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Rapport définitif - Rapport No. 59, 1962

Cas no 258 (Argentine) - Date de la plainte: 25-MARS -61 - Clos

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  1. 38. Par communication du 25 mars 1961, adressée directement à l'O.I.T, le S.O.I.M.A a présenté une plainte en violation de la liberté syndicale en Argentine. Par communication du 15 mai 1961, les plaignants ont envoyé des informations complémentaires à l'appui de leur plainte.
  2. 39. A sa vingt-huitième session (mai 1961), le Comité, n'ayant pas reçu du gouvernement les observations qu'il lui avait demandées, a décidé de renvoyer l'examen de ce cas à sa prochaine session; le gouvernement a été avisé de cette décision par lettre du 23 juin 1961.
  3. 40. Le gouvernement a fait parvenir ses observations par une communication du 11 septembre 1961.
  4. 41. L'Argentine a ratifié la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ainsi que la convention (no 98) sur le droit d'organisation et de négociation collective, 1949.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 42. Les plaignants allèguent que le S.O.I.M.A, constitué le 27 septembre 1959 par les ouvriers du secteur du bas, affiliés auparavant à l'Association ouvrière du textile (A.O.T.), a sollicité le 2 mars 1960 du ministère du Travail et de la Sécurité sociale la personnalité syndicale, « condition indispensable pour agir officiellement auprès des organismes d'Etat et patronaux en vue de défendre les intérêts de ses affiliés ». Les plaignants ajoutent que, par résolution gouvernementale no 757, du 27 octobre 1960 (dont ils ont joint copie), le ministère du Travail a décidé de refuser au S.O.I.M.A la personnalité syndicale que celui-ci avait sollicitée.
  2. 43. Pour justifier en l'espèce le refus de la personnalité syndicale, il est déclaré, dans la résolution no 757, « qu'il ressort des renseignements fournis à la page 62 que l'organisation requérante compte 420 affiliés qui versent des cotisations, alors que l'A.O.T de la République argentine, d'après ce qui est dit à la page 51, compte dans la branche « bas » 4.800 affiliés qui cotisent dans la capitale et 1.200 dans le reste du pays; ce fait, numériquement, ôte toute valeur à la demande présentée par l'organisation requérante »; et la résolution ajoute: «en outre, l'organisation intéressée ne saurait prétendre au caractère représentatif devant un effectif total de 7.500 travailleurs de ce secteur, ainsi qu'il ressort de ce qui est exposé à la page 72 ». Il semblerait qu'en déterminant l'importance numérique du S.O.I.M.A conformément aux dispositions de l'article 19 de la loi no 14455 sur les associations professionnelles de travailleurs - lequel dispose que « s'il existe un syndicat doté du statut syndical, ce statut ne pourra être accordé à un autre syndicat de la même activité que si le nombre d'affiliés cotisants de ce dernier, au cours d'une période minimum et ininterrompue de six mois précédant immédiatement le dépôt de la demande, a été supérieur à celui des membres de l'association déjà dotée du statut syndical » - on ait comparé le nombre d'affiliés cotisants du S.O.I.M.A. (chiffre qui, de l'avis des plaignants, ne correspond pas à la réalité) avec celui des affiliés cotisants de l'A.O.T, syndicat de travailleurs occupés aux mêmes activités et qui jouissait déjà du statut syndical.
  3. 44. Les plaignants allèguent également que la Chambre nationale d'appel du travail a ôté tout effet au statut syndical que le ministère du Travail avait octroyé à un autre syndicat « pour les mêmes raisons qui avaient incité le ministère du Travail à nous refuser ce statut syndical »; une coupure du journal La Prensa, du 4 mai 1961, est jointe à ce sujet.
  4. 45. Dans sa réponse du 11 septembre 1961, le gouvernement déclare que le S.O.I.M.A ne compte, selon les informations officielles, que 7.500 affiliés, alors que l'A.O.T en compte 150.000. Le gouvernement ajoute que le S.O.I.M.A est donc une organisation syndicale dépourvue de tout caractère représentatif et que, conformément aux dispositions de l'article 18 de la loi no 14455 sur les associations professionnelles de travailleurs, un syndicat qui ne compte que 7.500 affiliés ne peut pas être déclaré comme le plus représentatif; c'est l'organisation qui compte 150.000 membres, c'est-à-dire la majorité, qui doit être reconnue.
  5. 46. Le gouvernement présente sur ce point les précisions suivantes: la loi no 14455: « fixe une procédure prévoyant l'octroi du statut syndical à l'organisation qui est considérée comme la plus représentative de la branche d'activité ou de la profession, aux fins de rendre possible les actes les plus importants de la vie syndicale, et notamment la conclusion de conventions collectives du travail couvrant toutes les personnes englobées. Le système adopté est celui de la majorité numérique dont le caractère d'objectivité dissipe tous les doutes qui pourraient s'élever relativement à l'emploi de pouvoirs discrétionnaires pour l'octroi du statut syndical aux fins indiquées ci-dessus. Sans aucun doute, l'association la plus représentative est celle qui pauvre le plus efficacement dans l'intérêt des travailleurs, et il est logique que, dans un système de pluralité syndicale comme le nôtre, selon lequel plusieurs syndicats peuvent exister dans la même branche d'activité ou profession, le droit de signer des conventions collectives soit accordé exclusivement au syndicat le plus représentatif ».

B. B. Conclusions du comité

B. B. Conclusions du comité
  1. 47. Le Comité observe que la résolution no 757, par laquelle le statut syndical a été refusé au S.O.I.M.A, compare le nombre des affiliés cotisants du S.O.I.M.A et celui des affiliés cotisants de l'A.O.T. (branche du bas), afin de déterminer l'importance numérique du S.O.I.M.A, mais que dans la réponse du gouvernement du 11 septembre 1961, non seulement les nombres attribués à ces deux syndicats ne sont pas les mêmes et que le nombre d'affiliés cotisants du S.O.I.M.A et semble, de plus, avoir été comparé à l'effectif total de l'A.O.T.
  2. 48. A plusieurs reprises, en effet, et notamment à propos de la discussion du projet de convention sur le droit d'organisation et de négociation collective, la Conférence a évoqué la question du caractère représentatif des syndicats, et elle a admis dans une certaine mesure la distinction faite parfois entre les divers syndicats en présence selon leur degré de représentativité. De son côté, l'article 3, paragraphe 5, de la Constitution de l'Organisation internationale du Travail consacre la notion d'« organisations les plus représentatives ».
  3. 49. Ainsi, le simple fait que la législation d'un pays donné opère une distinction entre les organisations syndicales les plus représentatives et les autres ne saurait, en soi, prêter à critique. Encore faut-il qu'une telle distinction n'ait pas pour conséquence d'accorder aux organisations les plus représentatives - caractère qui découle du nombre plus important de leurs affiliés - des privilèges allant au-delà d'une priorité en matière de représentation aux fins de négociations collectives, de consultation par les gouvernements, ou encore en matière de désignation de délégués auprès d'organismes internationaux. En d'autres termes, il ne faudrait pas que la distinction opérée aboutisse à priver les organisations syndicales non reconnues comme appartenant aux plus représentatives des moyens essentiels de défense des intérêts professionnels de leurs membres et du droit d'organiser leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action, prévu par la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ratifiée par l'Argentine.
  4. 50. Le Comité a signalé la grande importance qu'il attribue à l'utilisation de critères objectifs et préétablis pour déterminer, dans le cadre d'un régime syndical comme celui de l'Argentine, les syndicats les plus représentatifs, c'est-à-dire ceux qui peuvent acquérir la personnalité syndicale; il se rappellera les conclusions qu'il a formulées à propos d'un autre cas intéressant l'Argentine, après une analyse approfondie de la législation de ce pays: l'indépendance des organisations professionnelles dans leurs rapports avec les pouvoirs publics pourrait être compromise si le législateur ou le pouvoir exécutif établit, entre les diverses organisations en présence, une discrimination qui n'est pas fixée sur des critères objectifs et, à plus forte raison... si les conséquences de la distinction entre les différentes organisations aboutissent à réserver à certaines organisations un monopole tant dans le domaine de la réglementation des conditions d'emploi (négociations collectives, etc.) que dans celui de la représentation et de la défense des intérêts des travailleurs auprès des autorités publiques ».
  5. 51. En étudiant le cas dont il est question au paragraphe qui précède, et plus particulièrement en analysant l'article 20 de la loi no 14455, aux termes duquel le syndicat qui jouissait de la personnalité syndicale perdra cette personnalité s'il cesse de revêtir un caractère suffisamment représentatif; cette disposition prévoit en outre qu'« on tiendra compte pour décider du maintien de la personnalité syndicale au syndicat dépassé en nombre d'affiliés, de son action syndicale comme de sa contribution à la défense et à la protection des intérêts professionnels ». Le Comité a estimé que le manque de précision qui caractérise cette dernière formule serait susceptible de permettre des abus quant à la décision qui serait ainsi prise par le gouvernement de maintenir ou non la personnalité syndicale à un syndicat déterminé.
  6. 52. Le Comité avait également constaté que, du point de vue strictement syndical, le rôle imparti aux syndicats qui ne jouissent pas de la personnalité syndicale était donc extrêmement limité; il s'était à cet effet reporté à la définition donnée à l'article 10 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 - ratifiée par l'Argentine -, selon lequel l'expression «organisation professionnelle» doit être entendue comme signifiant « toute organisation de travailleurs ou d'employeurs ayant pour but de promouvoir et de défendre les intérêts des travailleurs ou des employeurs ».
  7. 53. Etant donné que la distinction opérée par la loi entre organisations jouissant de la personnalité syndicale et organisations ordinaires se traduit, pour celles-ci, par une impossibilité de défendre les intérêts professionnels, le Comité avait estimé que les organisations dépourvues de personnalité syndicale n'ont pas le droit d'organiser librement leur gestion et leur activité et de formuler leur programme d'action. « En outre - déclarait le Comité -, étant donné les fonctions limitées qui sont reconnues à ces organisations, on est en droit de se demander si cette distinction ne soulève pas la question du principe généralement reconnu du droit pour les travailleurs de constituer des organisations de leur choix et de s'y affilier, principe consacré par l'article 2 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 ».

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 54. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) d'appeler à nouveau l'attention du gouvernement sur le fait que le statut privilégié octroyé aux organisations jouissant de la personnalité syndicale limite considérablement les possibilités d'action des organisations ne jouissant pas de cette personnalité, et peut porter indirectement atteinte à la liberté pour les travailleurs de s'affilier aux organisations de leur choix; et d'appeler également son attention, en vertu de ce fait, sur une éventuelle atténuation des conséquences de la distinction établie par la loi entre les organisations jouissant de la personnalité syndicale et les autres organisations syndicales;
    • b) d'attirer l'attention du gouvernement sur l'importance que le Conseil d'administration attache au principe selon lequel la détermination du syndicat le plus représentatif devra toujours se faire d'après des critères objectifs et préétablis, de sorte qu'aucun syndicat ne puisse taxer de partialité la décision prise à cet égard.
      • Genève, le 17 novembre 1961. (Signé) Roberto AGO, Président.
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