'accordent à déclarer qu'il y a eu mort d'homme. Il a constaté également que l'état de siège a été déclaré, suspendant ainsi les garanties constitutionnelles normales.
- 213 Etant donné le caractère imprécis des informations fournies tant dans la plainte que dans la réponse du gouvernement et la divergence des points de vue exprimés quant à l'origine des événements incriminés, le Comité, tout en reconnaissant qu'il lui est pour le moment impossible, sur la base des informations dont il dispose, de déterminer de façon certaine si l'exercice des droits syndicaux a réellement été violé, estime devoir toutefois, comme il l'a fait en divers cas antérieurs, souligner que l'institution, par les soins du gouvernement intéressé, d'une enquête indépendante est une méthode particulièrement appropriée pour éclaircir les faits et déterminer les responsabilités lorsque se sont déroulés des troubles ayant entraîné des pertes de vies humaines.
- 214 Dans ces conditions, étant donné la gravité des incidents qui se sont produits, la situation d'exception dans laquelle les événements paraissent s'être déroulés et l'information communiquée par les plaignants, d'après laquelle une commission d'enquête aurait été instituée pour déterminer la responsabilité des incidents en question, le Comité recommande au Conseil d'administration de demander au gouvernement de bien vouloir lui indiquer si une telle commission a été instituée et, dans l'affirmative, de lui communiquer le résultat de son enquête.
Recommandation du comité
Recommandation du comité- 215. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
- a) tout en rappelant les observations présentées aux paragraphes 77 et 78 du vingt-sixième rapport du Comité quant à la sévérité de la loi de défense permanente de la démocratie en matière de grèves et en recommandant à nouveau au gouvernement d'examiner la possibilité de réétudier ladite loi à la lumière des principes généralement admis en matière de liberté syndicale, de décider, pour les raisons indiquées aux paragraphes 195 à 197 ci-dessus et tenant compte du fait que les cinq personnes intéressées ont été remises en liberté, qu'il n'y a pas lieu pour lui de poursuivre l'examen des allégations relatives à l'arrestation et à la condamnation des dirigeants de la Centrale unique des travailleurs du Chili ;
- b) de prendre note avec satisfaction de la déclaration du gouvernement en ce qui concerne les quelque cent personnes dont la Fédération syndicale mondiale allègue l'arrestation, déclaration dans laquelle il indique que les personnes en question ont toutes été libérées le 29 février 1956, et de décider que cet aspect du cas n'appelle donc pas de sa part un examen plus approfondi.
- c) d'attirer l'attention du gouvernement sur le fait que les actes de discrimination à l'emploi résultant d'une grève pacifique sont incompatibles avec le maintien de relations professionnelles satisfaisantes et sur le fait qu'il serait fâcheux que les personnes temporairement chargées par le gouvernement du contrôle des banques ne respectent pas les normes généralement admises en ces matières ;
- d) d'attirer l'attention du gouvernement sur l'opinion qui est la sienne que l'adoption de mesures à l'encontre de M. Goldsack Donoso, alors que celui-ci était absent, par le contrôleur gouvernemental de la banque où il était employé est incompatible avec le devoir du gouvernement non seulement de s'abstenir de prendre lui-même des mesures susceptibles de gêner un délégué à une conférence de l'O.I.T dans l'accomplissement de son mandat, mais encore d'user de son influence et d'adopter toutes dispositions raisonnables pour qu'il ne puisse être en rien porté préjudice à un tel délégué en raison de son acceptation des fonctions de délégué ou de son comportement en tant que délégué ; que des mesures prises pour d'autres motifs ne sauraient être prises contre lui en son absence, mais devraient attendre son retour pour lui permettre de se défendre ; que, dans ces conditions, il ne suffit pas, pour le gouvernement de se dissocier des suites ou des conséquences des mesures prises et qu'il serait opportun qu'il fasse en sorte que les mesures prises à l'encontre de M. Goldsack Donoso soient rapportées ou que celui-ci soit pleinement dédommagé ;
- e) de demander au gouvernement de bien vouloir lui indiquer si une commission d'enquête a été instituée en vue de déterminer la responsabilité des incidents qui ont marqué la grève des salpêtrières et, dans l'affirmative, de lui communiquer le résultat de l'enquête entreprise.