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Rapport définitif - Rapport No. 27, 1958

Cas no 166 (Grèce) - Date de la plainte: 15-MAI -57 - Clos

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A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 65. Par une communication en date du 15 mai 1957, la Fédération des syndicats grecs de gens de mer, de Cardiff, a déposé à la fois devant les Nations Unies et l'Organisation internationale du Travail une plainte contenant des allégations selon lesquelles il serait porté atteinte à l'exercice des droits syndicaux par le gouvernement de la Grèce.
  2. 66. D'après les plaignants, le gouvernement hellénique, faisant en cela cause commune avec les armateurs grecs, mettrait tout en oeuvré pour miner les efforts déployés par les marins grecs en vue d'aboutir à une plus grande unité d'action syndicale et à une défense plus efficace de leurs droits et de leurs intérêts professionnels. Cette action antisyndicale menée par les autorités grecques se serait manifesté dernièrement sous la forme d'un tract largement diffusé parmi les marins grecs dans les ports étrangers. Ce tract met en garde les gens de mer contre l'organisation plaignante et dénonce la tendance communiste qui serait la sienne. Il contient en outre un certain nombre de photographies de dirigeants de la Fédération des syndicats grecs de gens de mer avec un commentaire où lesdits dirigeants sont stigmatisés comme de dangereux anarchistes. Le tract constituerait à cet égard une liste noire puisqu'il engage les capitaines à ne pas prendre à leur bord les personnes mentionnées par lui.
  3. 67. Ce tract, dont un exemplaire était joint à la plainte, contient plus précisément les éléments suivants. Il indique tout d'abord que l'organisation plaignante n'est qu'une organisation communiste camouflée qui vise non pas à la défense des intérêts professionnels des marins, mais à induire ceux-ci à s'engager dans la voie des activités subversives qui doivent conduire à l'extension du communisme en Grèce. Il précise que les dirigeants de la Fédération, dont les photographies sont reproduites dans le tract, sont des agents à la solde du Parti communiste grec et de certains pays étrangers, qu'ils poursuivent des buts exclusivement démagogiques et sont, en un mot, les ennemis des marins grecs et du pays tout entier. Le tract met ensuite en garde les gens de mer contre les menées de ces personnes en indiquant que seulement à New-York il existe des représentants de la Fédération panhellénique des gens de mer et que tous les agents qui pourraient, dans les autres ports, se faire passer pour tels ne sauraient être que des usurpateurs tentant d'abuser la bonne foi des marins grecs. Il conclut en indiquant aux marins grecs qu'ils peuvent s'adresser non seulement à leurs organisations syndicales légales, mais aussi aux autorités consulaires et au ministère de la Marine marchande de Grèce.
  4. 68. S'il est exact - précisent les plaignants - que les autorités grecques n'ont pas eu le courage de signer le tract incriminé, l'origine de celui-ci ne fait cependant, d'après eux, aucun doute. Le fait qu'il a été distribué à tous les capitaines de navire par les autorités portuaires helléniques et les consulats de Grèce à l'étranger suffirait à prouver l'origine officielle de ce document si c'était nécessaire. Les plaignants indiquent en outre que la presse grecque elle-même a publié une information selon laquelle un document relatif à l'activité de la Fédération des syndicats grecs de gens de mer avait été diffusé parmi les marins grecs par les soins et sous les auspices du ministère de la Marine marchande et ils ont joint à leur plainte une coupure de presse donnant cette information. L'information en question précisait qu'il s'agissait de matériel de propagande dirigé contre la Fédération.
  5. 69. Aux dires des plaignants, cette attitude gouvernementale a pour effet de servir les intérêts des armateurs dans leur exploitation toujours accrue des marins grecs. Elle constituerait en outre une violation des droits universellement reconnus à l'homme ainsi que des libertés syndicale et démocratique.
  6. 70. Les plaignants ont été informés, par une lettre du Directeur général en date du 6 juin 1957, de leur droit de présenter, dans le délai d'un mois, des informations complémentaires à l'appui de leur plainte. Ils n'ont pas fait usage de cette latitude.
  7. 71. La plainte a été communiquée au gouvernement hellénique pour observations par une lettre en date du 6 juin 1957.
    • ANALYSE DE LA REPONSE
  8. 72. Le gouvernement grec a présenté ses observations sur la plainte de la Fédération des syndicats grecs de gens de mer par une communication en date du 17 septembre 1957.
  9. 73. Dans sa réponse, le gouvernement rappelle tout d'abord qu'à l'occasion de cas antérieurs, il lui avait déjà été donné de fournir des précisions quant aux tendances politiques de l'organisation plaignante et à la nature réelle de ses activités. Il rappelle en outre que la Fédération des syndicats grecs de gens de mer a été dissoute en tant qu'organisation syndicale et mise hors la loi. Il précise enfin que c'est à la suite de ces mesures que l'organisation plaignante a été contrainte d'exercer de l'étranger son activité séditieuse.
  10. 74. En ce qui concerne les allégations spécifiques contenues dans la plainte dont le Comité se trouve saisi dans le cas d'espèce, le gouvernement indique que rien dans les tracts incriminés ne permet de conclure que ces tracts émanent des autorités publiques de Grèce. Il déclare qu'il existe, tant en Grèce qu'à l'étranger, des organisations qui se sont notamment donné pour tâche d'éclairer les marins grecs sur les intentions illicites de la Fédération des syndicats grecs de gens de mer et laisse entendre que la publication et la diffusion des tracts en question sont probablement le fait d'une de ces organisations. Se référant ensuite à l'argument avancé par les plaignants et relatif au fait que la presse hellénique aurait publié une information concordant avec les affirmations des plaignants, le gouvernement nie toute valeur audit argument en indiquant que l'information en question n'a aucun caractère officiel et reflète uniquement l'opinion des rédacteurs de journaux qui lui ont fait place dans leurs colonnes.

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 75. Ainsi que le rappelle le gouvernement, le Comité a déjà été saisi dans le passé de plaintes provenant de la Fédération des syndicats grecs de gens de mer. A l'occasion de ces cas antérieurs, le gouvernement grec avait déclaré que l'organisation plaignante était dirigée par des communistes, qu'il s'agissait d'une organisation qui, sous le couvert de syndicalisme, s'efforçait de « noyauter » les équipages grecs, que cette organisation, enfin, se livrait à des activités illégales ou répréhensibles, pour la plupart étrangères à une action syndicale normale. C'est à la suite de ces circonstances que la Fédération des syndicats grecs de gens de mer a été interdite en Grèce et a fixé son siège à Cardiff d'où elle exerce maintenant son activité.
  2. 76. Dans les cas antérieurs mentionnés plus haut, le caractère syndical de l'organisation plaignante n'a pas été mis en cause par le Comité et le cas présent n'apporte aucun élément nouveau qui justifierait de sa part un changement de position. Il lui appartient donc en l'espèce uniquement de déterminer si les allégations spécifiques formulées par le plaignant paraissent ou non fondées.
  3. 77. Ces allégations peuvent se résumer essentiellement de la façon suivante des tracts de propagande dirigés contre l'organisation plaignante auraient été diffusés parmi les marins grecs ; ces tracts engageraient ces derniers à avoir à se méfier de la Fédération des syndicats grecs de gens de mer et calomnieraient cette organisation en des termes violents. Ces tracts proviendraient des autorités publiques grecques et c'est en influençant les marins dans le choix de leur syndicat que le gouvernement se rendrait coupable d'une atteinte à la liberté syndicale.
  4. 78. Sans cacher ses sentiments hostiles à l'endroit de l'organisation plaignante, le gouvernement nie cependant être à l'origine de la publication ou de la diffusion des tracts incriminés. Il précise - et ce fait est reconnu par les plaignants - que les tracts en question ne contiennent aucun signe permettant de déduire qu'ils émanent des autorités publiques et il conclut que les déductions des plaignants sont arbitraires et leurs affirmations toutes gratuites.
  5. 79. Si l'on examine tout d'abord la question de principe que soulève la plainte soumise au Comité, on constate qu'elle présente certaines analogies avec des cas dont celui-ci a eu à connaître dans le passé. Elle se rattache en effet au problème de la liberté d'expression et de ses limites. Le Comité a déjà eu l'occasion d'indiquer que le droit « d'expression des opinions par la presse ou autrement est certainement un des éléments essentiels des droits syndicaux ». Si la liberté d'expression doit ainsi être reconnue aux organisations syndicales, il est évident qu'elle ne saurait être contestée aux gouvernements. En d'autres termes si, par exemple, ces derniers ont été l'objet d'attaques ou de critiques de la part de certains syndicats, il est normal qu'ils puissent répondre en faisant connaître leur point de vue et que cette réponse reçoive une publicité analogue à celle qu'ont eue les attaques lancées contre le gouvernement. Cette liberté d'expression du gouvernement ne devrait toutefois pas s'exercer dans des termes et par des moyens - et notamment par l'utilisation de l'appareil étatique - qui revêtiraient un caractère coercitif et porteraient atteinte au droit des travailleurs de s'affilier aux organisations de leur choix.
  6. 80. C'est ainsi que dans un cas antérieur mettant en cause le gouvernement de l'Inde et où il était allégué qu'une certaine circulaire avait été distribuée, de nature à influencer les travailleurs dans le choix de leur syndicat, le Comité avait estimé que la diffusion de semblables documents, même si leur but n'est pas de s'ingérer dans l'exercice des droits syndicaux, peut assez naturellement être considérée comme impliquant une telle ingérence. Dans un autre cas, intéressant les Etats-Unis, et où il était allégué que, lors d'un discours prononcé devant une réunion d'ouvriers par le secrétaire du Travail, celui-ci avait demandé aux travailleurs de soutenir un syndicat au détriment d'un autre, le Comité avait estimé que l'allégation présentée par le plaignant ne pouvait pas de prime abord être écartée sous prétexte que, même si elle était prouvée, elle ne constituerait pas une atteinte à l'exercice des droits syndicaux et avait indiqué que le fonds du problème était de savoir si la participation du secrétaire du Travail a ou peut avoir été considérée par les travailleurs comme une menace limitant la complète liberté des salariés de voter au scrutin secret pour le syndicat de leur choix. Le Comité avait considéré que la réponse à cette question dépend des conditions prévalant dans le pays intéressé, des traditions qui y règnent, ainsi que de la manière dont y sont protégés les droits civiques et la liberté politique.
  7. 81. Comme il était apparu dans le dernier cas, il semble que la question de savoir dans quelle mesure la position prise publiquement par un gouvernement à l'égard d'une organisation syndicale constitue une atteinte au droit des travailleurs de s'affilier aux organisations de leur choix dépend essentiellement des circonstances de fait ; cela pourrait dépendre, notamment, des termes dans lesquels le gouvernement en cause a exprimé son point de vue, des conditions dans lesquelles celui-ci a été porté à la connaissance du public ou des travailleurs intéressés (presse, utilisation de l'appareil étatique, etc.) et de tous autres éléments permettant d'apprécier si la prise de position du gouvernement a ou non revêtu un caractère coercitif ou a été susceptible d'exercer une pression sur les travailleurs intéressés.
  8. 82. Dans le cas présent, le seul élément dont dispose le Comité est le contenu du tract incriminé, qui a été fourni par les plaignants. Ce tract contient, d'une part, des accusations contre le caractère et les activités de la Fédération des syndicats grecs de gens de mer et, d'autre part, une mise en garde des marins contre les agents de cette organisation, qui est interdite en Grèce depuis 1947.
  9. 83. D'autre part, il n'est pas établi que, comme le soutient l'organisation plaignante, la diffusion de ces tracts ait été assurée par les autorités portuaires de Grèce et les consulats grecs dans les différents ports étrangers. La Fédération n'apporte pas de preuve déterminante pour étayer cette affirmation. Elle indique certes - et elle communique à cet effet une coupure de presse - que les journaux helléniques auraient publié une information selon laquelle les autorités publiques seraient effectivement à l'origine de la diffusion du tract en question. Toutefois, le gouvernement répond que les informations publiées dans la presse, qui est libre, n'engagent que ceux qui les ont reproduites et donne ainsi un démenti implicite à la « nouvelle » qui a pu être publiée.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 84. Dans ces conditions, étant donné que les circonstances précises dans lesquelles les tracts incriminés ont été distribués n'ont pas été établies, le Comité estime que, dans le cas d'espèce, les plaignants n'ont pas apporté de preuves suffisantes tendant à montrer qu'il y a eu, de la part du gouvernement, une atteinte aux droits syndicaux et recommande au Conseil de décider que le cas n'appelle pas un examen plus approfondi.
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