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Rapport où le comité demande à être informé de l’évolution de la situation - Rapport No. 68, 1963

Cas no 313 (Bénin) - Date de la plainte: 21-NOV. -62 - Clos

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  1. 43. Par un télégramme en date du 21 novembre 1962, complété par une lettre portant la même date, l'Union panafricaine des travailleurs croyants (U.P.T.C.) a déposé devant l'Organisation internationale du Travail une plainte en violation de la liberté syndicale dirigée contre le gouvernement du Dahomey. L'U.P.T.C a, en outre, fourni des informations complémentaires à l'appui de sa plainte par une communication en date du 29 novembre 1962. De son côté, la Confédération internationale des syndicats chrétiens (C.I.S.C.) a déposé une plainte portant sur les mêmes faits, qui est contenue dans trois communications datées, respectivement, des 26 novembre, 27 novembre et 10 décembre 1962. Les communications, tant de l'U.P.T.C que de la C.I.S.C, ayant été transmises au gouvernement, celui-ci a présenté ses observations à leur sujet par une lettre en date du 14 janvier 1963.
  2. 44. Par une lettre en date du 9 décembre 1960, en acceptant la qualité de Membre de l'Organisation internationale du Travail, le gouvernement de la République du Dahomey s'est reconnu lié par les obligations de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948.
  3. 45. Le Comité relève par ailleurs que, dans les résolutions adoptées par la première Conférence régionale africaine (Lagos, décembre 1960), la Conférence avait notamment noté:
    • ...avec une vive satisfaction que tous les Etats d'Afrique qui sont devenus Membres de l'O.I.T depuis 1950 se sont déclarés liés par les obligations des conventions dont les dispositions avaient été déclarées antérieurement applicables à leurs territoires respectifs par les pays qui en assumaient l'administration et les relations internationales,
    • et qu'elle avait demandé:
    • ...au Conseil d'administration du Bureau international du Travail d'inviter les gouvernements qui feraient éventuellement l'objet de plaintes devant le Comité de la liberté syndicale du Conseil d'administration à apporter au Comité leur plein concours en répondant notamment aux demandes d'observations qui leur sont adressées et en tenant le plus grand compte des recommandations qui leur seraient éventuellement transmises par le Conseil d'administration à la suite de l'examen de ces plaintes.

A. A. Allégations des organisations plaignantes

A. A. Allégations des organisations plaignantes
  1. 46. Les plaignants allèguent que, par un décret no 494/PR/MAISD, pris en Conseil des ministres le 17 novembre 1962 et publié à Cotonou le 20 du même mois, le gouvernement aurait dissous la Confédération dahoméenne des travailleurs croyants (C.D.T.C.).
  2. 47. Il ressort de la circulaire - dont les plaignants fournissent le texte - émise le 19 novembre 1962 par le ministre des Finances et du Travail et adressée à « tous ministres, préfets, inspecteurs du travail, directeurs d'entreprises publiques et privées » que la C.D.T.C est dissoute en vertu du décret susmentionné et interdite sur tout le territoire de la République du Dahomey. La circulaire précise que tous les syndicats de base sont dissous et que tous les organismes où la C.D.T.C est représentée n'ont plus d'existence légale, que les délégués du personnel élus sur les listes présentées par la C.D.T.C n'ont plus d'existence légale, enfin, que les employeurs qui doivent avoir dans leur entreprise des délégués pourront se mettre en relation avec les « organisations syndicales légales » pour procéder à de nouvelles élections.
  3. 48. Les organisations plaignantes déclarent que le décret de dissolution ayant frappé la C.D.T.C est l'aboutissement d'une position gouvernementale dont les effets s'étaient déjà fait sentir depuis un certain temps. Le gouvernement du Dahomey, en effet, aurait eu la volonté manifeste d'imposer aux travailleurs du pays une seule et unique organisation syndicale. A cette fin, il se serait ouvertement départi de sa neutralité et aurait pris activement position en faveur de l'Union générale des travailleurs du Dahomey (U.G.T.D.) au détriment de la C.D.T.C, laquelle aurait joui pourtant de la préférence des travailleurs.
  4. 49. Dans sa réponse, le gouvernement reconnaît avoir pris la mesure de dissolution qui lui est reprochée; il la qualifie toutefois d'« opération d'intérêt national d'une importance capitale » et émet à ce propos l'opinion que « le Dahomey, Etat indépendant et souverain, est seul juge de la manière la plus convenable d'atteindre les buts poursuivis par l'Organisation internationale du Travail... ».
  5. 50. Cette dernière déclaration appelle certaines observations de la part du Comité. Ainsi qu'on l'a vu, en effet, au paragraphe 44 ci-dessus, le Dahomey, en devenant Membre de l'Organisation internationale du Travail, a assumé les obligations des dispositions de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, dispositions par lesquelles il est donc solennellement lié. La Constitution et la pratique constitutionnelle de l'O.I.T ont, en outre, établi une procédure de contrôle de l'exécution des obligations internationale assumées par les Etats Membres de l'Organisation. Le Comité tient à relever qu'il est donc inexact de prétendre qu'un Etat qui est partie à une convention internationale du travail est « seul juge » de la manière dont il convient qu'il remplisse les obligations qui découlent pour lui de la ratification d'un semblable instrument.
  6. 51. A l'appui de sa thèse, selon laquelle l'élimination d'un élément de division dans le mouvement syndical était destinée à renforcer une unité nécessaire au développement du pays, le gouvernement cite dans ses observations un passage de la réponse du Directeur général après la discussion de son Rapport à la 46ème session de la Conférence internationale du Travail (Genève, juin 1962), passage que le gouvernement semble considérer comme allant dans son sens:
    • L'O.I.T ne devrait-elle pas étudier plus attentivement qu'elle ne l'a fait jusqu'ici les conditions dans lesquelles les syndicats progressent dans les pays en voie de développement, les problèmes de relations professionnelles, les problèmes d'organisation des travailleurs ruraux et le rôle que les syndicats jouent et peuvent jouer en vue de stimuler la croissance économique?
    • Dans le même discours, le Directeur général a également déclaré:
    • L'O.I.T a défini, dans des normes internationales, les principes des droits de l'homme dont le respect est essentiel pour que l'Organisation atteigne ses objectifs dans le monde d'aujourd'hui et dans celui de demain. Ces principes: liberté syndicale, abolition du travail forcé et prévention de la discrimination, renforcent les buts de l'O.I.T, tels qu'ils sont énoncés tant dans le préambule de la Constitution et dans la Déclaration de Philadelphie; ils constituent, en effet, le critère de la conduite à suivre pour faire face aux questions qui se posent à l'heure actuelle et aux critiques qui touchent au respect dû à la personnalité de l'être humain, à sa liberté dans les relations sociales.
  7. 52. Quant à la mesure de dissolution elle-même, le gouvernement l'explique par les considérations suivantes. Le peuple dahoméen, le Parti dahoméen de l'unité, l'Assemblée nationale et le gouvernement estiment que, dans la situation actuelle du pays, on ne saurait « assurer le bien-être de la population et des classes laborieuses » que par une union complète de toutes les forces vives de la Nation, tant sur le plan politique que sur le plan syndical. « Pour affronter la bataille de développement - déclare le gouvernement -, nous avons conçu le syndicalisme comme un facteur de développement et élaboré une doctrine syndicaliste donnant aux démarches revendicatives un contenu « dynamique et progressif ». » Aux yeux du gouvernement, « la liberté syndicale ne saurait avoir pour fondement l'anarchie; dans la mesure où elle tend à saper l'unité des travailleurs, elle devient incompatible avec la notion de la défense des classes laborieuses ».
  8. 53. « Dans notre société - poursuit le gouvernement -, la volonté de coopération doit l'emporter sur les facteurs de dissension, que nous ne pouvons tolérer. En conséquence, toute action fractionnelle dans le contexte actuel ne peut être que nuisible... Le Dahomey, longtemps divisé par les luttes intestines, veut réaliser son unité pour prendre enfin son take-off économique. »
  9. 54. En ce qui concerne l'organisation qui a fait l'objet de la mesure de dissolution - la C.D.T.C. -, le gouvernement affirme qu'elle n'est pas représentative au sens des « conventions et résolutions internationales » en ce qu'elle ne possède d'effectifs syndicaux réels dans aucune des branches de l'économie du pays, mais réunit quelques individus qui sèment la dissension dans les rangs des travailleurs. En outre, déclare le gouvernement, de par son affiliation à l'Union panafricaine des travailleurs croyants et à la Confédération internationale des syndicats chrétiens, la C.D.T.C reçoit des subsides de la part de ces organisations internationales qui servent « à entretenir la discorde ». Pour justifier la mesure de dissolution qu'il a prise, le gouvernement déclare enfin: « Nous avons donc estimé que la Confédération dahoméenne des travailleurs croyants, par son affiliation compromettante et antinationale à un syndicat international, constitue un foyer nocif pour la paix sociale de notre pays. »
  10. 55. Il appartient en l'occurrence au Comité d'examiner, du point de vue des normes internationales applicables en la matière, comment, dans le cas d'espèce, les autorités ont procédé. Ainsi que l'admet le gouvernement, la C.D.T.C a été dissoute par décret. Or, ainsi que le Comité l'a rappelé à maintes reprises, en vertu de l'article 4 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, les organisations de travailleurs et d'employeurs ne doivent pas être sujettes à dissolution par voie administrative. La mesure qui a été prise l'a été par décret, c'est-à-dire que l'organisation qui en a été l'objet n'a pas bénéficié de toutes les garanties dont est assortie une procédure judiciaire régulière; elle s'inscrit par conséquent en violation de l'article 4 de la convention susmentionnée, instrument auquel le Dahomey est partie et par les dispositions duquel il est donc formellement lié.
  11. 56. Dans ses observations, le gouvernement indique par ailleurs clairement la ligne de conduite à laquelle il a obéi en l'occurrence et qu'il compte suivre à l'avenir. Il déclare, en effet, n'être pas disposé à « tolérer » un mouvement syndical fractionné en plusieurs tendances et être décidé à imposer un caractère unitaire à ce mouvement. Comme le Comité y a insisté plusieurs fois, l'article 2 de la convention no 87, en effet, prévoit que les travailleurs et les employeurs devront avoir le droit de constituer des organisations « de leur choix », ainsi que celui de s'y affilier. Par cette clause, la convention n'entend nullement prendre position en faveur, soit de la thèse de l'unité syndicale, soit de celle du pluralisme syndical. Toutefois, elle vise à tenir compte du fait, d'une part, que dans nombre de pays il existe plusieurs organisations parmi lesquelles les travailleurs comme les employeurs pourront vouloir librement choisir d'adhérer, d'autre part, que travailleurs et employeurs pourront vouloir créer des organisations distinctes dans les pays où cette diversité n'existe pas. En d'autres termes, si la convention n'a évidemment pas voulu faire du pluralisme syndical une obligation, du moins exige-t-elle que celui-ci demeure en tout cas possible. Aussi toute attitude d'un gouvernement qui se traduirait par l'« imposition » d'une organisation syndicale unique irait à l'encontre des dispositions de l'article 2 de la convention no 87.
  12. 57. Le Comité relève, enfin, que dans sa réponse, le gouvernement invoque l'« affiliation compromettante et antinationale à un syndicat international » de la C.D.T.C pour justifier la dissolution de cette dernière. Comme le Comité l'a déjà fait observer dans le passé, le droit des organisations nationales de travailleurs de s'affilier à des organisations professionnelles internationales est formellement consacré par l'article 5 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, ratifiée par le Dahomey.

Recommandation du comité

Recommandation du comité
  1. 58. Dans ces conditions, le Comité recommande au Conseil d'administration:
    • a) d'attirer - pour les raisons indiquées au paragraphe 50 ci-dessus - l'attention toute particulière du gouvernement dahoméen sur le fait que, le Dahomey ayant assumé les obligations de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, il est formellement tenu d'en appliquer les dispositions;
    • b) d'exprimer l'avis - pour les raisons indiquées aux paragraphes 55, 56 et 57 ci-dessus - que la dissolution par décret d'une organisation syndicale constitue une mesure s'inscrivant en violation de l'article 4 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, en vertu duquel les organisations de travailleurs et d'employeurs ne doivent pas être sujettes à dissolution par voie administrative;
    • c) d'attirer l'attention du gouvernement - pour les raisons indiquées au paragraphe 56 ci-dessus - sur l'importance qu'il attache au principe selon lequel les travailleurs et les employeurs doivent avoir le droit de constituer les organisations « de leur choix » ainsi que celui de s'y affilier, principe qui est consacré par l'article 2 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948;
    • d) d'attirer l'attention du gouvernement - pour les raisons indiquées au paragraphe 57 ci-dessus - sur l'importance qu'il attache au principe selon lequel les organisations nationales de travailleurs et d'employeurs doivent avoir le droit de s'affilier à des organisations internationales de travailleurs et d'employeurs, principe qui est consacré par l'article 5 de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948;
    • e) d'insister auprès du gouvernement dahoméen pour que celui-ci prenne toutes les mesures nécessaires en vue d'assurer que tant sa pratique que sa législation sont en harmonie avec toutes les dispositions de la convention (no 87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948, instrument auquel le Dahomey est partie, et de prier le gouvernement de bien vouloir tenir le Conseil d'administration au courant de ce qui aura été fait à cet égard;
    • f) d'appeler sur les conclusions qui précèdent l'attention de la Commission d'experts pour l'application des conventions et recommandations.
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